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Mise à sac de la fabrique de papiers peints de Réveillon |
L'émeute "Réveillon"
Ce soir du 29 Avril 1789, les corps de Jean-Claude Gilbert,
couverturier, et Antoine Pourrat, gagne-denier, pendent à un gibet érigé place
de la porte Saint-Antoine. Ils ont été condamnés ce jour-même par la chambre
criminelle du Châtelet, pour attroupement, émeute et sédition. Ainsi se termine
l'émeute "Réveillon" commencée le 26 Avril au soir.
Cette singulière émeute parisienne qui a eu lieu autour de
la fabrique de papiers-peints du sieur Jean-Baptiste Réveillon dans le Faubourg
Saint-Antoine, est évoquée dans tous les ouvrages concernant la Révolution
française. Chacun y voit en effet un signe précurseur des événements révolutionnaires
de juillet et plus particulièrement de la prise de la Bastille. Mais vous allez
constater en lisant cet article, que chacun y va, comme il est d'usage, de son
interprétation personnelle, au gré de ses sources bien sûr, mais aussi et
surtout au gré de ses a priori ou préjugés, et ce, du simple témoin
contemporain de l'affaire, jusqu'à l'historien. C'est presque un cas d'école,
car vous retrouverez cette même confusion, dans la relation de nombre
d'événements révolutionnaires. Bien naïfs ou bien
présomptueux en effet, sont ceux qui, relatant
certains événements historiques, affirment doctement "cela s'est passé exactement ainsi,
pour telles et telles raisons précises" ! J'aurai d'autres occasions
d'évoquer ce sujet polémique avec vous.
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28 Avril 1789. Attroupement devant les établissements Réveillon (Claude Niquet) |
Une singulière émeute
Des émeutes, Il y en avait déjà un peu partout en France
depuis plusieurs mois, principalement des émeutes frumentaires, c'est-à-dire
portant sur le prix du pain ou le manque de celui-ci. Neuf-cents émeutes ont
été dénombrées par les historiens en France, entre 1786 et 1789 ! Mais cette
émeute dite "Réveillon" est singulière. Le mot émeute vient du mot
émotion. Une émeute a donc quelque chose d'irrationnel. Une simple rumeur
suffit à emporter les esprits et à les entrainer dans la colère et la violence.
Mais lorsque l'on se penche avec attention sur le déroulement de celle-ci, en
lisant différents récits, on ne peut manquer de trouver quelque peu curieux
certains détails. Vous verrez plus tard que l'on retirera cette même impression
lorsque nous nous intéresserons à la prise de la Bastille.
Un mot au passage sur la Bastille. Le gouvernement craignait
tellement que de telles émeutes éclatent, qu'il venait de faire mettre en sureté à
la Bastille, le dépôt d'armes qui se trouvait à l'Arsenal…
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La Bastille attendant son heure (estampe de 1749) |
Un climat propice à l'effervescence populaire
En ce printemps de 1789, la tension sociale était très forte en raison de plusieurs facteurs.
La crise économique résultant du traité Eden-Rayneval de libre-échange avec l'Angleterre causait une vague de
licenciements.
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Affiche anglaise illustrant le traité. Notez à droite les Français mangeant des grenouilles... |
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Gravure anglaise "Anticipation, ou la mort prochaine du Traité de commerce français." |
Le prix du pain ne cessait d'augmenter, du fait du manque de
grains résultants du formidable orage qui avait balayé la France le 13 Juillet
1788 et du petit refroidissement climatique en cours.
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Carte de l'orage du 13 juillet 1788 |
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En 1783 eu lieu en Islande la plus grande éruption des temps historiques qui eu des conséquences terribles en France. |
- Une nouvelle politique économique
Notons également les effets de la nouvelle politique économique très libérale initiée par le courant des physiocrates, celle-ci favorisant (entre autres) la spéculation sur les blés. Je traite de ces problèmes très complexes plus en détail dans les 2 articles suivants :
24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales.
10 Novembre 1789 : La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?
Pour toutes ces raisons une grande vague de misère envahissait le pays et des milliers de miséreux affluaient sur Paris.
Lire cet article : A propos de la terrible misère au 18ème siècle
A tout cela, venait s'ajouter l'effervescence due à la
convocation des états généraux, dont la date approchait (5 mai 1789). On ne
parlait presque plus que de cela dans les journaux et probablement dans les
rues. Dans toutes les grandes villes du royaume les trois ordres, c'est-à-dire,
la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat, se réunissaient pour élire les
représentants qui se rendraient aux Etats Généraux.
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Costumes des députés des trois ordres aux Etats Généraux |
Les élus de Tiers-état étaient censés représenter le peuple,
c’est-à-dire à peu près 98% de la population, mais ils ne représentaient de fait que la bourgeoisie, vu qu'à Paris, le petit peuple n'avait pas été autorisé à participer
aux élections des représentants du tiers-état. Cette mise à l'écart des petites
gens qui s'étaient malgré tout exprimés dans les cahiers de doléances, créait
chez beaucoup un fort sentiment d'irritation. A tout cela s'ajoutait bien sûr
l'angoisse de la faim résultant du manque de pain et du prix sans cesse en
hausse de celui-ci.

Le pouvoir connaissait et redoutait cette agitation
populaire, puisqu'entre "le 13 avril et le 1er mai, 1500 hommes de
cavalerie et un régiment suisse, le "Salis-Samade", s'étaient installés à
Mantes, Pontoise, Beauvais, Compiègne, Meaux et Etampes. Ces troupes avaient été placées sous les ordres du baron de Besenval, lieutenant-général et commandant
de l'intérieur depuis plusieurs années (dont on reparlera le 12 Juillet 1789). Répartie en petits groupes, la
cavalerie était employée à prévenir et à réprimer les troubles alors fréquents,
par suite de la disette, dans les marchés de l'Ile-de-France et des provinces
limitrophes. En juin, les troupes se renforceront de 550 cavaliers stationnant tout autour de Paris.
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Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt |
Ce fut ainsi que, peu à peu, tous les acteurs de la
Révolution se mirent en place pour le premier acte de Juillet 1789.
Une rumeur,
C'est le dimanche 26 avril, après la séparation des trois
ordres réunis à l'Archevêché de Paris, que le sieur Jean-Baptiste Réveillon,
fabriquant de papiers peints et l'un des 42 commissaires élus du tiers-état, est
averti qu'une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres veulent le pendre !
Pourquoi cette colère meurtrière ? Une rumeur disait que Réveillon aurait affirmé
qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous par jour et que le
pain était trop bon pour le peuple (le pain coûtait alors de 13 à 13,5 sous).
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L'Archevêché de Paris, lieu des assemblées. |
Nombre de textes nous expliquent que cette rumeur était "infondée"
et que le Peuple avait mal compris ce que Réveillon avait dit (le Peuple est
stupide). On nous dit que Réveillon se justifiera quelques jours plus tard, en
expliquant l'origine des perfidies dont il était victime. C'est-à-dire que
durant l'hiver, il avait payé 18 sous par jour, 200 ouvriers qui ne pouvaient
plus travailler en raison du fait que les teintures de couleurs avaient gelé. Il
aurait dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain
baissât de prix. Un quidam mal intentionné avait donc dû entendre cela et mal
comprendre. D'autres relations de l'événement nous expliquent que Réveillon
avait mis au chômage ses ouvrier à cause de la concurrence anglaise qui mettait
à mal ses affaires.
Compte tenu de la terrible rigueur de l'hiver 1788/1789, la
thèse des couleurs gelées est assez crédible. Mais l'hypothèse de la
concurrence anglaise est également pertinente. Car l'industrie française souffrait
effectivement des conséquences du traité de libre-échange Eden-Rayneval, entre
la France et l'Angleterre. L'industrie anglaise était en effet très en avance
sur celle de la France. Nombre de patrons d'entreprises françaises prendront
d'ailleurs pour cette raison le parti de la Révolution française lorsque
celle-ci se produira. Mais pas Réveillon, car lorsque la Révolution
éclatera, Jean-Baptiste Réveillon émigrera en Angleterre avec
sa fortune intacte.
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L'émeute Réveillon |
Des propos grossiers
Si l'on cherche un peu, on apprend que le 23 avril précédant,
au cours de l'assemblée électorale du district de Sainte-Marguerite, Jean-Baptiste
Réveillon se serait réellement plaint à propos du salaire des ouvriers.
Il aurait proposé de supprimer les taxes prélevées sur les
biens de consommation courante entrant dans la capitale, permettant
mécaniquement la baisse de leur prix, et offrant alors aux entrepreneurs la
possibilité de baisser les salaires, un discours que ne pouvaient entendre tous
les travailleurs précaires, vivant au niveau de subsistance, pour qui le
moindre sou était une question de survie.
Hippolyte Adolphe Taine (1828-1893) évoquera le fait que Réveillon
"et le commissaire Lerat" y "ont mal parlé" et "Parler mal, c'est mal parler du peuple" (Taine, "Les
origines de la France contemporaine, la Révolution. —L'anarchie", Paris,
Hachette, 2e vol de 1878, 6 volumes, de 1875 à 1893).
- Propos inconsidérés selon la police.
Nous ne sommes pas sûrs de la teneur exacte des propos
(demande d'abaissement des salaires à 15 sous, au lieu d'une vingtaine, regrets
du "bon vieux temps où les salaires étaient plus bas") ; le 22 avril,
déjà, dans une autre assemblée, dans le district des Enfants-Trouvés, le
salpêtrier (fabricant de salpêtre) Henriot n'avait-il pas déjà affirmé que les
ouvriers pouvaient bien vivre avez quinze sous par jour ? (Sagnac, 1910).
Dans, tous les cas, des propos de ce genre ont bien été tenus, confirme ce
jour-là le lieutenant de police Thiroux de Crosne :
"Il y a eu hier sur les dix heures un peu de rumeur
dans un canton du faubourg Saint-Antoine ; il n’était que l’effet du
mécontentement que quelques ouvriers marquaient contre deux entrepreneurs de
manufacture qui, dans l’assemblée de Sainte-Marguerite, avaient fait des
observations inconsidérées sur le taux des salaires." (in Rudé, 1982).
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28 Avril 1789. Fusillade au Faubourg Saint-Antoine (Claude Niquet) |
Justification et légende patronale
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"Pub" de Réveillon |
En mai 1789, sitôt remis de ses émotions, Jean-Baptiste
Réveillon publiera un "Exposé justificatif pour le sieur Réveillon,
entrepreneur de la manufacture royale de papiers peints, fauxbourg
Saint-Antoine". Ce document est intéressant car on y découvre le
personnage se présentant en persécuté et exposant, malgré ses malheurs, sa
compassion envers ses ouvriers :"Un nouvel objet de douleur se joignait à mes maux :
trois cent cinquante ouvriers que ma manufacture fait vivre, près de manquer de
pain, ainsi que leurs enfants & leurs femmes, me déchiraient le cœur :
leurs cris sont parvenus jusqu'à moi ; j'ai oublié un instant mes malheurs,
& je n'ai songé qu'à ceux qui les menaçaient…"
Quel meilleur moyen de leur venir en aide que de les faire
de nouveau travailler ?
Le texte se poursuit donc ainsi : "J'ai pris, grâces
aux secours de mes amis, les précautions nécessaires pour faire continuer les
travaux des ateliers."
Fidèle à un argumentaire qui fera ses preuves plus tard, le
Sieur Réveillon se présente également comme un entrepreneur parti de rien (Un "self
made man" dirait-on de nos jours) :
"Moi qui ai commencé par vivre du travail de mes mains
! Moi qui fais par ma propre expérience, quand mon cœur ne l'apprendrait pas,
combien le pauvre a de droits à la bienveillance ! Moi enfin, qui me souviens
& qui me suis toujours fait honneur d'avoir été ouvrier & journalier,
c'est moi qu'on accuse d'avoir taxé les ouvriers et les journaliers à QUINZE
SOUS par jours !"
"Après trois ans d'apprentissage, je me trouvai,
pendant plusieurs jours, sans pain, sans asyle, & presque sans vêtement. J'étais
dans l'état de désespoir qui est la suite d'une situation si horrible ; je périssais
enfin de douleur & d'inanition. Un de mes amis, fils d'un menuisier, me
rencontra ; il manquait d'argent, mais il avait sur lui un outil de son métier,
qu'il vendit pour m'avoir du pain."
Accédez au texte intégral du "justificatif" par la fenêtre ci-dessous :
Rangez vos mouchoirs chers amis ! Bien qu'il ait
probablement eu quelques difficultés passagères, Réveillon était avant tout fils
d'un "bourgeois de Paris" et il connut surtout une vraie réussite
entrepreneuriale. En 1753, son apprentissage de trois ans de marchand-papetier
à peine achevé, il fut en mesure de racheter l'affaire de son maître à sa
veuve, de rembourser les dettes de celui-ci et d'épouser sa fille ! L'outil
vendu par son ami menuisier devait être en or massif ! En 1765 Jean-Baptiste
Réveillon achètera rue de Montreuil, dans le Faubourg Saint-Antoine, la magnifique
propriété de la Folie-Titon pour la convertir en fabrique de papiers peints.
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La Folie Titon |
Le
mot "folie" ne fait pas référence à l'éventuelle exubérance
architecturale du la propriété de Monsieur Titon. On désignait ainsi les
maisons de villégiatures ou de réceptions entourées d'un rideau d'arbres, folie
étant une altération de feuillée. Cette folie avait été construite
en 1673 par Maximilien
Titon, directeur des manufactures royales d'armes, comme maison de
campagne. Elle recevra en 1784 le nom de « Manufacture royale de papiers
peints ».
Sachez également que c'est à la File Titon, qu'eu lieu le 19 octobre 1783, le premier vol humain, effectué par Jean-François Pilâtre de Rozier et Giroud de Villette dans un ballon captif,
c'est-à-dire amarré au sol par une corde.
Un faubourg Saint-Antoine
pas aussi populaire que ça !
Attardons-nous un moment sur le faubourg Saint-Antoine, au
milieu duquel se situait la fabrique de papiers peints du sieur Réveillon.
N'imaginez pas trop vite un faubourg grouillant d'un petit peuple s'affairant
au milieu d'échoppes et d'ateliers bruyants. Il y a bien sûr des boutiques et
des milliers d'ouvriers travaillent dans ce faubourg. Mais beaucoup viennent
d'autres quartiers de Paris, plus populaires et plus éloignés. Regardez
ci-dessous l'extrait du fameux plan de Bretez et vous allez découvrir une suite
de belles propriétés entourées de hauts murs. La plupart des faubourgs de Paris
étaient en fait constitués de belles propriétés et d'édifices religieux, tous
entourés de jardins ceinturés de hauts murs.
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Le Faubourg Saint-Antoine sur le plan de Bretez |
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La Folie Titon en 1739 |
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Faubourg Saint-Antoine en 2022. On reconnait la pointe sur laquelle se situait la Boucherie, et il existe une rue Titon. |
Jouez aux historiens et posez-vous des questions
Je vous propose de lire ci-dessous (si vous le souhaitez) quelques textes qui décrivent et
commentent l'événement. Vous ne manquerez pas de découvrir des différences et
même quelques points particuliers qui posent questions.
Qui sont les émeutiers et d'où viennent-ils ? Un récit nous les décrit descendant de la
montagne Sainte-Geneviève par le faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue
Mouffetard et les Gobelins. Ils font même un détour par le pont de la Tournelle
jusqu'à la place de Grève, afin de pendre et brûler une effigie à une
lanterne. Il ne semble pas en tout cas qu'ils s'agissent d'ouvriers de chez
Réveillon !
Que venaient faire là, ces deux Chevalier de l'ordre royal
et militaire de Saint-Louis, que l'on retrouvera morts parmi les émeutiers ?
Pourquoi par deux fois le carrosse
du Duc d'Orléans traverse-t-il l'émeute ? Dans l'après-midi du 28, le duc
d'Orléans, prince du sang, traverse le rassemblement en carrosse et
appelle au calme, avant de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Ce
qui lui vaut d'être ovationné. Dans la soirée, le passage du carrosse de sa
femme, la duchesse d'Orléans, en route pour assister à des courses de
chevaux à Vincennes, permet d'ouvre une brèche et donne l'occasion à la foule
de se précipiter dans la manufacture. Vous allez découvrir bientôt le jeu
équivoque du Duc d'Orléans, au cours des journées révolutionnaires.
Pourquoi ni le guet ni la
garde n'interviennent-ils pas au début de l'événement ? Vous verrez plus tard
que le régiment des gardes françaises se fera remarquer plus tard pour son
inaction, voire sa participation lors des événements révolutionnaires… Il
faudra finalement que les fougueux cavaliers Croates du Royal Cravate chargent la
foule et que les gardes Suisses fassent toner le canon ! (Au fait messieurs, le
nom de votre cravate vient précisément de l'écharpe que portait les soldats de
ce régiment. C’est le mot Hrvat, forme croate de Croate, qui a donné
krvat, puis cravate.)
Vous constaterez par la suite que ce genre de bizarrerie se
reproduira souvent lorsque nous évoquerons d'autres événements révolutionnaires
! Vous comprendrez alors pourquoi certains se posent des questions quant à la nature spontanée de telles émeutes. Des bandes qui surgissent de nulle part, des
militaires (souvent les gardes françaises) qui n'interviennent que mollement,
le Duc d'Orléans qui passe par là, autant d'ingrédients suffisants pour
imaginer un complot. Lorsque nous évoquerons la prise de la Bastille, vous
verrez que la confusion sera encore pire !
Nota : J'ai conservé l'orthographe de l'époque et je me suis permis de souligner en rouge quelques passages, pour attirer votre attention.
Journal politique ou Gazette des gazettes
Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153057/f139.item
La tranquillité de la capitale pendant toutes ces assemblées,
avait été parfaite ; mais elle fut cruellement troublée le 27 et le 28.
Monsieur Réveillon, propriétaire d'une riche manufacture de papiers peints,
établie au faubourg Saint Antoine, s'étant permis quelques propos qui déplurent
au Peuple, comme le dire qu'un salaire de 15 sols par jour était suffisant pour
la subsistance d'un manouvrier, une quantité de gens armés de bâtons et de
pierres tenta, le 27, de détruire la manufacture. Après avoir brisé les vitres
de la maison, on voulait en arracher le propriétaire. Un fort détachement de
Gardes Françaises vint au secours de ce citoyen qui sut souffrait à la fureur
du Peuple. La troupe grossissant à chaque instant, ne pouvant exécuter les
violences qu'elle avait projetées, se jette sur la maison du Sieur Henriot,
salpêtrier, la pilla, enleva & brûla tous les meubles & effets qui la
garnissait. Le 28, l'insurrection devint alarmante : les mutins, au nombre de 4
à 5 mille, ne pouvant être contenus par les Gardes Françaises, ni par les
Gardes Suisses, le régiment de Royal-Cravate, cavalerie, s'y joignit, & ce
ne fut qu'après bien des efforts qu'on parvint à disperser la multitude animée.
Il fallut réprimer son audace à coup de fusil, & il y eut beaucoup de sang
répandu de part & d'autre ; mais, grâce au ciel, le calme est enfin
rétabli.
Dans ces circonstances, il parut un arrêt du parlement, qui
fait défenses à toutes personnes de former aucuns attroupements, d'entrer de
force dans les maisons, d'y commettre des excès, &c, à peine d'être
poursuivies extraordinairement comme perturbateurs du repos public, &
punies suivant la rigueur des ordonnances.
Le 23, le parlement enregistra une déclaration du roi, datée
du 28, & par laquelle Sa Majesté attribue à la prévôté la connaissance de
ces excès.
Le 29, un jugement prévôtal, rendu à la chambre criminelle du
Chatelet, condamne Jean-Claude Gilbert, couverturier, & Antoine Pourrat,
gagne-denier, à être pendus à la place de la porte Saint-Antoine, pour
attroupement, émeute & sédition.
26 avril. Aussitôt réunis à l'Archevêché, les trois ordres
se sont séparés, et chacun d'eux a nommé des commissaires pour la rédaction des
cahiers définitifs. M. Angran d'Alleray, lieutenant civil au Châtelet, avait
été désigné pour présider notre assemblée : il s'est refusé à remplir ses
fonctions comme simple citoyen, malgré la disposition où se trouvait
l'assemblée de les lui confirmer par élection. Il s'est retiré, mais à portée,
avec ses huissiers. Nous avons élu président Me Target, et secrétaire M.
Sylvain Bailly. M. le prévôt de Paris, président de la noblesse, est venu nous
proposer l’union avec son ordre. Mais chacun pensait à ce mot : Timeo Danaos, et dona ferentes, et tout ce miel ne nous a pas englués. Bien plus, quelques électeurs
voulaient obliger à sortir trois anoblis, entre autres un banquier, M.
Lecoulteux de la Noraye. La noblesse n'aurait certaine ment pas voulu d'eux et
ils seraient demeurés à cheval entre deux selles. Ils se sont excusés sur ce
qu'ils avaient obtenu la noblesse par le commerce, et nous les avons gardés, quoiqu'ils eussent dérogé à leur ordre. Mgr de Juigné a été admis comme
président du clergé ; mais il a dû congédier sa haute croix qui le précédait
partout suivant l'usage. Le clergé a renoncé, ainsi que la noblesse, à tout
privilège en fait d'impôt. En rentrant chez moi, je rencontre, rue Saint
Séverin, une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres, qui vociféraient, avec des menaces de mort, le nom d'un de nos 42 commissaires élus (Par 103 voix. Le premier était Guillotin, qui eut 239 voix), M. Réveillon, fabricant de
papiers peints. J'apprends que, prévenu à temps, M. Réveillon n'est point
sorti de l'Archevêché. Je m'informe de ce qu'on lui reproche. Il aurait dit qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous
par jour, que le pain était trop bon pour le peuple, etc. Cette accusation
est une infâme calomnie : M. Réveillon a été lui- même ouvrier, et s'en est
toujours souvenu.
27 avril. Dès avant-hier et durant toute la journée d'hier
dimanche, des bandes avinées se portent du côté du faubourg Saint-Antoine, où
sont situées, à la Folie-Titon, la maison et la fabrique de M. Réveillon. Le
guet et la garde ont laissé faire. Ce matin continue cette singulière émeute
contre un particulier jusqu'ici inconnu de la foule, et considéré par ses amis
comme la bonté et la bienfaisance mêmes. Une de ces troupes, que j'ai suivie,
pouvait bien compter cinq à six cents mutins. Ils ne portaient d'autres armes
que des bâtons, avec un papier blanc au bout. Ils s'arrêtaient pour boire, et
payaient. De la montagne Sainte - Geneviève, ils sont
descendus au faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue Mouffetard, aux Gobelins
: le poste des gardes françaises devant lequel ils sont passés, n'a pas bougé. Ils
sont revenus par la rue Saint-Victor et celle des Fossés-Saint Bernard, ont
volé des bûches au chantier, puis, par le pont de la Tournelle, se sont arrêtés
place de Grève. Là, le plus grand de la bande a crié un « Arrêt du tiers état
qui condamne les nommés Réveillon et Henriot (Salpêtrier, voisin de Réveillon) à
être pendus et brûlés en place publique ». Ils ont accroché à une potence
l'effigie d'un homme peinte sur un morceau de carton. Ils ont brûlé un autre
mannequin. Pendant cette exécution, une autre troupe avait gagné le faubourg
Saint-Antoine. Mais la maison Réveillon était entourée par les gardes
françaises, qui avaient élevé de solides barricades. Il n'y a pas eu de sang
versé, le duc du Châtelet et le comte d'Affry ayant recommandé aux soldats la
plus grande modération. Le soir, les boutiquiers des rues Saint- Denis,
Saint-Martin, Saint- Antoine, etc. , qui avaient fermé, rouvrent en partie.
28 avril, MM. Réveillon et Henriot ont été mis en sûreté à
la Bastille. Les gardes françaises ont été renforcées des gardes suisses, du
guet, de la maréchaussée. Mais une des barricades a été affranchie pour
laisser passer Mme la duchesse d'Orléans, qui allait à une course de chevaux à
Vincennes. Les soldats ont été aussitôt assaillis de pierres, de tuiles, et
même de débris de cheminées. Ils ont fait feu. Après-midi, le Royal-Cravate a
chargé la foule. Quant à la maison, elle a été saccagée de fond en comble.
Vers 5 heures, le Pont-Neuf, le Pont-au-Change, le boulevard de la
Porte-Saint-Antoine, sont remplis d'une foule compacte. Le peuple arrête les
voitures, fait descendre hommes ou femmes, et les oblige à crier : Vive le Roi
! Vive M. Necker ! Vive le Tiers État ! Le Parlement a rendu un arrêt contre
les rassemblements illicites.
29 avril. - M. Réveillon se
justifie, ou plutôt il explique l'origine des perfidies dont il est victime. Il
a, cet hiver, payé 18 sous par jour 200 ouvriers à ne rien faire, les couleurs
étant gelées, et tout travail impossible. Il aurait
dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain baissât
de prix. A la Folie - Titon, il n'y a plus que les quatre murs :
heureusement, dès avant-hier, Mme Réveillon avait mis en sûreté ses papiers et
ses bijoux. — Sept individus ont été trouvés morts ivres ou empoisonnés dans
les caves ; plusieurs centaines d'émeutiers ou de curieux ont été tués ou
blessés, deux chevaliers de Saint- Louis dans le nombre. Sur les sept heures du
soir deux des assaillants, jugés prévôtalement, sont pendus devant la Bastille,
et leurs cadavres enlevés une heure après. — Hélas ! Nous avons eu bien pire que
le Champ de Mont morin .
30
avril. – La foule va en procession au faubourg Saint-Antoine. On ne sait que
penser de cette étrange sédition : on croit qu'elle a été préparée de longue
main, mais qu'elle n'a pu mûrir assez tôt pour empêcher nos élections. On a
aussi surpris deux meneurs dans un galetas d'une ignoble maison, rue des Prêtres
Saint-Séverin : or le curé de Saint- Séverin donne avis que, quelques jours
avant l'émeute du 27, on voyait souvent venir des personnes de qualité dans
cette maison. La crainte et la défiance sont dans tous les cours, au moment où
il n'est question dans la plupart des écrits avoués par leurs auteurs que de la
fraternité des ordres, du Roi notre bon père à tous, etc. La haine, envie, l'orgueil, la cruauté font tomber les masques l'un après l'autre.
Adrien Joseph Colson, courrier du 3 mai 1789
Adrien Joseph Colson, avocat au Parlement de Paris et intendant de la famille de Longaunay, écrivit de 1780 à 1793, au rythme de la poste, soit deux fois par semaine, à Roch Lemaigre, régisseur des terres du Berry de cette famille. Il raconte, de son point de vue, les événements révolutionnaires. A noter qu'il rapporte plus qu'il ne témoigne.
(…) Au moment encore où j'écrivais ma dernière lettre (28 avril),
il se passait au faubourg Saint-Antoine une scène sérieuse de désordres qui
ensanglantaient les rues et jusqu'aux toits des maisons de ce Faubourg.
Quelques jours avant cet événement, la crapule de ce faubourg, prétendant qu'un
sieur Réveillon avait dit qu'il ne trouvait pas le pain trop cher et qu'il
était à un taux raisonnable, s'en est tellement offensée qu'elle s'est mise à
le chercher tous les jours pour le tuer. Ne le trouvant pas, et le nombre de
cette crapule augmentant tous les jours, elle s'est enhardie et animée au point
de brûler tous ses effets et, le lendemain ou deux jours après, elle a incendié
sa maison. Déjà une partie se portait en foule dans les rues de Paris et une
autre s'y répandait par pelotons : et ceux-ci faisaient les premiers essais du
brigandage en arrêtant les voitures et quelque fois les gens de pied bien mis
pour en extorquer de l'argent. Tous ces excès réunis ont obligé, au moment où
j'écrivais ma lettre, à faire marcher au faubourg saint Antoine où était le
centre de ces brigands un corps considérable de troupes formé de différends
détachements des gardes françaises, un des gardes suisses, le régiment entier
de royal cravate cavalerie et d'autres corps qui se trouvaient autour de Paris.
Les gardes suisses avaient conduit avec eux leurs canons. La crapule du
faubourg a eu le front et la témérité de monter sur le toit des maisons et dans
les chambres et de lancer des pierres qu'elle avait amassée, des tuiles et tout
ce qu'elle avait, sur les troupes. Elle a tué quelques soldats du régiment du
royal cravate et en a blessé quelques-uns des gardes françaises. Mais on lui a
tué et blessé bien du monde. Un grenadier des gardes françaises a dit à
quelqu'un de qui je le tiens qu'à sa part il en avait tué cinq sur les toits au
moment où il les voyait mesurer leur coup sur les toits avec des tuiles sur ses
camarades. Le lendemain de cette scène on a pendu deux de ces brigands : cela a
rétabli le calme un jour ou deux. Mais on dit que l'avant dernière nuit cette
canaille a été ouvrir les prisons et les salles de force de Bicêtre, ce qui
annonce qu'elle n'en restera pas là et qu'il faudra de nouveaux coups de
vigueur contre elle. (…) Vous savez sans doute qu'à Orléans il s'est passé des
scènes aussi terribles qu'ici au faubourg Saint-Antoine. (…)
Voici les nouvelles de Paris, du 29 avril : Notre tour est
venu, la révolte a éclaté avant-hier 27, mais pour toute autre cause que
celle des grains. Les ouvriers du faubourg Saint-Antoine avaient été ameutés
contre un sieur Réveillon, propriétaire d'une grosse manufacture de papier
peint. On l'accusait d'avoir soutenu dans l'assemblée de son district qu'un
ouvrier pouvait vivre avec 15 sols par jour et qu'il fallait diminuer les
salaires ; ce qui était faux. Les ouvriers promenèrent lundi un mannequin, le
représentant, qu'ils brûlèrent. Ils ne purent forcer sa maison, qu'un
détachement des gardes défendaient ; ils s'en vengèrent sur celle d'un
salpêtrier, son ami, en brûlant tous les meubles et effets au milieu de la rue.
Le guet, les gardes françaises, soutenus par cent chevaux des Cravates,
dissipèrent les mutins vers minuit. Il aurait fallu en pendre de bon matin deux
ou trois qui avaient été arrêtés. Point du tout, on ne fit rien. Les ouvriers
se réunirent hier de bonne heure, ils repoussèrent les troupes, et cette fois
ils par vinrent à forcer la maison de Réveillon. Les tuiles, les cheminées
pleuvaient sur les soldats. L'ordre vint de tirer, les Cravates chargent, il y
a un carnage affreux. Les ouvriers, ivres de vin et de liqueurs, trouvés dans
les caves se défendent en désespérés. A 8 heures, les gardes suisses arrivent
avec du canon. Ce n'est qu'à minuit qu'on est maître du champ de bataille. On
compte deux cents hommes au moins de tués. Les troupes en ont plusieurs de
blessés et trois ou quatre tués. A la première décharge des troupes, quinze
jeteurs de tuiles et briques ont déniché de dessus les toits. Vous voyez que ce
n'est pas la même cause que pour les grains.
Godechot : La prise de la Bastille, 1965 (via
Guillemin page 29).
Source :
Le bruit se répand dans Paris, que Réveillon, un marchand de
papier peint du faubourg Saint-Antoine, aurait déclaré que ses ouvriers
pouvaient bien vivre avec 15 sous par jours. On le traite d’affameur (le pain coûte de 13 à 13,5 sous). En vérité Réveillon
n’avait pas dit cela. C’était un brave homme qui devant mettre au chômage une partie
de son personnel, à cause de la concurrence anglaise, les avait payés quand
même et avait déclaré qu’il faudrait une réduction des prix des denrées de
bases, pour qu’un ouvrier puisse vivre avec 15 sous par jours.
La troupe ouvre le feu (12 soldats et près de 300
manifestants tués).
Herodote.net
Source : https://www.herodote.net/27_28_avril_1789-evenement-17890427.php
Jean-Baptiste Réveillon dirige une grande manufacture de
papiers peints dans la rue de Montreuil, la Folie-Titon. Il fournit ainsi de
l'emploi à trois cents ouvriers.
Obligé de réduire ses effectifs en raison de la
concurrence anglaise induite par le Traité Franco-britannique ‘Eden-Rayneval’ (1786), il
a octroyé une allocation chômage à ceux dont il a dû se séparer. Cette
initiative originale témoigne de ses idées progressistes...
Autre témoignage de son ouverture d'esprit : le 23
avril 1789, il suggère au gouvernement du roi Louis XVI de
supprimer les octrois, taxes prélevées sur les marchandises à l’entrée dans la
capitale. Cette mesure devrait faire baisser les prix des biens de consommation
courante. Et si les prix baissent, il deviendra loisible aux employeurs de
baisser aussi les salaires de leurs ouvriers. CQFD. La proposition est reprise
par un fabricant de salpêtre, Henriot.
Mais cet argumentaire libéral d’avant-garde, diffusé dans
les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel, où travaillent une quarantaine de
milliers d'ouvriers, artisans et compagnons, n’a pas l’heur de plaire à la
population laborieuse qui n'en retient que la menace d'une baisse de salaire.
Ce petit peuple est irrité par ailleurs de n'avoir pas été
autorisé à participer aux élections aux états généraux, qui doivent se réunir à
Versailles au début mai.
Des manifestations spontanées se forment çà et là. Les
effigies de Réveillon et Henriot sont brûlées dans la nuit du 26 au 27 avril en
place de Grève, devant l'Hôtel de ville, aux cris de « Mort aux
accapareurs ! Le pain à deux sous ! ». La maison de Réveillon
est pillée.
Le lendemain, plusieurs milliers de personnes investissent
la manufacture Réveillon, sous la surveillance de quelques troupes, gardes
françaises, gendarmes à cheval, cavaliers du Royal Cravates. En soirée, comme les troupes doivent s'écarter pour
faire de la place au carrosse du duc d'Orléans, la foule en profite pour
entrer dans la manufacture et la mettre au pillage. Tout est saccagé et brûlé.
Là-dessus intervient la troupe. C’est l’affrontement. Avec
douze morts parmi les forces de l’ordre et au moins une centaine parmi les
émeutiers, la journée s’avère plus meurtrière que toutes celles qui suivront.
Les électeurs, sous un président de leur choix, siégeaient à
l’Archevêché ; ils allaient procéder à la fusion des cahiers de districts
et à la rédaction du cahier commun ; ils s’accordaient déjà sur une chose,
que Sieyès avait conseillée, l’utilité de placer en tête une déclaration des
droits de l’homme. Au milieu de cette délicate et difficile besogne
métaphysique, un bruit terrible les interrompit. C’était la foule en guenilles
qui venait demander la tête d’un de leurs collègues, d’un électeur, Réveillon,
fabricant de papier au faubourg Saint-Antoine. Réveillon était caché ;
mais le mouvement n’en était pas moins dangereux. On était déjà au 28
avril ; les États généraux promis pour le 27, puis remis encore au 4 mai,
risquaient fort, si le mouvement durait, d’être ajournés de nouveau.
Il avait commencé précisément le 27, et il n’était que trop
facile de le propager, le continuer, l’agrandir, dans une population affamée.
On avait répandu dans le faubourg Saint-Antoine que le papetier Réveillon,
ex-ouvrier enrichi, avait dit durement qu’il fallait abaisser les journées à
quinze sols ; on ajoutait qu’il devait être décoré du cordon noir. Sur ce
bruit, grand mouvement. Voilà d’abord une bande qui, devant la porte de
Réveillon, pend son effigie décorée du cordon, la promène, la porte à la Grève,
la brûle en cérémonie sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville, sous les yeux
de l’autorité municipale, qui ne s’émeut pas. Cette autorité et les autres, si
éveillées tout à l’heure, semblent endormies. Le lieutenant de police, le
prévôt des marchands Flesselles, l’intendant Berthier, tous ces agents de la
cour, qui naguère entouraient les élections de soldats, ont perdu leur
activité.
La bande a dit tout haut qu’elle irait le lendemain faire
justice chez Réveillon. Elle tient parole. La police, si bien avertie, ne prend
nulle précaution. C’est le colonel des gardes françaises qui de lui-même envoie
trente hommes, secours ridicule ; dans une foule compacte de mille ou de
deux mille pillards et cent mille curieux, les soldats ne veulent, ne peuvent
rien faire. La maison est forcée, on brise, on casse, on brûle tout. Rien ne
fut emporté, sauf cinq cents louis en or.
Beaucoup s’établirent aux caves, burent le vin et les couleurs de la fabrique,
qu’ils prirent pour du vin.
Chose incroyable, cette vilaine scène dura tout le jour.
Remarquez qu’elle se passait à l’entrée même du faubourg, sous le canon de la
Bastille, à la porte du fort. Réveillon, qui y était caché, voyait tout des
tours. On envoyait de temps à autre des compagnies de gardes françaises qui
tiraient, à poudre d’abord, puis à balles. Les pillards n’en tenaient compte,
quoiqu’ils n’eussent que des pierres à jeter. Tard, bien tard, le commandant
Besenval envoya des Suisses, les pillards résistèrent encore, tuèrent quelques
hommes ; les soldats répondirent par des décharges meurtrières qui
laissèrent sur le carreau nombre de blessés et de morts. Beaucoup de ces morts,
en guenilles, avaient de l’argent dans leurs poches.
Si, pendant ces deux longs jours où les magistrats
dormirent, où Besenval s’abstint d’envoyer des troupes, le faubourg
Saint-Antoine s’était laissé aller à suivre la bande qui saccageait Réveillon,
si cinquante mille ouvriers, sans travail, sans pain, s’étaient mis, sur cet
exemple, à piller les maisons riches, tout changeait de face ; la cour
avait un excellent motif pour concentrer une armée sur Paris et sur Versailles,
un prétexte spécieux pour ajourner les États. Mais la grande masse du faubourg
resta honnête et s’abstint ; elle regarda, sans bouger. L’émeute, ainsi
réduite à quelques centaines de gens ivres et de voleurs, devenait honteuse
pour l’autorité qui la permettait. Besenval trouva, à la fin, son rôle trop
ridicule, il agit et finit tout brusquement. La cour lui en sut mauvais
gré ; elle n’osa le blâmer, mais ne lui dit pas un mot.
Le Parlement ne put se dispenser, pour son honneur, d’ouvrir
une enquête, et l’enquête resta là. On a dit, sans preuve suffisante, qu’il lui
fut fait défense, au nom du roi, de passer outre.
Quels furent les instigateurs ? Peut-être personne. Le
feu, dans ces moments d’orage, prend bien de lui-même. On ne manqua pas
d’accuser « le parti révolutionnaire ». Qu’était-ce que ce
parti ? Il n’y avait encore nulle association active.
On prétendit que le duc d’Orléans avait donné de l’argent.
Pourquoi ? Qu’y gagnait-il alors ? Le grand mouvement qui commençait
offrait à son ambition trop de chances légales pour qu’à cette époque il eût
besoin de recourir à l’émeute. Il était mené, il est vrai, par des intrigants
prêts à tout ; mais leur plan, à cette époque, était entièrement dirigé
vers les États généraux ; seul populaire entre les princes, leur duc, ils
s’en croyaient sûrs, allait y jouer le premier rôle. Tout événement qui pouvait
retarder les États leur paraissait un malheur.
Qui désirait les retarder ? Qui trouvait son compte à
terrifier les électeurs ? Qui profitait à l’émeute ?
La cour seule, il faut l’avouer. L’affaire venait tellement
à point pour elle qu’on pourrait l’en croire auteur. Il est néanmoins plus
probable qu’elle ne la commença point, mais la vit avec plaisir, ne fit rien
pour l’empêcher et regretta qu’elle finît. Le faubourg Saint-Antoine n’avait
pas alors sa terrible réputation ; l’émeute sous le canon même de la
Bastille ne semblait pas dangereuse.
La cour ne voulut point influencer les élections ; elle
n’était point fâchée d’y voir un grand nombre de curés ; elle comptait sur
leur opposition aux grands dignitaires ecclésiastiques, et en même temps sur
leur respect pour le trône. D’ailleurs elle ne prévoyait pas tout, et dans les
députés du tiers elle apercevait encore plutôt des adversaires pour la noblesse
que pour elle-même. Le duc d’Orléans fut accusé d’agir vivement pour faire
élire ses partisans, et pour être lui-même nommé. Déjà signalé parmi les
adversaires de la cour, allié des parlements, invoqué pour chef, de son gré ou
non, par le parti populaire, on lui imputa diverses menées. Une scène
déplorable eut lieu au faubourg Saint-Antoine ; et comme on veut donner un
auteur à tous les évènements, on l’en rendit responsable. Un fabricant de
papiers peints, Réveillon, qui par son habileté entretenait de vastes ateliers,
perfectionnait notre industrie et fournissait la subsistance à trois cents
ouvriers, fut accusé d’avoir voulu réduire les salaires à moitié prix. La
populace menaça de brûler sa maison. On parvint à la disperser, mais elle y
retourna le lendemain ; la maison fut envahie, incendiée, détruite.
Malgré les menaces faites la veille par les assaillants, malgré le
rendez-vous donné, l’autorité n’agit que fort tard, et agit alors avec une
vigueur excessive. On attendit que le peuple fût maître de la maison ; on
l’y attaqua avec furie, et on fut obligé d’égorger un grand nombre de ces
hommes féroces et intrépides, qui depuis se montrèrent dans toutes les
occasions, et qui reçurent le nom de brigands.
Tous les partis qui étaient déjà formés s’accusèrent :
on reprocha à la cour son action tardive d’abord, et cruelle ensuite ; on
supposa qu’elle avait voulu laisser le peuple s’engager, pour faire un exemple
et exercer ses troupes. L’argent trouvé sur les dévastateurs de la maison de
Réveillon, les mots échappés à quelques-uns d’entre eux, firent soupçonner
qu’ils étaient suscités et conduits par une main cachée ; et les ennemis
du parti populaire accusèrent le duc d’Orléans d’avoir voulu essayer ces bandes
révolutionnaires.
Ce prince était né avec des qualités heureuses ; il
avait hérité de richesses immenses ; mais, livré aux mauvaises mœurs, il
avait abusé de tous ces dons de la nature et de la fortune. Sans aucune suite
dans le caractère, tour à tour insouciant de l’opinion on avide de popularité,
il était hardi et ambitieux un jour, docile et distrait le lendemain. Brouillé
avec la reine, il s’était fait ennemi de la cour. Les partis commençant à se
former, il avait laissé prendre son nom, et même, dit-on, jusqu’à ses
richesses. Flatté d’un avenir confus, il agissait assez pour se faire accuser,
pas assez pour réussir, et il devait, si ses partisans avaient réellement des
projets, les désespérer de son inconstante ambition.
Wikipedia !
Nota : Je trouve intéressant de donner la version de WIKIPEDIA au 21 mai 2022, non seulement parce qu'elle est bien renseignée, mais aussi parce que je me suis rendu compte que les articles de Wikipedia changeaient parfois très fortement au fil du temps.
Le déclenchement de la révolte
Depuis la signature du traité de libre-échange entre la France
et l'Angleterre, en l'an 1786, les importations textiles anglaises à bas prix
inondent le marché français. Les entreprises françaises du textile ont de plus
en plus de mal à écouler leurs marchandises. En l'espace de quatre ans, les
exportations anglaises ont quintuplé en valeur.
Après un hiver particulièrement rigoureux, le prix du pain
augmente fortement dans les premiers mois de 1789. La tension est augmentée par
l'ouverture prochaine des États généraux qui doivent se tenir
à Versailles,
mais qui est finalement reportée au 5 mai. Les élections
des députés du Tiers-État ne sont pas encore terminées à Paris et les
ouvriers et les apprentis compagnons n'ont pas le droit de vote, plus
restrictif qu'ailleurs dans le royaume.
La menace de la disette et du chômage, l'exclusion des assemblées électorales
du tiers état mécontentent les habitants des populaires faubourgs Saint-Antoine et
Saint-Marcel.
Le 23 avril, au cours d'une assemblée d'électeurs du
tiers état, Réveillon aurait tenu des propos inquiétants sur les salaires des
ouvriers. Il aurait regretté le bon vieux temps où les ouvriers étaient payés
15 sous par jour au lieu de 25 alors. Selon une deuxième interprétation,
ce patron nourri d'idées libérales aurait suggéré de supprimer l'octroi afin de
diminuer le prix d'importation de la farine et donc le prix du pain, l'autorisant
ainsi à baisser les salaires. Un autre patron, Henriot (ou Hanriot), fabricant
de salpêtre,
partage son opinion. Quoi qu'il en soit, parmi le peuple, le bruit se répand
que Réveillon veut baisser les salaires. Dès le soir, son nom est conspué. La
rumeur est répétée et commentée dans les cabarets et les ateliers, si bien que
le mécontentement finit par exploser.
Le lundi 27 avril, des milliers de chômeurs, d'ouvriers,
d'artisans, de petits patrons, de débardeurs s'ameutent près de la Bastille, puis
se dirigent vers l'hôtel de ville, aux cris de « Mort aux riches !
Mort aux aristocrates ! Mort aux accapareurs ! Le pain à deux
sous ! À bas la calotte ! À l'eau les foutus prêtres9 ! » Place
de Grève, sont brûlées les effigies de Réveillon et d'Henriot. Devant
l'hôtel de ville, une délégation de bourgeois envoyée par l'assemblée
électorale convainc les manifestants de se disperser. Mais la colonne se dirige
vers la manufacture et l'hôtel de Réveillon. Un détachement d'une cinquantaine
de gardes-françaises leur en interdisant l'accès,
les manifestants se rabattent sur la maison d'Henriot, laquelle n'est pas
protégée. Le salpêtrier et sa famille ont juste le temps de s'enfuir au donjon de Vincennes avant que leur maison
ne soit saccagée et pillée.
Le lendemain, 28 avril, un nouveau rassemblement se
tient devant l'hôtel et la manufacture de Réveillon, mais les forces de
l'ordre, renforcées depuis la veille et retranchées derrière des barricades,
tiennent à distance la foule houleuse et désarmée. Dans l'après-midi, le duc d'Orléans, prince
du sang, traverse le rassemblement en carrosse et appelle au calme, avant
de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Il est ovationné. Dans la
soirée, le passage du carrosse de sa femme, la duchesse d'Orléans, ouvre une brèche
temporaire dans les barricades. Les émeutiers en profitent pour forcer l'entrée
de l'hôtel et tout saccager. Des fenêtres et du haut des toits, ils lancent des
tuiles et des meubles sur la troupe. Exaspérés, les gardes tirent. Cette
riposte tue un nombre indéterminé d'émeutiers, 25 selon le commissaire du
Châtelet, 900 selon le marquis de Sillery,
un soulèvement particulièrement meurtrier en considérant la fourchette haute.
Du côté des soldats, le bilan s'établit plus sûrement à 12 tués et 80 blessés.
Jusqu'à dix heures du soir, le lieutenant de police Thiroux de Crosne quadrille le
faubourg Saint-Antoine et fait pourchasser les séditieux jusqu'au faubourg
Saint-Michel.
Le 29 avril, il en fait pendre deux.
Analyses et interprétations
Selon l'historienne Raymonde Monnier, qui note
l'absence des salariés de Réveillon dans l'émeute du 28 avril, cette
affaire Réveillon n'est pas un « affrontement entre patrons et
ouvriers ». Motivée par l'augmentation du prix du pain et donc par la faim
et la misère, elle se rattache aux émeutes de subsistance, typiques de l'Ancien
Régime. En même temps, se dessinent les caractères d'une journée révolutionnaire :
le peuple se réclame du tiers état et lance des slogans nouveaux tels que
« Liberté ». À dix jours de l’ouverture des États généraux, les
Parisiens les plus pauvres, exclus du scrutin, s'impatientent et entendent
exprimer, par la force, leurs revendications. De ce point de vue, ces journées
peuvent être vues comme le premier soulèvement populaire de la Révolution.
Les événements du faubourg Saint-Antoine sont certainement
spontanés, mais des contemporains ont pensé à une action commanditée et
alimenté la thèse du complot. Certains y ont vu la main de l'Angleterre ou des
aristocrates. Rétif de la Bretonne,
dans Les Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne, accuse
« Aristocratie » d'avoir acheté des bons à rien pour aller attaquer
Réveillon. Plus précisément, la rumeur pointa du doigt le duc d’Orléans. Le baron de Besenval et Jean-François Marmontel le rapportent
dans leurs mémoires respectifs. L'historienne Évelyne
Lever estime qu'aucune preuve ne désigne Louis-Philippe d'Orléans. De
même, Jean-Christian Petitfils disculpe le
prince, « agitateur inconséquent » mais trop dilettante pour mener
une conspiration. Par contre, la faction Orléans, qu'animait notamment Choderlos de Laclos, a pu agir pour son
compte. On comprendrait alors mieux pourquoi, pris dans l'émeute, ni le
carrosse du duc, ni celui de la duchesse ne furent pris à partie par la foule
excitée.
Conclusion
Il y a bien sûr énormément d'autres versions. Je complèterai d'ailleurs ultérieurement cet article avec de nouvelles, afin que nous prenions mieux la mesure des variantes, en pesant même le poids de certains mots...
A propos, avez-vous remarqué la version "libérale" du site Hérodote.net ? Pour faire contrepoids, je vous suggère de lire la version très complète, très renseignée et très politisée du site "Ploutocratie.com" 😉
Merci pour votre lecture. Surtout si vous êtes arrivés à la fin de cet article !
A suivre !
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Plaques commémoratives au numéro 31 bis de la rue de Montreuil à Paris. |