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mardi 10 novembre 2020

10 Novembre 1789 : Marat rappelle qu’il n’y a pas de révolutions sans émeutes populaires.

Combien de révolutions en même temps ?

Promulgation de la loi martiale, le 22 octobre 1789
(Collection personnelle )
    En ce mois de novembre 1789, plusieurs révolutions se déroulent en même temps. Combien de révolutions ? Au moins deux, peut-être même trois.

    Il y a la révolution de la bourgeoisie, que celle-ci pense avoir gagnée et même terminée ; à présent qu’elle a son assemblée et qu’elle rédige la constitution de la monarchie constitutionnelle dont elle rêvait.

    Il y a celle du peuple. C’est cette révolution-là qui a vraiment renversé le pouvoir en place. Mais elle n’est pas près de se terminer. Le peuple commence seulement à prendre conscience de son pouvoir.

    Et puis il y a "peut-être" celle de Louis XVI. Un roi "peut-être" moins stupide qu’il n’y paraît. Mais j’insiste bien sur le "peut-être". (Nous en reparlerons)


L’affaire n’est pas conclue.

    Nous avons beaucoup parlé ces dernières semaines de la première révolution, celle de la bourgeoisie. Ne sous-estimons pas ses efforts, ses représentants à l’assemblée sont à l’origine de nombreuses réformes qui vont faire progresser le pays. Mais ne soyons pas aussi naïfs que ces braves députés, l’affaire n’est pas conclue ! Les Parlements commencent à se rebeller. Ils refusent les décrets de l'Assemblé nationale, comme ils refusaient déjà auparavant les tentatives de réformes du roi. Le clergé commence à réagir à la nationalisation de ses biens. Une contre-révolution s’organise bel et bien.

    Les députés ont déjà oublié que ce sont les émeutes populaires qui les ont portés à ce qu’il faut bien appeler un nouveau pouvoir, le pouvoir législatif (celui de faire des lois). Ce sont aussi des émeutes populaires qui les ont protégés de la répression militaire qui se préparait à la veille du 14 juillet, et peut-être aussi de celle qui semblait bien se préparer fin septembre, avec ces nouvelles troupes que le roi rappelait à lui.

    Leur peur de la populace les a fait promulguer le 22 octobre la loi martiale, défendant au peuple tout rassemblement et le menaçant de répression militaire en cas de désobéissance. La peur du danger que leur inspire le peuple les fait oublier le réel danger de la contre-révolution et cet aveuglement durera longtemps encore.


Malgré les poursuites du tribunal de Paris, Marat s'exprime de nouveau !

Jean-Paul Marat

    Dans ce numéro 34 du mardi 10 novembre 1789, de l’Ami du Peuple, Marat s’insurge encore et encore contre ce funeste décret de la loi martiale. Il rappelle dans quelle précipitation il a été promulgué le 22, le lendemain de l’émeute qui avait donné lieu à l’horrible assassinat du boulanger François. Souvenons-nous à ce sujet, que dans son numéro du 5 novembre, Marat avait expliqué que c’était la municipalité de Paris qui avait désigné les boulangers comme responsables du manque de pain ! Marat proteste également contre le fait que la commune de Paris soit venue demander à l’assemblée de suspendre l’exécution de la réforme de la procédure criminelle, et de conserver à la juridiction prévôtale, c’est-à-dire le tribunal du Châtelet, ses anciennes attributions. En effet, nous en avions parlé, dans la foulée de la loi martiale, le 24 Octobre, le roi Louis XVI a autorisé le Châtelet à juger les accusés de crimes de "lèse-nation".

 

Marat craint les suites funestes de ce décret.

« Non, il n’est point de malheurs qu’on n’ait sujet d’attendre de ce funeste décret ; point d’attentats dont il ne soit la source.

En ordonnant aux troupes de marcher contre les citoyens assemblés, il a anéanti la nation, qui n’existe que par la réunion des individus. En sévissant contre les officiers et les soldats qui refuseront d’opprimer leurs frères, il divise les citoyens ; il les oppose les uns aux autres, et les mets aux prises pour s’entr’égorger. »

Marat rappelle comment ce décret a été si hâtivement préparé.

« Mû par des motifs que j’espère pouvoir dévoiler un jour, le comte Mirabeau avait proposé une loi martiale contre les attroupements. On a profité de l’émeute de la veille pour faire sentir la nécessité de reprendre la discussion de cette motion. Les députés de la commune de Paris s’étaient présentés deux fois dans le même jour, pour en presser le décret, lorsque le comité de constitution en a soumis le projet à l’Assemblée, qui l’a adopté, après un léger amendement, et l’a immédiatement envoyé à la sanction. Peu après les députés de la commune de Paris se sont présentés une troisième fois, pour demander à l’assemblée de suspendre l’exécution de la procédure criminelle, et de conserver à la juridiction prévôtale ses anciennes attributions (1). Plusieurs membres se sont élevés contre cette demande qui portait atteinte aux décrets passés. Le Président leur a répondu que l’assemblée examinerait leur proposition, la séance a été levée. »

Marat précise dans une note en bas de page :

« C’est là un réchauffé de la tentative que le ministre a faite, il y a près de deux mois, pour attribuer à la prévôté la connaissance des émeutes et attroupements. Le plan du cabinet est constant ; mais il passe par différentes mains, comme une pièce de fausse monnaie, que des fripons cherchent à couler. »

Marat rappelle que la révolution doit tout aux émeutes populaires !

« D’abord, le peuple ne se soulève que lorsqu’il est poussé au désespoir par la tyrannie. Que de maux ne souffre-t-il pas avant de se venger ! Et sa vengeance est toujours juste dans son principe, quoiqu’elle ne soit pas toujours éclairée dans ses effets ; au lieu que l’oppression qu’il endure n’a sa source que dans les passions criminelles de ses tyrans.

Et puis, est-il quelque comparaison à faire entre un petit nombre de victimes que le peuple immole à la justice, dans une insurrection, et la foule innombrable de sujets qu’un despote réduit à la misère, ou qu’il sacrifie à sa fureur, à sa cupidité, à sa gloire, à ses caprices ? Que sont quelques gouttes de sang que la populace a fait couler, dans la révolution actuelle, pour recouvrer sa liberté, auprès des torrents qu’en ont versé un Tibère, un Néron, un Caligula, un Caracalla, un Commode ; auprès des torrents que la frénésie mystique d’un Charles IX en a fait répandre ; auprès des torrents qu’en a fait répandre l’ambition d’un Louis XIV ? Que sont quelques maisons pillées un seul jour par la populace, auprès des concussions que la nation entière a éprouvées pendant quinze siècles sous les trois races des rois ? Que sont quelques individus ruinés, auprès d’un milliard d’hommes dépouillés par les traitants, par les vampires, les dilapideurs publics ?

Mettons de côté tout préjugé, et voyons.

La philosophie a préparé, commencé et favorisé la révolution actuelle, cela est incontestable ; mais des écrits ne suffisent pas ; il faut des actions : or, à quoi devons-nous la liberté, qu’aux émeutes populaires !

C’est une émeute populaire, formée au Palais royal, qui a commencé la défection de l’armée, et transformé en citoyens deux cent mille hommes dont l’autorité avait fait des satellites, et dont elle voulait faire des assassins. C’est une émeute populaire, formée aux Champs Elysées, qui a causé l’insurrection de la nation entière ; c’est elle qui a fait tomber la Bastille, conservé l’Assemblée nationale, fait avorter la conjuration, prévenu le sac de Paris, empêché que le feu ne l’ait réduit en cendres, et que ses habitants n’aient été noyés dans leur sang.

C’est une émeute populaire, formée à la Halle, qui a fait avorter la seconde conjuration, qui a empêché la fuite de la maison royale, et prévenu les guerres civiles qui en auraient été les suites trop certaines. »

 

Voici le numéro XXXIV de l'Ami du Peuple :

jeudi 23 juillet 2020

23 Juillet 1789 : La grande peur au Mans, le Comte de Montesson et Monsieur Cureau sont assassinés par la foule.

 

    La relation de cet événement terrible va nous donner l’occasion de reparler des origines possibles de la grande peur, de faire connaissance avec un chanoine du Mans et de lire un texte en français du 18ème siècle.

"La grande peur"


La grande peur.

    Le 23 Juillet, à Paris, le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Duc De Liancourt, avait ouvert la séance par la lecture d’adresses de plusieurs villes qui demandaient des secours pour dissiper des troupes de brigands qui, sous prétexte de la disette des grains, infestaient le pays et causaient des soulèvements. C’était le début de la grande peur !

    Peu de temps après la prise de la Bastille, une rumeur a commencé de se propager dans tous le royaume, alarmant les gens de la propagation de diverses armées de brigands qui allaient venir tout détruire et plus particulièrement ravager les champs de blé, alors que l’époque des moissons était venue.

    Selon les sources, nous avons plusieurs explications données à cette grande peur. La plus connue, c’est celle d’une populace barbare, assoiffée de sang, qui s’en prend à tous les riches dans une sorte de fureur collective.

    Certains se posent néanmoins la question de savoir comment et surtout par quels moyens, celle-ci a pu se répandre aussi rapidement dans le royaume. Considérant le relatif isolement des diverses populations, constituées principalement de paysans qui ne quittaient que rarement leurs villages, voire jamais. On peut douter que ce soient les modestes colporteurs et autres marchands qui aient soudainement décidé de parcourir à toutes brides les chemins cabossés du royaume pour diffuser l’alerte !

    Cette question relative à la logistique est vraiment pertinente. Imaginez que le 1er août ce vent de panique était déjà arrivé aux confins du royaume, dans deux petits villages de montagne derrière Nice !

    Nous avons vu dans notre article du 20 juillet qu’un écrivain contemporain de tendance royaliste, accusait le Duc d’Orléans d’être à l’origine de la propagation de cette rumeur. Pour cet écrivain d’ailleurs, le Duc d’Orléans est à l’origine de tout, y compris la prise de la Bastille.

    Mais voici qui est plus étonnant encore ; certains historiens en sont même venu à soupçonner le roi !

    Dans son histoire de la Révolution française l’historien Adolph Thiers émettait l’hypothèse étonnante que les courriers envoyés partout en France pour annoncer l’arrivée des brigands, relevaient d’une initiative de la cour. Eux seuls étaient en effet capables de franchir aisément tous les postes de contrôles. L’idée aurait été d’armer les provinces pour les opposer à Paris, car la cour ne croyait pas à une révolution générale du royaume. Lire le détail dans l’article du 28 juillet 1789.

    Nous verrons plus tard qu’une historienne contemporaine, Aurore Chéry, a même échafaudé la théorie encore plus intrigante que Louis XVI ait été lui-même un initiateur de la révolution !

Découvrons à présent le témoigne de René-Pierre Nepveu, chanoine de son état.

Présentation de René-Pierre Nepveu

René-Pierre Nepveu était un chanoine de la cathédrale du Mans. Durant toute sa vie, il tint un journal, dans lequel il consigna les moindres événements se déroulant aussi bien au Mans que dans sa campagne de la Manouillère. L’intérêt de son journal est que ce brave religieux assista à la naissance de la révolution, puis à son évolution, dont il témoigna à sa façon.

Si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie à la page du site sur lequel j’ai trouvé son récit. Il vous suffit de cliquer sur l’image ci-dessous.


Le récit du chanoine, en français du 18ème !

(N’oubliez pas de rouler les r, et pour info, le « bled », c’est le blé).

« Le Jeudy matin, entre dix et onse heures du matin, Mr Cureau, Lieutenant de la Ville du Mans, et Mr le Comte de Montesson ont été massacrés et assassinés par une populace effrénée et barbare, et voici le fait. Mr Cureau, sachant que le mauvais peuple luy en vouloit, prétendant qu’il faisoit commerce de bled, (ce qui étoit faux), prist le party de partir la nuit du Dimanche au Lundy pour aller à la terre de Nouans, qui appartient à Mr Buttet, neveu de Mr Cureau, qui est en Angleterre, dont il a la procuration. Il s’étoit retiré dans ce château, pour estre ignoré ; il n’est éloigné de Ballon que de cinq quarts de lieues. Il est malheureusement arrivé qu’il y a eu une fausse allarme dans ce canton, ainsi qu’au Mans, Nogent-le-Rotrou, la Ferté-Bernard, Bonnétable et tous les environs de deux lieues à la ronde, on sonnoit le tocsin partout. Au soleil levant, on vint dire à Mr Cureau, qu’on alloit sonner le tocsin pour faire avertir tout le monde de se rendre à Nouans et de prendre les armes pour le défendre. Le bruit couroit qu’il y avoit plus de 4 000 brigands qui étoient répandu pour piller et mettre partout à feu et à sang. Mr Cureau leur représenta que c’étoit un faux bruit et qu’il ne falloit pas mettre l’alarme sans fondement, et il ne voulut pas qu’on sonnast le tocsin. Tout ce peuple, qui s’amassoit de touttes parts, murmuroit et enfin se mit à jurer après luy et comme il leur parloit de ses croisées, ils luy dirent, en jurant, que s’il ne sortoit pas, ils alloient mettre le feu chés luy. Il céda et vint leur parler. Pendant ce temps, il vint d’autres paroisses voisines, qui venoient là pour aller au-devant des prétendus brigands ; quelques-uns luy dirent que c’étoit luy qui étoit la cause de ce qu’ils mangeoient le pain aussi cher. Il n’en falloit pas davantage pour le rendre odieux et vouloir le faire périr. Mr de Montesson, qui venoit d’arriver avec Mme son épouse et ses deux enfans, voulut parler en faveur de son beau père ; ils luy dirent qu’il étoit aussi coupable et que c’étoit son frère, le Député, qui étoit à Paris, qui étoit la cause de tous les malheurs, et ils le trainèrent avec Mr Cureau ; pendant tout le chemin, ils leur disoient mille invectives. Arrivés à Ballon, ils les firent mettre, en jurant, dans la place du Marché. Ils offrirent toutte leur fortune pour avoir leur vie, et, auparavant cette dernière proposition, Mr Cureau offrit 50 000 # pour donner à leur Hopital qui n’est pas riche ; rien ne put les toucher. Mr de Guiberd, qui étoit aux environs, accourut et parla à ces forcenés dont il ne put rien gangner et même on luy dit que s’il ne se retiroit, on luy en feroit autant, et il fut obligé de se retirer après avoir fait tout ce qu’il avoit pu. Un commis à cheval voulut aussi parler : on luy en dit autant. On commença par donner un coup de volant, sur le front de Mr Cureau, qui luy fit tomber la peau sur le bas du visage ; il la relava encor pour voir ses bourreaux. Ils tombèrent sur luy à coups redoublés et le tuèrent et avant qu’il expirast, ils l’achevèrent à coup de fusil et luy coupèrent la teste qu’ils mirent au haut d’une fourche, pour la faire voir au public. Après ces horreurs, ils vinrent achever leur rage contre Mr de Montesson. Ils luy donnèrent plusieurs coups de bâton et le tuèrent à coups de pistollets et de fusils et ils en firent tout autant pour la teste. Après ces horreurs, ils forcèrent plusieurs des fermiers de Mr Cureau et plusieurs autres bons fermiers, de tirer sur les corps morts ; ils les laissèrent sur la place et furent boire. Le lendemain, Mr le Curé de Ballon leur donna la sépulture ; Mr Cureau pouvoit avoir 63 ans. Mme Cureau a resté à Nouans dans la crainte qu’on y vint la tuer ou mettre le feu au château. Mr Cureau laisse Mme de Montesson qui a aussi deux enfans dont un garçon âgé d’environ cinq ans et une demoiselle, d’environ quatre ans. Mr Cureau a aussi deux enfans dont un garçon, âgé de 28 ans, qui devoit avoir une des charges de Receveur des Tailles, et Mme de Montesson. On ne croit pas que ces Dames veulent jamais revenir demeurer au Mans. On saura, par les papiers publics, tout ce qui s’est passé dans ce temps-ci et même au Mans où, après une frayeur qui a allarmé toutte la Ville, on a établi une Milice bourgeoise qui continue et continuera longtemps encor. »

Les suites du terrible événement.

    Le 15 novembre suivant, au Mans, durant la prestation de serment de la garde nationale, trois compagnies réclameront la libération des meurtriers du comte de Montesson, obligeant le comité Patriotique à faire disperser l'attroupement par les dragons. Je vous renvoie à l’article du 14 Novembre.

Le 3 décembre 1789, les assassins subiront leurs châtiments.

En voici le compte rendu donné par notre chanoine :

« Le jeudy 3 décembre 1789, il y a eu une exécution des assassins de Mrs Cureau et de Montesson; il y en a eu un de roué vif, un de pendu, un de marqué aux deux épaules et un aux galères perpétuelles. Il y en a encor plusieurs de decretés qui pourront subir le même sort, si on les prend. Comme on craignoit une révolte de la part de la paroisse de Ballon et autres voisines, il y avoit un nombre de 50 personnes par chaque compaignie de la Milice Citoyenne, qui étoient autour de la place des Halles, et tout le Régiment de Chartres étoit distribué par piquets dans différents quartiers de la Ville et aux environs de la place. Le tout s’est passé sans aucun murmure ; les trois qui ont été punis le méritoient bien. Celuy qui a été roué s’appelle Barbier ; il étoit déjà vieux, l’autre pendu et un qui a été marqué à trois lettres. »


Supplice de la roue - 1633 - Dessin de Jacques Callot

          



dimanche 19 juillet 2020

19 Juillet 1789 : Des députés à genoux devant une foule furieuse. Encore une émeute !

 

Encore une émeute !

    Rappelons ces deux chiffres : 900 émeutes frumentaires recensées depuis 1786, 300 depuis le début de l’année 1789 (décompte réalisé par l’historien Taine).

    Les émeutes frumentaires sont des émeutes de la faim suscitée par le manque de grains ou par la peur du manque. Dans beaucoup de régions, le pain manque vraiment, la faim est réelle et quand il y a du pain, il est très cher. A Paris et dans la Région parisienne, un pain permettant de nourrir une famille pour une journée coûte 14 sous, alors que le salaire journalier d’un ouvrier est de 15 sous. Je reparlerai dans d’autres articles de ce problème crucial.

    Dans les rapports des séances journalières de l’Assemblée nationale, j’ai trouvé l’évocation de cette émeute frumentaire survenue à Poissy. Un meunier soupçonné d’avoir accaparé des grains a été pris à part par la foule et a été horriblement décapité. Des rumeurs courent les rues concernant les accapareurs ; c’est-à-dire ceux qui cachent du blé dans l’objectif de le revendre quand le manque aura fait augmenté les prix.

    Il y a effectivement des accapareurs et j’aurais l’occasion de vous en parler. Mais il y a aussi des gens qui font courir des bruits relatifs à leur existence. Ces gens sont payés pour cela, et ce faisant, ils servent de sombres causes politiques. Le ministre de l’intérieur expliquera un jour à Axel de Fersen que Mirabeau s’était vanté d’obtenir une bonne émeute pour 25 Louis ! Je pense que vous aurez compris en lisant ma relation de la journée du 14 juillet que trop de faits étonnants prouvent qu’elle fut quelque peu préparée. Bien souvent hélas, les historiens s’en tiennent à l’événement et se contentent la plupart du temps de condamner le peuple, ou plutôt la populace, et sa violente animalité.

    Nous verrons bientôt apparaître à côté de cette violence causé par la faim et la peur de celle-ci, une nouvelle violence suscitée par la peur et la colère ; il s’agira de ce que les historiens ont appelé « La Grande Peur ». Un peu partout en France, des château vont être incendiés ou pillés ; d’autres Bastilles…

    Cette émeute de Poissy, qui s’est étendue jusqu’à Saint Germain en Laye, a ceci de particulier que des députés de l’Assemblée Nationale interpelés par le Maire de Poissy ont été amenés à intervenir. Parmi eux figure l’évêque de Chartres, Monsieur de Lubersac, qui va faire preuve d’un réel courage physique pour sauver un innocent. Je vous laisse lire.

Jean-Baptiste-Joseph de Lubersac

Rapport du maire de Poissy sur les troubles dans les villes de Poissy et Saint-Germain, lors de la séance du 17 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4688_t2_0247_0000_3

Avant la fin de la séance, le maire de Poissy se présente à l'Assemblée, et demande à être entendu. Il rend compte de plusieurs crimes qui ont été commis à main armée par une troupe de brigands dans les villes de Poissy et de Saint-Germain, et supplie l'Assemblée de s'occuper de réprimer ces désordres.

Un membre de l’Assemblée observe que cet objet n'est pas de la compétence du pouvoir législatif ; qu'il y a un pouvoir exécutif et les tribunaux judiciaires chargés de maintenir le repos et la tranquillité publics.

Discussion suite au rapport du maire de Poissy sur les troubles dans les villes de Poissy et Saint-Germain, lors de la séance du 18 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4690_t2_0247_0000_8

On revient sur le rapport, fait dans la séance d'hier, des troubles de la ville de Poissy.

Un membre annonce qu'une populace indisciplinée s'est emparée du corps de garde et de la caserne des Invalides. Un meunier, nommé Sauvage, a été arrêté et conduit à la halle pour y être pendu. Il était accusé d'avoir accaparé des grains ; vainement plusieurs personnes ont tenté de le justifier : on les a menacées de les écarteler si elles entreprenaient sa défense. Ainsi Sauvage, innocent ou coupable, a été victime de la fureur populaire. Un garçon boucher lui a coupé la tête.

Plusieurs membres proposent que l'Assemblée envoie une députation à Poissy et à Saint-Germain.

Envoi d'une députation à Poissy et Saint-Germain pour calmer la fureur populaire, lors de la séance du 18 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4690_t2_0248_0000_2

Divers membres ont offert de s'y transporter pour calmer la fureur populaire, et à l'instant sont partis :

Messieurs :

    • De Lubersac, évêque de Chartres
    • Massieu, curé de Sergy ;
    • Choppier, curé de Flins ;
    • Le comte de Latouche ;
    • Le chevalier de Mauletle ;
    • Perrier ;
    • Camus ;
    • Millon de Montherlant ;
    • Hell ;
    • Schmits ;
    • Ulry.

Rapport par M. Camus sur la mission des députés envoyés à Saint-Germain et à Poissy, lors de la séance du 20 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4694_t2_0249_0000_9

Armand Gaston Camus

M. Camus, qui était au nombre des députés envoyés à Saint-Germain, fait le récit de leur mission.

Nous nous sommes transportés , dit-il , à Saint-Germain ; la foule n'y était plus ; Thomassin venait d'être conduit à Poissy. Nous nous sommes transportés à Poissy ; nous avons prié l'assemblée municipale du premier lieu de se tenir prête sur les deux heures, pour que nous pussions conférer avec elle.

Dans les premières rues de Poissy, nous avons trouvé le calme ; la foule s'était portée vers la prison ; tout le monde était armé. D'abord nous avons fait entendre des paroles de paix, et l'on ne nous a répondu que par des cris effrayants. De tous côtés on entendait : Il faut le pendre, il faut lui couper la tête.

Nous avons demandé les officiers municipaux ; l'un était eu fuite, l'autre absent ; aucun n'était dans la ville.

Nous nous sommes adressés à un officier invalide qui nous a appris que jeudi il avait été forcé de monter à cheval, de se mettre à la tête de la multitude pour enlever Thomassin ; que c'était un honnête homme, le père de sept enfants, payant 7,000 livres de tailles, et qu'il nourrissait plus de quarante personnes ; qu'ils ont amené Thomassin, les pieds et les mains liés, à Poissy, vendredi soir.

M. l'évêque de Chartres a monté sur une chaise, a cherché à haranguer la multitude, lui a représenté qu'il convenait et même qu'il était de l'intérêt commun de mettre Thomassin dans les mains de la justice, pour l'interroger et connaître ses complices. Ces réflexions ont paru toucher le peuple. M. l'évêque de Chartres a eu une conférence avec Thomassin pour s'instruire de la vérité des faits.

Pendant cet intervalle tout a changé ; le peuple s'est ranimé, a repris ses premiers sentiments de fureur ; on s'écrie qu'il faut le pendre à l'instant. M. l'évêque de Chartres recommence à parler au milieu du peuple, le supplie d'accorder deux jours de délai ; enfin il demande, pour diviser la foule, que quelques-uns d'entre eux veuillent bien reconduire les députés.

Tout est refusé opiniâtrement, et déjà on prépare le supplice de Thomassin. L'on nous en instruit ; le malheureux est tiré de la prison ; c'est alors que M. l'évêque de Chartres, à notre tête, se précipite aux genoux de tous ces furieux, que nous leur demandons grâce.

Thomassin est à genoux d'un côté, les députés y sont de l'autre, c'est dans cette attitude suppliante que nous demandons inutilement la vie de la malheureuse victime. On le conduit au pied d'un mur où sont fichés des anneaux pour attacher des bêtes de somme. Thomassin y est attaché ; dans cet intervalle on va chercher la potence et le confesseur.

C'est là l'heureux événement qui l'a sauvé. Les habitants de Poissy écoulent les cris de leur conscience, ils s'intimident, le remords les saisit, ils ne veulent pas que le crime souille leur ville ; les habitants de Saint-Germain et de Poissy se divisent ; Thomassin se réfugie dans la prison. La discorde augmente, et l'on consent que Thomassin parte avec nous, mais en nous[sommant de le remettre dans les mains de la justice, en nous menaçant de nous pendre nous-mêmes s'il n'était pas exécuté. Une pareille menace ne nous épouvante pas ; Thomassin monte dans la voiture de M. de Chartres, et c'est à ce prélat qu'il doit la vie ; c'est à son éloquence persuasive que nous devons la victoire que nous avons remportée sur des furieux.

À peine sommes-nous en marche, que l'on nous épouvante, que l'on nous fait craindre que le peuple ne tire sur la voiture de M. l'évêque de Chartres.

Plusieurs habitants de Poissy nous accompagnent et nous font prendre par des chemins détournés, pour éviter Saint-Germain.

Après une marche très-lente, très-pénible, et surtout après bien des alarmes, et non pas sans des rencontres de quelques femmes qui voulaient nous accabler de pierres, nous sommes enfin arrivés à Versailles.

Nous avons été déposer Thomassin à la prison ; le juge a été appelé, et nous y avons fait notre déclaration.

À peine avions-nous terminé cette opération, que quelques furieux sans armes sont venus nous trouver pour nous rappeler notre parole et nous sommer de la tenir. Nous leur avons fait donner un extrait de notre déclaration, en les assurant que la justice allait en décider.

 

    



lundi 28 septembre 2020

28 Septembre 1789 : Le très très dérangeant Jean-Paul Marat


Jean-Paul Marat
    Il est temps de s’intéresser de nouveau à Jean Paul Marat (encore un Suisse). Le numéro de son journal de ce lundi 28 septembre va nous en donner l’occasion.

    Jusqu’à présent, nous nous sommes peut-être un peu trop préoccupés de tous ces beaux messieurs de l’Assemblée, tous bien nés, tous fort polis, (Imaginez-vous que le conte de Virieu a provoqué un vrai scandale le 9 septembre dernier en laissant échapper un « foutre ! » devant l’Assemblée)

    Bourgeois ou aristocrates, ces enfants des lumières ne cessent d’évoquer la vertu et les plus beaux sentiments civiques, et ils pratiquent autant que faire se peut, une courtoise révolution de salons. Celle-ci consistant principalement à redistribuer entre eux, au sein de l’Assemblée les cartes du pouvoir. 

    Pour beaucoup de ces honnêtes gens, le peuple est une abstraction. Lorsqu’ils évoquent le peuple, il s’agit la plupart du temps d’un peuple idéalisé, imaginaire. Et quand ledit peuple s’agite un peu trop, il est aussitôt qualifié de brigands ou de bandits, voire de populace. (Lire cet article : Peuple ou Populace)

    S’il en est un qui sait voir clairement dans les intrigues de certains, c’est bien le très dérangeant Marat. 

    Marat est un homme d'expérience, il a 46 ans en 1789. Il a été médecin et il a exercé à Londres de 1765 à 1777. Il a dû beaucoup apprendre politiquement dans cette Angleterre qui avait déjà fait sa révolution presque cent ans auparavant, et où l’on se passionnait de politique et d’idées nouvelles. Marat est à présent un journaliste et son journal est beaucoup lu. Lu par ceux qui savent lire, et lu à voix haute dans les lieux publics à l’intention de ceux qui ne savent pas lire. Marat travail comme un forcené, il publie presque tous les jours et Marat est très bien informé.

    J’ai brièvement évoqué les intrigues et je serai obligé d’y revenir, probablement en vous parlant de nouveau de Marat. Marat ne supporte pas les corrompus ni ceux qui s’enrichissent abusivement à l’occasion des événements révolutionnaires. Nous le verrons s’emporter contre Necker et reprocher à celui-ci ses malversations. Marat sera le premier à s’attaquer au divin Necker, ce grand homme tellement adulé par les bourgeois du Tiers Etat et nombre d’aristocrates, dont certains lui doivent leur enrichissement. Marat ne porte d’ailleurs pas ses accusations à tort, car le grand Necker nous l’avons dit, est aussi un banquier, et un banquier qui s’est enrichi grâce à sa politique d’emprunts répétés, car sa banque, chaque fois a prêté à l’Etat en récoltant de faramineux intérêts. Il s’est aussi enrichi (encore au détriment de l’Etat) grâce à ce que nous appellerions aujourd’hui, ses délits d’initiés.

    Ce genre de pratiques étaient coutumières sous l’ancien régime et elles ne choquaient guère le beau monde. Il était normal qu’un ministre s’enrichisse. Toujours cette croyance étrange relative à l’enrichissement d’un seul profitant à tous. (Certains disent que ces pratiques existent toujours. Je leur laisse la responsabilité de cette assertion).

    Marat appellera ironiquement Necker le « grand faiseur » en rappelant que Necker est un ministre des Finances qui ne rend pas de comptes. En rendrait-il d’ailleurs, que probablement peu s’y intéresseraient. Souvenez-vous de son plan de redressement auquel les députés n’ont pas bien compris grand-chose, mais qu’ils ont voté le 26 septembre, « De confiance ».

    Mais Marat n’est pas de ce monde-là, celui de l’argent. Il vit au milieu du peuple, au contact de celui-ci. Pour lui le peuple n’est pas une abstraction. Il ne supporte pas de voir le peuple de Paris accablé de misère et souffrir de la faim, quand il sait que certains s’enrichissent honteusement. Le peuple lui rendra d’ailleurs bien cet amour. Un rapport de police lu par l’historien Henri Guillemin disait ceci : « La popularité de Marat tient à son intégrité et l’intégrité, c’est un des dieux du peuple. »

    Dans le numéro 18 de "l’Ami du Peuple, ou le Publiciste Parisien", de ce 28 septembre, Jean-Paul Marat, fait part à ses lecteurs de ses ennuis avec les représentants de la Commune qui siègent à l’Hôtel de Ville. Les accusations qu’il a lancées depuis le début du mois à l’encontre des représentants de la Commune et plus particulièrement contre le maire de Paris, Bailly, commencent à agacer fortement ces beaux messieurs.

Il écrit dans son journal cette lettre ouverte aux représentants de la Commune :

« Messieurs, Appelé à paraître aujourd’hui (sur les sept heures du soir) devant vous au sujet de ce journal, dont je me déclare l’auteur, je me suis rendu à l’Hôtel de Ville. J’ai sollicité plusieurs fois le moment d’être admis à l’audience et, n’ayant pu l’obtenir après cinq heures mortelles d’attente, j’ai été remis au lendemain. Le lendemain, même exactitude, mêmes instances inutiles de ma part. Vos occupations sont infinies, sans doute. Les miennes ne le sont pas moins et elles intéressent bien davantage le bonheur public : je suis l’œil du peuple, vous en êtes tout au plus le petit doigt. Ainsi trouvez bon qu’avare de mon temps, j’attende chez moi de nouveaux ordres. »

(Le numéro complet est accessible sur le site de la BNF par la fenêtre en bas de cet article.) 

        Les choses vont bien sûr s'envenimer. À la suite d'une dénonciation faite par la commune devant les instances judiciaires, Marat sera de nouveau convoqué à l’Hôtel de Ville le 3 octobre prochain pour répondre de ses accusations dans les numéros 15 à 23 de son journal. Dans ses numéros 20 et 21, Marat dénonçait ouvertement Bailly, le maire de Paris. Dès lors, la plainte suivra son cours. Le 4 octobre, le procureur du roi, Deflandre de Brunville, écrira au lieutenant criminel du Châtelet, et, les 8 et 9 octobre, des huissiers, envoyés par le Châtelet, se rendront au domicile de Marat.

    Les adversaires de Marat lui mèneront la vie dure. En quatre ans d’exercice de sa fonction, il ne sera libre que 397 jours, et sera sous le coup, de décret pendant 1064 jours. Ce qui signifie qu’il ne bénéficia que de 13 mois de liberté, et fut, 35 mois durant sous la menace d’un décret, ou dans la clandestinité. Ses ennemis n’hésiteront pas non plus à faire détruire ses presses ou à emprisonner son imprimeur. 

    Devenu député Montagnard à la Convention, il finira par payer de sa vie sa trop grande liberté de parole, puisqu’il sera assassiné par Charlotte Corday, une proche de ses ennemis politiques, les Girondins.

Un exalté.

    Pourquoi ai-j 'écris "trop grande liberté de parole" ? Mais parce que Marat était aussi un exalté, souvent très violent, trop violent dans ses écrits. Robespierre lui en fera le reproche lors de sa première rencontre avec lui en Janvier 1792, il lui dira que les patriotes, même les plus ardents, pensaient qu'il avait mis lui-même un obstacle au bien que pouvaient produire les vérités utiles développées dans ses écrits, en s'obstinant à revenir sur des propositions extraordinaires et violentes (telles que celle de faire tomber cinq à six cents têtes coupables), qui révoltaient les amis de la liberté autant que les partisans de l'aristocratie". 

Source : https://books.openedition.org/irhis/1283?lang=fr#tocfrom1n2

De tout cela nous reparlerons le temps venu.

    Si le très dérangeant Marat vous intéresse, je viens de découvrir cette étude de la Professeure Emilie Brémond-Poulle sur le très sérieux site https://revolution-francaise.net/

Cliquez sur l'image ci-dessous pour accéder à l'article de présentation et au PDF.


lundi 13 juillet 2020

13 juillet 1789 : La journée où tout bascule.

Article mis à jour le 13 juillet 2023.

    L’article va être un peu long, veuillez bien me pardonner. Mais cette journée du 13 juillet 1789 est très riche en événements, presque plus que celle du 14 ! Je suis de plus certain que vous allez apprendre au moins une ou deux choses qui vont vous étonner...


Le peuple cherche du pain et des armes...

    Du pain, les Parisiens en manquent cruellement. Nous verrons plus tard dans d'autres articles quelles sont les causes de cette pénurie et nous nous demanderont même si oui ou non, elle est sciemment organisée, ou si elle est due "seulement" à l'incompétence des autorités...

    Quand les Parisiens trouvent du pain dans une boulangerie, celui-ci est hors de prix pour la plupart d'entre eux. Un journalier parisien gagne entre 15 et 20 sous par jour et le pain coûte à présent 14 sous !

    De plus, les Parisiens s'inquiètent de la présence de toutes ces troupes qui cantonnent autour de Paris et qu'il faut nourrir de ce pain qui leur manque tant !

    Ce lundi 13 juillet 1789, excédés et rendus furieux par la faim qui les tenaille, les Parisiens entreprennent de chercher du pain, et des armes...


Scène de pillage d'une boulangerie.
(Image ayant servi à illustrer la guerre des farines de 1755)

    Dans la nuit du 12 au 13 juillet, des Parisiens ont attaqué des "arquebuseries" pour se procurer des armes. Les armes manquent cruellement, mais vous verrez bientôt qu'elles apparaitront "miraculeusement", distribuée par la Bourgeoisie.

De ma collection personnelle

Louis Legendre

    Selon Wikipédia, d
ans la matinée de ce lundi 13, l
e boucher Louis Legendre aurait entraîné les habitants de son quartier aux Invalides, afin d'y récupérer les armes entreposées. Mais la vraie prise des armes aux invalides aura lieu le lendemain matin 14 juillet.


    Les Parisiens ont bien trouvé quelques armes, mais ils ne trouvent que très peu de munitions et de poudre. Ils se rendent alors à l'Arsenal où on les informe d’un transfert récent de poudre et de salpêtre vers la Bastille toute proche. Rappelons qu'en avril, peu de temps avant
l'affaire Réveillon, le gouvernement avait déjà transféré des armes depuis l'Arsenal vers la Bastille, par crainte des émeutes !


Jacques de Flesselles

    
Des Parisiens se présentent à l’hôtel de ville et demandent des fusils au prévôt des marchands, Jacques de Flesselles, (l’équivalent du maire de Paris). 350 à 360 fusils entreposés à l’hôtel de ville sont "donnés" au peuple et Flesselles envoie la foule en colère chez les Lazaristes où, prétend-il, des armes seraient entreposées…

    D'autres se rendent au Garde-Meubles, une sorte de musée où se trouvaient des armes historiques, et ils s’emparent de vieilles hallebardes, cuirasses, etc.

    Le peuple ayant découvert, au port Saint-Nicolas, un bateau chargé de cinq mille livres de poudre, cette poudre est portée en triomphe à l'Hôtel-de-Ville, y est déposée dans une salle basse, et confiée à la surveillance de l'abbé Pierre-Louis Lefebvre-Laroche, qui est chargé d'en faire la distribution. Celui-ci se trouve alors à l'Hôtel de Ville en tant qu'électeur du clergé, avec l'Assemblée des électeurs de Paris réunie par Bailly.

Le Port Saint-Nicolas (1790)

L'arrivée miraculeuse des fusils.

    Le soir, des électeurs du Tiers Etat, (c'est-à-dire des bourgeois), distribuent 12.000 fusils et de la poudre qui viennent de leur arriver (d’où ?).
    Une garde armée s’établit aussitôt à 21h00. Ladite garde commence par s’emparer de toutes les barrières d'octroi et arrête tous ceux qui veulent sortir de Paris.

Paris, gardé par le "peuple".

    Notre ami l’avocat Joseph Colson, dont je vous ai déjà parlé (avocat au parlement de Paris et intendant de la famille de Longaunay), rapporte dans l'un de ses courriers que le Prince de Condé, qui voulait sortir sous le nom d'un négociant, est arrêté et conduit à l’Hôtel de ville.

    Il est intéressant de constater que cette garde constituée par la bourgeoisie semble être à l’origine de la prise des barrières d’octroi durant la nuit. Alors que la version officielle dira plus trad que ce furent des émeutiers, voire des brigands, conduits par des fraudeurs ! Des centaines de personnes seront même emprisonnées pour cela, dont Babeuf. Vous voyez comme c’est compliqué d'écrire de l’histoire ?


Pillage de Saint-Lazare.

    Comme nous venons de le lire, c’est le prévôt des marchands qui a envoyé le peuple à Saint Lazare ! L’immeuble se trouve encore au numéro 107 du Faubourg Saint-Denis.


    Une estampe désigne les émeutiers sous le nom de « brigands » pillant la prison de Saint-Lazare.  Brigands envoyés rappelons-le par le Prévôt des Marchands, Jacques de Flesselles. Comprend qui peut...

Le pillage de Saint-Lazare

    Mais une autre estampe désigne « le peuple, qui après avoir délivré les prisonniers de la Force, se porte en foule au couvent de Saint Lazare, pille tout en faisant perquisition et en enlève les farines qu’il conduit en triomphe à la halle. » 

    Tient donc ! Des farines étaient bien cachées dans ce couvent ? Le graveur de la première estampe ignorait probablement ce à quoi peut conduire la faim...



Distribution de cocardes

    La version la plus connue de cet événement nous raconte que la municipalité de Paris distribue des cocardes aux couleurs de la ville, rouge et bleu, afin que les patriotes se reconnaissent et se distinguent des fauteurs de complots. Rappelez-vous les cocardes vertes de la veille.

Cocarde portée par les militaires parisiens avant 1789

    Mais Adrien Colson (encore lui) présente une version différente dans la lettre qu’il écrit à son ami de province le 14 juillet :
"Tout le monde est obligé de porter des cocardes, et l'on quitte, dit-on, les vertes qu'on avait prises par la remarque que c'est la couleur de monsieur le comte d'Artois et l'on va prendre le blanc, couleur de la nation, et le rouge, couleur de monsieur le duc d'Orléans."
Celle-là ?
 
     Blanc et rouge ? Vous conviendrez avec moi que cette version implique des interprétations fort différentes. Je ne prétends pas que ce soit la vraie, néanmoins elle l’était pour celui qui la rapporta et qui vécut de près les événements. Il faut se rappeler que le Duc D’Orléans est un personnage omniprésent durant ces journées chaudes. De cela aussi nous reparlerons...

    Fort heureusement, personne n'a parlé de cocardes rouges et blanches ! Car quelqu'un n'aurait pas manqué alors de faire remarquer qu'il s'agissait d'une cocarde maçonnique ! Et alors là, on en n'aurait pas fini avec les délires complotistes dont je vous parlerai également plus tard. Je n'écris pas cela pour faire de la provocation, mais pour attirer votre attention sur les interprétations auxquelles peut donner matière un aussi petit détail.

Pas celle-là.

    Je vous parlerai plus longuement de la cocarde bleue blanc rouge pour la journée du 17 juillet 1789. Là aussi vous serez surpris...


Pendant ce temps-là, à l’Assemblée nationale…

    L’assemblée déclare que Necker et ses ministres emportent l’estime et les regrets de la Nation.
    Le député Le Chapelier déclare à la tribune : « Les propriétés ne sont plus en sûreté. Seule la grande bourgeoisie peut remédier au malheur qui nous menace. »

Le Chapelier


La bourgeoisie s’organise et prend les armes


    La bourgeoisie organise un Comité permanent à l'Hôtel de Ville. Il est composé des 307 grands électeurs, dont le fermier général Antoine Lavoisier. Ce comité fait sonner le tocsin dans toutes les paroisses pour assembler tous les districts et constituer une garde bourgeoise. Il est décidé d’en établir d’abord une de 12.000 hommes et de la porter à 24.000 s’il est jugé nécessaire.


    Notre ami Colson, encore lui, nous donne la version suivante :
« Une légion par quartier dont elle portera le nom, ce qui fera 16 légions. Il est arrêté que 12 de ses légions seront composées de 4 bataillons et les 4 autres de 3 ; chaque bataillon sera composé de 4 compagnies et chaque compagnie de 200 hommes, ce qui composerait en totalité 48,000 hommes. »

    A noter que ce chiffre de 48,000 hommes, correspond au 48,000 parisiens ayant le droit de vote, grâce leurs revenus (critère de sélection pour voter). Cette milice, constituée pour veiller sur la populace aura pour chef le marquis de la Salle.

Le Marquis de la Salle

    Une autre source prétend qu’en raison de l'éloignement des troupes, un arrêté demande au roi le rétablissement d'une milice bourgeoise pour assurer l'ordre dans la capitale, avec un effectif de 48.000 hommes.

Colson donne les précisions suivantes :

« Le curé de Saint-Étienne du Mont et trois autres curés conduisent eux-mêmes à l’Hôtel de Ville les assemblées de leurs districts pour s’enrôler. Les clercs du Palais s’enrégimentent également, ceux du Châtelet et les écoliers de l’université suivent l’exemple. La compagnie des Arquebusiers offre ses services et propose aux électeurs de se réunir à la Bourgeoisie. »


    Des banquiers comme Etienne Delessert, Prévoteau, Coindre, Boscary, s’enrôlent avec leur personnel dans la garde bourgeoise en formation. Le banquier François Louis Joseph de Laborde de Méréville, également colon ayant d’énormes avantages aux Antilles, s’intéresse à l’affaire. Une source précise que des fusils furent distribués devant les hôtels particuliers des banquiers suisses Delessert et Perrégaux

    On retrouvera plus tard le trouble banquier Perrégaux, espion à la solde des Anglais qui, entre autres, financera ceux que l’on appelait « les enragés » en 1793, afin de créer des conditions de désordre et d'instabilité politique pour nuire au courant politique très puissant, d'essence populaire, incarné par Robespierre. Ce grand homme (Perrégaux, pas Robespierre) repose au Panthéon…


    De l’argent est répandu pour gagner les soldats. On s’en doutait un peu, compte tenu du nombre de ceux qui désobéirent aux ordres de tirer sur la foule.


Incendies des barrières d’octrois.


    Dans la nuit du 13 au 14, on nous dit que le petit peuple de Paris incendie 40 octrois sur les 54 du mur des fermiers généraux qui entourait Paris. Les fermiers généraux étaient des banquiers qui proposaient au roi de faire rentrer une partie des contributions qu’ils percevaient sur l’entrée de chaque marchandise pénétrant dans Paris (une trentaine de millions dont ils reversaient la moitié au roi). Ce mur long de 24 km percé de portes faisant office de péages, avait été érigé à partir de 1785 (achevé en 1790). Il était particulièrement haï des Parisiens.

Prises des barrières du 12 au 13 juillet 1789

Lire également cet article :"
La Révolution aux barrières : l’incendie des barrières de l’octroi à Paris en juillet 1789"

    Cet assaut est souvent oublié, voire minimisé par les historiens, au détriment de la prise de la Bastille le lendemain. Mais il est le premier acte vraiment révolutionnaire des Parisiens.

   Certains disent qu’il fut organisé par des fraudeurs. D’autres expliquent que, curieusement, la prise du mur fut la première action opérée par la milice bourgeoise dès sa première garde à 21h00. (Etonnant, non ?)


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Soulèvement général !

    Ce qui est certain, c’est que la très forte participation des Parisiens à cet événement de grande ampleur est plutôt révélatrice. Des Parisiens de toutes les classes sociales, qui plus est ! Du dernier des savetiers au plus grand des banquiers, sans oublier bien sûr les honnêtes bourgeois, grands électeurs du Tiers Etat, si bien organisés...


    Vous avez peut-être été surpris de voir des banquiers prendre les armes et surtout en distribuer ? Voici le portrait de l'un d'entre eux, ce Suisse très discret, Jean-Frederic Perrégaux à qui la révolution semble devoir beaucoup. De ces Suisses aussi, plus tard nous reparlerons...

Jean-Frédéric Perrégaux.
Cliquez sur l'image pour lire sa bio
.


Cette biographie de Perrégaux sur le site "Wikiberal", n'est pas mal non plus : 


Fin de la répétition générale, demain sera le 14 juillet 1789.