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samedi 24 octobre 2020

24 Octobre 1789 : Crise des subsistances, les ministres du Roi mettent les députés devant leurs responsabilités

Affiche du Comité provisoire
des subsistances du 3 août 1789

    Ce 24 octobre, le Président de l’Assemblée nationale constituante annonce qu'on vient de lui remettre un mémoire sur les moyens d’assurer les subsistances, rédigé par les ministres du Roi, en relation avec le décret les concernant, publié le 21 de ce mois.

Le seul décret adopté le 21 octobre étant celui concernant la loi martiale, nous pouvons en déduire qu’il s’agit plus probablement du décret adopté le 20 octobre. Celui proposé par M. Target à l’attention du Conseil d’Etat du Roi, c’est-à-dire à ses ministres. Il est bref, le voici :

«L'Assemblée nationale a décrété que, jusqu'à ce qu'elle ait organisé le pouvoir judiciaire et celui d'administration, le conseil du Roi sera autorisé à prononcer sur les instances qui y sont actuellement pendantes, et qu'au surplus, il continuera provisoirement ses fonctions comme par le passé, à l'exception néanmoins des arrêts de propre mouvement, ainsi que des évocations avec retenue du fond des affaires, lesquels ne pourront plus avoir lieu à compter de ce jour ; mais le Roi pourra toujours ordonner les proclamations nécessaires pour procurer et assurer l'exécution littérale de la loi. »

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5202_t1_0467_0000_9

Vous avez bien lu, le conseil au roi sera "autorisé", il continuera "provisoirement" ses fonctions ! En résumé, les ministres du roi, et par la même le roi, ont leurs pouvoirs considérablement réduits !

Jean-Louis Emmery

    Convenez que les ministres du roi, de même que le roi, n’ont guère dû apprécier ce décret. 
    A cette irritation légitime, a dû s’ajouter celle produite par les critiques émises, durant la séance du 13 octobre, où a eu lieu la discussion 1789 relative à la suppression du comité des subsistances. Monsieur le député Emmery y a dénoncé les agents du pouvoir exécutif chargés de surveiller l'exécution des décrets de l'Assemblée, il a demandé qu'il leur soit ordonné de les exécuter avec exactitude, et a fait adopter la proposition de supprimer le comité de subsistances, comme étant le seul moyen d'ôter aux ministres les prétextes dont ils pourraient couvrir leur négligence !

Accéder à la discussion du 13 octobre sur la suppression du comité des subsistances par le lien suivant :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5171_t1_0440_0000_6

Ce mémoire a été signé par les ministres suivants : I ‘archevêque de Bordeaux, le maréchal de Beauvau, le comte de Montmorin, le comte de La Luzerne, Necker, le comte de Saint-Priest, l'ancien archevêque de Vienne et le comte de La Tour-du-Pin.

Il est d’un très grand intérêt car on y découvre :

1/ la situation dans laquelle se trouve le royaume, mais aussi celle des pays avoisinants.

« (...) Les suppléments que fournissent les pays étrangers n'ont point de proportion avec les besoins journaliers de vingt-six millions d'âmes ; ils n'en ont même aucune avec la consommation annuelle de la capitale, puisque cette consommation, aujourd'hui de plus de trois mille setiers par jour, et naguère de quatre mille, forme dans le cours d'une année une quantité immense. Cependant, les pays qui nous avoisinent ne nous offrent aucun secours ; l'Espagne et la Suisse ont des besoins continuels ; les Etats d'Allemagne qui touchent à nos frontières, ont presque tous interdit l'exportation, et la Lorraine et le pays Messin y cherchent en vain des secours suffisants ; la Flandre autrichienne, réduite au simple nécessaire, est forcée d'adopter le même système. La liberté d'exportation qu'on avait espérée d'Angleterre n'a point encore eu lieu. Le roi de Prusse vient de défendre la sortie des grains de tous ses Etats ; les marchés de Hollande sont épuisés ; et l'on y attend avec impatience des secours du Nord, mais ils ne seront abondants qu'après l'hiver et à l'époque de la fonte des glaces.(...) »

2/ Les efforts faits par le roi et ses ministres pour remédier à la situation.

« (...) On a proposé de donner une prime aux boulangers, on a proposé de leur faire des avances. Le Roi a consenti à tous ces sacrifices. Il y a eu une différence considérable entre les prix d'achat et les prix de vente : le Roi l'a supportée, et tous les frais de voiture, d'escorte et de manutention sont encore retombés à la charge du Trésor royal. Ce Trésor n'est pas riche, vous le savez bien, Messieurs, et le numéraire effectif surtout est d'une rareté extrême. Cependant, quand il faut des fonds dans quelque localité, les représentants de la commune s'adressent au gouvernement, et il met toujours ces sortes de demandes au rang de ses dépenses les plus pressées.

On a mis récemment sous les yeux du Roi l'état de tous les vaisseaux expédiés pour le compte de Sa Majesté, depuis la fin de l'année dernière avec la destination pour les deux ports seulement du Havre et de Rouen ; leur nombre se monte à 502, et les approvisionnements qu'ils ont apportés s'élèvent à plus de 23 millions. Paris eût donc été livré à la plus affreuse famine, sans les soins paternels de Sa Majesté ; et si le ministre des Finances consentait à vous instruire des moyens personnels dont il a fait usage pour procurer de si puissants secours au milieu du discrédit et de la pénurie des finances, vous verriez, Messieurs, que le caractère des hommes doit être mis au nombre des garanties les plus dignes d'attention. (...) » 

3/ La fameuse réforme économique relative à la libre circulation des grains (si chère aux physiocrates) continue de poser des problèmes, comme lorsque Turgot l’avait mise en application (guerre des farines).

« (…) il est connu du gouvernement que les obstacles apportés à la libre circulation contrarient à chaque instant ses mesures, et presque toute la France est exposée aux mêmes traverses. Vous avez confirmé par deux décrets les lois qui ont ordonné depuis longtemps la pleine liberté de la circulation des grains, et vous êtes sûrement instruits de la résistance formelle qu'on oppose à ces décrets dans la plupart des provinces.

Le Roussillon refuse au Languedoc les secours dont il a besoin ; le Haut-Languedoc prend de l'ombrage des secours que le reste de la province lui demande. Le Lyonnais n'obtient qu'avec des peines infinies de légers secours de la Bourgogne ; le Dauphiné se cerne en conséquence. D'autres provinces suivent le même exemple ; et le Havre, Caudebec et Rouen ont retenu et retiennent encore une partie des approvisionnements achetés par le Roi, pour le secours de la ville de Paris. On ne finirait point, Messieurs, si l'on entrait dans le détail des résistances qu'opposent non-seulement les provinces, mais encore les municipalités et souvent les plus petits villages à la libre circulation des grains. Les alarmes que la mauvaise récolte de l'année dernière a occasionnées ont fait une impression si vive, que chacun craint de n'avoir pas son approvisionnement de l'année, et refuse de secourir ses voisins (...) »

4/ La France est au bord du chaos, du fait que plus aucune autorité n’est en pouvoir de se faire respecter.

«(...) Toute la France est en armes. Les chefs des milices n'ont point été nommés par le Roi et ils ne reçoivent point ses ordres directs. L'ancienne subordination des troupes est attaquée par des insinuations de tout genre. Les tribunaux attentifs à ce qui se passe dans votre Assemblée, sont inquiets de vos dispositions prochaines et leur découragement se manifeste partout. La considération des magistrats, celle même attachée aux grandes places d'administration, s'affaiblit journellement ; et cette autorité morale qui sert de supplément à la puissance réelle, est presque prête à s'éteindre. En même temps la juste liberté de la presse transformée dans une licence sans bornes, livre aux plus infâmes impostures la réputation de tous ceux qui se vouent aux affaires publiques ; et pour en rendre l'effet plus dangereux, on les répand avec art dans les dernières classes du peuple, et on s'efforce de détruire en elles les sentiments d'estime et de respect qui leur servent encore de liens. (...) »

5/ Les ministres du roi renvoient les députés en face de leurs responsabilités et refusent d’endosser la responsabilité d’événement sur lesquels ils n’ont aucun pouvoir de contrôle.

« (...) Que pourriez-vous donc faire, Messieurs, en assez peu de temps, pour demander avec justice que les ministres deviennent responsables de l'exécution des lois !

Ah ! si leur caution pouvait garantir le retour de l'ordre, ils n'hésiteraient pas à la donner au risque de tout ce qui pourrait leur être personnel. D'ailleurs, en aucune espèce d'administration publique, qui pourrait promettre autre chose que le dévouement entier de son zèle et de ses facultés ? On ne demande pas à un général entouré de soldats, qui dans un espace circonscrit obéissent en silence à son commandement, on ne lui demande pas d'être caution du sort d'une bataille ; et à l'instant d'une disjonction générale qui s'étend d'un bout du royaume à l'autre, vous voudriez exiger des ministres du Roi qu'ils indiquassent les moyens à l'aide desquels ils se rendraient garants de l'exécution universelle des lois. Vous trouverez sûrement en y réfléchissant, Messieurs, qu'une telle obligation ne peut leur être imposée.

Les ministres du Roi vous déclarent donc, Messieurs, qu'ils ne contracteront point un pareil engagement et que si vous insistiez à l'exiger, si vous y insistiez avec le vœu de la nation, ils céderaient leurs places aux hommes téméraires qui vous feraient de telles promesses. (...) »

Lecture faite de ce mémoire accablant, Un membre demande de l’Assemblée qu’il soit imprimé et distribué, et le Président consulte l'Assemblée qui décide qu'il n'y a pas lieu de délibérer.

La totalité du mémoire est consultable par le lien suivant :



vendredi 23 octobre 2020

23 Octobre 1789 : La très risible histoire du "doyen des français", reçu par l’Assemblée nationale

 

    La veille (jeudi 22 octobre), en fin de séance, le Président de l’Assemblée nationale avait annoncé qu'un vieillard de cent vingt ans, natif de Mont-Jura, demandait la permission d'être introduit à la barre, pour "remercier l'Assemblée de l'adoucissement du sort de ses habitants, qui avaient été affranchis par les décrets de l'Assemblée nationale". L’Assemblée avait consenti à ce que cet honorable vieillard fût admis en son sein, lors de la séance du lendemain.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5215_t1_0476_0000_9

    Ce 23 octobre, a été lue en début de séance une missive du Comité d’Alençon à propos d’une fâcherie qui avait opposé celui-ci avec le vicomte de Caraman et les chasseurs de Picardie « Un événement malheureux ayant fait naître des inquiétudes sur le compte de cette troupe, l'alarme étant devenue générale » le Comité regrette d’avoir peut-être suivi « trop promptement le parti d'une défiance mutuelle » ; « mais des explications, que l'agitation des esprits n'avait pu permettre qu'après un certain temps, ont fait que les deux parties sont passées à cette estime réciproque que nous devions toujours conserver ». Comme vous le voyez, tout ne finit pas systématiquement en bain de sang (entre gens bien élevés).

    Mais une fois ce problème si élégamment réglé, le grand moment de la matinée a été l’arrivée du vénérable vieillard de cent vingt ans, annoncée la veille. Celui qu’on appelle déjà le doyen des français, sinon de l’humanité, ne désire rien tant que « de voir l'Assemblée qui a dégagé sa patrie des liens de la servitude ». (On apprendra plus tard, entre autres, qu’il était presque aveugle).

Source BNF Gallica

Voici ce que relate le procès-verbal :

M. l'abbé Grégoire demande qu'en raison du respect qu'a toujours inspiré la vieillesse, l'Assemblée se lève lorsque cet étonnant vieillard entrera.

Cette proposition est accueillie avec transport.

Le vieillard est introduit ; l'Assemblée se lève ; il marche avec des béquilles, conduit et soutenu par sa famille ; il s'assied dans un fauteuil vis-à-vis le bureau et se couvre. La salle retentit d'applaudissements.

Il remet son extrait baptistaire. Il est né à Saint-Sorlin, de Charles-Jacques et de Jeanne Bailly, le 10 octobre 1669.

M. Nairac. Ce vieillard, que la nature a conservé pour être témoin de la régénération de la France et de la liberté de sa patrie, a constamment rempli ses devoirs de citoyen utile jusqu'à cent cinq ans. Le Roi lui a donné une pension de deux cents livres, mais pour que sa famille se souvienne de cette journée, votons parmi nous une contribution qui, quelque modique qu'en soit le produit, rendra plus tranquilles les jours de ce vieillard respectable à tant de titres, et deviendra pour sa famille un précieux héritage.

L'Assemblée charge MM. Les trésoriers des dons patriotiques de recevoir cette contribution.

M. le Président dit que M. Bourdon de la Crosnière, auteur d'un plan d'éducation nationale présenté à l'Assemblée, faisant entrer dans les leçons qu'il donne à la jeunesse le respect pour la vieillesse, demande à s'emparer de l'auguste vieillard qui sera servi dans l'école patriotique par les jeunes élèves de tous les rangs, et surtout par les enfants dont les pères ont été tués à l'attaque de la Bastille.

M. le vicomte de Mirabeau. Faites pour ce vieillard ce que vous voudrez ; mais laissez-le libre.

M. le Président au vieillard. L'Assemblée craint que la longueur de la séance ne vous fatigue, et vous engagea vous retirer. Elle désire que vous jouissiez longtemps du spectacle de votre patrie devenue entièrement libre.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5224_t1_0484_0000_2

Pour mémoire, la délégation des citoyens libres de couleurs, n’avait pas suscité autant d'enthousiasme lorsqu’elle s’était présentée la veille pour demander des droits égaux.

 

Avez-vous été touchés par cette histoire ? 

Ne le soyez pas ! 

Les députés ont été bernés !

    Les adeptes du copier-coller sur Internet, font que vous retrouverez telle quelle, sur de nombreuses pages Web, cette histoire qui ne fut en vérité qu’une mystification.

    Les historiens Antoine de Baecque et Jacques Berlioz, ont sorti l’an dernier un livre aux éditions Tallendier, racontant le détail de cette grosse arnaque : « Jean Jacob, l'homme de 120 ans ».

    Pour les deux historiens, tout est faux, à l'exception des origines franc-comtoises du vieux bonhomme. Jean Jacob ne serait pas né en 1669 mais en 1693 et il était probablement le neveu et même le filleul de l'illustre aïeul tant célébré. C'est la fille du neveu, une dénommée Pierrette, qui aurait volontairement vieilli son père, une usurpation d'identité obtenue grâce à un extrait baptistaire qui fit office de preuve pendant des années.

    L'escroquerie commença en 1785 quand Pierrette Jacob, couturière, demanda une pension pour son père Jean, « âgé de 115 ans », qui selon elle, avait passé « plus de cent ans » comme journalier agricole. Elle joignit pour preuve un extrait de baptême rédigé par un curé tout juste arrivé, qu’il fut s’en doute facile d’abuser. L'administration ne pouvant se déplacer, un avocat fut dépêché au chevet du vieillard qui le trouva « sans rides au front, quoiqu'un peu sourd et aveugle… » Le bon roi Louis XVI accorda un don exceptionnel de 1 200 livres et une pension de 200 livres (une vache et son veau en valant 40 à l'époque). À cela s'ajouta un don sous forme de blé, versé généreusement par la comtesse de Lauragais.

    C’est un journaliste du journal de Paris, Cerutti, qui rendit célèbre le vieillard en 1788, en lui consacrant un long article dans lequel furent rapportées de nombreuses anecdotes dont certaines très fantaisistes.

    C'est ainsi que le pauvre vieux, qui avait malgré tout 97 ans, ce qui était déjà assez étonnant pour l’époque, devient « le doyen des français âgé de 120 ans » ! Sa fille et ses complices décidèrent de faire le voyage à Paris en septembre 1789, pour gagner encore plus d’argent en exhibant le doyen des Français comme une bête de foire. Ils l'installèrent tout près du Palais-Royal, qui à l’époque était le quartier de "toutes" les distractions. Le « vieillard des montages du Mont-Jura » y était visible pour quelques sous, de 10 heures à 19 heures, avec une pause entre 14 et 16 heures…

    Le malheureux ne résista pas bien longtemps à l’atmosphère parisienne, car il mourut en janvier 1790. Il fut cependant inhumé à Saint-Eustache en grande pompe : 80 prêtres officièrent, quarante enfants de chœur chantèrent en portant des cierges, et il fut même honoré d'une salve d'honneur tirée par des hommes de la garde nationale !


Etonnant, non ? 😊


Source https://www.lepoint.fr/histoire/jean-jacob-le-vieillard-qui-escroqua-la-revolution-francaise-27-12-2019-2354973_1615.php

23 Octobre 1789 : Le port de la cocarde pose problème sur l’île de Robinson Crusoe, Tabago !


    Ce 23 octobre 1789, des colons de l’île de Tabago se sont réunis à Port-Louis pour élire des députés à l’Assemblée nationale. Tabago, aujourd’hui connue sous le nom de Tobago (d’une superficie de 300 km2), est l’une des deux îles principales de l’archipel de la Trinité-Tabago, situé dans les Petites Antilles. Elle est située à 35 km au sud-sud-ouest de l’île de la Trinité. En bas à droite sur la carte ci-dessous :

Carte des Isles Antilles

    Le gouverneur, le chevalier de Jobal, ayant tenté d’interdire cette manifestation, celle-ci a eu lieu dans une atmosphère très orageuse. La population de cette île des petites Antilles est en effet très divisée sur le port de la cocarde. Les colons d’origine française ont voulu l’imposer, ce qui a déplu aux colons de vieille souche, d’origine écossaise, qui ont juré fidélité au roi. Il faut savoir que cette île, était encore une colonie anglaise quelques années auparavant. Ce qui explique que les colons les plus anciens aient été écossais. De plus l’attachement des Ecossais à la couronne royale française est réputé, puisqu’il remonte à la guerre de cent ans, au cours de laquelle les Ecossais combattirent contre les Anglais au côté des Français !

Le comte de Grasse

    Tobago était redevenue française durant la guerre d’Indépendance des Etats Unis d’Amérique, à laquelle la France avait participé (et qui fût l’une des causes de sa ruine financière, tant elle y dépensa d’argent). 

    L’armée française participa à de nombreuses batailles décisives, tant sur la mer que sur la terre ferme. Tobago fut prise par la marine française commandée par le comte de Grasse, qui débarqua sur l’île les troupes commandées par le marquis de Bouillé. Le siège de la ville débuta le 24 mai 1781, et malgré un renfort anglais envoyé par l’amiral Rodney le 27 mai, la ville fut prise par les Français le 2 juin 1781.

La prise de Tabago en 1781

    Je vous invite à consulter cette page où l'on peut admirer de belles gravures illustrant des batailles de la guerre d'indépendance américaine : 
https://usindependancelexpo.wordpress.com/dans-la-tourmente/sous-le-feu-des-canons/mille-et-une-batailles/

    L’île de Tabago redeviendra définitivement anglaise en 1793 et reprendra le nom de Tobago (hormis une très courte période de nouveau française en 1802, suite au Traité d’Amiens).

    C’est sur cette île que Daniel Defoe a placé l'aventure de son célèbre Robinson Crusoe.

Edition de 1719 de Robinson Crusoe

    Vous trouverez de précieuse informations sur l'histoire mouvementée de cette île au 18ème siècle dans cet excellent livre en cliquant sur l'image ci-dessous :



23 Octobre 1789 : Mon enquête sur "l’affaire Robespierre". Le Journal de Paris a-t-il dit la vérité ?

Article mis à jour le 24/10/2022


    Si vous vous intéressez à la Révolution française (vous êtes au bon endroit), peut-être avez-vous déjà vu, lu ou entendu, cette référence à un article évoquant une intervention de Robespierre, publié dans le Journal de Paris, en date du 28 octobre 1789, relatant la séance tenue à l’Assemblée nationale, la veille ?

La voici :

« On pouvait lire dans le journal de Paris du 28 octobre, dans le compte rendu de la séance du 27 octobre à l'assemblée nationale : "Hier, monsieur Robespierre, est encore monté à la tribune. On s'est rapidement aperçu qu'il voulait encore parler en faveur des pauvres. Et on lui a coupé la parole."

Henri Guillemin
    Cette référence vient de l’historien Henri Guillemin, dont les conférences qu’il donnait dans les années 70, sont fort heureusement sorties de l’oubli grâce à Internet. Il a eu en effet le mérite de donner une lecture légèrement différente de la Révolution française, et qui plus est, passionnante, car c’était aussi un excellent conteur. Dans le cas présent, il s'agit de sa conférence sur Robespierre.

    Ne trouvant aucune référence ailleurs que dans sa conférence, sur ce qu'aurait dit ou pas Robespierre ce jour-là, j’ai donc recherché de mon côté. Cela m’a pris un peu de temps, mais, à ma grande joie, j’ai fini par trouver, et ce, grâce à notre ami Google ! 😀


Vous allez voir que nous allons aller de surprises en surprises !!!

    Tout d’abord, l’article existe bien, mais il se trouve dans le numéro 296 du 23 octobre du Journal de Paris, relatant la séance du 22, et pas dans le N°301 de du 28 octobre (petite erreur de mémoire, puisqu'il s'agit d'une conférence). Le sujet principal abordé ce jour-là par l’Assemblée nationale était de décider quelles seraient les conditions pour être éligible aux assemblées municipales.

J’avoue que je ne suis pas peu fier de vous montrer cet article ! 😍

Voici le lien permettant d’y accéder (page 1360) :

Et vous trouverez même en bas de mon article une fenêtre sur le document scanné !

Voici le fameux extrait :

« Monsieur de Robespierre a voulu traiter de la question avec étendue. On a vu assez promptement qu’il allait parler pour les pauvres, qui, n’ayant rien, ne payent rien. On lui a coupé la parole, il l’a reprise ; on la lui a coupée encore, il est descendu de la tribune & n’a plus voulu y remonter.

M. Dupont a pris sa place : il a rappelé l’ancienne distinction connue dans nos anciennes lois, de Manants & d’Habitants, & il a voulu que les Manants seuls jouissent du droit d’Election & de Cité. »

Petit aparté : Concernant cette expression de manant, ne vous méprenez pas. Sous l’ancien régime, « manant » signifiait celui qui demeure (pensez à manoir) ; de là il avait pris le sens de domicilié, aisé, riche. Ce mot a ensuite perdu son sens premier, et par un mouvement inverse, il a pris le sens d'habitant de la campagne, de vilain, puis celui d'homme grossier. Les mots, eux aussi, ont parfois une vie pleine de contrastes ! Mais lisez plus avant, vous allez voir !...


Revenons à cet article. On peut y lire un peu plus loin :

« M. Formont, l’un des Députés de la Bretagne, a opiné comme M. Du Port & comme M. De Robespierre, pour égaler les droits de l’homme pauvre aux droits de l’homme riche.

Un grand nombre d’autres Députés demandaient & avaient la parole. On a prétendu que la discussion était épuisée, & on a voulu qu’on allât aux voix. »

    Concernant M. Du Port, l’article précise que c’était lui qui avait parlé en premier : « pour dire que ce seraient dépouiller l’homme des droits qu’on lui a reconnus dans la déclara de l’exclure de tout concours à la représentation lorsqu’il est hors d’état de payer une contribution quelconque ; que si on redoute des élections faites en partie par des hommes sans fortune, ces élections primaires s’épureront dans le second degré des élections. »

(Nous remarquerons au passage que c’est le système que les "pères fondateurs" américains ont choisi, à savoir que le suffrage universel ne sert qu’à élire de « grands électeurs », qui finissent par voter pour le président.)

    Mais en fait, il semble que c’est l’abbé Grégoire qui a parlé le premier, d’après ce que nous relate le procès-verbal de cette séance à l’Assemblé nationale !

« M. l'abbé Grégoire attaque cet article ; il redoute l'aristocratie des riches, fait valoir les droits des pauvres, et pense que pour être électeur ou éligible dans une assemblée primaire, il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain et un cœur français. »

 

C’est là que cela devient aussi étrange qu’intéressant !

    Pourquoi étrange ? Mais parce que je vous ai déjà rendu compte de cet échange dans mon article du 22 octobre ! Vous allez y retrouver l’intégralité de la discussion des députés, telle que rapportée dans le procès-verbal !

    Et ce qui est vraiment étrange, c’est que selon le procès-verbal, Robespierre semble avoir pu s’exprimer sans être interrompu !

Voici même ce qu’il est censé avoir dit :

    « Tous les citoyens, quels qu'ils soient, ont droit de prétendre à tous les degrés de représentation. Rien n'est plus conforme à votre déclaration des droits, devant laquelle tout privilège, toute distinction, toute exception doivent disparaître. La Constitution établit que la souveraineté réside dans le peuple, dans tous les individus du peuple. Chaque individu a donc droit de concourir à la loi par laquelle il est obligé, et à l'administration de la chose publique, qui est la sienne. Sinon, il n'est pas vrai que tous les hommes sont égaux en droits, que tout homme est citoyen. Si celui qui ne paye qu'une imposition équivalente à une journée de travail a moins de droit que celui qui paye la valeur de trois journées de travail, celui qui paye celle de dix journées a plus de droit que celui dont l'imposition équivaut seulement à la valeur de trois ; dès lors celui qui a 100,000 livres de rente a cent fois autant de droit que celui qui n'a que 1,000 livres de revenu. Il résulte de tous vos décrets que chaque citoyen a le droit de concourir à la loi, et dès lors celui d'être électeur ou éligible, sans distinction de fortune. »

    Ce qui est également étonnant, c’est que Monsieur Dupont de Nemours, qui effectivement parle après lui, n’évoque ni Manants ni Habitants, comme le dit l’article dans le journal de Paris. Cependant, indirectement, il nous fait mieux comprendre ce qu’est un manant. Lisez l’extrait du PV :

« Pour être éligible, la seule question est de savoir si l'on paraît avoir des qualités suffisantes aux yeux des électeurs. Pour être électeur il faut avoir une propriété, il faut avoir un manoir. »

    Vous avez compris ? Un manant est celui qui possède en fait un manoir, c’est-à-dire un propriétaire, qui plus est, aisé.

 

Conclusion ?

    Vous voici confrontés au genre de problème auquel les historiens doivent souvent faire face lorsqu’ils comparent des sources ; du moins ceux qui font vraiment leur boulot.

De la constatation que nous venons de faire, découlent en effet de nombreuses questions :

  • Robespierre a-t-il été interrompu par deux fois, sans pouvoir s’exprimer, ou a-t-il pu dire ce qu’il avait à dire ?
  • Qui, du journaliste au Journal de Paris, ou du greffier rédigeant le procès-verbal, a dit la vérité ?
  • Pourquoi le journaliste aurait-il inventé un pareil incident de séance ?
  • Pourquoi le greffier aurait-il passé l’incident sous silence ?
  • Les discours tels que rapportés dans les procès-verbaux, c’est-à-dire des textes où les gens parlent comme dans les livres, sont-ils des retranscriptions exactes ?
  • Peut-on imaginer que les députés confient leurs minutes au greffier pour qu’il les retranscrive fidèlement dans son PV ?
  • Tous les historiens se posent-ils ces questions ou s’arrêtent-ils à l’interprétation qui leur convient ?
  • D'autres questions ? 😉


Mise à jour du 24 octobre 2022.

Conclusion, apportée par Robespierre en personne !

    Par suite de la publication de cet article le 22 octobre 2022 sur ma page Facebook, une de mes abonnées, une Italienne passionnée par la Révolution française, Marianna de Candido (qui tient elle-même une page sur Robespierre), m'a signalé une lettre de Robespierre à son ami Buissart, dans laquelle il fait mention de cet incident qui l'a empêché de s'exprimer devant l'Assemblée. L'ombre du doute plane donc sur la probité des greffiers de l'Assemblée nationale...

    Je vous invite à lire cette lettre dans ce nouvel article : "Robespierre voit dans la nouvelle constitution " des vices essentiels qui peuvent empêcher les bons citoyens de se livrer à la joie"


Merci pour votre lecture ! 😊


    Voici la fenêtre donnant accès au Journal de Paris. Je vous conseille de le parcourir, car il y a aussi des infos amusantes.


jeudi 22 octobre 2020

22 Octobre 1789 : L’encombrant duc D’Orléans est « retenu » à Boulogne sur Mer. Comme c’est bizarre !

Le duc d'Orléans

    Ce 22 octobre, Monsieur de Menou informe l’Assemblée d’une bien étonnante nouvelle concernant le duc d’Orléans.    L’Assemblée avait accordé à ce Prince un passeport pour l’Angleterre le 14 octobre dernier, afin qu’il puisse s’acquitter d’une mission confiée par le roi. Mais aujourd’hui, on apprend que Louis Philippe Joseph d'Orléans est retenu contre son gré par les habitants de Boulogne sur Mer. 

    La raison en est, que depuis le départ de cet encombrant duc, les rumeurs vont bon train. On le soupçonne d'avoir participé à des complots ; et des mauvaises langues prétendent qu’il ne s’est ainsi éloigné que pour échapper à la justice ! 

    Même notre ami Colson, dans son courrier du 18 octobre écrit à propos du duc : « monsieur le duc d'Orléans, qui est allé à Londres pour une négociation dont on ignore encore l'objet, y était allé pour trahir ». L’Assemblée nationale est d’autant plus inquiète qu’on l’accuse de partager certains des sombres projets du duc d’Orléans ! Si vous avez lu les articles de ce site depuis le mois de juillet, vous devez sourire intérieurement, et vous avez raison !

    L’ombre du duc d’Orléans est en effet omniprésente tout le long des événements révolutionnaires de cette année 1789 ! Peut-être lui prête-t-on plus qu’il n’en a fait, mais il n’a rien fait pour dissiper les doutes et faire taire les rumeurs. De nos jours, certains ouvrages d’historiens continuent d’affirmer qu’il fut à l’origine de tous les grands événements de ce début de révolution. Mais bien sûr, l’histoire est bien plus compliquée que cela. Je vous prie de croire qu’il m’a fallu en lire des documents, pour démêler autant faire se pouvait, le fil de cette intrigue.

    N’oublions pas malgré tout, que puisqu’il s’agit d’une mission secrète confiée par le roi, tout ce qui a pu se dire et s’écrire, est peut-être partiellement, voire totalement faux !


Historique de cette aventure rocambolesque

    Nous avions vu que le 10 octobre, Lafayette était allé faire bonne figure devant le roi et tenter de le convaincre de sa fidélité, suite à sa conduite équivoque durant les journées des 5 et 6 octobre. Nous avons dit à cette occasion que le roi le soupçonnait d’être un agent du duc d’Orléans.

    Peut-être le 10, ou alors le 13, selon les sources, Lafayette aurait, pour prouver sa fidélité, offert au roi de s’acquitter de n’importe quelle démarche que sa Majesté exigerait de lui. Louis XVI lui aurait alors confirmé qu’il l’avait en effet cru vendu au duc d'Orléans. Le roi lui aurait également fait part de ses soucis avec le duc d’Orléans, qui venait de plus de contracter un emprunt de 6 millions en Hollande, mais qu'il répugnait malgré tout à la Famille Royale de le ranger parmi des assassins. Louis XVI aurait alors proposé à Lafayette, pour regagner son estime, de l'aider à faire sortir le duc d'Orléans du Royaume. Le marquis de La Fayette, trop heureux de rendre ce service, assura au roi qu'il se ferait fort de réussir dans cette entreprise.

    Par suite de cette entrevue (secrète), le marquis de Lafayette aurait alors demandé au duc d'Orléans, une entrevue (également secrète, bien sûr). Le Duc la lui aurait accordée sans peine car le marquis de La Fayette était alors un homme qui comptait, un homme à ménager. Lafayette se serait adressé au duc avec le langage de l'indignation, lui déclarant que s'il ne prenait pas le parti de l'obéissance, on le démasquerait. Le duc d'Orléans, effrayé, n'aurait pas osé refuser ce qui lui était demandé et se serait contenté de demander que le roi lui confiât une quelconque négociation à conduire, pour sauver les apparences.

    A l’annonce du départ prochain du Duc D’Orléans, Mirabeau serait alors venu le trouver pour lui reprocher sa faiblesse excessive, et l’aurait conjuré de tout avouer et de dénoncer à l'Assemblée nationale, le marquis de La Fayette puis la Reine. Le duc d'Orléans, effectivement faible, aurait alors cédé à Mirabeau et se serait résolu à braver Lafayette.

    Bien sûr, Lafayette fut rapidement informé de ce retournement et aussitôt il courut au Palais Royal où résidait le duc (J'abandonne l’emploi du conditionnel 😉). Le général en colère, somma le duc d’être fidèle à sa parole donnée et le menaça de témoigner contre lui si les juges l’interrogeaient sur les journées des 5 et 6 octobre. Le duc d'Orléans frémit à cette menace et tenta, en vain, de séduire le marquis de La Fayette. Mais Lafayette exigea son départ dans les plus brefs délais.

    Le duc d'Orléans céda finalement à Lafayette et écrivit un billet à Mirabeau :
"J'ai changé de dessein ; ne faites rien, nous nous verrons ce soir."
Après avoir lu ces lignes, le comte de Mirabeau dit : 
"Il est lâche comme un laquais ; c'est un... qui ne vaut pas la peine qu'on s'est donnée pour lui."

    L’Assemblée nationale accorda un passeport pour une demande de congé du duc, lors de la séance du 14 octobre. Un billet de M. Saint-Priest au président, avait annoncé que ses bureaux étaient occupés à expédier à la hâte des instructions que M. le duc d'Orléans devait emporter en Angleterre pour y remplir une commission qui lui était confiée par le Roi.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5174_t1_0441_0000_1

    A 5h30, le comte de Montmorin reçu le duc d’Orléans et lui donna ses instructions pour sa "mission" diplomatique en Angleterre. Le duc pris alors le chemin de Boulogne en compagnie de Choderlos de Laclos et de Clarke. Sa maîtresse la comtesse de Buffon le suivit dans sa propre voiture. Son épouse, la duchesse de Chartre, avertie ce soir-là du prochain départ « en mission » de son époux, dû se résoudre à rester à Paris.

La jolie comtesse de Buffon

Lisons "pour le plaisir" la motion faite ce 22 octobre par Monsieur Menou devant l’Assemblée, à propos des misères du duc d’Orléans !

Motion de M. de Menou sur le départ du duc d'Orléans

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5217_t1_0478_0000_3

M. le baron de Menou fait ensuite une motion sur le départ de monseigneur le duc d'Orléans.

M. le baron de Menou. L'homme vraiment attaché à l'intérêt général doit dire ce qu'il prévoit et ce qu'il craint. Le salut public est la suprême loi. J'ai demandé la parole avant l'ordre du jour pour remplir ce devoir.

M. le duc d'Orléans est venu, il y a plus de huit jours, demander un passeport pour aller en Angleterre remplir une mission que le Roi lui avait confiée ; mais ce prince, chargé de stipuler pour le bailliage de Crépy et pour la France entière, pouvait-il se soustraire ainsi à ses fonctions ? Depuis son départ, on l'a accusé hautement d'avoir participé à des complots ; on a dit qu'il ne s'était éloigné que pour échapper à la surveillance du ministère public. S'il eût été instruit de ces bruits, il se serait présenté, il se serait justifié ; un député à l'Assemblée nationale, chargé de faire le bien par la confiance, ne doit pas même être soupçonné. Leduc d'Orléans n'est pas seul inculpé : on accuse une partie de l'Assemblée de partager les projets et les intrigues qu'on lui prête, tandis que ces députés, fiers de la pureté de leur conscience, consacrent tous leurs vœux, tout leur temps à la chose publique

Les habitants de Boulogne-sur-Mer ont retenu ce prince ; s'il est encore détenu, vous devez ordonner qu'il soit relâché ; mais n'est-il pas aussi de votre équité de le mettre à même de se justifier ? S'il est innocent, sa justification doit être éclatante ; s'il est coupable, il doit être puni. Votre décision à cet égard ne serait point contradictoire avec le passeport que vous avez accordé. Les bruits injurieux à M. le duc d'Orléans ne se sont répandus qu'après son départ,

 

Et voici la brève discussion qui s’en suivit :

Discussion

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5217_t1_0478_0000_4

M. le duc de Liancourt. On ne peut présenter nul motif plausible de rappeler M. le duc d'Orléans. La notoriété publique et la connaissance particulière qui m'a été donnée par ce prince des motifs de son départ, doivent empêcher toutes dispositions à cet égard. M. le duc d'Orléans partait volontairement, chargé d'une mission importante et touché de la confiance que Sa Majesté lui avait témoignée, il n'y a nul lieu à délibérer sur la motion du préopinant.

M. le comte de La Touche. Je suis aussi compromis dans les pamphlets relatifs au départ de M. le duc d'Orléans, et je demande que le comité des recherches examine sévèrement ma conduite.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu de délibérer quant à présent.


Etonnant, non ? 😉 


22 Octobre 1789 : Une délégation d’hommes de couleur (propriétaires) vient réclamer à l’Assemblée l’égalité des droits (trop tard)

Société des amis des Noirs

Quelques rappels utiles

    Souvenons-nous, le 20 août 1789 dernier, une association de colons esclavagistes avait fondé le club Massiac à Paris. Ces propriétaires d’exploitations situées dans les Caraïbes, s’inquiétaient des travaux de l’Assemblée et plus particulièrement de ceux portant sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ils entendaient bien peser sur les décisions de l’Assemblée.

    Quelques jours plus tard, le 29 août, avait été créée l'Assemblée des citoyens de couleur des îles et colonies françaises, qui était devenue le 12 septembre, la Société des colons américains. Je vous renvoie aux articles de ces dates.

Adresse du 18 Octobre 1789

Et quelques précisions encore plus utiles...

    Ne nous méprenons pas malgré tout sur la situation de ces citoyens de couleur. Il s’agissait de propriétaires, possédant eux aussi des esclaves !

    Même s’ils étaient placés dans une situation juridique inférieure à celle des "blancs", ils appartenaient à une classe sociale très dynamique économiquement en cette fin du XVIIIème siècle à Saint-Domingue, en Martinique et dans une moindre mesure en Guadeloupe et en Guyane. Il y avait un transfert croissant de propriétés de terres et d’esclaves des "blancs" vers les gens de couleur.

    Dans trois quartiers du Sud de Saint-Domingue, dans les années 1780, les libres de couleur participaient à 44 % des transactions foncières à la campagne. Les libres de couleur possédaient environ 20 % des esclaves de Saint-Domingue et 5 % en Guadeloupe, à la fin du XVIIIe siècle. Ceux de la Martinique étaient dans une situation intermédiaire entre la Guadeloupe et Saint-Domingue. A Saint-Denis de la Réunion, 61 % des chefs de familles libres de couleur recensés possédaient des esclaves.

Source : https://journals.openedition.org/lrf/1403

    C’était d’ailleurs pour ces raisons que le 26 août 1789, Julien Raymond, un quarteron (individu ayant trois grands parents blancs et un noir) libre de Saint Domingue, avait été est reçu au Club Massiac, pour leur proposer un accord qui préserverait la traite et l’esclavage en accordant l’égalité des droits civiques aux libres de couleur.

    Les libres de couleurs demandaient qu’il n’existât plus que deux classes d’individus, les citoyens quelle que soit leur couleur et les esclaves. Ils réclamaient également l’affranchissement de tous les métissés. Il fut reçu froidement. Le président lui demanda s’il avait des pouvoirs réguliers ; Raymond dut reconnaître que non et se retira.

    A noter que le club Massiac reçu le lendemain l’abbé de Paroy qui proposa à son tour que l’on concède certains droits aux libres de couleur arguant : il est bon de leur témoigner une espèce de considération, de les ménager. Le moment d’en avoir besoin est peut-être plus proche qu’on ne croit… »

Lire également l'article du 28 Novembre 1789.


Revenons à ce 22 octobre.

         Etienne de Joly         

    
Ce 22 octobre 1789, les libres de couleur de Paris présentent pour la première fois leurs doléances devant l’Assemblée nationale.

    Ce sera Monsieur Dejoly qui parlera en leur nom. Dejoly était un avocat connu aux Conseils, secrétaire de la Commune depuis le 27 juillet 1789. Né dans l’Hérault, sa famille était originaire de l’Aveyron (il était "blanc", vous l'avez compris). Il avait également des relations d’affaire et de famille avec Saint-Domingue. Dans ses mémoires, Dejoly écrira qu’il s’était occupé à partir d’octobre 1789 des « citoyens de couleurs », laissant à la Société des Amis des Noirs (dont il était également membre depuis janvier 1789), le soin d’obtenir l’amélioration de la condition des esclaves, voire la suppression de la traite, puis de l’esclavage. Dejoly croyait possible de tourner les nombreuses difficultés que soulèverait le problème de l’émancipation des noirs en s’attaquant à celui, beaucoup plus simple, en apparence, de l’égalité des gens de couleurs libres.

    Pour en apprendre plus, je vous conseille de lire les quelques pages de ce cahier des Annales historiques de la Révolution française (23e Année, n° 121 (Janvier-Mars 1951), pp. 48-61). Il vous suffit de cliquer sur l'image ci-dessous. La consultation des archives de ce site est libre, si vous vous connecter avec une adresse Gmail, ou si vous créez un compte. C'est une vraie mine d'or !


    Mais, c’est aussi ce 22 octobre 1789, que le suffrage censitaire a été instauré et les libres de couleur vont être écartés de la représentation nationale au motif qu’ils sont déjà représentés par les planteurs blancs. Le manque de sympathie pour la cause de ces libres de couleurs peu peut-être s’expliquer par le fait que 15 % des députés ont des propriétés dans les colonies et qu’un nombre encore plus grand a des intérêts dans le commerce colonial...

Sources : 


Voici le procès-verbal de cette séance de l'Assemblée :

Une députation des citoyens, gens de couleur, propriétaires dans les colonies françaises, a été introduite à la barre, et a demandé à jouir de tous les avantages des citoyens.

M. de Joly, an nom de la députation, a donné lecture de l'adresse suivante :

« Nosseigneurs, les citoyens libres et propriétaires, de couleur, des îles "et colonies françaises, ont l'honneur de vous représenter :

« Qu'il existe encore, dans une des contrées de cet empire, une espèce d'hommes avilis et dégradés, une classe de citoyens voués au mépris, à toutes les humiliations de l'esclavage, en un mot, des Français qui gémissent sous le joug de l'oppression.

« Tel est le sort des infortunés colons américains, connus dans les îles sous le nom de mulâtres, quarterons, etc.

« Nés citoyens et libres, ils vivent étrangers dans leur propre patrie. Exclus de toutes les places, de toutes les dignités, de toutes les professions, on leur interdit jusqu'à l'exercice d'une partie des arts mécaniques ; soumis aux distinctions les plus avilissantes, ils trouvent l'esclavage au sein même de la liberté.

« Les Etats généraux ont été convoqués.

« Dans toute la France on s'est empressé de seconder les vues bienfaisantes du monarque : les citoyens de toutes les classes ont été appelés au grand œuvre de la régénération publique ; tous ont concouru à la formation des cahiers, et à la nomination des députés chargés de défendre leurs droits et de stipuler leurs intérêts.

« Le cri de la liberté a retenti dans l'autre hémisphère.

« Il aurait dû, sans doute, étouffer jusqu'au souvenir de ces distinctions outrageantes entre les citoyens d'une même contrée ; il n'a fait qu'en développer de plus odieuses encore.

« Pour l'ambitieuse aristocratie, la liberté n'est que le droit de dominer, sans partage, sur les autres hommes.

« Les colons blancs ont agi conformément à ce principe, et tel est encore aujourd'hui le mobile constant de leur conduite.

« Ils se sont arrogé le droit de s'assembler et d'élire des représentants pour les colonies.

« Exclus de ces assemblées, les citoyens de couleur ont été privés de la faculté de s'occuper de leurs intérêts personnels, de délibérer sur les choses qui leur sont communes, et de porter à l'Assemblée nationale leurs vœux, leurs plaintes et leurs réclamations.

« Dans cet étrange système, les citoyens de couleur se trouveraient représentés par les députés des colons blancs, quand il est constant, d'un côté, qu'ils n'ont point été appelés à leurs assemblées partielles, et qu'ils n'ont confié aucun pouvoir à ces députés, et que d'un autre côté, l'opposition d'intérêts malheureusement trop évidente rendrait une pareille représentation absurde et contradictoire.

« C'est à vous, Nosseigneurs, à peser ces considérations ; c'est à vous à rendre à des citoyens opprimés les droits dont on les a injustement dépouillés ; c'est à vous d'achever glorieusement votre ouvrage, en assurant la liberté des citoyens français dans l'un et l'autre hémisphère.

« Instruits par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les colons de couleur ont senti ce qu'ils étaient ; ils se sont élevés à la dignité que vous leur aviez assignée ; ils ont connu leurs droits, et ils en ont usé.

« Ils se sont réunis ; ils ont rédigé un cahier qui contient toutes leurs demandes ; ils y ont consigné des réclamations dont les bases sont établies dans le code que vous avez donné à l'univers ; ils en ont chargé leurs députés ; et ils se bornent, en ce moment, à solliciter, dans cette auguste Assemblée, une représentation nécessaire pour être en état d'y faire valoir leurs droits, et surtout d'y défendre leurs intérêts contre les prétentions tyranniques des blancs.

« Pour demander cette représentation, les citoyens de couleur ont évidemment les mêmes titres que les blancs.

« Comme eux, ils sont tous citoyens, libres et français ; l'édit du mois de mars 1685 leur en accorde tous les droits, il leur en assure tous les privilèges ; il veut «que les affranchis (et à plus forte raison leurs descendants) méritent une liberté acquise ; que cette liberté produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle à tous les Français. » Gomme eux, ils sont propriétaires et cultivateurs ; comme eux, ils contribuent au soulagement de l'Etat, en payant les subsides, en supportant toutes les charges qui leur sont communes avec les blancs ; comme eux, ils ont déjà versé et ils sont prêts à verser leur sang pour la défense de la patrie ; comme eux enfin, et toujours avec moins d'encouragement et de moyens, ils ont multiplié les preuves de leur patriotisme.

« Tout récemment encore, malgré l'oppression sous laquelle ils gémissent, malgré les efforts combinés de leurs adversaires, les citoyens de couleur ont eu la générosité de députer auprès des blancs, de leur proposer le pacte qu'ils viennent soumettre à votre justice, et ils ont eu la douleur de se voir repousser avec le mépris dont on les a toujours accablés.

« Par un dernier effort, et nous devons le publier, c'est de tous ceux qu'ils ont faits celui qui coûte le moins à leur cœur, parce qu'ils brûlent du désir de travailler pour la cause commune ; les citoyens de couleur ont voté, et ils déposent ici, par nos mains, la soumission solennelle de subvenir aux charges de l'Etat pour le quart de leurs revenus ; ils déclarent avec vérité que ce quart forme un objet de 6 millions. Ils ont encore voté un cautionne¬ ment de la cinquantième partie de leurs biens pour l'acquit des dettes de l'Etat ; ils vous supplient d'en agréer l'hommage, et de leur indiquer incessamment les moyens de le réaliser.

« Loin de nous cependant toute idée, tout esprit d'intérêt personnel ; les citoyens de couleur n'entendent point faire ces offres pour entraîner votre jugement.

« Ils vous supplient, Nosseigneurs, de les oublier, pour ne vous attacher qu'à la rigueur des principes.

« Ils ne demandent aucune faveur.

« Ils réclament les droits de l'homme et du citoyen ; ces droits imprescriptibles, fondés sur la nature et le contrat social ; ces droits que vous avez si solennellement reconnus et si authentiquement consacrés, lorsque vous avez établi pour base de la Constitution : « que tous « les hommes naissent et demeurent libres et « égaux en droits ;

« Que la loi est l'expression de la volonté générale ; que tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ;

« Que chaque citoyen a le droit, par lui ou ses « représentants, de constater la nécessité de la « contribution publique, et de la consentir librement. »

« Prétendrait-on repousser ces maximes fondamentales, en opposant l'intérêt des blancs et celui des colonies ? Serait-ce donc par les calculs d'un intérêt sordide, qu'on voudrait étouffer la voix de la nature ?

« N'y reconnaît-on pas le langage de l'ambition et de la cupidité, qui n'estiment la prospérité de l'Etat qu'à raison de leurs jouissances personnelles ?

« Mais ce n'est pas encore ici le lieu de se livrer à des discussions sérieuses sur le fond des droits des citoyens de couleur.

« Lorsque vous aurez admis leurs réclamations préliminaires, lorsqu'ils seront descendus dans l'arène pour combattre leurs adversaires, ils démontreront facilement que l'intérêt légitime des blancs eux-mêmes se réunit à celui des colonies, pour assurer l'état et la liberté des citoyens de couleur, parce que le bonheur d'un Etat consiste dans la paix et l'harmonie des membres qui le composent, et qu'il ne peut y avoir de véritable paix et de bonne union entre la force qui opprime et la faiblesse qui cède, entre le maître qui commande et l'esclave qui obéit.

« Encore une fois, Nosseigneurs, les citoyens de couleur se bornent, dans ce moment, à réclamer un droit de représentation ; ils le tiennent également de la nature et de la loi ; ils espèrent, avec une entière confiance, recevoir, dans votre décision, la confirmation de titres aussi inviolables.

Signé : De Joly, président ; Fleury de Saint-Albert, Régnier, Dusouchet, de Saint-Rëal, Ogé jeune, Hellot, Raimond, Porzat, secrétaires. »

M. le Président a répondu : Aucune partie de la nation ne réclamera vainement ses droits auprès de l'Assemblée de ses représentants : ceux que l'intervalle des mers, ou les préjugés relatifs à la différence d'origine semblent placer plus loin de ses regards, en seront rapprochés par ces sentiments d'humanité qui caractérisent toutes ses délibérations, et qui animent tous ses efforts.

Laissez sur le bureau vos pièces et votre requête : il en sera rendu compte à l'Assemblée nationale.

La séance est accordée à la députation des gens de couleur.


Il faudra attendre la République et le 4 février 1794 pour que l’esclavage soit aboli dans toutes les colonies. La qualité de citoyen français sera alors attribuée à tous les hommes, domiciliés dans les colonies, sans distinction de couleur. Ils jouiront tous des droits assurés par la Constitution et implicitement, la traite sera abolie.

Libres aussi, mais en 1794.