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mercredi 26 août 2020

26 Août 1789 : Le jour de la Déclaration !

    Aujourd’hui, je gage que vous allez voir passer quelques articles sur la fameuse déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

    J’aime beaucoup mes concitoyens, qui comme moi, affichent cette déclaration chez eux, bien en évidence.

    Nous avons vu ensemble que depuis plusieurs jours, les députés de l’Assemblée nationale constituante travaillaient sur le projet de déclaration des droits de l’homme. Celui-ci devra figurer en préambule de la future constitution.

    Le 19 août dernier (voir ma publication de cette date), ils ont retenu parmi tous les projets, celui émanant du 6ème bureau, ou comité des cinq. Les cinq membres de ce comité, élus le 17 Août 1789 étant :

  • Jean-Nicolas Démeunier, (Noblesse)
  • L'évêque de Langres Antoine-Hubert Wandelaincourt, (Clergé)
  • François Denis Tronchet, (Tiers-état, élu de Paris)
  • Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau (Noble, mais élu du Tiers -état de Aix et Marseille)
  • Claude Redon (Tiers-état de Riom)

    Depuis le 20 août, jusqu’à ce jour, 26 août, chaque article de ce texte est donc discuté et finalisé, au cours de longs débats, puis voté.

    Souvenez-vous, le 21 Août ils ont défini ce qu'était la Liberté, et le 23 Août, ils ont proclamé la liberté des opinions religieuses !

    Aujourd’hui, 26 Août, la discussion va s’interrompre après l’adoption de l’article 17 sur le droit de propriété qui en constituera le dernier article, afin que les débats puissent enfin porter sur la Constitution elle-même.

    La propriété, ce droit inviolable qui constitue l’objet du dernier article, fait partie des quatre droits, dits naturels et identifiés comme tels par la philosophie des Lumières. Ces droits sont :

  • la liberté ;
  • la propriété ;
  • la sûreté ;
  • la résistance à l'oppression.


    Rien à redire sur le droit à la liberté, bien sûr. Pour ce qui concerne le droit à la sûreté et celui de la résistance à l’oppression, on comprend que les limites que l’on va y fixer ne seront pas sans conséquences. Je vous renvoie à mon article du 18 Août sur l’étonnant discours de Mirabeau sur le droit évident pour tout citoyen à posséder des armes !

Etonnant, non ?


    Pour ce qui est du droit à la propriété, encore plus évident et surtout indiscutable, il me semble nécessaire d’y apporter une petite remarque où deux...

    Vous aurez constaté que les hommes de couleurs sont exclus de cette déclaration des droits de l’homme, puisque l’esclavage n’est pas aboli. Le problème vient peut-être du fait que certains députés sont propriétaires d’esclaves ou se sont enrichis par ce sinistre commerce.
    Notons au passage que le 20 août 1789, des propriétaires de Saint-Domingue résidant en France, nobles et roturiers, "traditionalistes réformateurs", ont constitué à Paris une "Société correspondante des colons français", communément appelée Club Massiac, du nom de l'hôtel où elle se réunit. Ces hommes sont hostiles à toute représentation des colonies à l'Assemblée nationale et ils souhaitent traiter des affaires coloniales directement avec le ministère, et ce, dans la plus grande discrétion (lobbying ?).


    Il faudra attendre 1794 et la Convention Montagnarde de Robespierre (Oui, oui, l’horrible monstre Robespierre, etc, etc.) pour que ledit esclavage soit enfin aboli. C’est en effet Robespierre, qui le premier, théorisera un droit naturel à l’existence, dans ce que l’on pourrait appeler une démarche de reconquête du droit naturel. Il soulignera les contradictions résultant de la déclaration des droits de l’homme de 1789.

Écoutons-le préciser sa pensée dans un exemple célèbre, exposé devant la Convention le 24 avril 1793 :

« Posons donc de bonne foi les principes du droit de propriété ; il le faut d’autant plus qu’il n’en est point que les préjugés et les vices des hommes aient cherché à envelopper de nuages plus épais.

« Demandez à ce marchand de chair humaine ce que c’est que la propriété ; il vous dira, en vous montrant cette longue bière qu’il appelle un navire, où il a enchaîné et ferré des hommes qui paraissent vivants :

“voilà mes propriétés, je les ai achetées tant par tête.”

Interrogez ce gentilhomme qui a des terres et des vassaux, ou qui croit l’univers bouleversé depuis qu’il n’en a plus ; il vous donnera de la propriété des idées à peu près semblables.

Interrogez les augustes membres de la dynastie capétienne ; ils vous diront que la plus sacrée de toutes les propriétés est, sans contredit, le droit héréditaire, dont ils ont joui de toute antiquité, d’opprimer, d’avilir et de pressurer légalement et monarchiquement les 25 millions d’hommes qui habitaient le territoire de la France, sous leur bon plaisir.

« Aux yeux de tous ces gens-là, la propriété ne porte sur aucun principe de morale. Pourquoi votre déclaration des droits semble-t-elle présenter la même erreur ? »

    Selon Robespierre, le droit de propriété doit être subordonné aux principes humanistes de liberté et de réciprocité du droit (égalité) :

« En définissant la liberté, le premier des biens de l’homme, le plus sacré des droits qu’il tient de la nature, vous avez dit avec raison qu’elle avait pour bornes les droits d’autrui : Pourquoi n’avez-vous pas appliqué ce principe à la propriété qui est une institution sociale ? Comme si les lois éternelles de la nature étaient moins inviolables que les conventions des hommes. Vous avez multiplié les articles pour assurer la plus grande liberté à l’exercice de la propriété, et vous n’avez pas dit un seul mot pour en déterminer le caractère légitime, de manière que votre déclaration paraît faite non pour les hommes mais pour les riches, pour les accapareurs, pour les agioteurs et pour les tyrans. Je vous propose de réformer ces vices en consacrant les vérités suivantes :

« Article 1er - La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi.

« Article 2. - Le droit de propriété est borné comme tous les autres, par l’obligation de respecter les droits d’autrui.

« Article 3. - Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de nos semblables.

« Article 4. - Toute possession, tout trafic qui viole ce principe est illicite et immoral. »

    Par ces 4 articles, Robespierre théorisait la séparation du droit naturel et de la propriété privée des biens matériels. La propriété n’était plus reconnue comme un droit naturel, mais comme une institution sociale.

    Je suis désolé d’avoir gâché le plaisir de certains en évoquant Robespierre (Oui, oui, l’horrible monstre Robespierre, etc, etc.). Mais peut-être comprendrez-vous mieux au fil de mes modestes publications, pourquoi cet homme est devenu l’un des hommes politiques les plus calomniés et haïs de l’histoire de France.

    Même si cette déclaration des droits n'était pas parfaite, même si comme le disent certains, elle était largement inspirée des déclarations anglaise et américaine, cette déclaration n'en reste pas moins un texte important dans l'histoire. 

Alors merci et bravo aux amis qui l'ont affichée chez eux !


Important !

Pour celles et ceux qui pensent que les Femmes ont été oubliées, je conseille de vite lire l'article suivant qui s'intitule :"Les femmes sont des hommes comme les autres".


Voici une version de 1789.

Voici une version de 1793


Post Scriptum :

    Concernant l'abolition de l'esclavage, je pense que je vais vous étonner en vous apprenant que 20 ans avant l'abolition en 1794, le jeune Louis XVI avait questionné en 1775 son ministre Turgot, pour s'enquérir de ce qu'il en coûterait à l'Etat de mettre fin à cette pratique. Il pensait au remboursement des propriétaires. (Rappelez-vous, la propriété est sacrée). Mais cela fera prochainement l'objet d'un article spécial...

 

26 Août 1789 : Utopie ouvrière dans les Pyrénées.



    Quittons aujourd’hui les débats sans fin de l’Assemblée nationale et les « fermentations » parisiennes, pour regarder au sud du royaume, dans les Pyrénées, plus précisément.

    Apprenez que les mineurs de Rancié, en Ariège, précisément le jour où était proclamée la fameuse déclaration des droits, se sont eux-aussi révoltés. Ils ont protesté contre les terribles conditions de travail que leur impose la ville, qui est propriétaire de la mine de fer.

Grand et lourd bloc de goethite massive,
récolté à la fin 18ème à la mine du Rancié,
Vicdessos en Ariège.

Source image : https://www.les-mineraux.fr/


    La municipalité distribue chichement le bois de soutènement destiné à parer aux effondrements dans les galeries et les ouvriers doivent même payer eux-mêmes la poudre pour les explosions et l’huile d’éclairage, avec leurs 20 malheureux sols de salaires journaliers. 

Source : Le fer en Ariège

    De plus les hottes qu’ils doivent porter sur leurs épaules sont trop lourdes : 150 livres pour les hommes, 75 livres pour les garçons de 10 ans. Les jeunes garçons de moins de dix ans transportent le minerai hors de la mine. 



    Les fillettes du même âge conduisent les convois de mulets, à raison de trois ou quatre voyages par jour, escaladant le chemin de Cavallère pour livrer le minerai aux entrepôts de Cabre. Les accidents sont fréquents et causent des morts et des blessés.

Source : Traits en Savoie

    Les 345 mineurs se sont rendus le 26 août chez le notaire pour qu’il enregistre leurs décisions. Ils décident, entre autres, que le bois des galeries et l’usage des explosifs seront contrôlés par les ouvriers qui fixeront un salaire minimum et veilleront au recrutement. Ils demanderont également de pouvoir fixer eux-mêmes le prix du minerai à un taux supérieur à celui existant. Cette possibilité, demandée en ce mois d’août 1789, sera redemandée en mai 1796 et sera chaque fois repoussée par l'Administration Départementale.

    Leur requête est accompagnée d’une lettre d’envoi du syndic Galy qui précise que la délibération des mineurs « n’est qu’un abrégé des misères et des dangers qui affligent ceux qui s’appliquent à l’extraction des mines de fer de cette vallée de Vicdessos… ». Elle sera envoyée à l’Assemblée nationale dans l’espoir que celle-ci confirmera par une loi ce nouveau mode de gestion.

    Nous qui lisons ensemble les procès-verbaux de l’Assemblée nationale depuis quelques semaines ne nous faisons pas d’illusions sur la suite de cette demande.

    Ne cherchez pas sur Wikipédia (à moins que l'un de leurs "érudits" soit tombé sur cet article), vous ne trouverez aucune trace de cet événement dans l’article traitant de la très longue histoire de cette mine, exploitée depuis l’antiquité. Ça vous étonne ? Pas moi. On trouve malgré tout quelques rares articles s'efforçant surtout de décrédibiliser cette utopie ouvrière...

Enfants mineurs, au XIXème siècle

Quelques infos de cet article sont extraites de cet ouvrage :

https://books.google.gr/books/about/La_Mine_aux_mineurs_de_Ranci%C3%A9.html?id=QJVOAAAAYAAJ&redir_esc=y



mardi 25 août 2020

25 Août 1789 : La disette continue et les bourgeois s'inquiètent.

    Ces derniers temps, il me semble que nous avons un peu perdu de vue le peuple de Paris. Raison pour laquelle je me tourne aujourd’hui vers notre ami Adrien Joseph Colson, dont les lettres écrites en ces journées historiques, nous livrent des informations bien intéressantes.

    Colson était avocat au Parlement de Paris et intendant de la famille de Longaunay. Il écrivait deux fois par semaines à Roch Lemaigre, le régisseur des terres du Berry de cette famille.

    Voici ce qu’il écrit dans sa lettre du 25 Août :


(…) Nous sommes dans plusieurs sortes de perplexités bien inquiétantes à la fois. La disette de farines, faute de battre les grains de la récolte, est au point depuis hier, que, passées 6 heures du matin il faut, pour avoir un morceau de pain de deux et souvent une seule livre, aller chez 8 ou 10 boulangers et qu’avant 6 heures l’on ne peut guère espérer que deux livres à la fois. Une autre perplexité, c’est que nous avons à Montmartre 12000 et, suivant bien des personnes, 18000 vagabonds à qui l’on paie 20 sols par jour, sans qu’ils les gagnent autrement qu’à rester dans l’inaction et à commettre quelques-fois des désordres ; que, quoi qu’on les sollicite à retourner chez eux en leur offrant trois sols par lieues pour leur route, ils s’obstinent à rester ; qu’on a dessein d’employer l’artillerie pour les forcer à partir mais que, si les faubourgs Saint-Marceau et Saint-Antoine se joignent à eux, ils seront en état de nous accabler et que, s’ils se décident à partir, ils vont, selon toute apparence, former de nouvelles troupes de brigands partout le royaume. Enfin, à travers tous ces embarras, l’on cherche à semer la division parmi nous et l’on soupçonne, avec quelque apparence de fondement, que le stathouder de Hollande, de crainte que notre exemple ne porte les Hollandais à recouvrer la liberté dont il s’est rendu l’agresseur et le tyran, a des émissaires à Paris qui répandent à cet effet de l’argent.

La, garde bourgeoise n’est pas allée comme on le projetait à Versailles pour la fête du roi de crainte d’y mettre la famine ou, pour mieux dire, de l’y augmenter, étant aussi difficile qu’à Paris d’y avoir du pain. (…)


    Vous pouvez constater que persiste ce problème de disette et cet obsédant manque de pain qui tourmente les esprits et les ventres.



    Concernant les 12.000 « vagabonds », il s’agit des 12.000 indigents évoqués par Necker dans son discours du 7 août (lire ma publication du 7 août). A en croire Necker, ces malheureux n’étaient pas inoccupés puisqu’on avait « établi des travaux extraordinaires autour de Paris, uniquement dans la vue de donner une occupation a beaucoup de gens qui ne trouvaient point d'ouvrage ; et que le nombre s'en était tellement augmenté, qu'il se montait maintenant à plus de douze mille hommes. Le Roi leur payait effectivement vingt sous par jour « dépense indépendante de l'achat des outils, et des salaires des surveillants. » précisait Necker.

    N’oublions pas que Colson est un bourgeois et que les bourgeois de Paris voyaient d’un très mauvais œil cette population d’ouvriers qui travaillaient pour l’état. C’était autant de marchés de travaux publics qui leurs échappaient, si vous voyez ce que je veux dire.

    Vous vous doutez bien que ces « brigands » finiront par être renvoyés sur les routes, à défaut d’un chez-eux qu’ils n’avaient pas.

    Quant aux rumeurs concernant le Stathouder de Hollande rétribuant des agitateurs pour fomenter des troubles, nous verrons qu’elle reviendra souvent et sous différentes variantes. Certaines s'avéreront fondées plus tard, lorsque l’on accédera à certaines archives, comme le fait que l’Angleterre alimentait le banquier suisse Perrégaux en argent destiné à créer des troubles pour déstabiliser les Jacobins. Nous en reparlerons plus tard.



25 Août 1789 : L’un est aimé, l’autre pas (Roi et reine)

 

Le Havre

    Ce 25 Août, c’est la saint Louis ! Raison pour laquelle un bon père de famille résidant en Normandie, fait ériger un buste de Louis XVI dans son jardin, appelé « Louisée ».

    Par la même occasion, il adresse à son roi bien aimé un fort beau compliment imprimé dans un livret, accessible par le lien suivant : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5429182h/f2.image.texteImage

En voici le début : 

« Peuples, mêlez vos voix aux accords de ma lyre : Chantons Louis, chantons ses bienfaits, son Empire. »

Ce Louisée est situé proche le Havre, au nord de la grande route, vis-à-vis la nouvelle Chaussée & promenade de la Ville, suivant les plans arrêtés les 7 Juillet & 9 Août 1787 , par les sieurs Lamandé & la Milliere, & depuis par Sa Majesté elle-même. Le Buste de Louis XVI y sera vu du public. 

    A la page 14 de ce petit chef-d’œuvre de flagornerie, on peut également découvrir une adresse à Monsieur Necker qui commence ainsi : 

« NECKER ! Louis te rend aux désirs de la France ! Chacun fuit les élans de fa reconnaissance ; Demain, près du Monarque en qui revit Henri J'aurai le doux plaisir de placer son Sulli. Monseigneur, Je ne prends la liberté de vous présenter ces faibles expressions de mon patriotisme, que pour y joindre l'offre des résultats de mon travail depuis plus de vingt ans, sur les moyens de rectifier & simplifier la plupart de nos lois, principalement celles qui concernent le commerce de terre & de mer." 

    Notre bourgeois gentilhomme, pour être poète, n’en n’est pas moins un homme d’affaire avisé, vous en conviendrez. Il ne perd pas le Nord et l’on pourrait dire que le N de sa boussole, indique Necker ! 

Voici néanmoins une preuve indiscutable de l’amour porté à Louis XVI et à son merveilleux ministre retrouvé, Jacques Necker ! 

Versailles

    Quittons le Havre pour nous rendre à Versailles, où les représentants de la ville de Paris et les poissardes se sont rendus pour souhaiter une bonne fête au roi. Les poissardes, ce sont ces marchandes des Halles de Paris, au langage hardi. 

Voici une poissonnière vêtue selon le souhait du peuple,
c'est-à-dire, avec des attributs de la noblesse (escarpin, gant, etc.)

    Cette délégation s’en est retournée de fort mauvaise humeur à Paris, en raison de l’accueil glacial qui lui a été fait par la reine. Marie-Antoinette les a reçus, couverte de bijoux et entourée de sa maison. Mais irritée de ce que le maire de Paris, Bailly, ne se soit pas agenouillé devant elle, elle lui a répondu dédaigneusement et s’est contentée de balbutier quelques mots peu aimables à La Fayette qui lui présentait la garde nationale. Ensuite, elle les a tous congédiés d’un signe de tête, sans dissimuler sa mauvaise humeur. 

    Le moins que l’on puisse dire, c’est que Marie Antoinette aura commis ce jour-là une erreur de plus. Les femmes de Paris se souviendront certainement de cette humiliation, lorsqu’elles prendront la route pour Versailles le 5 octobre prochain, pour y crier famine et réclamer le retour de la famille royale à Paris. 

Source image : https://neverwasmag.com/2008/11/beau-brummell-the-most-stylish-history-maker/louis-xvi-marie-antoinette-of-france/




lundi 24 août 2020

24 Août 1789 : L'Assemblée nationale entérine la liberté de la Presse !

 

Source image BNF


    La Presse existait déjà bel et bien en 1789 et le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle contribua largement à la diffusion des idées nouvelles, et ce, bien avant l'époque révolutionnaire.

    Dans sa grande bonté, le roi avait même autorisé le 19 Mai 1789 à ce que la Presse puisse rendre compte des opérations des Etats généraux ! Ce qui sous-entend, vous l'aurez compris, que la Presse n'était pas libre.

    Raison pour laquelle la liberté de la presse avait été demandée dans de nombreux cahiers de doléances présentés aux Etats Généraux.

    Ci-dessous, La Liberté de la Presse figure en numéro un des souhaits des habitants du Quartier des Feuillants à Paris.


    Bien sûr, tout le monde ne savait pas lire, mais ceux qui savaient, lisaient à haute voix pour les autres les articles de presses, mais aussi les pamphlets et libelles, assis sous un banc dans un parc, perchés sur un tonneau au milieu d'une place publique ou debout sur une table de Taverne !

Voici quelques estampes de liseurs de journaux !




    Je vous laisse lire les débats passionnés de l'Assemblée, Mais ensuite vous pourrez lire le compte rendu desdits débats dans "Le Journal de Paris", en date du 27 Août 1789. (il y a toujours un petit décalage entre le jour des débats et le jour de leur rendu par la Presse.

 

 

Suite de la discussion du projet relatif à la déclaration des droits, lors de la séance du 24 aout 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4892_t2_0482_0000_6

On reprend la discussion du projet du sixième bureau et on lit l'article 19, oui porte :

« La libre communication des pensées étant un droit du citoyen, elle ne doit être restreinte qu'autant qu'elle nuit aux droits d'autrui. »

M. le duc de Lévis ouvre le premier son opinion sur cet article ; il ne se contente pas de présenter un projet relatif au 19e article, il essaie de faire revenir sur l'article arrêté hier matin. Il y a, dit-il, trois manières de manifester ses pensées : par écrit, par ses discours, par ses actions. Or, votre arrêté d'hier soumet les actions à la plus terrible inquisition.

Plusieurs membres rappellent l'opinant à l'ordre ; néanmoins il présente son projet tel que le voici :

« Tout homme ayant le libre exercice de sa pensée a le droit de manifester ses opinions, sous la seule condition de ne pas nuire à autrui. »

M. le duc de La Rochefoucauld parle ensuite ; il détaille les avantages de la presse. C'est elle, dit-il qui a détruit le despotisme ; c'est elle qui précédemment avait détruit le fanatisme. Il propose l'article qui suit :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux à l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté, dans les cas prévus par la loi. »

M Rabaud de Saint-Etienne. C'est avec empressement que j'appuierai les divers projets des préopinants. Cependant il nous est impossible d'en conserver un aussi vague, aussi insignifiant que celui du sixième bureau.

Ce serait manquer à nos mandats que de ne pas assurer la liberté de la presse ; mais nos cahiers nous prescrivent encore un devoir, celui de consacrer à jamais l'inviolabilité du secret de la poste ; nos cahiers nous le recommandent, et l'article du sixième bureau n'en parle pas.

Il y a lieu d'espérer que, réfléchissant sur la sainteté de nos devoirs et sur les dangers de remplir la déclaration des droits de détails insignifiants, nous nous empresserons de remplir nos mandats sur un objet aussi essentiel. Quant à la presse, il est inutile de vous en démontrer les avantages. A qui les annoncerions-nous ? Serait-ce au peuple ? Mais les ordres qu'il nous donne annoncent qu'il les connaît. Serait-ce à nous-mêmes ? Mais nos lumières sont dans nos cahiers.

Cependant, il faut le dire : la liberté de la presse n'est pas sans inconvénients. Mais faut-il aussi, pour cette raison, rétrécir une liberté que l'homme ne tient que de lui-même ? En faisant des lois, aurons-nous plutôt égard au droit en lui-même qu'à l'abus que l'on en peut faire ? Dans l'ouvrage le plus sage, le plus modéré, ne trouve-t-on pas toujours quelque chose susceptible d'une interprétation maligne ? Interprétation qui est bientôt devenue un art perfectionné par le despotisme et l'inquisition de la police.

Si l'on s'élève contre un homme en place, il s'écrie que l'ordre est troublé, que les lois sont violées, que le gouvernement est attaqué, parce qu'il s'identifie avec l'ordre, avec les lois et avec le gouvernement.

Placer à côté de la liberté de la presse les bornes que l'on voudrait y mettre, ce serait faire une déclaration des devoirs, au lieu d'une déclaration des droits.

Jamais article ne fut plus important. Si d'un mot mal combiné il en coûtait une larme, un soupir, nous en serions responsables.

Si de quelque article rédigé dans le tumulte, il en résultait l'esclavage d'un seul, il en résulterait bientôt l'esclavage de tous ; la servitude est une contagion qui se communique avec rapidité.

J'adhère à l'arrêté de M. le duc de La Rochefoucauld, en y mettant la dernière phrase de M. le duc de Lévis, sauf à ne pas nuire, etc.

M. Target. Je propose l'article suivant qui n'est que l'extrait des deux autres.

«Tout homme a le droit de manifester ses opinions par la pensée, la parole et l'impression. Celui qui, en usant de ce droit, blesse le droit d'autrui, doit en répondre suivant les formes prescrites par la loi. »

M. Barrère de Vieuzac. C'est à la déclaration des droits à publier les grandes maximes, à constater les droits inaliénables, mais dans toute leur pureté et leur énergie. C'est ensuite à la Constitution et aux lois à adapter cette liberté au principe et à la nature du gouvernement. Vous devez faire de la déclaration des droits le code des législateurs mêmes ; c'est le type sur lequel la puissance législative formera toutes ses institutions. La déclaration des droits sera enfin la règle de la liberté publique, et si le pouvoir législatif pouvait jamais s'égarer ou se corrompre, le peuple, dont ce pouvoir émane, comme tous les autres, le rappellera sans cesse à cette déclaration, comme a une source dont les eaux ne peuvent être corrompues.

Conservez-donc, Messieurs, à la déclaration des droits l'énergie et la pureté qui doivent caractériser ce premier acte de la législation ; ne la surchargez pas de ces modifications destructives, de ces idées secondaires qui absorbent le sujet, de ces précautions serviles qui atténuent les droits, de ces prohibitions subtiles qui ne laissent plus de la liberté que le nom. Il est temps d'effacer de la législation française les absurdités qui la déshonorent depuis longtemps.

C'est à la liberté de la presse, plus encore qu'aux besoins publics, que vous devez le bienfait de cette Assemblée : consacrez donc cette liberté de la presse, qui est une partie inséparable de la libre communication des pensées. L'arbre de la liberté politique ne croît que par l'influence salutaire de la liberté d'imprimer.

D'ailleurs, Messieurs, le progrès de l'opinion armée de la presse est devenu irrésistible. Le moment est venu, où aucune vérité ne peut plus être dérobée aux regards humains ; et réprimer ou contraindre la liberté de la presse, c'est un vain projet. Réparer les droits d'autrui, est la seule modification que la morale des Etats apporte à la liberté.

Tout homme a le droit de communiquer et de publier ses pensées ; la liberté de la presse, nécessaire à la liberté publique, ne peut être réprimée, sauf à répondre des abus de cette liberté, dans les cas et suivant la forme déterminée par la loi.

M. Robespierre. Vous ne devez pas balancer de déclarer franchement la liberté de la presse. Il n'est jamais permis à des hommes libres de prononcer leurs droits d'une manière ambiguë ; toute modification doit être renvoyée dans la Constitution. Le despotisme seul a imaginé des restrictions : c'est ainsi qu'il est parvenu à atténuer tous les droits... Il n'y a pas de tyran sur la terre qui ne signât un article aussi modifié que celui qu'on vous propose. La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de communiquer ses pensées.

Un curé du bailliage de Metz présente son cahier qui demande que tous les ouvrages soient soumis à la censure.

On allait délibérer, lorsque M. l'évêque d'Amiens a demandé la parole, et l'on a cru devoir faire une exception au règlement pour entendre ce prélat.

M. De Machault, évêque d'Amiens. Je satisfais à ma conscience qui me presse, ainsi qu'au mandat que j'ai reçu : il y a du danger pour la religion et les bonnes mœurs dans la liberté indéfinie de la presse. Combien la religion n'a-t-elle pas souffert des attaques que la licence des écrits lui a portées ! Combien le repos de la société n'a-t-il pas été compromis ! Combien de pères de famille peuvent être alarmés pour leurs enfants des mauvais principes de certains ouvrages !... Je termine en proposant un amendement pour la conservation des mœurs et l'intégrité de la foi.

M. Desmontiers de Mérinville, évêque de Dijon, lit le projet suivant :

«Toute communication libre des pensées et des opinions est un des droits du citoyen ; elle ne doit être restreinte que dans le cas où elle nuirait au droit d'autrui. »

M. le comte de Mirabeau demande à faire un amendement à tous ces modèles. Tous portaient restreindre ; il propose d'y mettre réprimer. On vous laisse, dit-il, un écritoire pour écrire une lettre calomnieuse, une presse pour un libelle ; il faut que vous soyez puni quand le délit est consommé : or, ceci est répression , et non restriction ; c'est le délit que l'on punit, et l'on ne doit pas gêner la liberté des hommes, sous prétexte qu'ils veulent commettre des délits.

Un ecclésiastique propose un autre amendement. Il demande que l'on insère dans l'article "contraires aux lois de l'Etat."

Cet amendement est rejeté.

On met aux voix l'article 19 du projet du sixième bureau.

L'article est rejeté.

On met aux voix celui de M. le duc de La Rochefoucauld.

M. Dupont demande par amendement de le terminer ainsi : les cas qui seront prévus par la loi.

M. Pétion observe que cela est inutile, et dit qu'il ne peut pas y avoir de lois antérieures à une constitution.

 

Adoption de l'article 11 de la déclaration des droits, lors de la séance du 24 aout 1789

L'article est décrété en ces termes :

« Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »


    Voici le compte rendu de cette séance mémorable du 24 Août 1789 publié dans le numéro 239 du Journal de Paris publié le 27 Août 1789 :

Cliquez pour agrandir.





Vous aurez constaté que l'on ne parle pas que de ça !


Post Scriptum

Le 15 Mai 1790 Alexandre de Lameth demandera exigera la liberté totale de la presse et demandera que le droit de déclarer la guerre soit accordé à l'Assemblée législative et non à Louis XVI,

Le 11 Mai 1791, Robespierre fera un discours sur la liberté de la presse, prononcé à la Société des amis de la Constitution (Extrait)

L’Assemblée nationale déclare :

1°. Que tout homme a le droit de publier ses pensées, par quelques moyens que ce soit ; & que la liberté de la presse, ne peut être gênée ni limitée en aucune manière.

2°. Que quiconque portera atteinte à ce droit doit être regardé comme ennemi de la liberté, & puni par la plus grande des peines, qui seront établies par l’Assemblée nationale.

3°. Pourrons néanmoins les particuliers qui auront été calomniés, se pourvoir pour obtenir la réparation du dommage que la calomnie leur aura causé, par les moyens que l’Assemblée nationale indiquera.

La liberté de la Presse sera suspendue pendant la guerre en 1792 (comme il est plus ou moins d'usage dans toutes les guerres).

Napoléon rétablira la censure de la Presse le 5 Février 1810. (Mais ce grand homme avait sûrement de bonnes raisons).




dimanche 23 août 2020

23 Août 1789, l'Assemblée nationale proclame la liberté des opinions religieuses.

 

    Il y a 232 ans, le 23 Août 1789, l'Assemblée nationale proclamait la liberté des opinions religieuses, qui allait constituer l'article 10 de la future Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

    La veille Mirabeau s'était brillamment illustré en tenant un discours en faveur de la liberté des cultes (Page 473). L'Assemblée n'accorda ce jour-là que la tolérance civile des religions dissidentes, et non la pleine liberté et égalité des religions, mais c'était déjà une grande avancée (suffisante pour faire tomber en pamoisons nombre de bigots)

    Mirabeau fera de nouveau un beau discours magnifique, mais il n'obtiendra pas ce qu'il demandait. Dans son journal personnel il protestera vivement contre une conception aussi restrictive.

    Le temps n'était pourtant plus aux sanglantes guerres de religions qui avait dévasté et appauvri le pays. Il y avait quelques Protestants au sein de l'Assemblée et cette religion était devenue plus "tolérée", parce qu'elle bénéficiait de l'aura des églises américaines et par la même du prestige de cette nouvelle nation qui impressionnait tant les Français.

Petit Rappel

Rabaud Saint-Etienne
Malesherbes

    Depuis l'édit de Versailles du 7 novembre 1787 sur les non-catholiques, les protestants et (sauf exception locale) les juifs, accédaient à l’état civil grâce à Malesherbes et à Rabaut Saint-Étienne. (Cet édit fut enregistré au Parlement le 29 Janvier 1788).

    Le 29 décembre 1788, Malesherbes avait présenté son rapport sur la question juive réalisé avec l’aide de l’intendant de Guyenne Dupré Saint-Maur et par le Juif de Bordeaux Moïse de Samuel Gradis. Une commission de huit Juifs de France y avait exposé ses désirs sociaux et professionnels.

    Mais Rabaud Saint-Etienne, lui-même Protestant va revenir sur cet édit, lors de son intervention de ce jour et il évoquera également l'injustice faite aux Juifs qu'il désigne sous le nom de "Peuple venu d'Asie".

    Il faudra attendre le 28 janvier 1790 pour que l'Assemblée accorde leurs droits de citoyens actifs aux Juifs Séfarades du Midi de la France, le 27 décembre 1791 pour que l'Assemblée reconnaisse la citoyenneté aux Juifs de l'Est de la France et le 20 septembre 1792, pour que l'Assemblée législative, avant de se séparer, laïcise l'Etat civil, reconnaisse l'égalité civile des hommes et des femmes, institue le mariage républicain et le divorce.

Mais entre ce 23 Août 1789, et le 20 septembre 1792, il se sera passé tant de choses…

    Concernant l'Islam, hormis quelques commerçants ou esclaves à Marseille et Toulon, il n'y avait quasiment pas de Musulmans en France. L'Islam fut cependant un objet important de discussion à l'époque des lumières. Dans ses débats pour défendre la tolérance, Voltaire opposait souvent "L'intolérance catholique" à la "Tolérance islamique". Etonnant, non ?

    Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, je vous propose la lecture de cet article de Faruk Bilici : " L’Islam en France sous l’Ancien Régime et la Révolution : attraction et répulsion "

Entrons à présent au sein de la prestigieuse Assemblée nationale. 

    Ecoutons le tonitruant Mirabeau qui entame le débat, mais le moment le plus intéressant, selon moi, sera celui de l'intervention de Rabaud Saint-Etienne.

Source du texte ci-dessous : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4888_t2_0476_0000_3

M. le vicomte de Mirabeau :

Voudriez-vous donc, en permettant les cultes, faire une religion de circonstance ? Chacun choisira une religion analogue à ses passions. La religion turque de¬ viendra celle des jeunes gens ; la religion juive, celle des usuriers ; la religion de Brahma, peut-être celle des femmes.

L'on vous a dit, Messieurs, que l'homme n'apportait pas la religion en société. Certes, un tel système est bien étrange. Quel est le sentiment de tout homme qui contemple la nature, qui élève ses regards jusqu'aux cieux, et qui, par un retour sur lui-même, médite sur son existence ? Quel est le premier sentiment de celui qui rencontre dans la solitude son semblable ? N'est-ce pas de tomber à genoux ensemble, et d'offrir au Créateur le tribut de leurs hommages ? ..... Je n'avais pas imaginé que je pourrais devenir un jour l'apôtre de la religion que je professe ; je ne me croyais pas réservé à des discussions théologiques ; je me contentais d'adorer et de croire. J'appuie donc la première partie de la motion de M. de Castellane, qui est ainsi conçue :

« Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l'exercice de son culte. »

M. de Clermont-Lodève :

Il paraît que les différents avis tendent à renvoyer la discussion des articles 16 et 17 à la Constitution. Moi je pense Je contraire : l'on parle d'une déclaration des droits ; j'avais cru que c'était dans cet acte que l'on devrait appeler tout ce qui sert à les garantir.

Dans toutes les déclarations qui vous ont été présentées, on a traité des lois qui assurent l'exercice des droits ; on a appelé la force qui -les protège ; or, comment peut-on oublier un moment cette garantie si sacrée, si solennelle de la religion ?

Dans cette Assemblée où chaque député cherche à mettre à l'abri de toute violation les droits de ses commettants ; lorsque l'on se munit de toute part contre les atteintes qu'y pourrait porter le pouvoir exécutif, comment n'y oppose-t-on pas la barrière la plus insurmontable, celle 'de la religion ? Le pouvoir exécutif n'est pas à craindre ; mais ce sont les passions ; mais c'est l'avidité des hommes qui sans cesse attaque, bouleverse et envahit les propriétés.

En vain répondra-t-on que la loi est une garantie entre tous les citoyens ; mais ces lois ne sont-elles pas souvent impuissantes ? N'en sait-on pas abuser pour opprimer l'impéritie ou la faiblesse ? La loi ne punit que les délits, et les délits prouvés. La morale seule réprime les désirs attentatoires aux droits d'autrui. Les hommes, qui ne sont réunis en société que pour maintenir l'égalité des droits au milieu de l'inégalité des moyens, sont liés par un nœud indissoluble, celui de la religion.

Les métropoles éloignées de leurs provinces sont plus unies par les mêmes fêtes, les mêmes habitudes, que par l'intérêt du commerce. La religion, voilà la vraie garantie des lois ; sans elle je ne serai jamais assez garanti contre la perfidie. Qui garantira ma vie contre les embûches, mon honneur contre la calomnie ?.... Sans la religion, tous les rapports de la société sont séparés ; sans elle, à peine suis-je le maître de ma personne. L'on en viendra à ce point que chacun pourra répéter ce que J.-J. Rousseau se disait à lui-même : Par quelle raison, étant moi., dois-je régler ma conduite ? En un mot, sans religion, il est inutile de faire des lois, des règlements, il ne reste plus qu'à vivre au hasard.

M. de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun :

Les articles 16 et 17 doivent-ils trouver place dans la déclaration des droits ? Dans la dernière séance, ils ont été réunis, puis ensuite séparés.

Je pense que c'est précisément en les divisant que l'on peut mieux raisonner sur leurs disconvenances.

Si on les admettait, il faudrait au moins suppléer à leur insuffisance. L'article 16 porte : «La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c'est à la religion et à la morale à la suppléer. Il est donc essentiel que l'une et l'autre soient respectées. »

La religion ..... Mais quelle religion ? S'agit-il de toute religion ? mais cela n'est pas exact.

La religion et la morale respectées ..... Ce n'est là qu'une conséquence ; il faut le principe. Elles doivent être l'une et l'autre enseignées ; on doit les promulguer, les graver dans tous les cœurs.

L'article 17 porte : « Le maintien de la religion exige un culte public. Le respect pour le culte public est donc indispensable... Sans doute cela-est vrai ; mais il n'y a aucuns rapports entre la conséquence et les délits secrets ; le culte ne les prévient pas. Le culte est un hommage extérieur rendu au créateur ; or, le premier principe, c'est la religion ; la conséquence est le culte ; et la loi à faire, c'est quel sera ce culte. C'est pour l'examen de ces trois vérités que je me décide dans la question actuelle. Chaque article d'une déclaration des droits doit commencer par ces mots : Tout homme vivant dans cette société a le droit de ..... etc.

Certes l'article du culte de la religion ne peut commencer ainsi. Il faut donc trouver une autre place, et cette place est dans la Constitution.

C'est là que sera prononcé le mot sacré et saint de religion catholique ; c'est là que l'on apprendra ce que c'est que le culte. Il n'est pas temps encore de délibérer.

M. le Président, après quelques débats sur ce point, demande si l'Assemblée veut qu'ils cessent ou qu'ils soient prolongés ; l'Assemblée ordonne que les débats cesseront.

En conséquence, M. le président propose de décider si on délibérera quant à présent sur les articles 16 et 17.

Il est arrêté qu'on s'en occupera en travaillant à la Constitution.

L'article 18 du projet de déclaration des droits de l'homme devient l'objet de la discussion.

M. de Castellane renouvelle sa motion pour qu'il soit rédigé en ces termes :

Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l'exercice de son culte.

M. le comte Mirabeau. J'ai eu l'honneur de vous soumettre hier quelques réflexions qui tendaient à démontrer que la religion est un devoir, et non pas un droit, et que la seule chose qui appartenait à la déclaration dont nous sommes occupés, c'était de prononcer hautement la liberté religieuse.

On n'a presque rien opposé à la motion de M. le comte de Castellane ; et que peut-on objecter contre un axiome si évident, que le contraire est une absurdité !

On nous dit que le culte est un objet de police extérieure ; qu'en conséquence il appartient à la société de le régler, de permettre L'un et de défendre l'autre.

Je demande à ceux qui soutiennent que le culte est un objet de police, s'ils parlent comme catholiques ou comme législateurs ? S'ils font cette difficulté comme catholiques, ils conviennent que le culte est un objet de règlement, que c'est une chose purement civile ; mais si elle est civile, c'est une institution humaine ; si c'est une institution humaine, elle est faillible. Les hommes peuvent la changer ; d'où il suit, selon eux, que le culte catholique n'est pas d'institution divine, et selon moi, qu'ils ne sont pas catholiques. S'ils font la difficulté comme législateurs, comme hommes d'Etat, j'ai le droit de leur parler comme à des hommes d'Etat ; et je leur dis d'abord qu'il n'est pas vrai que le culte soit une chose de police, quoique Néron et Domitien l'aient dit ainsi pour interdire celui des chrétiens.

Le culte consiste en prières, en hymnes, en discours, en divers actes d'adoration rendus à Dieu par des hommes qui s'assemblent en commun ; et il est tout à fait absurde de dire que l'inspecteur de police ait le droit de dresser les oremus et les litanies.

Ce qui est de la police, c'est d'empêcher que personne ne trouble l'ordre et la tranquillité publique. Voilà pourquoi elle veille dans vos rues, dans vos places, autour de vos maisons, autour .de vos temples ; mais elle ne se mêle point de régler ce que vous y faites : tout son pouvoir consiste à empêcher que ce que vous y faites ne nuise à vos concitoyens.

Je trouve donc absurde encore de prétendre que, pour prévenir le désordre qui pourrait naître de vos actions, il faut défendre vos actions : ; assurément cela est très-expéditif ; mais il m'est permis de douter que personne ait ce droit. Il nous est permis à tous de former des assemblées, des cercles, des clubs, des loges de francs-maçons, des sociétés de toute espèce. Le soin de la police est d'empêcher que ces assemblées ne troublent l'ordre public ; mais certes on ne peut imaginer qu'afin que ces assemblées ne troublent pas l'ordre public, il faille les défendre.

Veiller à ce qu'aucun culte, pas même le vôtre, ne trouble l'ordre public, voilà votre devoir ; mais vous ne pouvez pas aller plus loin.

On vous parle sans cesse d'un culte dominant : dominant ! Messieurs, je n'entends pas ce mot, et j'ai besoin qu'on me le définisse.

Est-ce un culte oppresseur que l'on veut dire ? Mais vous avez banni ce mot ; et des hommes qui ont assuré le droit de liberté ne revendiquent pas celui d'oppression. Est-ce le culte du prince que l'on veut dire ? Mais le prince n'a pas le droit de dominer sur les consciences, ni de régler les opinions. Est-ce le culte du plus grand nombre ? Mais le culte est une opinion ; tel ou tel culte est le résultat de telle ou telle opinion. Or les opinions ne se forment pas par le résultat des suffrages : votre pensée est à vous ; elle est indépendante, vous pouvez l'engager.

Enfin, une opinion qui serait celle du plus grand nombre n’a pas le droit de dominer. C’est un mot tyrannique qui doit être banni de notre législation ; car si vous l’y mettez dans un cas, vous pouvez l’y mettre dans tous : vous aurez donc un culte dominant, une philosophie dominante, des systèmes dominants. Rien ne doit dominer que la justice, il n’y a de dominant que le droit de chacun, tout le reste y est soumis. Or c’est un droit évident, et déjà consacré par vous, de faire tout ce qui ne peut nuire à autrui.

M. de Castellane. La plus grande partie des opinions a paru respecter la première partie de mon arrêté ; je ne m’étendrai donc que sur la seconde.

Nous avons à parler des droits des hommes. La liberté des opinions en est un certainement. C’est dans le même cas que vous avez dit, sans être arrivés à la législation, que nul ne peut être arrêté sans être accusé. C’est en conséquence de ce principe, qu’avant d’être arrivés à l’époque de la Constitution, où nous fixerons le culte, que nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses, ni troublé dans l’exercice de son culte. Je suis encore parti d’un principe plus sacré, celui que nous lisons dans tous les livres de morale : ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fît.

Que l’on ne nous objecte pas que la diversité des cultes a occasionné les guerres de religion. Ces guerres, on ne les doit pas à la loi que je défends, mais à l’ambition des chefs qui ont profité du fanatisme et de l’ignorance des peuples, pour ensanglanter la terre.

Je répondrai encore à celui qui a objecté le désordre qui résulterait de la tolérance des religions, que chacun adoptera celle qui est analogue à ses passions.

Mais croit-on que ceux qui sont inviolablement attachés à notre sainte religion puissent se déterminer par là à l’abjurer ?

Croit-on encore que ceux qui n’y tiennent que faiblement se donneront la peine d’en changer et de se soumettre à tous les rites fatigants de la religion musulmane ?

On n’a pas le droit d’interdire un culte. La vérité est que nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses et ne peut être troublé dans l’exercice de sa religion. Si ce n’est pas là la vérité, le contraire doit donc l’être : or, je doute que l’on puisse le placer dans votre déclaration.

Empêcher un homme d’offrir le tribut de sa reconnaissance à la divinité, c’est tyranniser les consciences, c’est violer les droits les plus sacrés d’homme et de citoyen.

— Ici, la discussion est interrompue. On fait deux motions différentes : l’une, d’admettre l’arrêté de M. de Castellane, en en retranchant la seconde partie ; l’autre, de M. l’archevêque de Paris, de décider qu’il n’y a lieu à délibérer.

On allait discuter, lorsque M. de Castellane retire la seconde partie de sa motion ; et elle réunit tous les suffrages.

L’article 18 du sixième bureau est rejeté, et l’on met en discussion l’article suivant :

«Nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses. »

M. Rabaud de Saint-Etienne (1).

(1) Le discours de M. Rabaud de Saint-Etienne est incomplet au Moniteur.

 Messieurs, puisque l'Assemblée a décidé que le préopinant était dans la question, il m'est permis de le réfuter, et de relever les principes dangereux qu'il a exposés.

Il a bien voulu convenir qu'on n'a aucun droit à pénétrer dans les pensées intimes des hommes ; et certes il n'a pas énoncé une vérité bien remarquable et bien profonde : car il n'est jamais venu à l'esprit d'aucun tyran d'entrer dans le secret des pensées ; et l'esclave le plus esclave conserve très-certainement la liberté que le préopinant daigne accorder à des hommes libres.

Il a ajouté que la manifestation des pensées pouvait être une chose infiniment dangereuse, qu'il était nécessaire de la surveiller, et que la loi devait s'occuper d'empêcher que chacun put manifester trop librement ses pensées ; que c'était ainsi que s'établissaient les religions nouvelles ; il n'y manquait que de nommer sur-le-champ un tribunal chargé de ces fonctions de surveillance.

Or, je dis à mon tour que cette opinion ainsi énoncée serait propre à nous jeter de nouveau sous le despotisme de l'inquisition, si l'opinion publique, que le préopinant a invoquée, ne condamnait hautement la sienne.

Ce langage est celui qu'ont toujours tenu les intolérants, et l'inquisition n'a pas eu d'autres maximes. Elle a toujours dit, dans son langage doucereux et ménagé, que sans doute il ne faut point attaquer les pensées, que chacun est libre dans ses opinions, pourvu qu'il ne les manifeste pas ; mais que cette manifestation pouvant troubler l'ordre public, la loi doit la surveiller avec une attention scrupuleuse ; et à la faveur de ces principes, les intolérants se sont fait accorder cette puissance d'inspection, qui, durant tant de siècles, a soumis et enchaîné la pensée.

Mais avec une telle maxime, Messieurs, il n'y aurait point de chrétiens. Le christianisme n'existerait pas, si les païens, fidèles à ces maximes qui, à la vérité, ne leur furent pas inconnues, avaient surveillé avec soin la manifestation des opinions nouvelles, et continué de déclarer qu'elles troublaient l'ordre public.

L'honneur que je partage avec vous, Messieurs, d'être député de la nation et membre de cette auguste Assemblée, me donne le droit de parler à mon tour, et de dire mon avis sur la question qui vous occupe.

Je ne cherche pas à me défendre de la défaveur que je pourrais jeter sur cette cause importante, parce que j'ai intérêt à la soutenir ; et je ne crois pas que personne doive être suspecté dans la défense de ses droits, parce que ce sont ses droits. Si le malheureux esclave du Mont Jura se présentait devant cette auguste Assemblée, ce ne serait pas la défaveur ni le préjugé qu'il y ferait naître ; il vous inspirerait, Messieurs, le plus grand intérêt. D'ailleurs je remplis une mission sacrée, j'obéis à mon cahier, j'obéis à mes commettants. C'est une sénéchaussée de trois cent soixante mille habitants, dont plus de cent vingt mille sont protestants, qui a chargé ses députés de solliciter auprès de vous le complément de l'édit de novembre 1787. Une autre sénéchaussée du Languedoc, quelques autres bailliages du royaume ont exposé le même vœu, et vous demandent pour les non-catholiques la liberté de leur culte (2).

(2) Ici une foule de députés se sont écriés que leurs cahiers portaient le même vœu. Tous, tous, se sont écriés plusieurs autres.

C’est sur vos principes que je me fonde, Messieurs, pour vous demander de déclarer dans un article, que tout citoyen est libre dans ses opinions, qu'il a le droit de professer librement son culte, et qu'il ne doit point être inquiété pour sa religion.

Vos principes sont que la liberté est un bien commun, et que tous les citoyens y ont un droit égal. La liberté doit donc appartenir à tous les Français également et de la même manière. Tous y ont droit, ou nul ne l’a : celui qui la distribue inégalement ne la connaît pas ; celui qui attaque, en quoi que ce soit, la liberté des autres, attaque la sienne propre, et mérite de la perdre à son tour, indigne d’un présent dont il ne connaît pas tout le prix.

Vos principes sont que la liberté de la pensée et des opinions est un droit inaliénable et imprescriptible. Cette liberté, Messieurs, est la plus sacrée de toutes ; elle échappe à l’empire des hommes, elle se réfugie au fond de la conscience comme dans un sanctuaire inviolable où nul mortel n’a le droit de pénétrer : elle est la seule que les hommes n’aient pas soumise aux lois de j’association commune : la contraindre est une injustice, l’attaquer est un sacrilège.

Je me réserve de répondre aux arguments que l’on pourrait faire pour dire que ce n’est point attaquer la conscience des dissidents, que de leur défendre de professer leur culte ; et j’espère de prouver que c’est une souveraine injustice, que c’est attaquer leur conscience et la violer, que c’est être intolérant, persécuteur et injuste, que c’est faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait.

Mais ayant l’honneur de vous parler, Messieurs, pour vous prier de faire entrer dans la déclaration des droits un principe certain et bien énoncé, sur lequel vous puissiez établir un jour des lois justes au sujet des non-catholiques, je dois vous parler d’abord de leur situation en France.

Les non-catholiques (quelques-uns de vous, Messieurs, l’ignorent peut-être) n’ont reçu de l’édit de novembre 1787, que ce qu'on n'a pu leur refuser. Oui, ce qu’on n’a pu leur refuser ; je ne le répète pas sans quelque honte'; mais ce n’est point une inculpation gratuite, ce sont les propres termes de l’édit. Cette loi, plus célèbre que juste, fixe les formes d’enregistrer leurs naissances, leurs mariages et leurs morts ; elle leur permet en conséquence de jouir des effets civils et d’exercer leurs professions... et c’est tout.

C’est ainsi, Messieurs, qu’en France, au dix-huitième siècle, on a gardé la maxime des temps barbares, de diviser une nation en une caste favorisée et une caste disgraciée ; qu’on a regardé comme un des progrès de la législation qu’il fût permis à des Français, proscrits depuis cent ans, d’exercer leurs professions, c’est-à-dire de vivre, et que leurs enfants ne fussent plus illégitimes. Encore les formes auxquelles la loi les a soumis sont-elles accompagnées de gênes et d’entraves ; et l’exécution de cette loi de grâce a porté la douleur et le désordre dans les provinces où il existe des protestants. C’est un objet sur lequel je me propose de réclamer, lorsque vous serez parvenus à l’article des lois. Cependant, Messieurs, telle est la différence qui existe entre les Français et les Français ; cependant les protestants sont privés de plusieurs avantages de la société : cette croix, prix honorable du courage et des services rendus à la patrie, il leur est défendu de la recevoir ; car, pour des hommes d’honneur, pour des Français, c’est être privé du prix de l’honneur que de l'acheter par l'hypocrisie. Enfin, Messieurs, pour comble d'humiliation et d'outrage, proscrits dans leurs pensées, coupables dans leurs opinions, ils sont privés de la liberté de professer leur culte. Les lois pénales (et quelles lois que celles qui sont posées sur ce principe, que l'erreur est un crime) ! les lois pénales contre leur culte n'ont point été abolies : en plusieurs provinces ils sont réduits à le célébrer dans les déserts, exposés à toute l'intempérie des saisons, à se dérober comme des criminels à la tyrannie de la loi, ou plutôt à rendre la loi ridicule par son injustice, en l'éludant, en la violant chaque jour.

Ainsi, Messieurs, les protestants font tout pour la patrie ; et la patrie les traite avec ingratitude : ils la servent en citoyens ; ils en sont traités en proscrits : ils la servent en hommes que vous avez rendus libres ; ils en sont traités en esclaves. Mais il existe enfin une nation française, et c'est à elle que j'en appelle, en faveur de deux millions de citoyens utiles, qui réclament aujourd'hui leur droit de Français. Je ne lui fais pas l'injustice de penser qu'elle puisse prononcer le mot d'intolérance ; il est banni de notre langue, ou il n'y subsistera que comme un de ces mots barbares et surannés dont on ne se sert plus, parce que l'idée qu'il représente est anéantie. Mais, Messieurs, ce n'est pas même la tolérance que je réclame ; c'est la liberté. La tolérance ! Le support ! Le pardon ! La clémence ! Idées souverainement injustes envers les dissidents, tant qu'il sera vrai que la différence de religion, que la différence d'opinion n'est pas un crime. La tolérance ! Je demande qu'il soit proscrit à son tour ; et il le sera, ce mot injuste, qui ne nous présente que comme des citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels on pardonne, ceux que le hasard souvent et l'éducation ont amenés à penser d'une autre manière que nous. L'erreur, Messieurs, n'est point un crime : celui qui la professe, la prend pour la vérité ; elle est la vérité pour lui obligé de la professer, et nul homme, nulle société n'a le droit de le lui défendre.

Eh ! Messieurs, dans ce partage d'erreurs et de vérités que les hommes se distribuent, ou se transmettent, ou se disputent, quel est celui qui oserait assurer qu'il ne s'est jamais trompé, que la vérité est constamment chez lui, et l'erreur constamment chez les autres ?

Je demande donc, Messieurs, pour les protestants français, pour tous les non-catholiques du royaume, ce que vous demandez pour vous : la liberté, l'égalité de droits. Je le demande pour ce peuple arraché de l'Asie, toujours errant, toujours proscrit, toujours persécuté depuis près de dix-huit siècles, qui prendrait nos mœurs et nos usages, si, par nos lois, il était incorporé avec nous, et auquel nous ne devons point reprocher sa morale, parce qu'elle est le fruit de notre barbarie et de l'humiliation à laquelle nous l'avons injustement condamné.

Je demande, Messieurs, tout ce que vous demandez pour vous : que tous les non-catholiques français soient assimilés en tout et sans réserve aucune à tous les autres citoyens, parce qu'ils sont citoyens aussi, et que la loi, et que la liberté, toujours impartiales, ne distribuent point inégalement les actes rigoureux de leur exacte justice.

Et qui de vous, Messieurs, permettez-moi de vous le demander ; qui de vous oserait, qui voudrait, qui mériterait de jouir de la liberté, s'il voyait deux millions de citoyens contraster, leur servitude, avec le faste imposteur d'une liberté qui ne serait plus, parce qu’elle serait inégalement répartie ? Qu’auriez-vous à leur dire, s’ils vous reprochaient que vous tenez leur âme dans les fers, tandis que vous vous réservez la liberté ? Et que ferait, je vous prie, cette aristocratie d’opinions, cette féodalité de pensées, qui réduiraient à un honteux servage deux millions de citoyens, parce qu’ils adorent votre Dieu d’une autre manière que vous ?

Je demande pour tous les non-catholiques ce que vous demandez pour vous : Légalité des droits, la liberté ; la liberté de leur religion, la liberté de leur culte, la liberté de le célébrer dans des maisons consacrées à cet objet, la certitude de n’être pas plus troublés dans leur religion que vous ne l’êtes dans la vôtre, et l’assurance parfaite d’être protégés comme vous, autant que vous, et de la même manière que vous, par la commune loi.

Ne permettez-pas, Messieurs, . ... nation généreuse et libre, ne le souffrez point, que l’on vous cite l’exemple de ces nations encore intolérantes qui proscrivent votre culte chez elles. Vous n’êtes pas faits pour recevoir l’exemple, mais pour le donner ; et de ce qu’il est des peuples injustes, il ne s’ensuit pas que vous deviez l’être. L’Europe, qui aspire à la liberté, attend de vous de grandes leçons, et vous êtes dignes de les lui donner. Que ce code que vous allez former soit le modèle de tous les autres, et qu’il n‘y reste aucune tache. Mais si les exemples peuvent être cités, imitez, Messieurs, celui de ces généreux Américains qui ont mis à la tête de leur code civil la maxime sacrée de la liberté universelle des religions ; de ces Pennsylvaniens, qui ont déclaré que tous ceux qui adorent un Dieu, de quelque manière qu’ils l’adorent, doivent jouir de tous les droits de citoyen ; de ces doux et sages habitants de Philadelphie, qui voient tous les cultes établis chez eux, et vingt temples divers, et qui doivent peut-être à cette connaissance profonde de la liberté la liberté qu’ils ont conquise.

Enfin, Messieurs, je reviens à mes principes, ou plutôt à vos principes ;car ils sont à vous : vous les avez conquis par votre courage, et vous les avez consacrés à la face du monde, eu déclarant que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux.

Les droits de tous les Français sont les mêmes, tous les Français sont égaux en droits.

Je ne vois donc aucune raison pour qu’une partie des citoyens dise à l’autre : je serai libre, mais vous ne le serez pas.

Je ne vois aucune raison pour qu’une partie des Français dise à l’autre : vos droits et les nôtres sont inégaux ; nous sommes libres dans notre conscience, mais vous ne pouvez pas l’être dans la vôtre, parce que nous ne le voulons pas.

Je ne vois aucune raison pour que la patrie opprimée ne puisse lui répondre : Peut-être ne parleriez-vous pas ainsi, si vous étiez le plus petit nombre ; votre volonté exclusive n’est que la loi du plus fort, et je ne suis point tenu d’y obéir. Cette loi du plus fort pouvait exister sous l’empire despotique d’un seul, dont la volonté faisait l’unique loi: elle ne peut exister sous un peuple libre, et qui respecte les droits de chacun.

Non plus que vous, Messieurs, je ne sais ce que c’est qu’un droit exclusif ;je ne puis reconnaître un privilège exclusif en quoi que ce soit ; mais le privilège exclusif en fait d’opinions et de culte me paraît le comble de l’injustice. Vous ne pouvez pas avoir un seul droit que je ne l'aie ; si vous l’exercez, je dois l’exercer ; si vous êtes libres, je dois être libre ; si vous pouvez professer votre culte, je dois pouvoir professer le mien ; si vous ne devez pas être inquiétés, je ne dois pas être inquiété ; et si, malgré l'évidence de ces principes, vous nous défendiez de professer notre culte commun, sous prétexte que vous êtes beaucoup et que nous sommes peu, ce ne serait que la loi du plus fort, ce serait une souveraine injustice, et vous pécheriez contre vos propres principes.

Vous ne vous exposerez donc pas, Messieurs, au reproche de vous être contredits dès les premiers moments de votre législature sacrée ; d'avoir déclaré, il y a quelques jours, que les hommes sont égaux en droits, et de déclarer aujourd'hui qu'ils sont inégaux en droits ; d'avoir déclaré qu'ils sont libres de faire tout ce qui ne peut nuire à autrui, et de déclarer aujourd'hui que deux millions de vos concitoyens ne sont pas libres de célébrer un culte qui ne fait aucun tort à autrui.

Vous êtes trop sages, Messieurs, pour faire de la religion un objet d'amour-propre, et pour substituer à l'intolérance d'orgueil et de domination, qui, durant près de quinze siècles, a fait couler des torrents de sang, une intolérance de vanité. Vous ne serez pas "surpris de ce qu'il est des hommes qui pensent autrement que vous, qui adorent Dieu d'une autre manière que vous ; et vous ne regarderez pas la diversité des pensées comme un tort qui vous est fait. Instruits par la longue et sanglante expérience des siècles, instruits par les fautes de vos pères et par leurs malheurs mérités, vous direz sans doute : il est temps de déposer ce glaive féroce qui dégoutte encore du sang de nos concitoyens ; il est temps de leur rendre des droits trop longtemps méconnus ; il est temps de briser les barrières injustes qui les séparaient de nous, et de leur faire aimer une patrie qui les proscrivait et les chassait de son sein.

Vous êtes trop sages, Messieurs, pour penser qu'il vous était réservé de faire ce que n'ont pu les hommes qui ont existé pendant six mille ans, de réduire tous les hommes à un seul et même culte. Vous ne croirez pas qu'il était réservé à I 'Assemblée nationale, de faire disparaître une variété qui exista toujours, ni que vous ayez un droit dont votre Dieu lui-même ne veut pas faire usage.

Je supprime, Messieurs, une foule de motifs qui vous rendraient intéressants et chers deux millions d'infortunés. Ils se présenteraient à vous, teints encore du sang de leurs pères, et ils vous montreraient les empreintes de leurs propres fers. Ma patrie est libre, et je veux oublier comme elle, et les maux que nous avons partagés avec elle, et les maux plus grands encore, dont nous avons été seuls les victimes. Ce que je demande, c'est qu'elle se montre digne de la liberté, en la distribuant également à tous les citoyens, sans distinction de rang, de naissance et de religion ; et que vous donniez aux dissidents tout ce que vous prenez pour vous-mêmes.

Je conclus donc, Messieurs, à ce qu'en attendant que vous statuiez sur l'abolition des lois concernant les non-catholiques, et que vous les assimiliez en tout aux autres français, vous fassiez entrer dans la déclaration des droits cet article •

Tout homme est libre dans ses opinions ; tout citoyen a le droit de professer librement son culte, et nul ne peut être inquiété à cause de sa religion.

M. Rabaud de Saint-Etienne ajoute, en terminant son discours, les paroles suivantes ;

Messieurs, j'espère de ne m'être pas attiré la défaveur de l'Assemblée, lorsque obligé par mon cahier d'exprimer le vœu de mes commettants, je vous ai demandé la liberté du culte pour une nombreuse partie de vos concitoyens, que vos principes appellent à partager vos droits. J'ai cru même devoir à la dignité touchante de leur cause, de dépouiller un instant le caractère auguste de représentant de la nation, que j'ai l'honneur de partager avec vous, pour prendre en quelque manière celui de suppliant. Il me semblait que les maximes que nous avions entendu rappeler dans cette séance, avaient rendu nécessaire ce langage, et que je devais intéresser votre humanité par le sentiment, après avoir essayé de la convaincre par la raison.

J'ai cependant une observation importante à ajouter : c'est que le culte libre que je vous demande est un culte commun. Tout culte est nécessairement un culte de plusieurs. Le culte d'un seul est de l'adoration, c'est de la prière. Mais personne de vous n'ignore que nulle religion n'a existé sans culte, et qu'il a toujours consisté dans la réunion de plusieurs. Des chrétiens ne peuvent pas le refuser à des chrétiens, sans manquer à leurs propres principes, puisque tous croient à la nécessité du culte en commun.

J'ai une autre observation non moins importante à faire : c'est que l'idée d'un culte commun est un dogme, un article de foi. C'est donc une opinion religieuse, dans toute la justesse de l'expression. Il vous est donc impossible de priver les non-catholiques de leur culte ; car il vous est impossible de gêner la liberté de leurs opinions.

M. Gobel, évêque de Lydda, dit qu'il ne pense pas qu'on puisse refuser aux non-catholiques l'égalité civile, le culte en commun, la participation à tous les avantages civils, mais que ces objets ne peuvent être traités que dans la Constitution. Ils peuvent être libres dans leurs opinions, même les manifester, sous la seule réserve qu'ils ne troublent pas l'ordre public.

Ce prélat propose d'ajouter au premier article ces mois : pourvu que leur manifestation ne trouble point l'ordre public.

On vient aux voix successivement sur les amendements. Ils sont adoptés malgré les vives réclamations d'une partie de l'Assemblé. Enfin, la première partie de la motion de M. de Castellane est adoptée ; ce qui a formé l'article suivant (Article X de la future Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen)

"Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi."

M. Le Président annonce que la séance est continuée à sept heures du soir.