Affichage des articles dont le libellé est Estampes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Estampes. Afficher tous les articles

dimanche 29 novembre 2020

Basset, graveur et marchand d’estampes, religieuses puis révolutionnaires !

Paul-André Basset, représenté en haut, à gauche

La Révolution en images !

Introduction très personnelle 😉

    Je me demande toujours si mon site est visité et si mes articles sont lus, car j'ai bien peu de retours. Malgré mes 759 abonnés, j'ai très peu de "likes" sur ma page Facebook (régulièrement censurée par Facebook qui refuse même que je lui paye des publicités pour ma page, sous prétexte que celle-ci est politique !)

    Imaginez donc, quelle ne fut pas ma joie, quand un lecteur m'a contacté en janvier 2023 pour me dire qu'il s'intéressait depuis longtemps au petit monde des marchands d'estampes de la rue Saint-Jacques et plus particulièrement à Paul-André Basset. C'est lui qui m'a gentiment signalé l'existence de l'estampe ci-dessus, sur laquelle sont représentés tous les marchands d'estampes de la rue Saint-Jacques, dont Paul-André Basset qui figure en haut à gauche. Je l'en remercie chaleureusement !

Paul-André Basset,
représenté à la droite de Le Clerc.

Comment j'ai rencontré Basset.

    J’avais choisi d'interpréter le rôle du marchand d'estampe Paul André Basset à l’occasion du tournage d’une émission de Mac Lesggy sur la chaîne de télévision M6, « L’histoire au quotidien », pour laquelle l’association de reconstitution historique dont j’étais membre avait été sollicitée afin d'y faire de la figuration. Vous trouverez en bas de l'article la vidéo de l'émission.

    J’ai conservé ensuite ce rôle, parce qu’il me permettait de raconter la Révolution française d’une façon originale et amusante lors de nos prestations publiques, rien qu’avec des estampes ! 

    Des estampes, il y en a eu beaucoup durant la Révolution ! On a répertorié plus de 600 modèles différents, rien que sur la période s’étalant entre le printemps 1789 (les états généraux et les débuts de la Révolution) et l’été 1792 (chute de la monarchie et guerres révolutionnaires) et cela continua ensuite, bien sûr !

    Le citoyen Basset était l'un de ces marchands d'estampes, et celle qui illustre cet article nous prouve qu'il a réussi à traverser la Révolution sans trop de soucis, puisqu'elle date de 1806.

    Cet article va non seulement vous le présenter, lui et sa famille, mais il va également évoquer le petit milieu des imagiers de la rue Saint-Jacques, leurs liens avec l’ordre religieux des Trinitaires et plein d'autres choses encore, comme la fabrication des estampes !

Vous avez dit Basset ?

    Paul André Basset était graveur ; fabricant et marchand de papiers peints et d'estampes. Il tenait une boutique rue Saint Jacques à Paris, dont il avait hérité de son père André. Celle-ci se situait en plein cœur du quartier Latin, à l’angle de la rue des Mathurins, juste en face du couvent des Mathurins. Basset avait de l’humour puisqu’il avait choisi de représenter un chien Basset sur l’enseigne à sa boutique.

Détail d'une estampe
(Orthographe d'époque !)

Où trouver sa boutique ?

    La boutique se situait à l'angle de la rue Saint-Jacques et de la rue des Mathurins. Ne cherchez plus cette rue des Mathurins de nos jours, car elle a disparu. Voyez ci-dessous, une planche extraite du plan de Paris que le prévôt des marchands Michel-Etienne Turgot avait fait réaliser entre 1734 et 1739 par Louis Bretez professeur de perspective. Sur cette représentation du quartier Latin, on voit très bien le couvent des Mathurins (en rose), ainsi que l’immeuble de la maison Basset (en vert), juste en face. J’ai même ajouté un agrandissement !

Source BNF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530111615/f15.item


    Je profite de l'occasion pour vous présenter également cette autre jolie vue de Paris de l'époque, sur laquelle j'ai également signalé l'emplacement du couvent et de la maison Basset.

Estampes représentant la boutique de Basset !

    Les trois estampes que je vous présente ci-dessous ont été datées de 1790. Elles évoquent la sécularisation des moines, c’est-à-dire le retour au monde profane de ces pieux citoyens ! 
    Elles présentent l’intérêt de nous donner deux représentations (inversées) de la boutique de la maison Basset, depuis lesquelles nous voyons chaque fois un colporteur franchissant le pas de porte, chargé d’estampes à vendre. Le sujet a dû avoir du succès puisque visiblement il a été copié et que la troisième comporte une légende en anglais.

Le joli moine, profitant de l'occasion.

Le moine qui se fait séculariser.

Le joli moine - The pretty monk.
    
Un mot sur la rue Saint-Jacques.

    Saviez-vous que la rue Saint Jacques était le cardo maximus, c'est-à-dire la rue centrale et principale de la Lutèce Gallo-romaine ?

Le couvent des Mathurins.

    Depuis le 13ème siècle, le couvent des Mathurins accueillait dans son cloître les assemblées de l'université toute proche (jusqu'en 1764, date à laquelle, après l'expulsion des jésuites, elles furent transférées dans le collège Louis-le-Grand). Il abritait aussi au Moyen Âge la halle aux parchemins, où ceux-ci étaient entreposés avant d'être vendus. La bibliothèque des Mathurins détenait au 18ème siècle entre cinq à six mille ouvrages, parmi lesquels quelques manuscrits précieux.

Couvent des Mathurins au XVIIe siècle
Source : La Dormeuse

Les confréries.

    Cinq confréries du quartier Saint-Jacques étaient hébergées dans le couvent : celle de saint Jean l'Évangéliste pour les libraires, imprimeurs et papetiers (dits « suppôts de l'Université ») ; celle de saint Charlemagne pour les messagers-jurés de l'université ; celle de sainte Barbe pour les paumiers (fabricants de balles pour le jeu de Paume) et tripotiers (tenanciers des « tripots », qui étaient à l'origine les salles de jeu de paume) ; celle de saint Nicolas pour les huiliers et chandeliers ; et celle de la sainte Trinité et Rédemption des Captifs. 

    Cette dernière dépendait de l'ordre religieux des Trinitaires, qui avait été créée en 1198 par Jean de Matha et Félix de Valois, avec pour objectif de réunir d’importantes sommes d’argent afin de racheter dans les états barbaresques d’Afrique du Nord les chrétiens qui y étaient maintenus en esclavage. 

    Cette mise en esclavage des chrétiens par les musulmans, qui dura plusieurs siècles, s’est quelque peu perdue dans les mémoires semble-t-il. Mais ne polémiquons pas, ce n’est que de l’histoire et n’étaient-ce pas les chrétiens qui avaient commencé à chapouiller les musulmans avec les croisades ? Et ne parlons surtout pas non-plus des treize siècles de traite négrière par les Musulmans, c'est hors sujet et politiquement très incorrect. Mais de grâce, ne vous méprenez pas sur mon propos, toutes les cultures sans exception, ont de semblables dossiers dans leurs archives ! 😈

Rachat d'esclaves chrétiens
Source : La Dormeuse.
Les Trinitaires.

    L’ordre religieux des Trinitaires est aussi remarquable pour l’intérêt qu’il portait précisément aux estampes. C’est ce que j’ai découvert en lisant une soutenance d’Emmanuelle Bermès, une docteure en histoire travaillant à présent à la BNF, intitulée « Le couvent des Mathurins de Paris et l’estampe au XVIIIe siècle ». Je vous en conseille bien sûr la passionnante lecture.

    Emmanuelle Bermès explique que cet intérêt des Trinitaires pour les images « correspondait à une préoccupation caractéristique du temps : depuis le concile de Trente, les estampes faisaient l’objet d’une attention toute particulière de la part de la hiérarchie ecclésiastique. L’utilisation de l’estampe pour établir le contact entre les religieux et les fidèles pouvait prendre une telle ampleur qu’il n’est pas excessif de parler de propagande. » Les religieux avaient en effet compris avant bien d’autres, le formidables pouvoir des images sur les fidèles. On prêtait même des guérisons miraculeuses à des estampes appliquées sur le corps de malades ! (Sans commentaire).

    Le couvent Saint-Mathurin, la maison parisienne de cet ordre, se trouvait, explique-t-elle « rue Saint-Jacques, dans un quartier où, au XVII e siècle, les graveurs et les marchands d’estampes rejoignaient les libraires et imprimeurs qui y étaient déjà installés en raison du voisinage de l’Université. »

    Les religieux possédaient également plusieurs maisons tout autour de leur couvent et dans le quartier environnant : en 1634, ils avaient seize maisons dans leur censive, et possédaient vingt-deux autres maisons et boutiques qu'ils louaient à des particuliers, notamment des artisans. Les derniers religieux de l'ordre quittèrent les lieux en août 1792. Les bâtiments conventuels furent vendus à des particuliers en 1799. Quant à l'église elle-même, elle fut démolie en 1863 en même temps que les bâtiments claustraux situés contre l'Hôtel de Cluny au moment de l'aménagement de la rue de Cluny.

Graveur d'estampe en 1643

La période pieuse des Basset. 😇

    On peut imaginer que les Basset aient fait partie à une époque de la confrérie de saint Jean l'Évangéliste, celles des « suppôts de l'Université ». Il est même fort probable que leur boutique ait appartenu aux Trinitaires. Ce qui est sûr en revanche, c’est que les Basset, père et fils, ont bien gravé et vendu des estampes religieuses. Une exposition leur a même été consacrée par le musée de l’Image de la ville d’Epinal ! Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder. En revanche je ne sais pas si certaines de leurs estampes ont permis des guérisons miraculeuses. 😉


La période révolutionnaire des Basset ! 😈

    Les Basset ont donc su s’adapter à l’esprit du temps, puisqu’ils ont laissé de côté les estampes religieuses dès 1789, pour "coller au plus près de l’actualité" et illustrer la Révolution ! La maison Basset fut en effet très active durant la période révolutionnaire. Malgré une perquisition qui eut lieu dans son magasin le 16 janvier 1794, pour y chercher des "signes de féodalité", Paul André Basset traversa la Révolution sans trop d’encombres, puisqu’il prit sa retraite en 1819. La petite entreprise des Basset fut reprise successivement par divers membres de la famille, toujours à la même adresse, rue Saint Jacques avant de disparaître après 1865.

Parlons des estampes.

Estampes, eaux fortes ou aquatinte ?

Ces trois mots désignent des techniques d'impressions légèrement différentes.

Estampes ?

    
Les estampes sont la plupart du temps directement gravées sur une plaque de cuivre par le graveur. Celui-ci utilise un outil à graver en métal trempé appelé burin, avec lequel il creuse des rainures dans la planche habituellement de cuivre. Cette méthode dite « à la pointe sèche » exige souvent des efforts considérables de la part du graveur et permet de réaliser des traits fins.

Eaux fortes ?

Eau-forte coloriée
    
Pour réaliser une eau-forte, le graveur prépare la planche de métal en la recouvrant d’un produit cireux de réserve. À l’aide d’un outil ressemblant à une aiguille, il gratte un motif sur la surface cireuse, exposant ainsi le métal en dessous. Le graveur immerge ensuite la planche dans un bain d’acide qui mord doucement le métal exposé, créant les creux et les rainures désirés. Plus le temps d’immersion est long, plus les creux seront profonds et plus les traits seront foncés à l’impression. Le produit cireux de réserve est ensuite enlevé, la planche est encrée et la gravure est réalisée au moyen d’une presse. A noter que les textes et légendes devaient être gravés à l’envers sur les plaques, ce qui donnait lieu parfois à quelques oublis sur certaines estampes qui étaient néanmoins tirées (avec des mots à l’envers). Les couleurs étaient ensuite appliquées avec des pochoirs.

Aquatintes ?

Aquatinte, 1785.
    L’aquatinte ou aquateinte est un dérivé de l’eau-forte où l’on utilise également des acides pour mordre la planche de métal. Au lieu de se servir d’un outil ressemblant à une aiguille pour gratter un produit cireux de réserve, le graveur vaporise, verse, saupoudre ou brosse une réserve antiacide en poudre ou en liquide directement sur la planche. En variant l’épaisseur et l’intensité de la teinte de la résine, le graveur peut obtenir des zones avec des variations de ton subtiles ou spectaculaires. Après le bain d’acide, la planche de métal est encrée et le papier est imprimé comme dans le cas d’une eau-forte ou d’une estampe normale. Les aquatintes permettent d’obtenir des variations de tons très subtiles.

Source utilisée pour ces 3 paragraphes : Musée canadien de l'histoire.

Comment s'y retrouver ?

    Beaucoup des images que je montre sur ce site sont des eaux fortes bien qu'on les appelle communément des estampes. Mais on y trouve aussi des aquatintes, des lithographies, des gravures au pointillé, des manières noires...

    Dans un autre article que je vous conseille, je vous parle des "vues d'optiques", ces images que l'on regardait au travers d'un zograscope...

    En résumé, le terme « estampe », venant de l'italien « stampa » qui signifie « presse », on désigne en fait sous ce nom toute impression réalisée à l'encre sur un support souple à partir d'une matrice qu'on grave ou sur laquelle on dessine.

Graveurs en taille-douce, au burin et à l'eau forte.
Abraham Bosse, 1643
La valeur et le prix.

    Les estampes de chez Basset n’étaient pas vraiment des œuvres d’art, comme celles de Joseph Longueuil dont j’ai parlé le 16 novembre. Longueil était un véritable artiste, spécialisé dans la reproduction d’œuvres de peintres et dessinateurs célèbres. La gravure de Longueil imprimée en noir et blanc que je vous avais présentée, étaient vendue 3 livres, c’est-à-dire 60 sols (ou sous).

    Les estampes gravées chez Basset étaient plus modestes et même parfois proches de la caricature que de l’œuvre d’art, du moins à l’époque révolutionnaire. Les graveurs d’estampes étaient rétribués de 5 à 10 sous la plaque gravée.

Une presse à estampes et un graveur à droite

    Chaque exemplaire imprimé était ensuite vendu entre 9 et 15 sous, soit dans la boutique, soit par des colporteurs comme celui que nous voyons sur ces trois estampes.

    Même si les estampes de chez Basset étaient moins chères que celle des maîtres graveurs, tout le monde ne pouvait pas se les offrir. En 1789, le salaire d’un travailleur journalier parisien variait entre 12 et 20 sous (plus souvent 15), et celui d’un artisan variait entre 20 et 50 sous.

    Pour vous donner une meilleure idée, sachez que le 14 juillet 1789, une miche de pain coûtait 14 sous (de 1 à 3 sous la livre selon la qualité du pain). Entre janvier 1787 et juillet 1789, le prix du pain avait augmenté de 75%...

    Vous apprendrez dans la vidéo que je vous propose ci-dessous, que comparés au revenu actuel d'un travailleur, ces 14 sous équivalaient à plus de 56 de nos euros actuels !

La vidéo !

    Voici la vidéo de l'émission qui avait été diffusé sur la chaîne de télévision M6 en octobre 2015. La qualité est médiocre, mais le contenu est plutôt bien, si on le compare à celui d'autres émissions abordant le thème devenu si délicat de la Révolution française.


Quelques photos de la "réincarnation" de Basset ! 😉

Le bonhomme à droite, c'est Basset !

Au fond, l'échoppe de Basset
et Basset dansant la Carmagnole 😂

La "start-up" de Basset, sur le tournage.

Liens utiles vers quelques articles intéressants sur le sujet :

jeudi 6 août 2020

6 Août 1789 : Pourquoi des lapins et des pigeons sur ces célèbres estampes ?

 Article mis à jour le 22/08/2021, suite à l'aimable intervention de l'historienne Aurore Chéry.    L'historienne pose en effet une question pertinente : Pourquoi le noble porte-t-il un costume datant de l'époque d'Henri IV et pourquoi le paysan a-t-il le profil bien connu de ce roi sur la seconde estampe ?


Première interprétation de cette estampe

    Pourquoi voit-on, sur cette célèbre estampe montrant les trois corps sociaux de la société de l’ancien régime, des lapins dévorant les choux plantés par le malheureux paysan, ainsi que des pigeons picorant le grain semé ?

    N’est-il pas déjà assez accablé, cet humble représentant du Tiers État, de devoir porter sur son dos les oisifs représentants du Clergé et de la Noblesse ?

    La raison en est que si l’idée venait à ce malheureux, de tuer un des lapins, ou même l’un de ces volatiles échappés du pigeonnier du seigneur local, il serait passible du bagne, voire de la pendaison ! Car le gibier aussi bien que les pigeons, sont la propriété du seigneur !

    C’est lors de la fameuse nuit du 4 au 5 août 1789, que l’Assemblée Nationale vota la proposition du Duc d’Aiguillon d’abolir les droits féodaux, sous condition tout de même que ceux-ci soient rachetés "au denier trente", c’est-à-dire en payant trente années d’annuités ! (Drôle d’abolition !)

    Adrien Joseph Colson, avocat au parlement de Paris, dans une de ses lettres datée du 9 août 1789, apporte la précision suivante : 

« L’Assemblée Nationale a arrêté que le droit de chasse, de garennes, de capitaineries sera également supprimé, mais à condition que chaque particulier ne pourra chasser que sur ses propriétés... Elle a défendu de laisser sortir les pigeons dans de certaines saisons de l’année, sinon permis à tous les particuliers de les tuer quand ils sont sortis, etc.etc.»

Encore un mot sur le droit de chasse. 

    Le droit de chasse pour les paysans fut donc l’un des premiers acquis de la Révolution Française. Raison pour laquelle, dans les semaines qui suivirent, les colporteurs commencèrent à vendre une nouvelle estampe sur laquelle on voyait le paysan à cheval sur le dos du noble, remorqué par le religieux, avec le lapin occis au bout de sa nouvelle épée et les pigeons mis hors d’état de nuire aux semailles...

 C'est aussi l'une des raisons, incompréhensible pour les citadins, pour laquelle on attache encore beaucoup d'importance à la chasse dans les campagnes.

    Le droit de chasse sera probablement supprimé un jour prochain, car c'est dans l'air du temps. 

    Les citadins ont une vision de la nature qui ressemble plus à un film de Disney qu'à la sauvage réalité de celle-ci. On ne peut cependant pas leur reprocher de vouloir sauver cette nature avec laquelle ils ont perdu tout contact. Mais d'après vous, qui régulera le gibier, quand il n'y aura plus de chasseurs ? Probablement des sociétés privées qui auront obtenu leurs contrats par des marchés publics "arrangés" (j'en connais un rayon sur ce sujet).

    Gageons également que, certains privilégiés, entre les hauts murs entourant des forêts privées, jouiront toujours de ce privilège.


Les niveaux de lecture.

    Les érudits qui étudient la Torah depuis des siècles prétendent que la Torah à 70 niveaux de lectures. Mais en vérité, chaque livre a autant d'interprétations qu'il a de lecteurs et de lectrices, car chacun y apporte ce qu'il a vu ou compris du monde. 

    Il en est de même pour les images et les tableaux. Si vous voyez un escargot sur un tableau du Moyen-Âge et que vous ignorez la signification symbolique du petit gastéropode, vous n'aurez pas vraiment vu le tableau. Si ce sujet vous intéresse de lire le passionnant ouvrage de l'historien d'art Daniel Arasse intitulé : "Histoires de peintures", ou d'écouter ses conférences sur France Culture.

    La première lecture des estampes que je vous ai présentées ci-dessus, était celle immédiatement compréhensible pour le Peuple en 1789. Mais certains, mieux au fait des intrigues, pouvaient à l'époque y lire autre choses. A l'époque mais aussi aujourd'hui, si ladite personne est érudite.


Seconde lecture de ces deux estampes par Aurore Chéry.

    Je vous reproduits ci-dessous l'échange que j'ai eu avec l'historienne Aurore Chéry (avec l'aimable autorisation de celle-ci), à propos de ces deux estampes. Lisez, et alors, vous aussi, vous allez vous poser de nouvelles questions sur ces deux estampes.

Aurore Chéry : Je me demandais si vous aviez déjà parlé des costumes sur ces estampes. Pourquoi la noblesse est représentée en costume Henri IV par exemple ? Là, ce qui me frappe dans la deuxième que vous avez postée, c'est que le paysan a lui-même le profil d'Henri IV.

Le Citoyen Basset : C'est une excellente question et vous attisez ma curiosité. Le paysan, semble effectivement avoir la tête d'Henri IV. Nous savons qu'Henri IV était très présent dans le cœur des Français de cette époque, dans leur esprit et pourquoi pas dans leur inconscient ? Vous soulevez un nouveau mystère ! Je vais consulter mes estampes en stock. Concernant les costumes de nobles, ne peut-on concevoir qu'en province, ceux-ci portaient des costumes à l'ancienne et gardaient leurs beaux atours pour aller à Versailles ? Des costumes et même des objets traversent le temps. On a bien vu de vieilles hallebardes volées aux Invalides dans les émeutes de juillet ! (…) 

Le Citoyen Basset : On pourrait alors presque imaginer que ce serait un roi paysan qui porterait la noblesse et le clergé sur son dos !?

Aurore Chéry : Pour le costume, là on est quand même sur du Henri IV, 200 ans avant, c'est de l'antiquité du costume. Même si de rares morceaux tissus ont survécu, ils ont nécessairement été réutilisés pour d'autres choses. Donc les gens qui se promenaient en costume Henri IV, c'est parce qu'ils en avaient l'intention. Moi j'aurais tendance à l'interpréter plutôt comme une volonté de faire attribuer la Révolution au duc d'Orléans. C'était la stratégie adoptée par Louis XVI et il a utilisé plusieurs astuces pour ça. Il me semble que c'en est une.

Déjà quand il avait commandé le pamphlet "L'Avis important à la branche espagnole" (1) (2) au tout début de son règne, il s'y laissait ridiculiser pour qu'on ne le soupçonne pas d'en être le commanditaire et il avait tout fait pour faire accuser d'Aiguillon. Les Orléans et lui revendiquaient à la fois l'héritage d'Henri IV et je vois ici une façon de se moquer de la manière dont Louis XVI se l'appropriait. Le noble n'a que le costume et le paysan a le corps.

En gros, derrière la noblesse qui exploite la paysannerie, il y a aussi l'idée de Louis XVI qui exploite l'image d'Henri IV. Ça peut également être un second niveau de lecture pour les deux lapins sur le même chou : on peut y voir des représentations d'Henri IV et Louis XVI en chauds lapins, manière de dire que c'était la seule chose par laquelle Louis XVI avait réellement réussi à égaler Henri IV.

On se situe là dans la continuité de la découverte de la correspondance amoureuse de Louis XVI par le duc de Chartres et de sa représentation en Valmont dans "Les Liaisons dangereuses".

Bref, je pense que dans ces gravures, il y a le niveau de lecture politique que vous analysez et il y a un second niveau de lecture, destiné à la cour, qui permet à Louis XVI d'exprimer l'idée : "Eh regardez, c'est sûr, moi je ne suis pas derrière ça ! Vous avez vu comme on se moque de moi !"


(1) Si vous cherchez à avoir des informations sérieuses sur ledit pamphlet, je peux vous assurer que vous allez "ramer" sur Internet. Premier conseil, zappez vite les pages affligeantes des "Marientoinettistes". 


Personnellement je vous conseille de lire l'ouvrage d'Aurore Chéry : L'intriguant.


    En attendant ; pourquoi ne pas lire cet épisodes rocambolesque des aventures de Beaumarchais qui était aussi, on le sait moins, un agent secret. Je l'ai trouvé dans un passage de la Revue des Deux Mondes de 1886. Accédez au texte en cliquant sur l'image ci-dessous.

    Mais ne vous réjouissez pas trop, cette version est totalement démentie dans cet autre article dont le lien est le suivant http://www.cosmovisions.com/Beaumarchais.htm
Cette seconde version des aventures de Beaumarchais 007, me dérange quelque peu par ce que le "méchant" y est traité de Juif.


(2) Plus d'infos sur cette fameuse branche espagnole et surtout sur Marie-Thérèse d'Autriche dans cet article passionnant : Marie-Thérèse d'Autriche, une mémoire européenne.



Post Scriptum :

On se sait pas grand chose de ceux qui gravaient ces estampes, car elles n'étaient jamais signées (C'était plus prudent).

Correspondaient-elles à des commandes bien précises ? J'en suis certain pour les centaines d'estampes à la gloire de Necker qui furent diffusées lorsqu'il était ministre.

Mais qu'en était-il des autres ? Peut-on penser qu'elle ne correspondaient qu'à l'inspiration de moment de l'artistes ?

Encore un sujet à creuser !

Qui osera me dire que l'Histoire n'est qu'un roman facile à lire, c'est au contraire une enquête à suspens, pleine de rebondissements !

Vous trouverez une autre représentation des trois corps de la société, datant des Etats Généraux sur une médaille que je présente à l'article en date du 23 Août 2021.


dimanche 12 juillet 2020

12 Juillet 1789 : Les Gardes françaises sauvent de justesse leur trop sévère colonel.

 

"Le colonel Chatelet sauvé par les Gardes françaises des manifestants,
au dépôt des Gardes françaises, actuel chaussée d'Antin, le 12 juillet 1789."


    "En 1789, le duc du Châtelet, qui commande les Gardes françaises, est réputé pour sa dureté. En juin, il est sans pitié quand des soldats refusent de rester dans leurs casernes et participent aux assemblées qui se réunissent à Paris. Le 12 juillet, dès que la Révolution éclate, les insurgés se tournent donc aussitôt contre lui. Menacé, il ne doit son salut qu’à l’intervention de ses soldats. C’est ici, au dépôt des Gardes françaises, qu’il trouve refuge, alors que la foule gronde. Mais il représente trop l’Ancien Régime et ses violences. Il est finalement guillotiné en 1793."

Source de l'image et du texte ci-dessus : Paris - Parcours Révolution.

    Vous remarquerez que le texte donne le 12 juillet comme date de début de la Révolution...


                                       



mardi 7 juillet 2020

7 Juillet 1789 : Combat sanglant entre Gardes françaises et Hussards à Versailles

 

"Bravour des Gardes francaisse le 7 juillet à Versaille 1789 : un party d'husard ayant fort mal traité
un Garde française ; ses camarades volent a son secours, a pres un combat sanglant, les mettent en fuite"
Orthographe d'époque.

Source image : BNF.


              





mercredi 24 juin 2020

24 Juin 1789 : Une fessée donnée en public au Palais-Royal (réflexions sur la fessée patriotique)

Article mis à jour le 31 juillet 2023.

    Ce 24 juin 1789 un événement a marqué les esprits au point de d'être à l'origine de nombreuses estampes. Une fessée aurait été donnée en public dans les jardins du Palais-Royal. Mais qui a-t-on fessé réellement ? Selon certaines estampes, une dame de qualité qui aurait craché sur le portrait de Necker et selon d'autres estampes, un abbé insolent. Mystère.


La colère du Peuple.

    Ces événement que l'on peut trouver à première vue, cocasses mais insignifiants, révèlent en fait la colère du peuple envers certaines catégories sociales. La plupart du temps, ce sont des femmes qui ont été les actrices de ces expéditions punitives.

La semaine fouettarde d'avril 1791.

    Il y aura d'autres fessées célèbres durant la Révolution. Les plus connues sont celles administrées entre les 10 et 17 avril 1791, à Paris principalement, mais en province aussi.

    Le Docteur Robinet, dans son ouvrage intitulé « Mouvement religieux à Paris pendant la Révolution (1789-1801) » évoque en page 464 les fustigations infligées à des religieuses et des prêtres :

« Au nombre des premières violences contre les personnes, doivent prendre place d'ignobles excès qui se produisirent non seulement à Paris, mais dans un certain nombre de villes.

Nous transcrivons la notice du Dr Robinet.

« Toutes les chapelles des couvents et des hôpitaux restaient le lieu d'élection des intrigues et des conspirations catholiques et royalistes.

C'est ainsi que le comprit la partie de la population de Paris (et d'ailleurs) qui était attachée à la Révolution ; aussi y eut-il sur plusieurs points de la capitale des religieuses que des femmes patriotes ne craignirent pas de fouetter publiquement.

« Ces exécutions populaires, sorte de châtiment civique, eurent lieu du 10 au 17 avril, quoique les ordres monastiques qui en furent atteints se trouvassent assez nombreux : les sœurs de la Visitation Sainte-Marie, rue Saint-Antoine ; les Miramionnes, sur le quai du même nota (aujourd'hui quai de la Tournelle) ; les Récollettes, de la rue du Bac ; les Filles du Précieux Sang ; les Filles du Calvaire et surtout les sœurs Grises, dont les maisons étaient situées dans les paroisses de Saint-Sulpice, Saint-Laurent, Sainte-Marguerite, la Magdeleine et Saint-Germain-L'auxerrois.

« S'il faut en croire les brochures et journaux du temps, trois cents religieuses, y compris quelques prêtres et quelques dévotes laïques, auraient subi cette correction de la part des marchandes de la Halle, du marché de la place Maubert, etc., auxquelles s'étaient jointes, dans les différents quartiers, mais surtout au faubourg Saint-Antoine, des femmes du peuple, voire des héroïnes (1) des 5 et 6 octobre.

« Partout le motif de cette répression extra légale était, nous l'avons dit, que ces maisons devenaient ostensiblement le refuge des prêtres non-jureurs et des nobles qui conspiraient contre le nouvel état de choses ; les couvents leur étaient ouverts, les premiers y étaient logés et nourris, et y recevaient, sous prétexte de conférences religieuses, les aristocrates des deux sexes et leurs agents, ainsi que la foule demeurée fidèle à l'ancienne Église et à l'ancien régime. On y prêchait la résistance aux nouvelles lois, la haine et le mépris des prêtres constitutionnels et de l'Assemblée nationale. On y recevait les mots d'ordre de Rome et de Coblentz, que les élèves mêmes des religieuses colportaient dans leurs familles.

« La verve gouailleuse et brutale avec laquelle sont rapportées ces violences dans les brochures du temps nous interdit malheureusement d'en donner des extraits.»

    Ce livre du Dr. Robinet est entièrement consultable sur le site Internet Archives :
 
https://archive.org/details/lemouvementreli00euggoog 

    La gravure ci-dessous illustre une fustigation infligée le 6 avril 1794 aux sœurs grises, après la messe par des "ennemis des servantes de dieu".


    Voici d'autres estampes illustrant ces fessées de la semaine Pascale de 1791. Plus d'info dans cet article du site Sciences Humaines.

 
 
 

    A noter que cet événement tragicomique choqua profondément nos amis Britanniques, au point qu'ils en firent une illustration à leur façon, l'année suivante, en 1792.

Plus d'infos sur les fessées révolutionnaires.

    Si vous souhaitez en apprendre plus sur ce sujet brûlant, je vous propose de lire ces deux articles :

    Celui, d’Annie Duprat qui parle de fesses et de fessées sous la Révolution : « La trésorière des Miramionnes n’avait qu’une fesse… »

    Et cet autre, lui aussi fort intéressant : "Tu la veux ta bonne fessée ?"

    Ce document à télécharger est également très bien ! : "Entre scatologie et fantasmes sexuels, le cul et son imaginaire".

D'autres fessées ?

    Voici trois autres estampes représentant la célèbre fessée infligée à Théroigne de Méricourt le 16 mai 1793.

  

L'art de la fessée, ou de l'utilité de celle-ci...

    Si votre soif d'érudition vous incite à en apprendre toujours plus, vous pouvez éventuellement lire cet ouvrage publié en 1788, intitulé :"Traité du fouet, ou Aphrodisiaque externe".

  


Une conclusion ?

    Là encore, de même que pour la violence, la fessée ne fut pas l'apanage de la Révolution. Cette pratique était déjà fort appréciée sous l'Ancien régime, comme le démontre si brillamment l'ouvrage que je vous ai proposé ci-dessus, ainsi que ces trois dernières illustrations :

 

    La gravure ci-dessous (une préparation à la fessée) fait partie des nombreuses images illustrant le livre du Marquis de Sade "Justine ou les malheurs de la vertu". C'est aussi une des moins choquantes, je vous assure. Car certaines des illustrations sont très "difficiles".

Désolé... 😉