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lundi 26 octobre 2020

26 Octobre 1789 : Le Dauphiné provoque l'inquiétude de l’Assemblée, et Mounier écrit pour expliquer sa fuite...


Mounier en fuite vers son Dauphiné

    Le 10 octobre dernier, je vous avais fait part de l’arrivée à Grenoble de Mounier, l’ancien président de l’Assemblée, qui faisait suite à son départ précipité de Paris.

    Officiellement, cet apparent abandon de sa fonction, résultait de son prétendu renoncement à la vie politique. Mais une gravure le représentant poursuivi par une lanterne, nous avait suggéré que c’était probablement plus compliqué que ça.

    Mounier redoutait l’hostilité croissante que certains milieux développaient à son égard. De nombreuses gazettes publiaient des articles virulents contre lui. C’était Mounier, par exemple, qui le 31 août avait proposé « d’annoncer un prix de cinq cent mille Livres & leurs grâces aux coupables qui voudraient lui révéler le complot & les premiers auteurs », suite à une rumeur concernant « quinze mille hommes prêtes à marcher pour « éclairer » les châteaux, & pour faire subir aux députés qui trahiraient la patrie le sort des Foulons & des Berthier », rapportée dans une lettre signée du Marquis de Saint-Huruge (1) & quelques autres noms ! Curieusement, cette somme faramineuse n’avait tenté aucun de ces 15.000 séditieux ! (2). Les journées tumultueuses des 5 et 6 octobre, suivies du retour du roi manu militari à Paris, avaient achevé de convaincre cet homme si sensible aux rumeurs qu’un grand danger le guettait.

(1) A en croire le document que vous pourrez consulter par le lien ci-dessous, le Marquis de Saint-Huruge était à la solde du Duc D’Orléans. Dans son histoire des Girondins (t. XVI, p. 367) Lamartine dit que « c’était une sédition à lui tout seul). En tout cas, probablement suite à cette lettre lue devant l’Assemblée le 31 août, il fut arrêté le 2 septembre, enfermé au Chatelet, et seulement relâché le 5 novembre, après avoir été défendu par Camille Desmoulins et le district des Cordeliers.

Source : https://www.persee.fr/doc/rhmc_0996-2743_1908_num_11_1_4891_t1_0063_0000_1

(2) Version du N°245 du Journal de Paris, pages 1103 et 1104 :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1104&f=false

A noter que le PV de l’Assemblée nationale ne donne pas exactement le même version, mais nous ne nous étonnerons plus de cela depuis que nous avons déjà remarqué ces anomalies dans notre article du 23 octobre sur l'Affaire Robespierre.

Source PV Assemblée :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_2
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_5


Origine de l'estampe 

    La gravure représentant Mounier s'enfuyant à cheval en costume de jockey a été publié par Camille Desmoulins dans le numéro 2 de son journal des "Révolutions de France et de Brabant". Dans les numéros suivants, Desmoulins surnomera souvent Mounier, le jockey.



Le cas Mounier.

Jean-Joseph Mounier

    Dans les faits, Mounier n’avait pas totalement tort, parce que la révolution prenait effectivement une nouvelle tournure en ce mois d’octobre. Ceux qui comme lui, avaient cru à un mariage d’intérêt, sinon d’amour, entre le roi et l’Assemblée nationale, voyaient leurs espoirs déçus. Le roi, quoi qu’on en dise, n’était pas vraiment revenu de son plein gré à Paris, ce qui pour Mounier, relevait probablement du crime de lèse-majesté. Mounier, tout comme d’autres, était persuadé que le mouvement des femmes venues de Paris réclamer de roi, avait été sinon organisé, du mois encouragé, par des factieux. Difficile de se faire une opinion à ce sujet tant justement il y a d’opinions diverses.

    Fort curieusement, à peine Mounier est-il de retour dans son Dauphiné natal, que des troubles commencent de s’y produire dès le 14 octobre. Au point que le 26 octobre, l’Assemblée nationale reçoit une adresse des officiers municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, au sujet d'une convocation extraordinaire ordonnée par la commission intermédiaire de cette province ; la municipalité de Saint Marcellin demandant à l’Assemblée qu’elle conduite elle doit tenir "ne désirant que le vœu et les ordres de ladite Assemblée nationale".

    L’annonce de cette convocation extraordinaire des trois ordres du Dauphiné : la noblesse, le clergé et le tiers-état, est un véritable défi lancé à l’Assemblée nationale !

    Comme le fait remarquer Alexandre de Lameth : « Les Etats du Dauphiné sont convoqués par ordre ; première irrégularité. Ils le sont sans le consentement du Roi, tandis que le règlement même de ces Etats exige ce consentement ; seconde irrégularité. »

    De plus, précise M. Le Chapelier : « il ne doit point y avoir d'assemblées provinciales quand l'Assemblée nationale est formée et que chaque province y a des représentants. La proposition contraire tendrait évidemment à détruire ou à bouleverser le royaume. »

    Cette convocation prétend n’avoir d'autre objet que les impôts et la nomination des suppléants. Mais M. La Poule informe ses collègues qu’une lettre venant de Vienne lui a appris que les trois ordres du Dauphiné allaient être rassemblés, pour s’occuper « de la translation de l’Assemblée » (c’est-à-dire son déménagement controversé de Versailles à Paris), et qu'on lui annonce « l'improbation » de quelques décrets. Raison pour laquelle il engage l’Assemblée nationale à user de toute sa puissance et de tout son courage « pour réprimer des entreprises aussi dangereuses. »

Le danger d'une contre-révolution

    Il y a danger, en effet, car, précise M. Lanjuinais, la province du Dauphiné n'est pas la seule qui s'assemble ; la noblesse de Bretagne se réunit à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. « Dans cette dernière ville » dit-il, « quatre-vingt-dix nobles et quatre-vingts parlementaires ont été convoqués le 10 octobre ; ils ont engagé les autres ordres à se rassembler pour rendre à la religion son utile influence, à la justice sa force active, au Roi son autorité légitime, osons le dire, sa liberté, et pour s'opposer à l'abolition des droits et franchises de la province et des villes. »

    Messieurs Duport et de Mirabeau font remarquer que ces expressions sont tirées de la déclaration imprimée de la noblesse du Languedoc, et que tous les faits réunis rendent très-instant (urgent) un décret. Souvenez-vous, nous avons parlé le 16 octobre dernier de la sénéchaussée de Toulouse qui après s’être réunie en assemblée, avait publié un arrêté dans lequel elle protestait contre les décrets de l’Assemblée. 

    Si les autres provinces commencent à suivre cet exemple, l’Assemblée nationale a effectivement du souci à se faire. Quelque chose me dit également que le mandement de l’évêque de Tréguier, véritable manifeste contre-révolutionnaire, a dû marquer certains esprits.

L'Assemblée nationale s'inquiète !

La situation est grave et M. Le Chapelier la résume ainsi :

« Tolérer que les provinces s'assemblent ; c'est les autoriser à faire des réunions dont le résultat ne peut être que dangereux avant la Constitution achevée. Quel intérêt pressant peuvent avoir les provinces ? Les impôts peuvent être réparti » par des commissions intermédiaires. C'est aux municipalités à recevoir les déclarations et le produit des contributions patriotiques, et non pas aux provinces à y délibérer. Ce ne sont donc que les mauvais citoyens qui voudraient mettre le trouble dans le royaume qui sont intéressés à protéger ces convocations irrégulières. »

Le Chapelier en tire la conclusion suivante :

« Ainsi, puisque la proposition a été faite, il faut la décider d'après le principe et interdire à toutes les provinces le droit de s'assembler jusqu'à ce que le mode de représentation et de convocation soit établi. »

Sources :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5238_t1_0552_0000_29
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0554_0000_6


Le décret :

A l’issue de cette discussion, l’Assemblée nationale, inquiète, finit par voter ce décret :

"L'Assemblée nationale décrète qu'il soit sursis à toute convocation de provinces et d'États, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait déterminé, avec l'acceptation du Roi, le mode de convocation dont elle s'occupe présentement ; décrète en outre que M. le président se retirera par-devers le Roi, à l'effet de demander à Sa Majesté si c'est avec son consentement qu'aucune commission intermédiaire a convoqué les Etats de sa province ; et dans le cas où ils auraient été convoqués sans la permission du Roi, Sa Majesté sera suppliée de prendre les mesures les plus promptes pour en prévenir e rassemblement (...)"

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0555_0000_2


Le Dauphiné calomnié ?

    J’allais oublier de vous dire que lors de cet échange, un certain M. de Blacons s’est insurgé contre le fait que l’on calomniait la province du Dauphiné. Henri-François de Forest de Blacons, originaire de Grenoble (province du Dauphiné) avait été l’un des premiers nobles à siéger avec le tiers état, dès le 22 juin. Mais très vite il s’était rallié aux royalistes. De Blacons s’indigne donc que l’on calomnie sa province « en lui supposant des projets qui puissent inspirer quelques craintes » alors que celle-ci a « assez prouvé son patriotisme, pour être à l'abri de tout soupçon ». D’ailleurs, ajoute-t-il, « un des membres de cette Assemblée, qui a reçu longtemps des marques flatteuses de votre estime (M. Mounier), est maintenant dans la capitale de cette province ; il rendra incessamment compte des motifs de son départ, et ne tardera pas à revenir parmi vous ».


Revenons à Jean-Joseph Mounier.

Mounier ! Justement, parlons-en, puisque le procès-verbal de cette séance du 26 octobre, se termine par le gros rapport qu’il a adressé à l’Assemblée. Le document s’intitule : « Exposé de la conduite de M. Mounier dans l'Assemblée nationale , et motifs de son retour en Dauphiné ».

Source rapport :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3


N°302 du Journal de Paris

    Curieusement, le numéro du journal de Paris traitant de la séance de l’assemblée au cours de laquelle fut traitée cette affaire relative au Dauphiné, ne parle pas de ce rapport. Je ne suis pas loin de penser que la presse n’en a pas eu connaissance, ce que l’on peut comprendre lorsqu’on entreprend de le lire. D’ailleurs, le procès-verbal de l’Assemblée indique que ledit rapport n’a pas été inséré au Moniteur.

Le Journal de Paris rapporte seulement dans son N°302 du 29octobre dans une rubrique intitulée Variétés, un « Extrait des Affiches du Dauphiné du 22 octobre » mentionnant l’intention de M. Mounier « de donner à sa Patrie des éclaircissements sur les motifs de son retour ».

Lien vers l’article (page 1393) :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1393&f=false

 

Les « explications » de Mounier

Je ne vais pas vous rendre compte de la totalité de cet épais rapport. En voici juste le début :

« Des factieux ont cru devoir, pour le succès de leurs projets, répandre contre moi, dans le peuple, les plus noires calomnies. Les témoignages d'estime et de confiance dont j'ai été honoré par ma province, m'imposent la loi de me justifier publiquement. Je dois faire connaître à mes commettants l'état actuel des grands intérêts dont ils m'ont confié la défense, et les motifs qui ont nécessité mon retour en Dauphiné. »

Le ton est donné…

Plus loin, il explique pourquoi il a écrit ce très long rapport :

« Je n'écris point pour exciter la division des provinces ; et ce n'est pas de celui qui, le premier peut-être en France, a soutenu l'utilité de leur réunion et le danger de leurs privilèges particuliers, qu'on doit craindre une pareille tentative, Il faudrait avoir perdu tout espoir de sauver la monarchie, pour s'exposer à tous les inconvénients qui, dans la situation actuelle de l'Europe, résultent des petits Etats. » Voilà un semblant réponse pour les troubles en Dauphiné.

« Je n'écris point pour contribuer au retour des anciens abus ; je suis incapable de concevoir un projet aussi criminel ; et ce n'est pas celui qui, dans le temps même de la servitude, a donné tant de preuves de son amour pour la liberté, qu'on pourrait soupçonner de vouloir se rendre l'apôtre du despotisme, lorsque la liberté est devenue l'objet du plus ardent désir de tous les citoyens. »

« Je n'écris pas non plus pour censurer les résolutions de l'Assemblée nationale ; je rends hommage aux dispositions bienfaisantes qu'on doit à ses travaux, telles que l'uniformité des peines, l'égalité de tous les hommes devant la loi, l'admission de tous les citoyens à tous les emplois sans distinction de naissance, la responsabilité des ministres, la faculté de racheter les redevances féodales, plusieurs droits importants de la nation consacrés, plusieurs maximes protectrices de la liberté promulguées, et surtout l'abolition de la division des ordres. »

« J'écris, comme je crois l'avoir toujours fait, pour la vérité et pour la liberté. »


La vérité ? Vraiment ?    

    Quelle vérité ? La sienne (C'est humain). Car dans le domaine des idées, il n’y a pas de vérité mais que des opinions (dirait le sophiste Protagoras).

    Quelle liberté ? Plus nous avanceront dans cette chronique de la Révolution, plus nous nous poserons la question de savoir de quelle liberté il est question. Liberté de commercer ? Liberté de penser ? Il est clair que dans ces premiers mois de révolution, la liberté visée ne concerne pas tout le monde.

    Je vous conseille vivement de lire le rapport de Mounier, surtout d’un point de vue historiographique, car il nous fait un récit très détaillé de tous ces premiers mois de la Révolution. Il est très certainement sincère (Mais sincérité n’est pas vérité). Ce qu’il nous raconte, c’est sa vérité, son interprétation de ce qu’il a vécu. Il a vraiment cru à cette histoire des 15.000 hommes qui allaient sortir du Palais Royal pour faire un sort à certains députés de l’Assemblée. Par contre, vous constaterez qu’il ne croit pas aux complots des monarchistes. Il ne croit pas à ce plan d’évasion de la famille royale à Metz. Les seuls complots auxquels il donne crédit, ce sont ceux de ses adversaires politiques.

    Je plains les historiens qui doivent comparer d’énormes quantités de sources différentes pour approcher un semblant de « vérité » qu’un seul nouveau document suffira à faire exploser !


Voici le lien du rapport de Mounier : 

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3

Et ici sa version PDF : 



Démission de Mounier

Mounier finira par envoyer le 15 Novembre sa lettre de démission de l'Assemblée nationale constituante. Il précisera dans celle-ci son intention d’envoyer un suppléant pour le remplacer. Celle-ci sera lue lors de la séance du 21 Novembre 1789 et elle sera acceptée.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_4134_t1_0159_0000_6



dimanche 25 octobre 2020

25 Octobre 1789 : Les volontaires brestois débarquent en force à Lannion récupérer leur blé.

Départ de Volontaires
(Image extraite de l'album "La Cantinière")

Lannion

    Vous vous souvenez de l’attaque du convoi de blé à Lannion le 18 octobre dernier ? Aujourd’hui 25 octobre, plus de 2000 volontaires brestois sont arrivés à Lannion en force, pour récupérer le chargement de blé qui leur était destiné.

Le juge Cadiou, inculpé de complicité (voir article du 18 octobre), sera arrêté, ainsi qu'une vingtaine d'artisans, par la prévôté de Saint-Brieuc, où fers aux pieds ils seront conduits par étapes. Le 29 les troupes de Brestois quitteront Lannion, mais elles y laisseront une garnison de cent cinquante hommes, dont la solde sera à la charge des Lannionais (qui ne la paieront pas). Les émeutiers incarcérés seront relâchés en avril 1790.

Brest

    Brest était déjà un important port commercial et militaire au 18ème siècle, et elle était aussi la ville la plus grande de l’Ouest de la Bretagne. Elle fut acquise très tôt aux idées de la Révolution, probablement parce que le Tiers Etat y était particulièrement riche et puissant du fait de son commerce. Lors de la journée du 10 août 1792, ce seront même les fédérés brestois qui, avec les fédérés marseillais, prendront les Tuileries. Mais nous reparlerons de tout cela quand le temps sera venu. 😉

Je vous propose pour illustrer ce bref article (une fois n’est pas coutume), ce magnifique tableau représentant le port de Brest en 1795.

    On y remarque deux beaux drapeaux tricolores, des pavillons de beaupré, arborés quand le navire est à quai ou au mouillage ou lors d'une cérémonie officielle. C’est en effet sur les navires de guerre que la disposition verticale des bandes tricolores sera officialisée le 24 octobre 1790. L’ordre des couleurs sera d’abord Rouge, Blanc, Bleu et l’on verra même des drapeaux dont les bandes seront horizontales. La disposition définitive est due au peintre Jacques-Louis David, et c’est la Convention qui, en février 1794, l’adoptera.


Vue du port de Brest en 1795
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Brest


La Bretagne au XVIIIe siècle

Si vous souhaitez en apprendre plus sur la Bretagne au 18ème siècle, je vous propose la lecture de cet article « Chapitre IX. La Bretagne, "province réputée étrangère" », accessible en cliquant sur l’image ci-dessous :




samedi 24 octobre 2020

24 Octobre 1789 : Le Roi « autorise » le Tribunal du Châtelet à juger les crimes de lèse-nation.

Le grand Châtelet

    Ce 24 Octobre, le roi Louis XVI autorise provisoirement le Châtelet à juger les accusés de crimes de "lèse-nation", qui annulent et remplacent les crimes de "lèse-majesté". Par la même, le roi donne sa sanction au décret de la loi martiale, promulguée le 22 octobre, qui sera adressée à tous les tribunaux ainsi qu'à toutes les municipalités.
    Ce faisant, le roi fait un sacré cadeau à la Commune de Paris dirigée par Bailly. Nous allons voir pourquoi.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5231_t1_0517_0000_6

Pour mémoire : Chaque fois que nous apprenons une décisions ou un acte de Louis XVI, gardons à l’esprit la lettre qu’il a adressée le 12 octobre à son cousin le roi d’Espagne, dans laquelle il lui confie sa « protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale, qui lui ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année ».

La forteresse du Châtelet

    Le Chatelet, ou plutôt le Grand Châtelet, était une forteresse édifiée sous Louis VI, située sur la rive droite de la Seine, au débouché de la rue Saint-Denis, en lieu et place de l’actuelle place du Chatelet. Elle abritait le tribunal, la police, des cachots et la première morgue de la capitale. Elle était d’aspect sinistre et de plus, du fait qu’elle servait de morgue et qu’elle était entourée de boucheries et autres triperies, c’était également l’un des endroits les plus puants de la capitale.

Le tribunal de Paris

    Le tribunal du Châtelet relevait de la juridiction royale et il était le siège de la prévôté de la capitale. Il était compétent au premier degré pour tous les cas civils et criminels relevant de son ressort, à l'exception des cas royaux (lèse-majesté, hérésie...).

En accorder ce droit au tribunal du Chatelet, Louis XVI abandonnait donc un grand pouvoir à la Commune de Paris, dirigée par Bailly, et ce dernier ne se retiendra pas d’en faire usage.

On y retrouvera Babeuf en Juin 1790, lorsqu’il sera incarcéré avec quelques 500 autres pauvres bougres, accusé avec eux d’avoir incendié les barrières d’octroi du mur des Fermiers Généraux lors de la fameuse nuit du 13 au 14 juillet 1789. Rappelons que cette insurrection fut pour le moins bénéfique pour les hommes à présent au pouvoir en 1789. A l’époque on avait accusé les émeutiers d’être des fraudeurs, mais certains historiens rappellent que la prise du mur des Fermiers Généraux fut la première action opérée par la milice bourgeoise dès sa première garde de 21h00. (Disons qu’une fois que l’on est au pouvoir, on est toujours libre de réécrire un peu l’histoire).

Après avoir jugé les premiers accusés de crime de lèse-nation (voir plus bas), la cour de justice du Châtelet fut supprimée par la loi votée le 25 août 1790. Ses fonctions cessèrent le 24 janvier 1791, mais la prison subsista.

Plus d'infos sur le site du ministère de la justice en cliquant sur l'image ci-dessous :

Grand sceau du Châtelet
Les geôles de la prison

Les détenus incarcérés au Chatelet avaient la réputation d’être de grands criminels. Damien, qui avait tenté d’assassiner Louis XV, y avait été jugé et condamné. Les prisonniers devaient payer leur emprisonnement et certaines geôles particulièrement horribles. La pire d’entre-elles était la fosse, également appelée Chausse d'hypocras, dans laquelle les prisonniers étaient descendus à l'aide d'une poulie. Les malheureux avaient en permanence les pieds dans l'eau (la Seine était proche) et ne pouvaient se tenir ni debout, ni couché. On y mourait habituellement après quinze jours de détention. Une autre appelée Fin d'aise était remplie d'ordures et de reptiles. Lors des massacres des prisons, le 2 septembre 1792, sur les deux cent soixante-neuf détenus incarcérés au Châtelet, deux cent seize prisonniers furent massacrés.

Le crime de lèse-nation

L’expression « crime de lèse-nation » annulait et remplaçait le « crime de lèse-majesté » qui s’appliquait au roi souverain. Cette nouvelle désignation était apparue le 23 juillet 1789, consacrant ainsi le transfert de souveraineté qui avait eu lieu entre le roi et la nation.

Vous trouverez une intéressante étude sur le crime de lèse-nation dans cet article « Qu'est-ce que la lèse-nation ? A propos du problème de l'infraction politique sous la constituante (1789-1791) ».

Voici son URL : https://www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1990_num_14_4_1200


Un seul condamné à mort pour crime contre lèse-nation, le Marquis de Favras.

    Le 30 novembre 1789, on décrétera de crime de lèse-nation : Charles-Eugène de Lorraine, Pierre Joseph Victor de Besenval, Charles Marie Auguste Joseph de Beaumont, comte d'Autichamp, Victor-François de Broglie, Charles Louis François de Paule de Barentin garde des Sceaux, Louis Pierre de Chastenet de Puységur ministre de la Guerre, pour leurs agissements répressifs à l’égard des Parisiens révoltés en juillet 1789.

Marquis de Favras

    Mais ce crime de lèse-nation ne condamnera à la peine capitale qu’un seul homme, le marquis de Favras pendu le 19 février 1790 en place de Grève à Paris. Le Marquis de Favras aurait pu être sauvé s’il avait parlé, attendu que les complots dont on l’accusait avait été ourdis sous l’autorité du frère du roi, le comte de Provence et même de la reine. Mais son confesseur, l’abbé le Duc (fils naturel de Louis XV), lui aurait « conseillé » de se soumettre au sort qui lui est réservé au nom de la famille royale et de sa famille…


Le Grand Chatelet


24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales


    Nous avons vu combien l’insuffisance des subsistances constitue le problème majeur du royaume de France en cette fin du 18ème siècle. Les révoltes frumentaires, dues au manque de blé, éclatent régulièrement depuis le début du siècle. La révolution de Juillet 1789 est probablement la révolte frumentaire de trop (même si elle ne fut pas la dernière).

Vous trouverez dans les livres et sur Internet de nombreuses explications, toutes aussi plausibles et intéressantes les unes que les autres.

On évoque la plupart du temps les trois causes suivantes :

1/ les volcans de la chaîne du Laki en Islande qui envoyèrent dans l’atmosphère entre 1783 et 1785, trois fois plus de particules polluantes que les émissions actuelles de toute l’Europe. Ce qui causa un grand nombre de victimes de maladies respiratoires, une pollution des sols et qui eut surtout des conséquences catastrophiques sur le climat en provoquant son refroidissement, avec des hivers très rudes et des été courts et pluvieux.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour accéder à une vidéo très intéressante sur cette catastrophe.

Panache de l'éruption de 1783
  

2/ Le grand orage du 13 juillet 1788, qui dévasta toutes les récoltes du nord de la France (probablement un effet secondaire des désordres atmosphériques provoqués par les volcans).

Carte de l'orage du 13 juillet 1788

3/ Les tentatives de libéralisation du commerce des grains, à partir de 1763, inspirées de la nouvelle philosophie économicopolitique des physiocrates (premiers essais de libéralisation de l'économie française).

Physiocratie, constitution naturelle du gouvernement (1768)

    Cet exemplaire est estimé entre 15.000 et 20.000 €, mais vous pouvez le lire gratuitement par le lien ci-dessous :


Mais on oublie une autre cause...

    Toutes ces explications sont vraies. Mais on en oublie toujours une, c’est l’incroyable retard de l’agriculture dans le royaume de France. Les progrès de cette science vitale étaient en grande partie rendus impossibles par ce qu’il faut bien appeler le système féodal.

Je vous avais déjà parlé de l’étonnement de cet agronome anglais, Arthur Young, qui lors de ses voyages en France, s’étonnait de voir tant de terres, inexploitées, recouvertes d’épaisses forêts, de friches ou de marais. Le brave homme maudissait ces seigneurs qui dédaignaient de faire fructifier leurs terres, préférant d’épaisses forêts où ils venaient chasser de temps à autres, lorsqu’ils quittaient brièvement la cour de Versailles.

Rappel : Il faut vraiment lire Les voyages en France, d’Arthur Young !

Tome 1 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1192719?rk=21459;2

Tome 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119272p?rk=42918;4

Miniature du Tome 7 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Le mémoire !

    Vous retrouverez dans ce long mémoire adressé aux membres de l’Assemblée par l’Académie Royale d’Agriculture, de nombreux exemples de ces coupables archaïsmes. Comme celui de ce seigneur aux environs de Caen, près de Louvigny, qui, entre autres, « a le droit d'envoyer depuis le 20 avril, jusqu'à ce que les foins soient coupés et enlevés, douze vaches et un taureau sur une prairie fertile ; le conducteur, comme dans le Toulois, doit aussi marcher continuellement, et ne pas permettre que les animaux se reposent nulle part, de sorte que les propriétaires ne récoltent que ce que le troupeau féodal a épargné et foulé aux pieds. »

Il faut d’ailleurs noter que nombre des solutions de développement proposées sont inspirées de réformes ayant déjà eu lieu en Angleterre, comme par exemple le partage des communes.

On peut lire par exemple :

« Le parti puissant des protecteurs du régime féodal, pour qui tout était au mieux, n'aurait pas manqué de faire naître des obstacles insurmontables, que les cours étaient toujours disposées à accueillir ; mais enfin la raison, l'intérêt public, ne parlent plus en vain, et c'est avec confiance que la Société propose de mettre en culture de convertir en propriétés, des terrains incultes qui n'appartiennent à personne, parce qu'ils sont à tout le monde. L'intérêt général et l'intérêt particulier sollicitent impérieusement ce partage. La masse des propriétés et le nombre des propriétaires augmentant, celle des cultures de toutes sortes de productions marchera d'un pas égal. Le propriétaire seul est actif et laborieux ; un produit assuré est la récompense de ses travaux et de son industrie : animé par une jouissance exclusive à laquelle il ne croyait pouvoir jamais aspirer, il cultivera avec ardeur sa nouvelle propriété, il se livrera à des essais qui, en devenant pour lui des moyens d'aisance, enrichiront l'agriculture de productions nouvelles ou perfectionnées.

Citons donc des exemples à l'appui de ces vérités. L'Angleterre doit principalement l'état florissant de son agriculture au partage des communes ; comme en France, elles occupaient un espace immense, puisqu'on les évaluait à un tiers du sol ; la révolution qui rendit le peuple anglais libre, fut aussi celle qui le porta à demander le partage des communes. L'habitude, la routine, les derniers efforts de la féodalité, opposèrent, en beaucoup d'endroits, des obstacles ; mais l'exemple de ceux qui avaient partagé le sort heureux d'être devenus propriétaires, l'intérêt évident des seigneurs mêmes, ne tardèrent pas à éclairer la nation britannique, et chaque année le Parlement non-seulement autorisait le partage des communes, mais il permettait encore de clore ses propriétés. Le résultat d'une telle opération est facile à concevoir : le peuple anglais s'est livré tout entier à la culture ; ses champs sont couverts de bestiaux, le peuple y est aisé, et il jouit de son industrie, que le gouvernement protège sans cesse. »

Miniature du Tome 3 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Ses rédacteurs.

Le mémoire présenté ce 24 Octobre 1789 a été fait et arrêté dans une assemblée générale et extraordinaire de la Société Royale d’Agriculture, tenue au Louvre, le 26 septembre 1789.

Il est signé par le marquis de Bullion, directeur ; Parmentier, vice-directeur ; Béthune ; duc de Gharost ; de La Bergerie ; l'abbé Lefebvre, agent général, Broussonnet, secrétaire perpétuel.

Vous pouvez le lire dans sa totalité en y accédant par le lien ci-dessous :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6424_t1_0523_0000_3

Une version d’origine est accessible par une fenêtre sur la BNF en bas de cet article.

Miniature du tome 4 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)



Je vous donne à lire malgré tout le préambule ci-dessous :


Sur les abus qui s'opposent aux progrès de l'agriculture et sur les encouragements qu'il est nécessaire d'accorder à ce premier des arts.

Dans un temps où l'Assemblée nationale s'occupe d'assurer la liberté individuelle, civile et politique, ainsi que la propriété des citoyens ; où l'agriculture, délivrée des droits féodaux, des corvées royales et seigneuriales, laissera aux cultivateurs l'intégrité du temps qu'exigent les travaux des champs, la Société royale d'agriculture, devenue, par la protection d'un Roi citoyen à qui la nation vient de décerner le beau titre de restaurateur de la liberté française, le centre de toutes les connaissances et de tous les encouragements relatifs à l'économie rurale, doit porter à l'Assemblée nationale l'hommage respectueux des cultivateurs ; elle doit être l'organe de leurs vœux.

La législation rurale présente autant de vices que la législation civile et la législation criminelle : réformer ces deux dernières en négligeant la première, serait laisser imparfaite la restauration de la France ; et la régénération du royaume (la Société ose l'avancer, parce qu'elle doit le dire) a pour principale base la régénération de la culture,

La liberté, l'intérêt de la propriété, la facilité d'acquérir, les encouragements propres à accroître la reproduction territoriale, sources premières de la richesse nationale, tel a été le but des travaux de la Société et de ses correspondants de toutes les provinces. C'est sous ce point de vue qu'elle réclame avec confiance de l'Assemblée nationale, un décret contenant les principaux points du code rural et les plus instants à régler. La Société s'en rapporte, au surplus, à la sagesse des représentants de la nation, pour modifier, rectifier et perfectionner les projets qu'elle ne s'est permis de soumettre à l'Assemblée nationale, que par le désir de lui prouver son zèle pour la prospérité publique, que dans la vue de concourir à préparer ses déterminations, et à ménager ses instants précieux pour les objets importants qui lui restent encore à examiner. En conséquence, la Société royale d'agriculture propose, au nom des cultivateurs, de décréter les articles suivants :

Article 1er. Que tout propriétaire aura le droit de cultiver son terrain de la manière qui lui conviendra, et d'employer sa propriété à la culture des objets auxquels il donnera la préférence.

Art. 2. Que le droit de parcours sera aboli dans les cantons et provinces où il existe encore, et que chacun sera libre de clore sa propriété, de quelque étendue qu'elle soit, sans que personne puisse l'en empêcher.

Art. 3. Que personne ne pourra s'opposer au partage des communes, et que les assemblées provinciales seront chargées de le surveiller dans les lieux où il se réalisera, en ayant égard aux droits légitimes de chacun.

Art. 4. Que personne ne pourra s'opposer au dessèchement des marais ou terrains inondés, à la destruction des moulins ou étangs ; que la nature des travaux desdits moulins et étangs pourra seulement donner lieu à une indemnité, laquelle sera déterminée par les assemblées provinciales ou municipales.

Art. 5. Que les terres du domaine, et toutes celles qui seront décidées appartenir à la nation, pourront être vendues et aliénées, soit à prix d'argent, soit en rentes rachetables, après toute fois que la valeur en aura été constatée par les assemblées provinciales.

Art. 6. Que les baux ruraux pourront être, dans tout le royaume, portés à dix-huit ans et au-delà, sans donner lieu à aucun droit fiscal ou autre envers qui que ce soit, et que les baux des bénéfices ne pourront être pour un terme au-dessous de dix-huit ans ; qu'en outre, dans le cas de changement de titulaire, les nouveaux seront tenus de maintenir les baux de leurs prédécesseurs, et qu'en aucun cas lesdits bénéficiers ne pourront faire de baux généraux.

Art. 7. Que, vu l'importance de multiplier les propriétaires cultivateurs, de faciliter la division des propriétés, les droits de franc-fief et d'échange perçus par le fisc, seront entièrement supprimés, et les autres droits d'échange seigneuriaux stipulés rachetables.

Art. 8. Que pour faciliter le commerce des terres et assurer les propriétés, il ne sera fait à l'avenir aucune substitution, ni exercé aucune espèce de retrait.

Art. 9. Que la forme actuelle des saisies réelles, dont l'effet est d'attaquer, de détériorer les propriétés et de les rendre souvent stériles pendant leur durée, sera supprimée et remplacée par toute autre qui n'aura pas le même danger.

Art. 10. Que l'administration et l'inspection des bois et forêts du domaine, du clergé, des communautés et des hôpitaux, seront confiées aux assemblées provinciales et municipales.

Art. 11. Que les entraves apportées jusqu'à présent par la législation, à la formation et à l'extension des prairies artificielles, seront détruites, et les plus grands encouragements donnés à cette branche de culture.

Art. 12. Que vu l'importance d'encourager la multiplication des abeilles, la production des cires indigènes, et de remédier aux importations de cires étrangères, les ruches seront déclarées insaisissables pour cause d'imposition.

Art. 13. Que vu l'importance du produit des vignes, les différents droits d'aides, en ce qu'ils tendent à violer les domiciles, à entraver le commerce des vins, seront entièrement supprimés.

Art. 14. Que la défense de cultiver le tabac et quelques plantes, à huile, étant contraire au principe de la liberté, la culture de ces plantes sera permise dans toutes les provinces du royaume, sauf à faire supporter une imposition particulière aux terres qui y seront employées.

Art. 15. Que le régime de la gabelle sera entièrement supprimé.

Art. 16. Que les assemblées générales s'occuperont des moyens de ramener les divers poids et mesures de toutes les provinces à l'uniformité désirée depuis si longtemps.

Art. 17. Que pour rendre plus facile le transport des denrées et le commerce intérieur du royaume, les assemblées provinciales destineront chaque année une somme pour l'entretien et la confection des chemins vicinaux.

Art. 18. Que le régime actuel des milices, enlevant des bras nécessaires à la culture et troublant les travaux des cultivateurs, sera changé.

Art. 19. Que la célébration de toutes les fêtes sera renvoyée au dimanche.

Art. 20. Que les dépôts de mendicité seront supprimés et remplacés par des ateliers publics, sous l'inspection des assemblées provinciales et municipales.

L'Assemblée nationale est suppliée de prendre, le plus tôt possible en considération les demandes qui lui sont faites par la Société royale d'agriculture ; en promulguant les décrets qu'elle jugera favorables à l’agriculture avant l'hiver prochain, elle mettrait les cultivateurs à même de se livrer l'année prochaine à des travaux qui concourraient à augmenter considérablement les produits territoriaux.

ENCOURAGEMENTS.

Article 1er. De l'utilité d'honorer les laboureurs et les cultivateurs.

Art. 2. D'une caisse de prêt.

Art. 3. De l'utilité d'une Société d'agriculture pratique, et qui s'occuperait principalement :

1° De l'art vétérinaire ;

2° De la panification ;

3° De la manipulation des chanvres et des lins ;

4° De l'art des accouchements ;

5° Du chaulage des grains ;

6° De l'emploi de plantes perdues pour le commerce ;

7° Des plantes potagères ;

8° Du parcage des bêtes à laine, etc., etc., etc.



24 Octobre 1789, La conservation "provisoire" de la Gabelle, passe mal en Anjou ! Un mot sur l’affermage…

La gabelle

Entrepôt de sel
dans une grotte,
à Dieppedalle

    La suppression de la gabelle était l’une des réclamations les plus fréquentes figurant dans les cahiers de doléances rédigés pour les Etats Généraux. Cette taxe sur le sel était en effet l’une des plus détestée parmi celles qui accablaient le peuple sous l’ancien régime ; Détestée parce qu’injuste et fixé arbitrairement, c’est-à-dire sans aucune corrélation avec le prix du sel, sans rapport avec sa consommation et différent selon les régions.

    De plus, le sel était une denrée de première nécessité car il était presque le seul moyen de conserver les aliments et il constituait également un élément nutritif indispensable pour le bétail.


L'impôt sur le sel et les limites territoriales de la gabelle

    L'impôt sur le sel est très inégalement levé suivant les régions. Une ordonnance royale de mai 1680 distingue six ensembles (ou « pays ») différents.

    Les pays de « grande gabelle » : grand bassin parisien, Orléanais, Berry, Touraine, Picardie, Champagne, Bourgogne, généralités de Caen et de Rouen, alimentés en sel par l'Atlantique, les prix y sont élevés et ils supportent l'essentiel de l'impôt.

    Les pays de « petite gabelle » : du Languedoc au Lyonnais, Bresse, Dauphiné, Provence, alimentés par le sel de Méditerranée abondant et bon marché, la consommation y est libre mais relativement coûteuse.

    Les pays « rédimés », ayant acheté une exemption de taxe à perpétuité par un versement forfaitaire sous Henri II : Poitou, Limousin, Périgord, Quercy, Bordelais, Guyenne, Basse Auvergne ; le sel est très bon marché et la consommation importante.

    Les pays de « salines » : Lorraine, Alsace, Franche Comté consomment du sel bon marché provenant de sources salées ou de gisements de sel gemme.

    Les pays de « quart-bouillon » : Basse Normandie, on y fait bouillir le sable salé en payant une taxe (quart du prix).

    Les pays « exempts » : Bretagne, Flandre, Hainaut, Béarn, Navarre, Corse, île de Ré, île d'Oléron ; le commerce du sel y est libre et exempté de taxes.

    Vous pouvez lire un article fort bien documenté à propos de la gabelle, sur le site de Futura Science, en cliquant sur la carte ci-dessous :

Carte simplifiée des gabelles en France au XVIIIe siècle. Auteur Boldair.


Le principe de l'affermage.

    Ce système de délégation d’un service public existe toujours de nos jours. La société privée qui remporte un contrat d’affermage à la suite d'un appel d’offres pour l’obtention d’un marché public, s'engage à gérer un service public, à ses risques et périls (il y a peu de risques, croyez-moi), contre une rémunération versée par les usagers. Le fermier, reverse alors à la personne publique une redevance destinée à contribuer à l’amortissement des investissements qu’elle a réalisés. Le financement des ouvrages est à la charge de la personne publique mais le fermier peut parfois participer à leur modernisation ou leur extension.

    Il existe une variante à ce type de marché d'exploitation. C'est la concession. La concession est un contrat par lequel la collectivité publique confie à une société (personne morale tierce, de droit privé ou de droit public), la réalisation de travaux ou l’achat des moyens liés à l’établissement du service public et l’exploitation de ce même service. Cette personne morale finance, réalise et exploite le service public à ses risques et périls (comme sous l’ancien régime) - elle agit pour son propre compte, sous le contrôle de la collectivité (mais bien sûr…).

    Des groupes privés comme Suez, Engie, Véolia, Eiffage et autres, ont bâti leurs fortunes en exploitant de cette façon de nombreux services publics, comme des réseaux de distribution de l’eau, ou en construisant des autoroutes ou des stades. Il faut tout de même savoir, que les coûts finaux de ces services publics délégués, sont plus onéreux que lorsqu’ils sont portés par une collectivité. D’une part parce qu’ils doivent rémunérer leurs actionnaires et d’autre part parce qu’ils empruntent aux taux des marchés pour financer les installations ; Alors qu’une collectivité ne rémunère pas d’actionnaires et qu’elle peut emprunter à des taux bien plus bas. Le seul avantage, c’est que la dette publique (plus importante) est étalée sur une plus longue période...

    La perception de la gabelle était donc affermée, c’est-à-dire qu’elle était confiée à des intermédiaires financiers qui avançaient chaque année le revenu global de la gabelle au roi, et qui se remboursaient ensuite sur la vente du sel à la population.

    Ce principe d’affermage était le même que celui des barrières d’octroi, ces péages enserrant les villes, tenus par les fermiers généraux qui percevaient des taxes sur tous les produits entrants. Vous pouvez lire à la fin de l’article un paragraphe expliquant le principe de l’affermage, une forme de délégation de service public qui existe toujours.

    Souvenons-nous que dans la nuit du 13 au 14 juillet, les Parisiens avaient incendié 40 barrières de l’octroi sur 54, du mur des fermiers généraux qui entourait Paris.

Rétablissement des barrières d'octroi...

    Au passage je vous informe que ce 24 octobre, le Comité militaire de la Commune de Paris décide la création d’un corps de chasseurs des barrières destiné à réprimer l’entrée en fraude de marchandises dans la capitale, parce que, oui, bien sûr, les barrières de perception des taxes ont été rétablies…

L’Assemblée nationale et l'assemblée provinciale d'Anjou

    L’Assemblée nationale avait adopté le 21 septembre 1789 un décret sur la suppression de la gabelle. Mais ledit décret disait bien dans son article 2 que la gabelle ne serait supprimée que lorsque son remplacement en aurait été concerté et assuré avec les assemblées provinciales.

L’article 3 prévoyait que provisoirement et à compter du 1er octobre prochain, le sel ne serait plus payé que trente livres par quintal, poids de marc, ou six sous la livre de seize onces, dans les greniers de grande et petite gabelle, et que les provinces qui payaient le sel un moindre prix, n'éprouveraient aucune augmentation.

Mais cette situation "provisoire" était loin de satisfaire la population, plus particulièrement celle de l’Anjou. Raison pour laquelle des députés de cette province viennent lire ce 24 octobre une adresse fort inquiétante à ce sujet devant l’Assemblée.

Entrepôt de sel dans une grotte

Voici un extrait de l’adresse lue devant l’Assemblée par les députés de la province d’Anjou, au sujet des gabelles :

Les députés extraordinaires de la province d'Anjou, qui avaient été annoncés la veille, ont été introduits, et l'un d'eux portant la parole, a dit :

Nosseigneurs, la province d'Anjou, persuadée que la volonté générale, exprimée par les représentants de la nation, doit être pour elle la voix du ciel même, a juré d'obéir respectueusement à vos décrets, d'en maintenir l'exécution par tous les moyens qui sont en sa puissance, et nous sommes chargés de déposer ses serments solennels dans le sein de votre auguste Assemblée.

Mais, Nosseigneurs, si l'Anjou a reçu avec la plus vive reconnaissance tous les décrets émanés de votre sagesse pour le bonheur des peuples et la prospérité de l'empire, il est impossible de dissimuler que votre arrêté du 23 septembre dernier, qui rétablit provisoirement la gabelle, a produit un effet contraire à vos intentions et à l'esprit qui l'a dicté.

Tous les citoyens éclairés ont senti qu'en décrétant le rétablissement provisoire de la gabelle, vous avez été déterminés par des circonstances impérieuses, et par la difficulté de remplacer, quant à présent, d'une manière efficace et générale, un impôt nécessaire pour alimenter le Trésor public, et assurer la dette nationale.

Mais le peuple, incapable d'atteindre à la hauteur de vos idées, et d'en mesurer l'ensemble et l'étendue, n'a vu, dans votre décret, que la conservation d'un régime oppressif, et qui lui est insupportable.

En vain lui a-t-on dit que vous veniez au secours des contribuables en adoucissant le régime des gabelles ; que vous en promettiez une délivrance prochaine ; que le prix du sel était diminué de moitié ; que vous aviez sévèrement défendu ces visites inquisitoriales et tyranniques qui alarmaient les campagnes, et jetaient la terreur parmi leurs habitants ; que vous aviez aboli les peines atroces qui, en assimilant le contrebandier à l'assassin, le déterminaient à le devenir ;

En vain lui a-t-on dit que vous aviez supprimé ces tribunaux de sang où des agents du fisc, stipendiés par la ferme, et érigés par elle en juges suprêmes de la vie des hommes, dévouaient à la mort ceux qui, avec violence, ou port d'armes, tentaient d'introduire une denrée nécessaire.

Un cri terrible et universel de proscription s'est élevé contre la gabelle. Soixante mille habitants qui composent la garde nationale de l'Anjou se sont armés.

Les barrières ont été renversées, les pataches détruites, les bacs brûlés.

Il a été fait défenses aux directeurs et aux receveurs de faire aucunes fonctions. Les armes et les chevaux des employés ont été vendus à l'encan. Le prix leur en a été distribué, et il leur a été enjoint de sortir dans le délai de trois jours des villes, bourgs et villages de l'Anjou.

Toute perception d'impôt a été ensuite interrompue. Les collecteurs de la taille, les préposés au recouvrement des vingtièmes, ont cessé de recevoir les contributions des redevables, et les habitants des villes et des campagnes ont déclaré qu'ils ne payeraient aucune espèce d'impôt, tant qu'on voudrait les assujettir au régime même adouci de la gabelle.

Le comité général d'Angers, justement effrayé de cette explosion populaire, a vu avec douleur que la proscription de la gabelle allait entraîner celle des autres impôts de l'Anjou, qui s'élèvent à plus de 12 millions ; que ce malheur serait extrême et irréparable dans un moment où les besoins de l'Etat nécessitent des secours extraordinaires.

Il a considéré que l'Anjou se préparait à donner un exemple d'insurrection contagieux pour les autres provinces, et qu'une étincelle pouvait occasionner un embrasement général.

La suite ici : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5231_t1_0515_0000_5

 

    Vous pouvez si vous le souhaitez lire les observations faites par le duc de Liancourt sur ces réclamations de la province d'Anjou par le lien ci-dessous :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6423_t1_0522_0000_4

En voici la fin :

(…) Ce n'est donc pas un décret absolu qu'a prononcé l'assemblée d'Anjou, c'est un arrêté provisoire, en attendant qu'elle pût connaître les intentions des représentants de la nation, que le péril de la province n'avait pas permis de consulter avant de prononcer sur cette importante affaire ; c'est une véritable pétition à laquelle l'Assemblée nationale est suppliée de faire droit, et qui peut d'autant moins être considérée autrement, que l'assemblée d'Anjou ne pour être regardée que comme une assemblée de contribuables, et non comme une assemblée politique.

Si l'Assemblée nationale considère cette, affaire sous le rapport de finances, elle reconnaîtra :

1° que la province d'Anjou proposant de payer le sel à 60 livres le minot, au lieu de 30, augmente la recette du Trésor public du double de ce que ses décrets avaient prononcé ;

2° que cette province, limitrophe de la Bretagne, ne fait, en obtenant cette faveur, courir aucun danger à la recette de l'impôt du sel pour les autres provinces, puisque les barrières qui assurent cette perception, placées en deçà de ses limites, ne laisseront pas passer avec plus de facilité le sel de l'Anjou au Maine et en Touraine qu'elles ne le laissaient pénétrer en Bretagne et en Anjou ;

3° que les limites de la province d'Anjou très-peu plus étendue du côté où les barrières devront être posées aujourd'hui, que du côté de la Bretagne, augmenteront à peine les dépenses du fisc, par l'établissement d'un plus grand nombre de barrières, et augmenteront de beaucoup son revenu ;

4° enfin, que l'exemple de l'Anjou, applicable seulement aux provinces voisines de provinces franches, ne serait que d'un très-grand avantage s'il était successivement imité dans tout le royaume, et amènerait ainsi, de la manière la plus complète, le remplacement général de la gabelle, tant désiré par l'Assemblée nationale, et dont elle n'osait pas se promettre la possibilité, ou au moins la prompte exécution.

D'après toutes ces réflexions, je conclus :

1° à ce que l'Assemblée nationale ne considérant l'arrêté du 6 octobre, de la province d'Anjou, que comme une pétition, elle le renvoie au pouvoir exécutif, pour, par lui, prononcer ce qu'il avisera ;

2° Qu'elle ordonne sur-le-champ la séparation prompte de cette assemblée, dans le terme de son décret du 26 octobre dernier ;

3° Que le président soit chargé de répondre aux députés d'Anjou, que si elle eût pu considérer l'arrêté de la province autrement que comme une pétition, elle aurait vu avec un grand mécontentement une transgression formelle à ses décrets, que toutes les parties du royaume doivent profondément et unanimement respecter, et que sans doute la province d'Anjou, si connue par son attachement aux lois et au Roi, n'a pas la volonté d'enfreindre ; mais que cet arrêté , considéré même comme une pétition, porte, dans ses expressions et dans son style, un caractère d'ordonnance que l'Assemblée nationale désapprouve, et qui n'ajoute qu'une forme disconvenante, mais absolument inutile à la demande qu'elle renferme.