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dimanche 13 décembre 2020

13 Décembre 1789 : Colson évoque le masque de fer

Gravure de 1789, représentant l'Homme au Masque de Fer.

Les archives de la Bastille ?

    J'aime bien vous rapporter des extraits de la correspondance de l'avocat parisien Adrien Joseph Colson, adressée régulièrement à son ami de Province. On y découvre les événements tels qu'ils ont été vécus ou compris par les gens du peuple. C'est parfois différent de ce que l'on peut lire dans les livres d'histoire. Ne serait-ce que parce que Colson rapporte également les rumeurs qui courent dans les rues de Paris, rumeurs souvent sans fondements, simple reflet qu'elles sont des fantasmes et peurs de l'époque. Souvent sans fondement, mais pas toujours...

Dans son courrier du dimanche 13 décembre 1789, Adrien-Joseph Colson évoque le Masque de fer. Lisons ensemble :

" (...) Depuis la prise de la Bastille j'ai ouï dire, Monsieur, que dans les papiers qu'on a trouvé dans cette forteresse on a eu l'éclaircissement que l'homme qui y a été longtemps détenu avec un masque de fer sur la figure était un fils naturel de Louis XIV et, je crois, de Madame de Lavallière, qui méritait la mort pour avoir donné un soufflet au grand dauphin. Mais Louis XIV qui l'aimait beaucoup, comme son fils, ne put se résoudre à lui laisser faire son procès et qu'il préféra de le faire enfermer toute sa vie avec le masque en question dans cette forteresse, et de faire courir le bruit qu'il avait été tué dans une bataille à laquelle il s'était réellement trouvé. Mais je ne sais si cette histoire se trouve confirmée (...)"

    De quels papiers peut-il s'agir ? Qu'a-t-on pu trouver à la Bastille qui apporta une clé à ce mystère qui passionnait nombre de gens à l'époque ? Le journal intime du malheureux ? Ou bien ne s'agit-il que d'un fantasme né de la démolition du cachot de ce célèbre prisonnier ?

L'homme au masque de fer.

L'énigme du masque de fer !

    L'homme au masque de fer, ou selon les versions, au masque de velours noir, a réellement existé. Le malheureux a plusieurs fois changé de prison, au gré des mutations de son geôlier personnel, le gouverneur de Saint-Mars. Après le Fort de Pignerol, ce sera le fort d’Exilles, puis le cachot du fort royal de l'île Sainte-Marguerite au large de Cannes. Enfin, en 1698, Monsieur de Saint-Mars et son prisonnier arriveront à la Bastille, dernière prison dans laquelle mourra en 1703 ce prisonnier mystérieux.

    C'est dans son ouvrage "le Siècle de Louis XIV", publié chez C. F. Henning, à Berlin, que le grand Voltaire évoqua pour la première fois l'énigme du masque de fer. Des rumeurs avaient déjà commencé à se répandre dès la fin du XVIIe siècle, alors que l’homme au masque était toujours en vie. À l’époque, on pensait notamment qu’il s’agissait du duc de Beaufort.

Cliquez pour accéder au livre

    La version rapportée par notre ami Colson est celle qui fut exposée en 1745, dans un ouvrage publié à Amsterdam, intitulé : "Mémoires secrets pour servir à l’histoire de Perse". L’auteur y développait une « satire des intrigues politiques et galantes de la cour de Louis XIV » ​(rebaptisé Cha-Abas), transposée en Orient. Publié anonymement, ce livre est attribué au diplomate Antoine Pecquet (1704-1762), connu pour son ouvrage publié en 1737 "Discours sur l'art de négocier".

    Ce livre révélait "un fait peu connu qui concerne le Prince Giafer"​. Pour avoir eu l’outrecuidance de donner un soufflet à son demi-frère le Dauphin (Séphi-Mirza), Giafer avait été envoyé dans l’armée, déclaré mort de la peste puis enfermé avec interdiction de communiquer avec quiconque ni de montrer son visage.

    Selon ces "mémoires secrets", l’homme au masque de fer aurait donc été le Prince Giafer ou plutôt le comte de Vermandois, fils de Cha-Abas (Louis XIV) et d’une "Indienne, sans beauté, grande et assez bien faite, mais que le Ciel avait bien dédommagée du côté de l’esprit et des sentiments"​, c'est-à-dire Louise de La Vallière. Cette identification était quelque peu étrange car ledit le comte était mort depuis vingt ans quand on enterra "l’homme au masque de fer".

Alexandre Dumas

    C'est Alexandre Dumas dans son roman "Le vicomte de Bragelonne" qui rendra populaire ce personnage mystérieux en imaginant qu'il s'agissait de Philippe, frère jumeau de Louis XIV, qui, né avant lui, aurait compromis la légitimité du Roi Soleil !

Le Masque de Fer sur les remparts de la forteresse de l'île de Sainte-Marguerite.
Illustration dans le journal "Les bons romans" publié le 8 août 1862

Un mystère comme on les aime !

    L'énigme du masque de fer à fait parler nombre d'historiens et de pseudos historiens ! Dans ma génération, qui ne se souvient pas du récit passionnant qu'en avait fait l'historien Alain Decaux à la télévision ?! Pour celles et ceux qui ne l'ont pas vu sur le petit écran, je vous la propose dans la fenêtre ci-dessous !

L'historien Alain Decaux vous raconte l'énigme du Masque de Fer !


Le Masque de fer au cinéma !

    Le cinéma ne pouvait pas manquer un personnage aussi romanesque ! Raison pour laquelle l'histoire du masque de fer fera l'objet de nombreuses adaptations au grand écran.

De grâce, faites-vous plaisir et regardez la bande annonce de ce délicieux film sorti en 1962 !

Qui était le masque de fer ?

Ah oui, J'allais oublier ce détail !

    Il semblerait que les historiens aient résolu au moins une partie de l'énigme, à savoir l'identité du quidam. Hélas ce n'est ni un prince ni un bel aventurier ! Il s'agirait d'un certain Eustache Dangers, valet de son état, qui aurait été arrêté à Calais début août 1669 et conduit jusqu’à Pignerol où il aurait été remis à Monsieur de Saint-Mars avec de curieuses instructions. Il lui aurait été dit : "Vous devez construire un cachot où personne ne pourra entendre ce que cet homme pourra dire ou crier, ne jamais écouter vous-même ce qu’il voudra vous dire en le menaçant de le faire mourir s’il ouvre la bouche". Il est aussi précisé qu’il "faudra préparer les meubles nécessaires à ce misérable mais que, comme ce n’est qu’un valet, il ne lui en faudra pas de considérables."

    Mais alors, pourquoi ces trente-quatre années de cachot ? Selon certains, le malheureux valet, proche de la cour du roi, aurait pu entendre des secrets d'état qui lui auraient valu cette terrible mise à l'écart. Au moment de son arrestation se tenaient des négociations extrêmement secrètes entre Louis XIV et Charles II d’Angleterre. On parlait, dans des correspondances chiffrées, du "grand secret". Il aurait été question que Charles II entrerait en guerre contre les Provinces Unies protestantes qui avaient arrêté Louis XIV dans sa conquête des Pays-Bas espagnols, en échange du soutien au roi d’Angleterre qui souhaitait se convertir au catholicisme. Ce qui était évidemment explosif dans l’Angleterre anglicane, protestante, de cette époque.

    Qu'importe que ce "grand secret" fût vrai. J'imagine difficilement qu'en cette époque de justice expéditive, on ait pris tant de soin pour faire taire de la sorte un simple valet, alors qu'il suffisait de lui couper la langue et de l'envoyer aux galères ! Louis XIV est connu pour sa cruauté envers ses ennemis (Ravage du Palatinat, Dragonnades, etc.). Cette histoire garde donc des pans de mystère...


samedi 12 décembre 2020

12 Décembre 1789 : Deux poids, deux mesures, pour ce f**** gueux de Besenval.

(Hommage à Roger Rabbit)

Le Tribunal du Chatelet "juge" Bezenval.

    Souvenez-vous ! Le baron suisse Pierre Victor de Besenval de Brünstatt a déjà été "sauvé" deux fois !

    Une première fois de la vindicte populaire, à la suite de son arrestation par les zélés miliciens de Villenauxe-la-Grande le 30 juillet dernier, où sont venus à son secours les bourgeois de la Commune de Paris, les députés de l'Assemblée nationale, le grand Necker et même par sa majesté Louis XVI qui l'a autorisé à s'exiler !!!

    Une seconde fois le 10 août lorsqu’il fut de nouveau arrêté par de mauvaises gens après avoir été reconnu près de Provins ! Son compatriote suisse, le grand Necker a de nouveau dû intervenir une nouvelle fois. Hélas, l’infortuné baron avait malgré tout été emprisonné un certain temps, au château de Brie-Comte-Robert avant d'être déféré devant le tribunal du Châtelet.

On l'accuse de presque rien.

    De quoi l’accuse-t-on ? Mais de trois fois rien ! Juste du crime de lèse nation ! On le soupçonne d'avoir voulu assiéger Paris et d'avoir médité l'incendie de la ville et le massacre de ses habitants ! Une bagatelle ! Qui a donné ces ordres ? Hum, hum… D’autres questions ? (Besenval avait reçu le 4 juillet l’ordre du roi de rassembler ses troupes sur Paris pour le 13 juillet.)

    Tout ce que l'on peut dire en faveur de M. de Besenval, c'est que, Suisse d'origine, il est depuis soixante ans au service du Roi et qu'il ne pouvait se supposer d'autres devoirs que celui d'obéir au Roi et à ses ministres. Il n’est d’ailleurs pas le seul à être accusé du crime de lèse nation, avec lui figurent depuis le 30 novembre sur le banc de l’indignité : Charles-Eugène de LorraineCharles Marie Auguste Joseph de Beaumont, comte d'AutichampVictor-François de BroglieCharles Louis François de Paule de Barentin garde des Sceaux et Louis Pierre de Chastenet de Puységur ministre de la Guerre, pour leurs agissements répressifs à l’égard des Parisiens révoltés en juillet 1789. 

Pauvre Favras !

    J’allais oublier le marquis de Favras ! Ce dernier sera d’ailleurs le seul à être condamné. Il sera pendu le 19 février 1790 en place de Grève à Paris. Le Marquis de Favras aurait d’ailleurs pu être sauvé s’il avait parlé, attendu que les complots dont on l’accusait avait été ourdis sous l’autorité du frère du roi, le comte de Provence et même de la reine. Mais son confesseur, l’abbé le Duc (fils naturel de Louis XV), lui aurait "conseillé" de se soumettre au sort qui lui est réservé au nom de la famille royale et de sa famille…

L'historien Albert Mathiez nous donne plus de détails :

"Quand le marquis de Favras, au mois de décembre 1789, avait comploté d'assassiner Bailly et Lafayette, d'enlever le roi, et qu’il avait été découvert par la trahison d'un de ses agents, Talon avait été chargé de l'instruction au Châtelet. Il avait rendu au roi et à Monsieur, à cette occasion, les services les plus signalés, il était intervenu auprès de l'accusé pour l'empêcher de mettre en cause les hauts personnages qui avaient encouragé et subventionné sa téméraire entreprise. Talon avait gardé secret le mémoire justificatif que Favras lui avait remis avant de marcher au supplice, mémoire dans lequel Favras affirmait qu'il n'avait fait qu'exécuter les ordres de Monsieur et de la Reine."

Le marquis de Favras, mort pour avoir obéi au roi.

    Le malheureux Favras fera donc diversion et les autres pourront discrètement s’éclipser.

Il y a la loi et l'ordre.

    Vous aurez compris qu’en ce mois de décembre le tribunal du Chatelet est quelque peu embarrassé par ce sacré suisse sur lequel la justice populaire a déjà deux fois fait main basse pour l’expédier en prison !

    Mais de quoi se mêle le Peuple ? Me direz-vous ! Peuple de Paris qui s’indigne vraiment de la facilité avec laquelle M. de Besenval se défend d'avoir concouru aux attentats qui manquèrent de terrasser les Parisiens la veille du 14 juillet.

    Entre Besenval, les témoins (presque tous à décharge), et les juges du Châtelet, on jurerait assister à une aimable partie jouée d’avance ! L'opinion publique n'est pas dupe de cette comédie et parfois le public murmure dans la salle. Hier, le président a dû donner lecture de la loi martiale pour faire taire les éventuels candidats à la contestation.

    On colporte, sur M. de Besenval, ce mot d'une femme du peuple : « Il faut que ce foutu gueux-là ait déjà été repris de justice. Voyez comme il se défend ? ! »

Et puis il y a l'ordre des choses...

    Ne vous inquiétez pas pour la justice, elle sera fidèle à elle-même en condamnant très sévèrement les émeutiers des 5 et 6 octobres qui ont ramené le roi à Paris, à la grande satisfaction des députés, et qui en récompense, croupissent dans les infâmes cachots du Chatelet.

Le grand Châtelet, réputé pour ses immondes cachots.



vendredi 11 décembre 2020

11 Décembre 1789 : Que faire en cas d’égalité des suffrages ? M. Regnaud à une idée.

M. Regnaud de Saint-Angely (sous la Révolution)
Voir en bas de page, le même sous l'Empire.

    L'historien Hippolyte Monin dans son « Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Révolution française », nous relate le fait suivant à la date du 11 décembre 1789 (page 388) :

M. Regnaud a fait adopter les articles suivants en matière d'élections :

" En cas d'égalité de suffrages entre deux concurrents, la préférence sera donnée à l'homme qui est ou a été marié, sur celui qui ne le sera pas. Entre les hommes mariés, elle sera donnée à celui qui a eu ou qui a le plus grand nombre d'enfants ; et enfin, s'ils ont ou ont eu un nombre égal d'enfants, elle sera donnée au plus âgé. "

Ce sont là des moyens, sinon de régénérer l'esprit de famille, du moins de l'honorer. Un curé avait proposé cet amendement : " En cas de concurrence entre un garçon et un homme marié, qui vivra séparé de sa femme, la préférence sera donnée au garçon. " Quoi donc ! Lui a- t-on fait observer, vous voudriez punir un honnête homme du malheur d'avoir une méchante femme ? ' En effet, le cas se présente. 

C'est aussi dans une vue d'éducation morale et politique que le comte de Mirabeau avait précédemment fait voter l'inscription civique des jeunes gens qui auraient atteint l'âge de vingt et un ans, afin de donner à leur adoption par la patrie ce caractère de solennité religieuse dont les anciens ont connu tout le prix. Ce serait une belle fête nationale que celle de la jeunesse. "

Source : « Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Révolution française » (page 388) : https://books.google.fr/books?id=qikvAAAAYAAJ&hl=fr&pg=PA388#v=onepage&q&f=false

    Le Regnaud dont il est question n'est autre que de Michel Louis Etienne Regnaud de Saint-Jean d'Angely, né à Saint-Fargeau, dans l’Yonne, Homme politique, avocat et journaliste. - Député aux États Généraux, conseiller et ministre d'État sous l'Empire, comte d'empire. - Membre de l'Académie française (élu en 1803 ; exclu en 1816) ; une belle carrière, s’il en est. D'aucuns l'ont même qualifié d'éminence grise de Napoléon.

En fait, la discussion a eu lieu le 8 décembre 1789

En vérité cette discussion a eu lieu lors de la séance du 8 décembre 1789, comme nous le rapporte le procès-verbal de l’Assemblée nationale. Lisons le P.V. :

Discussion sur les nouveaux articles sur les élections et l'organisation des municipalités, lors de la séance du 8 décembre 1789

M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angély. Je propose d'ajouter à cet article les deux conditions de préférence indiquées par M. le comte de Mirabeau et qui sont ainsi conçues :

« En cas d'égalité de suffrages entre concurrents, la préférence sera donnée à l'homme qui est ou qui a été marié, sur celui qui ne le serait pas ; entre les hommes mariés, à celui qui a ou qui a eu le plus grand nombre d'enfants, ou un nombre égal d'enfants, au plus âgé. »

M. de Montlosier, tout en approuvant les motifs qui ont dicté la proposition, déclare qu'elle est mesquine, qu'elle entre dans des détails trop minutieux et il conclut à la question préalable.

M. Prieur. La demande de la question préalable est inconcevable ; elle ne doit être réclamée ni sur un point de constitution, ni sur une loi morale. L'âge est une considération intéressante, mais il faut convenir que le père de famille mérite une distinction dans la société. Je réclame l'adoption d'une mesure dont les Romains, dans le bel âge, nous ont donné l'exemple.

M ; Target. On aurait pu accuser de mesquinerie l'édit de Louis XIV, qui n'avait que le défaut d'être appliqué dans des cas très-rares et de n'accorder qu'une mince pension ; mais le droit d'administrer son pays est assez précieux pour faire l'objet d'un décret.

M. Barnave. Il serait peu honorable pour cette Assemblée d'écarter une si belle motion par la question préalable ; on objecte qu'elle a trop peu d'importance dans son application et qu'elle est trop minutieuse pour la constitution ; il est inconcevable d'appeler minutieuse la prérogative d'administrer sa patrie. Consacrez le principe, il deviendra fécond en l'appliquant aux magistratures, aux municipalités, aux assemblées nationales. Cette préférence des pères de famille sera d'un emploi très-utile dans la régénération publique.

M. Dillon. Je propose de compléter l'article par l'amendement qui suit :

« Lorsque l'homme marié sera séparé juridiquement de son épouse, le célibataire sera préféré. »

Cet amendement a d'abord excité les applaudissements de toute l'Assemblée, tant à cause de sa singularité, que parce qu'il touchait directement quelques membres.

M. Prieur. Il est dans les principes de l'Assemblée de rendre les fautes personnelles. Il peut arriver que le caractère d'une femme ou sa mauvaise conduite force un mari à se séparer d'elle : à coup sûr, l'intention de l'Assemblée n'est pas de punir un homme d'avoir une mauvaise femme.

Divers membres parlent pour et contre l'amendement. L'Assemblée devient tumultueuse.

On réclame la question préalable. Elle est mise aux voix et adoptée.

On revient à l’article de M. le comte de Mirabeau.

La question préalable est mise aux voix et repoussée.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3980_t1_0426_0000_5


M. Regnaud de Saint-Angely (sous l'Empire)



jeudi 10 décembre 2020

10 Décembre 1789 : On commence à parler du fameux livre rouge et des pensions versées par le roi.

 

Le livre rouge, objet d'un futur scandale.

Le livre rouge...

    Aujourd’hui, nous découvrons en lisant le procès-verbal de ce qui a été discuté à l’Assemblée nationale constituante, que des interrogations ont été formulées au sujet de la parution de l'état des pensions et des livres rouges des départements. Nous allons voir dans de prochains articles que les discussions vont aller crescendo à propos du fameux livre rouge, à savoir le livre comptable détaillant la liste des pensions versées par le roi. Compte tenu de son contenu, il aurait été sage de la part de Louis XVI qu'il le fit disparaître disparaitre. Mais pour une raison inconnue (faiblesse ou ruse ?), il n'en fera rien et les conséquences seront gravissimes.

Déjà évoqué le 26 novembre précédent.

    Le sujet avait déjà été évoqué lors de la séance du 26 novembre dernier. Certains ayant trouvé des erreurs dans l’état imprimé desdites pensions.

    Il avait alors été fait lecture d'une lettre du prince de Salm-Kyrbourg, qui se plaignait d'être compris dans l'état imprimé des pensions pour une somme de 20.000 livres dont le prince justifiait avoir fait abandon le 18 septembre 1787, par une lettre par lui écrite à Sa Majesté, et par la réponse de M. L'archevêque de Toulouse, en date du 12 décembre de cette année.

(Le prince de Salm-Kyrbourg, né à Limbourg (Allemagne) en 1745, s’était installé en 1751 avec sa famille à Paris et avait été nommé maréchal de camps en 1788. Le prince se rallia à la révolution, ce qui ne l’empêcha pas malgré tout d’être condamné comme aristocrate à l'échafaud en 1794.)


    M. le maréchal de Castries avait réclamé aussi contre l'état des pensions, dans lequel il était compris pour 27.104 livres, alors qu'il ne jouissait réellement que de celle de 20.000 livres, réduite à 18.000 livres, qui lui a été donnée pour sa retraite du ministère ; parce qu'il avait remis celle de 7.104 livres, dont il jouissait précédemment, lorsqu'il avait été pourvu du gouvernement de Flandre.

Charles Eugène Gabriel de La Croix de Catries

    M. le baron d'Harambure, membre du comité des finances, avait alors répondu que les brevets de pensions, fournis par M. Dufresne (directeur du Trésor royal), avaient été dépouillés avec la plus grande exactitude ; que l'état en avait été mis sous les yeux de M. Dufresne, qui l'avait déclaré conforme à la vérité.

Louis-François-Alexandre d'Harambure

    Je vous invite à découvrir la biographie du Baron d’Harambure sur Wikipédia. Vous aurez la surprise d’y apprendre que non seulement il soutint la Révolution du 10 août 1792 et devint un ardent républicain, mais que, accusé à comparaitre devant le "terriblissime" tribunal révolutionnaire, il fut acquitté solennellement à l’unanimité !

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3901_t1_0262_0000_4

Découvrons le nouvel échange qui s’est tenu ce 10 décembre, à propos des pensions versées et des livres rouges :

M. Lemercier. L'imprimeur de l'Assemblée a reçu depuis plus d'un mois la seconde section de l'état des pensions, je demande quel est le motif qui l'empêche de faire paraître cet état.

M. Camus. L'Assemblée devrait être renseignée également sur les démarches qui ont été faites relativement aux livres rouges de divers départements.

M. Lebrun. MM. de Lablache et Perrier sont chargés de cet objet, et mettront incessamment le comité des finances à même de répondre à ce sujet à l'Assemblée.

M. le marquis d'Ambly. Je fais la motion de décréter que toutes les pensions non mentionnées dans la liste soient censées supprimées.

M. le comté Charles de Lameth. Nous ne conserverons sur l'état des dépenses à faire annuellement que celles qui auront été examinées et jugées indispensables. Il est inutile de dire que ce qui ne sera pas connu ne sera pas payé ; nous aurions l'air d'être disposés à laisser aux ministres le droit de faire des dépenses secrètes et non autorisées.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3997_t1_0493_0000_6

Une vidéo !

    Nous reparlerons bientôt du fameux livre rouge des comptes de la France. Mais en attendons, je vends un peu la mèche (spoil alert!), en vous proposant d'en apprendre plus avec cette vidéo que j'ai trouvé sur le site L'HISTOIRE PAR L'IMAGE :

Cliquez sur l'image pour accéder au site.

    Mais pourquoi ? Pourquoi Louis XVI acceptera-t-il que ce livre soit publié ? Souhaitait-il vraiment que la Révolution aille encore plus loin ???






mercredi 9 décembre 2020

9 Décembre 1789 : Robespierre demande la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs.

 

Maximilien Robespierre, avocat et député du Tiers-état de la ville d'Arras

Robespierre, le député atypique.

    Robespierre est vraiment un député à part au sein de cette assemblée constituante. Chaque fois qu'il intervient, c'est pour défendre les intérêts des pauvres, autrement dit de cette immense partie du Tiers-état que représente le petit peuple. Il n'y réussit pas toujours comme nous l'avons constaté le 22 octobre dernier. Et il semble qu'il n'y soit pas parvenu non-plus cette fois-ci, puisque le texte de son intervention ne constitue qu'une annexe du procès-verbal de la journée du 9 décembre à l'Assemblée nationale. Néanmoins chacune de ses interventions ou tentatives d'interventions nous éclaire un peu plus sur la personnalité du député d'Arras.

    Je ne puis cependant vous laisser lire son texte, sans vous éclairer sur son contenu. Je pense que vous allez apprendre une ou deux choses étonnantes.

 

Que vient faire Colbert dans cette histoire ?


    
Hélas, il va me falloir remonter à Louis XIV et à son célèbre ministre Jean-Baptiste Colbert, pour vous expliquer de quoi il ressort !

Jean-Baptiste Colbert
    Je vous ai déjà parlé de Colbert à l'occasion de la journée du 5 décembre1789, pour évoquer ses mesures prises afin de préserver les forêts du royaume. Colbert avait en effet déclaré en 1660 « La France périra faute de bois ». Il avait calculé que l’Angleterre pouvait alors fabriquer une centaine de navires de guerre avec ses forêts alors que la France ne pouvait plus en produire qu’une vingtaine ! Il fallait donc reconstituer les forêts de toute urgence pour créer une marine forte, indispensable en cette époque de guerres incessantes avec l'Angleterre. De plus, le bois représentait à l'époque l’unique source d’énergie (bois de chauffage et bois combustible pour les verreries, forges, tuileries et fourneaux). Il était également le matériau indispensable aux projets architecturaux du roi. Colbert réussit ainsi à convaincre Louis XIV que les centaines de milliers d’arpents boisés du domaine royal pourraient être une source de revenus considérable à condition d’y remettre de l’ordre.

    Le 15 octobre 1661, Louis XIV, signa l'arrêt du conseil d'État décrétant la clôture des forêts du roi, de celles des communautés ecclésiastiques et laïques. S'engagea alors la grande réformation générale des forêts. Un premier travail d'inventaire montra que le total général des bois royaux était estimé à 1.318.705 arpents, soit environ 672.500 hectares. Grâce à la Réformation générale, dont la mise en place dura en fait plus de 20 ans, le revenu net des forêts royales passa de 228.000 livres en 1661 à 1.028.000 livres en 1683.


Ordonnance de 1669.

    En 1669, après un long travail préparatoire de 8 ans, Colbert soumis au roi Louis XIV l'ordonnance "Sur le fait des Eaux & Forêts", que celui-ci signa le 13 août 1669. Cette ordonnance restaurait l'autorité du roi sur "ses forêts" et mettait en place une administration solide disposant du monopole de jugement des infractions.

L'ordonnance est consultable via ce lien :
https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/ord/1669/08/13/n1/jo

    Ce monument administratif constitue toujours le soubassement de l'actuel Code forestier. Il permit effectivement la restauration des hautes futaies et l’indépendance du royaume en matière de bois de marine dans la seconde moitié du 18ème siècle que nous étudions ensemble. Mais il eut des effets collatéraux que le grand Colbert n'avait peut-être pas envisagé. 

 

Les effets collatéraux, dus à la cupidité des seigneurs.


    
Le très long texte constituant cette ordonnance comporte un chapitre particulier, intitulé : " Des Bois, Prez, Marais, Landes, Pastis, Pêcheries, & autres biens appartenant aux Communautés & Habitants des Paroisses."

    L'alinéa 4 de cet article premier, stipule que :

" Si néanmoins les bois étaient de la concession gratuite des Seigneurs, sans charge d'aucun cens, redevance, prestation ou servitude, le tiers en pourra être distrait & séparé à leur profit, en cas qu'ils le demandent, & que les deux autres suffisent pour l'usage de la Paroisse; sinon le partage n'aura lieu : Mais les Seigneurs & les Habitants jouiront en commun comme auparavant : Ce qui sera pareillement observé pour les pré, marais, îles, pastis, landes, bruyères, & grasses pâtures, où les Seigneurs n'auront autre droit que l'usage, & d'envoyer leurs bestiaux en pâture comme premiers Habitants, sans part ni triage, s'ils ne sont de leur concession, sans prestation, redevance ou servitude."

    Cet article fut l'occasion pour les seigneurs de faire main-basses sur ce que l'on appelait alors les "communs", c'est-à-dire des terres à disposition de la communauté.

    La réglementation qui concernait d'abord les bois royaux, fut étendue aux bois des particuliers comme à ceux des communautés à partir de 1715...


Les communs.

    Si je continue de développer ainsi, cet article risquerait de devenir un livre. Je dois donc me contenter de vous donner des aperçus. Libre à vous de suivre ces pistes de votre côté ensuite.

    Apprenez donc que le même phénomène avait déjà eu lieu en Angleterre, avec ce que l'on appelle le mouvement des enclosures qui avait opposé très violemment les pauvres des campagnes aux propriétaires terriens entre le 13ème et 17ème siècle.



Cliquez pour accéder à un article en Anglais sur les "enclosures"

    Les riches propriétaires terriens de la noblesse voyaient dans la privatisation et la clôture des espaces la garantie d’une meilleure productivité, (notamment pour l’élevage des moutons destinés aux filatures)Les pauvres, qui dans les coutumes et les premiers textes législatifs avaient (comme en France) des droits élémentaires sur les communs, y voyaient une privation de leurs moyens de subsistance : récolte du miel, des glands et châtaignes, le bois de chauffe, les produits de la cueillette (champignons et fruits), etc.


    Ces expropriations forçaient les malheureux à rejoindre les villes et accepter les travaux les plus ingrats, notamment l’engagement sur les bateaux de la marine anglaise. Le mouvement politique des "Levellers" porta les revendications égalitaires des révoltés des communs lors de la Guerre civile anglaise de 1647. Il s'en suivit une répression par la terreur dans les campagnes.
John Lilburn, chef des Niveleurs, faisant appel à la foule, devant le pilori.

    Lire également cet article sur Katherine Ligley et John Lilburn :"Niveleurs féminins, campagne pour l'égalité dans les années 1640."

    De nos jours, certains intellectuels et chercheurs actualisent la réflexion sur les communs, pour penser les nouvelles enclosures que constituent les privatisations de ce qui était auparavant le bien de tous, comme par exemple les services publics. 

Article en Anglais sur le problème de la privatisation des biens communs

"Le mouvement des biens communs se compose de nombreuses personnes qui luttent contre la privatisation et la marchandisation de leur richesse partagée par le « marché libre ». La « clôture des biens communs » est sans doute l'une des dynamiques fondamentales du capitalisme néolibéral – s'entendre avec l'État pour s'approprier et commercialiser les ressources partagées du peuple, qu'il s'agisse d'éléments de la nature, de la culture et de l'information. La suite ici : "Enclosures of the Commons"

    Des intellectuels, et aussi des politiques, du moins en Angleterre, comme vous l'apprendra la lecture de cet article du journal The Guardian, en Anglais bien sûr (utilisez votre traducteur favori) : La renaissance des niveleurs.


Revenons à Robespierre.

    Si vous avez bien lu tout ce qui précède, vous avez à présent les clés pour comprendre la "Motion de M. de Robespierre sur la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs, lors de la séance du 9 décembre 1789". Dois-je vous rappeler que Robespierre était un homme qui connaissait la Loi ? Il était avocat.

Source : 
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3993_t1_0486_0000_2

La voici. Je me suis permis de signaler en rouge des passages intéressants et forts :

Motion de M. de Robespierre au nom de la province d'Artois et des provinces de Flandre, de Hainaut et de Cambrésis, pour la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs (Cette motion n'a pas été insérée au Moniteur.).

Messieurs, nous venons vous offrir l'une des plus belles occasions qui puissent se présenter à vous de signaler ce zèle pour les intérêts du peuple et pour le bonheur de l'humanité qui est à la fois le premier de tous vos devoirs, et le plus actif de tous vos sentiments.

Vous avez détruit entièrement le régime féodal ; avec lui, doivent disparaître non-seulement tous les droits onéreux ou humiliants qui en dépendent, mais encore, et à plus forte raison, tous les abus et toutes les usurpations dont il est la source ou le prétexte. Telle est celle dont nous proposons de vous entretenir.

Les villages, bourgs et villes de l'Artois possédaient paisiblement, depuis un temps immémorial, des propriétés sur lesquelles reposaient, en grande partie, la richesse et la prospérité de cette province et principalement de nos campagnes.

C'étaient surtout des pâturages, des marais, d'où l'on tirait une grande quantité de tourbe nécessaire pour suppléer à la rareté du bois dont la disette est grande et le prix excessif dans cette contrée. A la conservation de ces propriétés étaient attachés presque généralement, l'abondance des bestiaux, la prospérité de l'agriculture, le commerce, les lins* qui faisaient vivre une partie de ses habitants, et la subsistance d'une multitude innombrable de familles. (* Elles servaient à rouir, à blanchir, à sécher les lins)

Mais elles ne purent échapper aux attentats du despotisme.

Les intendants et les états d'Artois, qui se disputèrent et conquirent tour à tour, par des arrêts du conseil l'administration de ces biens communaux, qu'ils enlevèrent aux communautés, nous laissèrent incertains laquelle de ces deux espèces d'administration nous avaient opprimés, par des injustices et des vexations plus craintes.

Conversions arbitraires des pâturages et des marais en terres labourables, contre le vœu et l'intérêt des habitants, spoliations violentes, règlements tyranniques dont l'objet était d'enrichir les agents de l'administration aux dépens des citoyens ; aucune de ces vexations ne nous fut épargnée.

L'une des plus révoltantes fut sans doute celle qui nous ravit une partie de nos biens communaux, pour les faire passer entre les mains des seigneurs.

On connaît l'ordonnance des eaux et forêts de 1669, qui, par un article, adjuge aux seigneurs le tiers des biens qui appartenaient aux communautés, avec ces deux modifications : 1° si les deux autres tiers sont suffisants aux besoins des communautés ; 2° s'ils ont été originairement concédés à titre gratuit.

Cette disposition, mitigée par deux exceptions si bizarres et dont l'application était nécessairement arbitraire, ne pouvait jamais être qu'un attentat à la propriété et aux droits inviolables du citoyen. Qu'importe en effet que mes biens soient au niveau ou au-dessus de mes besoins ? Cette circonstance peut-elle vous autoriser à me les voler ? Qu'importe encore que je les aie acquis à titre gratuit ou à titre onéreux ? Dans le second cas ils sont sacrés comme le contrat de vente ; dans le premier ils sont sacrés comme le contrat de donation ; dans l'un et l'autre, ils sont sacrés comme les droits de la propriété. Par conséquent l'acte qui dépouillait les peuples des biens qui leur avaient été dévolus par une antique concession, pour en investir quelques hommes privilégiés, n'était qu'une infraction absurde des premiers principes de la justice et de l'humanité.

S'il était essentiellement nul, dans quelque lieu que ce fût, à plus forte raison devait-il l'être, dans la province d'Artois qui, d'après ses lois particulières, doit être affranchie de l'ordonnance des eaux et forêts.

Cependant dans la suite, le droit du plus fort introduisit cette vexation dans notre province ; et les seigneurs envahirent, sous le nom de triage, une grande partie des propriétés de leurs vassaux.

L'une des époques les plus mémorables de ces injustices fut l'année 1779.

Ce fut alors que les Etats d'Artois formèrent la coupable entreprise de dépouiller les communautés qui avaient échappé aux brigandages précédents, sous le prétexte de partager leurs biens et de les convertir en terres labourables. Ce fut alors qu'après avoir essayé les menaces, les artifices, les séductions, les persécutions secrètes, pour les amener à adopter ces opérations ruineuses, ils surprirent clandestinement et firent presque en même temps enregistrer à leur insu, au parlement de Paris, des lettres patentes qui ordonnent le partage de ces propriétés, de manière que le tiers des biens communaux prétendus concédés par le seigneur, à titre gratuit, sera adjugé au seigneur, et le 6e de ceux qui étaient possédés à titre onéreux.

Ainsi par cette dernière clause qui était l'objet évident de toute cette trame, on enchérissait encore sur l'article inique de l'ordonnance de 1669, qui ne comprenait que les biens concédés à titre gratuit, avec la condition que nous avons déjà indiquée, en comprenant dans cette usurpation le 6e des biens acquis à titre onéreux, qu'elle exceptait formellement. Nos concitoyens opprimés réclamèrent contre cet attentat : mais la commission intermédiaire des Etats d'Artois, rendait des ordonnances et les dépouillait par provision, et leurs réclamations mêmes étaient punies comme des crimes. Nous avons vu ses ordres arbitraires plonger dans les prisons une multitude innombrable de citoyens qui n'avaient commis d'autre faute que d'invoquer la protection des lois en faveur de leurs propriétés violées ; nous avons vu, pour la même cause, leurs cachots regorger longtemps des malheureuses victimes de leur tyrannie ; nous avons vu des femmes, mettre au monde et allaiter dans ces lieux d'horreur des enfants dont l'existence faible et languissante attestait sous quels auspices ils l'avaient reçue. Mais ce qu'on ne croira pas peut-être dans les lieux qui ne furent point le théâtre de ces scènes atroces, c'est que nous avons vu nos oppresseurs parcourir, à main armée, nos campagnes comme un pays ennemi, pour subjuguer leurs paisibles habitants qui n'opposaient à leurs violences que des réclamations juridiques ; c'est que l'un des membres de notre commission intermédiaire, après avoir présenté aux ministres les citoyens les plus pacifiques comme des rebelles armés contre l'autorité, a conduit des troupes réglées contre nos bourgades qu'il a investies, au milieu de la nuit, et dont les habitants arrachés au sommeil, fuyants comme dans une ville prise d'assaut, étaient arrêtés par ses satellites et traînés en prison comme des criminels ; crime si atroce que bientôt les ministres eux-mêmes détrompés de ces grossières impostures, se hâtèrent de désavouer les ordres militaires qu'on leur avait surpris. Et quel était le principal agent de ces horribles manœuvres ? Un député du tiers état, qui, réunissant à cette qualité celle d'agent d'un grand seigneur, avait formé le projet de désoler son pays, pour livrer à son maître des propriétés immenses que l'inique partage devait lui procurer ..... Qui pourrait raconter tous les maux, toutes les persécutions publiques ou secrètes que les malheureux habitants des campagnes ont souffertes pendant plusieurs années d'exactions, de violences et de procès ruineux ! Car plusieurs communautés eurent le courage d'en soutenir contre toute les intrigues et contre le crédit formidable de leurs oppresseurs ; et au parlement de Paris et au conseil d'Etat... Enfin celles dont les biens n'avaient pu encore être partagés obtinrent par un arrêt la permission de les conserver.

Mais toutes ont conservé le cruel souvenir de tant d'injustices, et l'un des objets que nos commettants nous ont recommandés avec le plus d'intérêt et d'unanimité est le soin de vous en demander la réparation, et de solliciter auprès de vous une loi, qui rende à celles dont les pâturages et les marais ont été mis en culture le droit de les remettre à leur premier usage, s'ils jugent que leur intérêt l'exige, et qui restitue à toutes la portion considérable qui leur a été injustement ravie avec les fruits perçus depuis 1762, époque du premier arrêt surpris pour Vitry.

Les mêmes droits et des circonstances semblables ont dicté le même vœu à toutes les provinces Belgiques, où les communautés dépouillées par les manœuvres du despotisme et de l'aristocratie, attendent avec impatience la restitution et la justice qui leur sont dues.

Les vexations qu'elles ont éprouvées offrent même cette circonstance particulière que la cupidité et l'injustice leur ont enlevé par des arrêts du conseil, non-seulement le tiers des biens concédés à titre gratuit ; non-seulement le 6e de ceux qui avaient été acquis à titre onéreux ; mais même le tiers de cette dernière espèce de propriété.

Et d'ailleurs quel surcroît d'iniquité dans tous ces pâturages essentiellement iniques par eux-mêmes ! Il est des seigneurs, qui en ont envahi la moitié ; une foule d'autres, au lieu de prendre en une seule masse la part qu'ils s'attribuaient ont choisi pour leur lot, diverses portions éparses qui était à leur convenance, de manière qu'ils ne peuvent pas même en jouir sans traverser, sans gêner, sans détériorer celles qu'ils ont laissées aux habitants... Partout enfin la tyrannie féodale a ajouté à ses injustices les preuves de ce mépris insultant pour les droits des hommes, qui la caractérise ....

Il dépend de vous, Messieurs, de réparer aujourd'hui ses ravages, après avoir abattu sa puissance, et de faire bénir, par un seul acte, votre autorité tutélaire dans l'étendue d'une vaste contrée. Nous ne voyons pas du moins quelle objection nous pouvons prévoir ici contre une pareille demande.

La justice exige en général la restitution de tous les biens dont les communautés ont été dépouillées même en remontant à l'époque de l'ordonnance de 1669 ; mais il en est ici une très grande partie, à l'égard desquels cette question est décidée par des raisons particulières et singulièrement péremptoires, même dans tous les systèmes.

Rappelons-nous d'abord que l'ordonnance de 1669 faisait présent aux seigneurs du tiers des biens appartenait aux communautés, à deux conditions : la première que ces biens auraient été concédés gratuitement, la seconde, que les deux autres tiers seraient suffisants pour les besoins des habitants.

Or, indépendamment des deux exceptions établies, par cet article, il est évident que jamais il n'a pu transmettre aux seigneurs la propriété d'aucune partie de ces biens.

En effet, sans compter d'abord que rien n'est si difficile à reconnaître, ni sujet à une décision arbitraire que le titre primitif de ces possessions; sans compter que si l'on remonte ici à la véritable origine de la propriété, il est de fait qu'elles appartenaient d'abord et par le droit aux peuples ; et qu'il n'y a pas plus de raison de s'arrêter à l'époque de la possession des seigneurs, que de se reporter à celle de la propriété du peuple ; que souvent ces prétendues concessions n'ont jamais été vérifiées, et que, dans ce cas, les biens devaient être présumés avoir toujours appartenu aux communautés malgré la maxime féodale contraire ; il suffit d'observer, comme nous l'avons déjà fait, qu'à quelque titre que les communautés fussent propriétaires au temps de l'ordonnance de 1669, à titre gratuit ou à titre onéreux, leurs propriétés n'en étaient pas moins inviolables ; que par conséquent, lorsque le despotisme aristocratique et ministériel entreprit d'en transférer une partie aux seigneurs, c'est-à-dire à lui-même, il excéda évidemment son pouvoir, et fit non pas une loi, mais un acte de violence et d'usurpation qui n'a jamais pu anéantir, ni altérer les droits imprescriptibles du peuple ; et il est impossible de voir dans l'exécution de cet ordre arbitraire et injuste rien autre chose qu'une spoliation violente et un vrai brigandage ; on sait que le brigandage et la rapine ne peuvent jamais constituer un titre de propriété. On sait même qu'un titre de cette espèce est un obstacle invincible à la prescription. Et d'ailleurs peut-on opposer la prescription au peuple ? Peut-on opposer au peuple une possession quelque longue qu'elle ait été si elle était le fruit de l'oppression où il gémissait, et durant laquelle ses réclamations même auraient été punies comme des crimes ! Et ne sait-on pas encore, que même pour les particuliers, que même dans les causes civiles, la violence et la fraude opposent un obstacle insurmontable à la prescription ! Que sera-ce donc, dans la cause du peuple, dans la cause de la liberté contre la tyrannie ? Jadis on regardait comme imprescriptibles les aliénations du domaine, faites même sous les auspices de la bonne foi et sous le sceau d'un consentement libre ; et le patrimoine sacré du peuple pourrait être prescrit, lorsqu'il lui a été arraché par la force !

Mais à qui l'opposerait-on, cette prescription ? Au législateur lui-même. Car il n'est ici question que d'une loi à porter. Or, si le législateur peut révoquer ses propres lois, à plus forte raison, le véritable législateur peut-il changer les ordonnances du législateur provisoire, qui s'était emparé de ses fonctions. Si le ministre de 1669 a pu enlever aux communes une partie de leurs biens, pour les donner aux seigneurs, à plus forte raison pouvez-vous la retirer aujourd'hui des mains de ces derniers pour la restituer aux légitimes propriétaires. Ou bien l'article de l'ordonnance de 1669 était nul, ou il était valide ; dans le premier cas il ne peut nous être opposé ; dans le second, la loi que vous ferez aujourd'hui aura au moins la même force et la même puissance ; et il y aura entre elle et l'édit ministériel, cette différence, que celui-ci n'était qu'un acte absurde et tyrannique, et que la vôtre, ouvrage de la volonté générale, réparera l'injustice qu'il a faite, et rétablira les droits de l'homme qu'il a violés....

On trouvera peut-être cette logique bien redoutable pour les seigneurs ; nous en conviendrons volontiers, pourvu que l'on avoue qu'elle est aussi consolante pour le peuple et conforme à la justice et à l'humanité. Pourra-t-on bien nous objecter qu'elle blesse la propriété ? Mais que l'on nous dise donc quel est le véritable propriétaire, de celui qui a été dépouillé de son bien par la force, ou de celui entre les mains duquel ont passé ses dépouilles.

Dira-t-on que celui qui depuis a acquis ces biens de bonne foi, ne doit pas en être évincé ? Mais tous ceux qui achètent le bien d'autrui, sont-ils dispensés par leur bonne foi de le rendre au vrai propriétaire ? Ce qu'un tel événement peut avoir de malheureux pour l'autre prive-t-il celui-ci de ses droits ? Et certes quel est celui qui mérite ici plus d'égards et de commisération, ou du seigneur riche qui perdra un objet qui ne lui appartient pas, ou des malheureux vassaux à qui il faut le restituer ?

Voilà ce que nous opposons en général à l'ordonnance de 1669 ; mais indépendamment de toutes ces raisons, nous pourrions trouver dans ses disposions mêmes de quoi appuyer notre réclamation et nos raisonnements. En effet n'exige-t-elle pas cette condition, pour toucher aux biens communaux, que les deux tiers restants, soient suffisants pour les besoins des habitants ? Mais, nous le demandons, quand cette condition a-t-elle été remplie ? Dans quels lieux s'est-on informé des besoins et des intérêts des peuples, pour l'appliquer ? N'est-il pas constant, n'est-il pas notoire, que partout l'ambition et la cupidité ont étendu cette loi oppressive, sans aucune distinction ? Et de bonne foi croit-on qu'en effet les seigneurs qu'elle favorisait étaient trop pauvres, et les infortunés habitants des campagnes trop riches, de manière qu'il fallût ôter à ceux-ci, pour donner à ceux-là ? Tout ce que nous pouvons assurer, du moins pour nos provinces, c'est que ces injustes spoliations déguisées sous le nom de partage, c'est que les absurdes opérations qui ont changé l'état de leurs biens communaux, ont ruiné ou appauvri les communautés et les ont réduites presque partout à une profonde misère. Ainsi l'ordonnance de 1669 condamne elle-même toutes ces infractions des droits de la propriété, et elle a toujours réclamé contre elles, puisque la condition même à laquelle elle les avait attachées n'a pas été remplie.

Mais ce que nous venons de dire, ne regarde que les biens communaux prétendus concédés à titre gratuit, mais ceux qui n'avaient été concédés par les seigneurs en aucune manière et qu'ils ont envahis ! Mais ceux qui étaient acquis à titre onéreux, et qu'ils ont usurpés ! Sous quel prétexte se dispensera-t-on de les restituer, lorsque l'ordonnance même qui était le prétexte de ces usurpations, les proscrit elle-même expressément ? Or, il en est une foule de ce genre, dans toutes les parties de la France, et surtout, dans les provinces dont nous réclamons les droits.

Vous avez déjà vu entre autres ; des ordres arbitraires surpris au ministère, même à une époque très récente, en enlever le sixième aux communautés de l'Artois ; vous avez vu la Flandre dépouillée du tiers de ces biens, exceptés même par l'ordonnance de 1669, sans compter les vexations plus grandes qui ont encore excédé ces bornes.

Dira-t-on, par exemple, que les infâmes intrigues, que les attentats multipliés contre la liberté dont nous avons rendu compte, sont devenus des titres de propriété contre ceux de nos concitoyens qu'ils ont opprimés ! Quel est celui qui osera soutenir, dans l'Assemblée des représentants du peuple, qu'il est déchu de ces droits, dès qu'il a plu à quelques tyrans de les lui ravir ; que le vol et la rapine peuvent lui être opposés pour l'en dépouiller, tandis qu'on ne les regarderait que comme des motifs de restitution dans la cause d'un particulier ?...

Mais, vous, Messieurs, votre jugement sur ce point est déjà prononcé d'avance, par celui qui a proscrit le régime féodal. Il survivrait à lui-même dans ce qu'il n'eut jamais de plus odieux, si l'oppression dont nous parlons pouvait se prolonger. N'est-ce pas à titre de seigneurs, n'est-ce pas en vertu de la puissance féodale, que l'on s'est emparé des biens que nous réclamons ? Gomment donc pourraient-ils les conserver quand la puissance féodale n'est plus ? Si des droits qui avaient au moins quelque chose de légitime dans cet ancien système sont anéantis, comment des usurpations, que l'injustice féodale elle-même aurait proscrites, pourraient-elles subsister ? Après avoir déclaré qu'en France les terres devaient être libres, comme les personnes, et affranchies par conséquent de toutes charges seigneuriales, comment laisserez-vous ces biens eux-mêmes entre les mains des seigneurs qui les ont usurpés par le plus criant abus de leur pouvoir ?

Quelques-uns, dit-on, voudraient nous proposer de consacrer tous ces actes d'oppression, sous le prétexte qu'une conduite contraire donnerait un effet rétroactif à votre loi ; mais quel autre effet une loi, qui ordonne des restitutions nécessaires, peut-elle avoir, que celui de retirer les biens qui en doivent être l'objet, des mains de ceux à qui ils n'appartiennent pas, pour les rendre aux propriétaires ? Ce n'est point là un effet rétroactif ; c'est l'effet naturel et essentiel de la loi.

Quand vous éteignez un droit seigneurial qui était perçu annuellement, la charge dont vous voulez délivrer le peuple, disparaît entièrement : mais à l'égard des biens qui lui ont été ravis, sous le nom de triage ou autrement, si vous vous contentez de dire : «Le triage à l'avenir, sera supprimé ; » vous laissez subsister la spoliation dont il est la victime ; vous dites bien, «à l'avenir il ne sera plus permis d'attenter à la propriété du peuple ; mais vous dites en même temps, «ses oppresseurs continueront de jouir de la propriété qu'ils s'attribuent sur une partie de ses biens, » et sous le prétexte chimérique de ne point donner à la loi un effet rétroactif qui n'existerait pas, vous prolongez réellement dans l'avenir, la privation funeste des droits dont il a été dépouillé, et le plus odieux monument de l'empire féodal.

Saisissez donc, Messieurs, avec empressement cette occasion facile que nous vous présentons, d'accorder au peuple un grand bienfait. Tant d'obstacles s'opposent souvent à votre zèle pour le bonheur de l'humanité ! Profitez de ce moyen de le satisfaire, au moins en partie. Hélas ! Dans ce moment même que les puissants ennemis du bien public s'efforcent d'aggraver la misère de nos concitoyens, par d'injustes alarmes, par des soupçons sinistres et par mille intrigues odieuses ; grâce à leurs funestes soins ce peuple souffrant ignore jusqu'aux lois bienfaisantes par lesquelles vous avez préparé le bonheur de la nation entière. Dissipez, Messieurs, dissipez ces nuages alarmants, qui s'élèvent pour obscurcir l'aurore de la liberté naissante. Portez dans les cœurs inquiets et abattus l'espérance, la consolation et la joie, par un acte éclatant de justice et d'humanité, qui leur montrera toute la différence qu'ils doivent mettre entre les représentants du peuple et ceux qui cherchent à le tromper, après l'avoir opprimé. Hâtez-vous de leur donner ce gage du bonheur dont ils seront redevables à vos travaux, et de conquérir, pour ainsi dire, cinq provinces de plus à la constitution et à la liberté !


Cette restitution ne se fera pas tout de suite, vous vous en doutez...

    Il faudra attendre la chute de la royauté et la publication du décret du 28 août 1792, "relatif au rétablissement des communes et des citoyens dans les propriétés et droits dont ils ont été dépouillés par l’effet de la puissance féodale".

    Dans les faits, la mise en application se fera grâce au le décret du 10 juin 1793. En même temps qu’il prévoira le partage des biens communaux, il mettra tout en œuvre pour favoriser l’action des communes en restitution des biens usurpés par les ci-devant seigneurs. Il offrira de nouvelles possibilités aux municipalités pour qu’elles obtiennent la propriété des terres vaines et vagues (sect. IV, art. 1er) mais surtout le législateur imposera la procédure de l’arbitrage forcé pour résoudre les litiges opposant « les communes et les propriétaires à raison des biens communaux et patrimoniaux, pour droits, usages, prétentions, demandes en rétablissement dans les propriétés dont elles ont été dépouillées par l’effet de la puissance féodale ». L’arbitrage, procédure extra-judiciaire qui se veut simple et rapide même si les arbitres sont tenus d’appliquer la loi, permettra ainsi à de nombreuses communes d’obtenir leur réintégration dans les « biens usurpés ».

    Ce décret du 10 juin 1793, actera finalement l’abolition définitive des droits féodaux qui avait été proclamée à grands cris le 4 août 1789.

Il aura fallu attendre la seconde Révolution, celle du 10 août 1792...




    En 1793, un certain Jacques-Pierre Bridet publiera la brochure ci-dessous, intitulée : "Observations sur le décret du 28 août 1792, qui accorde aux habitants des communes la propriété et le partage des biens dits communaux."