lundi 27 juillet 2020

Suite du 22 Juillet 1789 : Rendons son honneur à Lafayette

Les a priori égarent les historiens de parti pris

    J’ai déjà évoqué avec vous dans mes publications du 20 Juillet et du 22 Juillet, la vision partisane d’un nostalgique de l’ancien régime, un certain Hubert La Marle, linguiste et paléographe, qui se mêle d’expliquer la Révolution française au travers de sa vision complotiste. Selon ce triste sire, tout est de la faute des francs-maçons et nous nous souvenons qu’il avait accusé Lafayette d’avoir participé au simulacre de jugement du conseiller d’état Foullon.

    Ayant identifié aisément les a priori de l’auteur, vous vous souvenez que j’avais utilisé sa version, plus pour illustrer les dérives inévitables d’une explication par le complot, que pour les présenter comme une vérité. Concernant Lafayette, par exemple, j’avais trouvé vraiment très étonnant qu’il eut été complice d’un tel forfait.

    C’est en voulant préparer un nouvel article sur « les brigands » (article à suivre), que j’ai trouvé une version bien différente de celle de notre "ami royaliste", dans le livre 2 du tome 1 de « L’histoire de la révolution française » de Adolphe Thiers (page 111 et 112 de l’édition de 1880).

    On y voit un Lafayette, mêlé contre son gré à l’événement, essayant de calmer le foule surexcitée et y parvenant même plusieurs fois ! Lafayette voudra même démissionner de son poste de commandant de la garde nationale, à la suite de cette tragédie ! Une attitude bien plus ressemblante à ce que l’histoire à retenu du caractère du personnage, que celle présentée par notre chasseur de francs-maçons ! (Oui, Lafayette, lui aussi était un franc-maçon). Il faudra que je vous rédige prochainement un article sur ces malheureux francs-maçons, accusés de tous les crimes par les nostalgiques de l’ancien régime. A cette époque, à peu près tous ceux qui se donnaient un peu la peine de penser, étaient francs-maçons, même Louis XVI ! (Mais c’est une autre histoire).

    Concernant Lafayette, de savoir qu’il a assisté à ce lynchage d’un vieil homme par une foule en colère, manipulée ou pas, (voire l’article du 22 Juillet), cela nous permet de considérer sous un angle différent son ordre de tirer sur les pétitionnaires venus demander la destitution du roi le 17 juillet 1791. Cela n’excuse pas cette décision fatale (50 morts chez les pétitionnaires), mais cela peut expliquer dans quelle situation psychologique il se trouvait alors. Il avait déjà vu une fois jusqu’où pouvait aller une foule en colère.

    Le seul moyen d’approcher un semblant de vérité en histoire, c’est de comparer de multiples sources. Bien souvent, des avis d’experts ne sont que leurs opinions sur le sujet et une paresse naturelle de l’esprit a bien vite fait de consacrer quelques opinions de prétendus experts, en opinions communément admises, voire en vérités. Schopenhauer disait même qu’ « Il n’est pas d’opinion, si absurde qu’elle soit, dont les hommes ne s’emparent avec empressement dès qu’on a pu les persuader que cette opinion est communément reçue. »

Vous trouverez ci-dessous, pour illustrer cet article, les photos des pages de mon livre datant de 1880.

A suivre, chers amis !







dimanche 26 juillet 2020

26 Juillet 1789 : Arthur Young pris à partie, explique comment on paye les impôts en Angleterre.

L'Isle sur Doubs (en 1872)
Dessin de Yves Ducourtioux

Les dangereuses aventures d'un Anglais en France.

    Ce 26 juillet 1789, nous retrouvons Arthur Young, notre ami anglais voyageur, cheminant le long du Doubs, en route vers Besançon. La halte qu'il va faire dans une petite ville va bien faillir lui coûter la vie. En effet, depuis que la nouvelle de la prise de la Bastille est arrivée dans ces contrées, la population est survoltée et cherche à assouvir sa colère sur quelques nobles.

Découvrons son témoignage :

Abbaye de Baume
    "Le 26 (Juillet). Pendant l’espace de sept lieues, jusqu’à l’Isle-sur-Doubs, le pays est à peu près comme celui que je viens de passer ; mais après cela, jusqu’à Baume-les-Dames, il est montueux, plein de rochers et bien boisé ; il s’y trouve plusieurs belles scènes de rivières qui coulent au bas des montagnes. Tout le pays est dans la plus grande fermentation ; dans une des petites villes on m’interpella parce que je n’avais pas de cocarde : on me dit que c’était l’ordre du tiers-état, et que si je n’étais pas un seigneur, je devais obéir ; mais supposons que je fusse un seigneur, qu’en arriverait-il, mes amis ? – Qu’en arriverait-il, me répliquèrent-ils d’un air sévère, vous seriez pendu ; car il est probable que vous le méritez. Il était évident que ce n’était pas le moment de badiner ; les garçons et les filles commencèrent à s’assembler, et ces rassemblements avaient partout été les avant-coureurs des crimes ; de sorte que si je n’avais pas déclaré que j’étais Anglais, et que j’ignorais l’ordre, j’aurais eu de la peine à m’en tirer. J’achetai sur le champ une cocarde, mais la coquine qui me la vendit l’attacha si mal qu’avant d’arriver à l’Isle, le vent l’emporta dans la rivière, et je me trouvai dans le même danger. J’eus beau dire que j’étais Anglais, on me répondit que j’étais peut-être un seigneur déguisé, et sans doute un grand coquin. Dans ce moment un prêtre vint dans la rue, une lettre à la main : le peuple s’attroupa sur le champ autour de lui ; il lut alors à haute voix le détail de ce qui s’était passé à Belfort, avec une relation du passage de M. Necker, et des nouvelles générales de Paris, en donnant des assurances que l’on améliorerait le sort du peuple ; quand il eut fini, il les exhorta à s’abstenir de toute violence, et leur dit de ne point se flatter que tous les impôts allaient être abolis, leur parlant comme s’ils eussent eu de pareilles idées.

Le Saut du Doubs
    Lorsqu’il fut retiré, ils m’entourèrent de nouveau, car j’étais resté comme les autres pour entendre la lecture de la lettre, firent des gestes menaçants et témoignèrent beaucoup de soupçons. Je n’étais pas du tout satisfait de ma situation, surtout quand j’entendis l’un d’entre eux dire qu’il fallait m’arrêter jusqu’à ce que quelqu’un pût rendre compte de moi. J’étais sur le seuil de l’auberge, et les priai de m’accorder un moment la parole ; je les assurai que j’étais un voyageur anglais, et pour le prouver, je demandai à leur expliquer une circonstance de la manière d’asseoir les impôts en Angleterre, qui serait un commentaire satisfaisant sur ce que M. L’abbé leur avait dit, car je n’étais pas d’accord avec lui. Il avait assuré que les impôts seraient et devaient être payés comme autrefois ; il était certain qu’il fallait lever des impôts, mais non pas comme autrefois, puisqu’on pouvait mettre des taxes comme en Angleterre. Messieurs, ajoutai-je, nous avons en Angleterre un grand nombre d’impôts dont vous n’avez pas d’idée en France ; mais le tiers-état, les pauvres ne les paient pas : ils sont mis sur les riches chaque fenêtre d’une maison paie, mais si un homme n’a pas plus de six fenêtres, il ne paie rien : un seigneur qui a de grands biens paie les vingtièmes et la taille, mais le petit propriétaire d’un jardin ne paie rien : les riches paient pour leurs chevaux, leurs voitures, leurs domestiques, et même pour avoir la liberté de tuer leurs propres perdrix, mais le pauvre fermier ne paie rien de cela ; et ce qui est encore plus, les riches, en Angleterre, paient une taxe pour les pauvres ; donc l’assertion de M. L’abbé ; qui voulait que, parce qu’il y avait autrefois des impôts, il fallait que ces mêmes impôts fussent toujours perçus, n’était pas juste, parce qu’on pouvait les lever d’une autre manière, et la méthode anglaise paraissait beaucoup meilleure. Il n’y eut pas un mot de ce discours qui ne fût à leur gré ; Ils commencèrent à croire que je pouvais être un honnête homme, ce que je confirmai en criant, vive le tiers, sans impositions. Ils me régalèrent alors d’une acclamation, et, et ne m’interrompirent plus davantage. Mon mauvais français allait de pair avec leur patois. J’achetai néanmoins une autre cocarde que j’eus soin de faire attacher de manière à ne plus la perdre. Je n’aime pas beaucoup à voyager dans ces temps de fermentation ; on n’est pas un moment de sûreté."

    Etonnant, non ? Quelle idée étrange que celle de faire payer aux gens leurs impôts gens en fonction de leurs moyens ! 

 Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102002g/f471.item






samedi 25 juillet 2020

25 Juillet 1789 : Liste des 120 représentants de la Commune convoqués

 

    Monsieur Bailly, Maire de Paris et Monsieur La Fayette, Commandant-Général, ont convoqué ce jour les 120 représentants de la Commune de Paris.

La Fayette et Bailly

    Cette liste est intéressante parce qu'elle donne un aperçu des différentes fonctions occupées par les représentants de la Commune. On retrouvera certains d'entre eux plus tard à différents moments de la Révolution.

    Elle est extraite d'un "Exposé des travaux de l'Assemblée-Générale des Représentans (1) de la Commune de Paris, depuis le 25 juillet 1789, jusqu'au mois d'octobre 1790, époque de l'organisation définitive de la Municipalité : Fait par ordre de l'Assemblée".

(1)   Orthographe de l'époque.


   



25 Juillet 1789 : Débat sur le secret des lettres.

Grand bureau de poste à Paris sous Louis XVI

    Dans la nuit du 22 au 23, un paquet contenant trois lettres ouvertes et une cachetée, a été saisi par des membres du comité de Paris sur la personne de Monsieur le Baron de Castelnau, alors que celui-ci traversait le Pont Royal. L’une des lettres était adressée du Comte d’Artois, le frère du roi, le tout premier de la famille royale qui ait pris la route de l’exil le 16 juillet dernier.

"Les premiers fuyards"

    Les lettres n’ont pas été lues et le débat qui s’engage à l’Assemblée porte sur la question de savoir si on a le droit de les ouvrir et de les lire. Dans cette ambiance révolutionnaire où les complots pullulent, certains bien sûr, demandent à connaître le contenu de ces lettres.

    Peut-être serez-vous étonnés par l'objet de ce débat, vous qui vivez à une époque où votre vie privée n'a plus guère de secret pour certaines compagnies commerciales du numérique et même l'Etat. Mais sachez que l'inviolabilité de la correspondance faisait partie des demandes figurant dans les cahiers de doléances constitués partout en France pour les Etats Généraux ! Le cahier de la noblesse du baillage de Nancy demandait par exemple :

"que la correspondance par lettres sera inviolable ; tous attentats et délits à ce sujet seront poursuivis à la requête des parties intéressées, même à la réquisition du ministère public, et jugés par les tribunaux ordinaires."

Mirabeau sera le 1er à entrer au Panthéon
et le 1er à en sortir

    Je vous donne à lire cet extrait de l’intervention de Mirabeau. Celle-ci lui fait honneur, car il défend (interdit) qu’on les lise et il expose brillamment ses raisons.
    Ses arguments sont beaux et ils sonnent étrangement à nos oreilles, pour nous qui vivons dans une société de la surveillance. Mais Mirabeau est-il sincère ? Lui, dont on découvrira plus tard qu’il était payé par le roi pour orienter les débats de l’Assemblée ?

Ecoutons-le :

« Est-ce à un peuple qui veut devenir libre à emprunter les maximes et les procédés de la tyrannie ? Peut-il lui convenir de blesser la morale, après avoir été si longtemps victime de ceux qui la violèrent ? Que ces politiques vulgaires qui font passer avant la justice que, dans leurs étroites combinaisons, ils osent appeler l’unité publique ; que ces politiques nous disent du moins quel intérêt peut colorer cette violation de la probité nationale. Qu’apprendrons-nous par la honteuse inquisition de ces lettres ? De viles et sales intrigues, des anecdotes scandaleuses, de méprisables frivolités. Croit-on que les complots circulent par les courriers ordinaires ? Croit-on même que les nouvelles politiques de quelque importance passent par cette voie ? Quelle grande ambassade, quel homme chargé d’une négociation délicate ne correspond pas directement, et ne sait échapper à l’espionnage de la poste aux lettres ? C’est donc sans aucune utilité qu’on violerait les secrets des familles, le commerce des absents, les confidences de l’amitié, la confiance des hommes. Un procédé si coupable n’aurait même pas une excuse, et l’on dirait de nous dans l’Europe : en France, sous le prétexte de la sûreté publique, on prive les citoyens de tout droit de propriété sur les lettres qui sont les productions du cœur et le trésor de la confiance. Ce dernier asile de la liberté a été impunément violé par ceux mêmes que la nation avait délégués pour assurer tous ses droits. Ils ont décidé par le fait, que les plus secrètes communications de l’âme, les conjectures les plus hasardées de l’esprit, les conjectures les plus hasardées de l’esprit, les émotions d’une colère souvent mal fondée, les erreurs souvent redressées le moment d’après, pouvaient être transformées en dépositions contre des tiers ; que le citoyen, l’ami, le fils, le père, deviendraient ainsi les juges les uns des autres, sans le savoir ; qu’ils pourront périr un jour l’un par l’autre ; car l’Assemblée nationale a déclaré qu’elle ferait servir de base à ses jugements des communications équivoques et surprises, qu’elle n’a pu se procurer que par un crime.

L’Assemblée ne prend aucune détermination et passe à l’ordre du jour.

Toute la séance du 27 se trouve rapportée ici : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4720_t2_0273_0000_7

    Le 27 juillet prochain, une lettre datée du 26, écrite par Monsieur de Castelnau depuis Versailles, sera lue devant l’Assemblée, lettre dans laquelle il demandera que les lettres saisies sur lui, soient lues devant tous.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4728_t2_0278_0000_16


Cliquez sur l'image ci-dessous pour découvrir une intéressante histoire de la poste.



       





vendredi 24 juillet 2020

24 Juillet 1789 : Intervention d'un député Breton, mais aussi et surtout Français

La France de 1789 et ses Généralités,
dont la Généralité de Rennes (La Bretagne)
Source : https://histoire-image.org/fr/etudes/carte-france-1789


    Je vous donne à lire aujourd’hui, un extrait de l’intervention de Monsieur de Glezen, député de Bretagne, devant l’Assemblée nationale.

    Elle est intéressante parce que l’on devine au travers de celle-ci, un nouveau projet de faire société dans le royaume, celui de constituer une Nation, la Nation française. La députation Bretonne élue par le bas clergé et le peuple, présente à l’Assemblée nationale ayant été contesté par la noblesse et le haut clergé de ladite Bretagne.


    Avant l’intervention de Monsieur de Glezen, Monsieur de Beaumetz a rappelé que : « Tous les citoyens aujourd’hui ont les mêmes droits ; ce n’est pas un corps particulier qui doit jouir de l’avantage de la représentation au préjudice de l’universalité des citoyens ; c’est la Bretagne entière qui demande à être représentée et qui doit obtenir ce droit » et il conclut par l’admission de la députation bretonne.

    J’aime particulièrement le passage suivant dans l’intervention de ce député breton, à l’attention de ses concitoyens de bretons : 

"Oubliez, s’il est possible, jusqu’au nom même qui vous enorgueillit ; il désigne sans doute un peuple invincible, il exprime le besoin impérieux de la liberté, il caractérise le plus ardent amour de la liberté. Mais ces sentiments sont aussi vifs, aussi exaltés dans toutes les parties du royaume qu’en Bretagne.

Considérez, ou plutôt essayez de croire ce qu’on fait les intrépides conquérants de la Bastille ! Ah ! Le plus beau nom, celui qui rallie aujourd’hui toutes les provinces, et que vous êtes dignes de porter, c’est le nom de Français !"

    Voilà, en quoi consistait ce nouveau projet de faire Nation, pour ces hommes de 1789. Ne soyez pas dupes. Toutes les ignominies que l’on vous racontera sur la République écrasant les Provinces, sont des forgeries des nostalgiques de l’ancien régime. Ce sont les rois qui ont colonisé une à une les provinces du royaume, l'arme à la main (parfois par mariages). Le projet de la République a été de rendre solidaires entre elles, toutes les parties de cette France mosaïque. Rien à voir non plus avec ce que l’on appellera ultérieurement le nationalisme.

    Mais bien sûr, de tout cela nous reparlerons bientôt. Voici donc l’intervention de Monsieur de Glezen, député de Bretagne :

"Messieurs, la décision que vous allez prononcer sur la protestation d’une partie du clergé et de la noblesse de Bretagne, contre la députation du clergé et du peuple de cette province, eût été, ces jours derniers, bien plus intéressante pour nous. Agités tour à tour par l’espoir et la crainte, nous l’eussions attendue avec plus d’ardeur encore et de sollicitude. Vous avez plus, Messieurs, de dangers à courir. Votre patriotisme et votre courage les ont dissipés. Vous avez triomphé, par une constance inébranlable, de tous les obstacles qui s’opposaient au bien public. La constitution est censée faite ; oui, Messieurs, elle est censée faites, puisque le Roi s’en est remis à la sagesse de l’Assemblée nationale pour rétablir l’ordre et le calme dans le royaume, et créer, pour ainsi dire, la félicité générale, d’où dépend son propre bonheur. Le serment que nous avons eu l’honneur de prêter avec vous se trouve donc rempli.

Si vous pouviez juger invalides les titres qui nous appellent à partager les fonctions et les travaux dont vous allez vous occuper pendant le reste de la session, nous aurions toujours eu la gloire d’être associés aux périls qui vous menaçaient, et nous jouirions, en retournant dans notre province, de la douce satisfaction de présenter à nos concitoyens le tableau fidèle de votre héroïque fermeté et de vos vertus.

Pénétrés de l’admiration qu’elles nous ont inspirée, nous leur dirions avec transport, avec enthousiasme : Nous avons vu l’Assemblée nationale la plus auguste qui ait jamais existé dans l’univers, l’élite des hommes les plus éclairés d’un vase empire, disputant de zèle et d’activité pour établir sur des bases éternelles la félicité de vingt-cinq millions d’hommes.

Nous leurs dirions : Braves Bretons, vous venez de proclamer les arrêtés de l’Assemblée nationale, et celui qui concerne la perception et la durée de l’impôt. Cet hommage rendu solennellement à ses décrets prouve que vous unissez pour toujours vos destins à ceux de la France. Loin de songer en effet, à détruire vos droits, vos franchises, l’Assemblée nationale veut, au contraire, les étendre et les consacrer par une contestation générale pour tout le royaume ; sous cette puissante égide, ils ne seront plus que inviolables. Nous leur dirons : Oubliez, s’il est possible, jusqu’au nom même qui vous enorgueillit ; il désigne sans doute un peuple invincible, il exprime le besoin impérieux de la liberté, il caractérise le plus ardent amour de la liberté. Mais ces sentiments sont aussi vifs, aussi exaltés dans toutes les parties du royaume qu’en Bretagne. Considérez, ou plutôt essayez de croire ce qu’on fait les intrépides conquérants de la Bastille ! Ah ! le plus beau nom, celui qui rallie aujourd’hui toutes les provinces, et que vous êtes dignes de porter, c’est le nom de Français !

Cependant, Messieurs, nous osons nous flatter d’être honorés de vos suffrages et de voir confirmer notre élection. Ceux qui ont proscrit d’avance les antiques usages contraires aux droits de l’homme et du citoyen, ne peuvent pas faire cause commune avec les privilégiés de Bretagne. L’Assemblée la plus juste, la plus patriotique, rejettera pas la députation d’une grande province parce qu’un petit nombre d’individus a refusé d’y concourir, et que pour la première fois depuis des siècles le peuple a choisi ses représentants.

(On applaudit)

Les députés de Bretagne sortent de la salle.

L’Assemblée délibère sur la protestation de la noblesse et d’une partie du clergé. Elle est unanimement déclarée mal fondée.

Messieurs les députés de Bretagne sont invités à renter dans la salle. Ils apparaissent au milieu des applaudissements universels.


Le compte rendu dans son entier est accessible par le lien ci-dessous : 


Post Scriptum : 

    Je n’ai hélas pu vous trouver un portrait de Monsieur de Glezen et j’en suis désolé. Quant à des illustrations relatives à la Bretagne de cette époque, j’ai fini par renoncer momentanément, car on touche à l’irrationnel lorsque l’on effectue ce genre de recherches sur le WEB (Beaucoup de trolls chouans dans le bocage).

    Voici juste un dernier aperçu de cette France mosaïque de 1789, avec la carte ci-dessous montrant les récentes acquisitions territoriales de Louis XIV.


   



jeudi 23 juillet 2020

23 Juillet 1789, Un Duc anglophile, agronome et ami du roi, président de l’assemblée.

 

Le président de l'Assemblée évoque le prétexte de disette.

    Lors de la séance matinale de l’Assemblée nationale, le président, François Alexandre Frédéric de la Rochefoucauld, duc De Liancourt, fait lecture de plusieurs lettres qu’il a reçues de diverses villes qui demandent des secours, pour dissiper des troupes de brigands qui sous prétexte de la disette des grains, infestent le pays et causent des soulèvements.

    Le Président fait également lecture d’un avis qui lui a été envoyé par le ministre, et qui annonce que des grains venus de Barbarie (1) par les soins de Monsieur Necker, pour l’approvisionnement de Paris, sont arrivés jusqu’à Montlhéry, toujours escortés par des troupes ; il demande qu’attendu que les troupes ont été retirées depuis Montlhéry jusqu’à Paris, on prenne des moyens pour faire arriver ces grains de ce poste jusqu’à Paris, en les faisant escorter par des milices nationales. Monsieur le Président ajoute qu’il a fait passer cet avis du ministre à Monsieur le Marquis de Lafayette.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4705_t2_0261_0000_6

    François-Alexandre-Frédéric de La Rochefoucauld-Liancourtle fameux Duc de Liancourt qui préside alors l’Assemblée nationale était : homme politique, diplomate, philanthrope, anglophile, fondateur de l'École des Arts et métiers de Châlons et il était également agronome. 

Arthur Young

    Son anglophilie et sa passion pour l’agronomie firent qu’il devient ami avec Arthur Young, le célèbre agronome anglais, membre de la société royale d'Agriculture. Celui-là même qui se rendit célèbre par le récit de ses 3 voyages en France, entre 1787 et 1790, dans un livre qui parut en 1792 (et que l’on peut toujours lire avec plaisir, car il est régulièrement réédité). Nous aurons souvent l’occasion de reparler d’Arthur Young en raison de la passionnante description qu’il fit de notre pays.

    Le Duc de Liancourt était également un ami proche de Louis XVI, qui lui avait confié la fonction honorifique de grand maître de la garde-robe du roi. 

    C’est lui qui, dans la nuit du 14 Juillet eu ce dialogue mémorable avec le roi, qu’il rapporta dans ses mémoires : 

« On sait que le 14 juillet j'allai dans la nuit réveiller le roi [...]. "Qu'ai-je fait, disait-il, pour que le peuple soit contre moi ? Je n'ai jamais voulu lui faire que du bien." "Quelle révolte", disait-il encore. Et c'est alors que je lui répondis : "Ah, sire, dites Révolution."

    Vous en apprendrez plus sur cet événement et sur les bons conseils donnés par le Duc à son ami le Roi, en vous reportant à cet article du 15 juillet.

Le retour de Necker à Versailles.

    Le même jour, arrivant de Bâle, Necker rentre à Versailles et réinstalle son ministère. Rappelons que son remplaçant, Foullon, a été assassiné la veille dans de terribles conditions (voir la publication d’hier). Necker reprend le contrôle des Finances. Ses amis Montmorin et Saint-Priest, écartés avec lui, reviennent aux Affaires étrangères et à la Maison du roi.

Les soixante districts parisiens.

    A Paris, les soixante districts parisiens sont invités à choisir chacun deux commissaires pour former l'administration municipale de Paris.

Division administrative des 60 districts parisiens

    Lors de la convocation des États généraux en 1789, une ordonnance de Necker avait divisé Paris en 60 districts, auxquels correspondirent les 60 bataillons de la garde nationale créés en juillet 1789, dont les noms furent principalement tirés de ceux des églises ou des communautés religieuses.
    Cette organisation administrative subsista jusqu'au 22 juin 1792 ou un décret de l'Assemblée constituante substitue alors aux 60 districts 48 sections dont la dénomination fut l'occasion d'une première tentative d'innovation révolutionnaire.


(1) Vous avez été surpris par ce mot "Barbarie". Il désigne jusqu’au XIXe siècle la côte nord-africaine. Ces grains venaient donc de fort loin semble-t-il ! Nous en reparlerons dans l'article du 7 août 1789...

 


23 Juillet 1789 : La grande peur au Mans, le Comte de Montesson et Monsieur Cureau sont assassinés par la foule.

 

    La relation de cet événement terrible va nous donner l’occasion de reparler des origines possibles de la grande peur, de faire connaissance avec un chanoine du Mans et de lire un texte en français du 18ème siècle.

"La grande peur"


La grande peur.

    Le 23 Juillet, à Paris, le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Duc De Liancourt, avait ouvert la séance par la lecture d’adresses de plusieurs villes qui demandaient des secours pour dissiper des troupes de brigands qui, sous prétexte de la disette des grains, infestaient le pays et causaient des soulèvements. C’était le début de la grande peur !

    Peu de temps après la prise de la Bastille, une rumeur a commencé de se propager dans tous le royaume, alarmant les gens de la propagation de diverses armées de brigands qui allaient venir tout détruire et plus particulièrement ravager les champs de blé, alors que l’époque des moissons était venue.

    Selon les sources, nous avons plusieurs explications données à cette grande peur. La plus connue, c’est celle d’une populace barbare, assoiffée de sang, qui s’en prend à tous les riches dans une sorte de fureur collective.

    Certains se posent néanmoins la question de savoir comment et surtout par quels moyens, celle-ci a pu se répandre aussi rapidement dans le royaume. Considérant le relatif isolement des diverses populations, constituées principalement de paysans qui ne quittaient que rarement leurs villages, voire jamais. On peut douter que ce soient les modestes colporteurs et autres marchands qui aient soudainement décidé de parcourir à toutes brides les chemins cabossés du royaume pour diffuser l’alerte !

    Cette question relative à la logistique est vraiment pertinente. Imaginez que le 1er août ce vent de panique était déjà arrivé aux confins du royaume, dans deux petits villages de montagne derrière Nice !

    Nous avons vu dans notre article du 20 juillet qu’un écrivain contemporain de tendance royaliste, accusait le Duc d’Orléans d’être à l’origine de la propagation de cette rumeur. Pour cet écrivain d’ailleurs, le Duc d’Orléans est à l’origine de tout, y compris la prise de la Bastille.

    Mais voici qui est plus étonnant encore ; certains historiens en sont même venu à soupçonner le roi !

    Dans son histoire de la Révolution française l’historien Adolph Thiers émettait l’hypothèse étonnante que les courriers envoyés partout en France pour annoncer l’arrivée des brigands, relevaient d’une initiative de la cour. Eux seuls étaient en effet capables de franchir aisément tous les postes de contrôles. L’idée aurait été d’armer les provinces pour les opposer à Paris, car la cour ne croyait pas à une révolution générale du royaume. Lire le détail dans l’article du 28 juillet 1789.

    Nous verrons plus tard qu’une historienne contemporaine, Aurore Chéry, a même échafaudé la théorie encore plus intrigante que Louis XVI ait été lui-même un initiateur de la révolution !

Découvrons à présent le témoigne de René-Pierre Nepveu, chanoine de son état.

Présentation de René-Pierre Nepveu

René-Pierre Nepveu était un chanoine de la cathédrale du Mans. Durant toute sa vie, il tint un journal, dans lequel il consigna les moindres événements se déroulant aussi bien au Mans que dans sa campagne de la Manouillère. L’intérêt de son journal est que ce brave religieux assista à la naissance de la révolution, puis à son évolution, dont il témoigna à sa façon.

Si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie à la page du site sur lequel j’ai trouvé son récit. Il vous suffit de cliquer sur l’image ci-dessous.


Le récit du chanoine, en français du 18ème !

(N’oubliez pas de rouler les r, et pour info, le « bled », c’est le blé).

« Le Jeudy matin, entre dix et onse heures du matin, Mr Cureau, Lieutenant de la Ville du Mans, et Mr le Comte de Montesson ont été massacrés et assassinés par une populace effrénée et barbare, et voici le fait. Mr Cureau, sachant que le mauvais peuple luy en vouloit, prétendant qu’il faisoit commerce de bled, (ce qui étoit faux), prist le party de partir la nuit du Dimanche au Lundy pour aller à la terre de Nouans, qui appartient à Mr Buttet, neveu de Mr Cureau, qui est en Angleterre, dont il a la procuration. Il s’étoit retiré dans ce château, pour estre ignoré ; il n’est éloigné de Ballon que de cinq quarts de lieues. Il est malheureusement arrivé qu’il y a eu une fausse allarme dans ce canton, ainsi qu’au Mans, Nogent-le-Rotrou, la Ferté-Bernard, Bonnétable et tous les environs de deux lieues à la ronde, on sonnoit le tocsin partout. Au soleil levant, on vint dire à Mr Cureau, qu’on alloit sonner le tocsin pour faire avertir tout le monde de se rendre à Nouans et de prendre les armes pour le défendre. Le bruit couroit qu’il y avoit plus de 4 000 brigands qui étoient répandu pour piller et mettre partout à feu et à sang. Mr Cureau leur représenta que c’étoit un faux bruit et qu’il ne falloit pas mettre l’alarme sans fondement, et il ne voulut pas qu’on sonnast le tocsin. Tout ce peuple, qui s’amassoit de touttes parts, murmuroit et enfin se mit à jurer après luy et comme il leur parloit de ses croisées, ils luy dirent, en jurant, que s’il ne sortoit pas, ils alloient mettre le feu chés luy. Il céda et vint leur parler. Pendant ce temps, il vint d’autres paroisses voisines, qui venoient là pour aller au-devant des prétendus brigands ; quelques-uns luy dirent que c’étoit luy qui étoit la cause de ce qu’ils mangeoient le pain aussi cher. Il n’en falloit pas davantage pour le rendre odieux et vouloir le faire périr. Mr de Montesson, qui venoit d’arriver avec Mme son épouse et ses deux enfans, voulut parler en faveur de son beau père ; ils luy dirent qu’il étoit aussi coupable et que c’étoit son frère, le Député, qui étoit à Paris, qui étoit la cause de tous les malheurs, et ils le trainèrent avec Mr Cureau ; pendant tout le chemin, ils leur disoient mille invectives. Arrivés à Ballon, ils les firent mettre, en jurant, dans la place du Marché. Ils offrirent toutte leur fortune pour avoir leur vie, et, auparavant cette dernière proposition, Mr Cureau offrit 50 000 # pour donner à leur Hopital qui n’est pas riche ; rien ne put les toucher. Mr de Guiberd, qui étoit aux environs, accourut et parla à ces forcenés dont il ne put rien gangner et même on luy dit que s’il ne se retiroit, on luy en feroit autant, et il fut obligé de se retirer après avoir fait tout ce qu’il avoit pu. Un commis à cheval voulut aussi parler : on luy en dit autant. On commença par donner un coup de volant, sur le front de Mr Cureau, qui luy fit tomber la peau sur le bas du visage ; il la relava encor pour voir ses bourreaux. Ils tombèrent sur luy à coups redoublés et le tuèrent et avant qu’il expirast, ils l’achevèrent à coup de fusil et luy coupèrent la teste qu’ils mirent au haut d’une fourche, pour la faire voir au public. Après ces horreurs, ils vinrent achever leur rage contre Mr de Montesson. Ils luy donnèrent plusieurs coups de bâton et le tuèrent à coups de pistollets et de fusils et ils en firent tout autant pour la teste. Après ces horreurs, ils forcèrent plusieurs des fermiers de Mr Cureau et plusieurs autres bons fermiers, de tirer sur les corps morts ; ils les laissèrent sur la place et furent boire. Le lendemain, Mr le Curé de Ballon leur donna la sépulture ; Mr Cureau pouvoit avoir 63 ans. Mme Cureau a resté à Nouans dans la crainte qu’on y vint la tuer ou mettre le feu au château. Mr Cureau laisse Mme de Montesson qui a aussi deux enfans dont un garçon âgé d’environ cinq ans et une demoiselle, d’environ quatre ans. Mr Cureau a aussi deux enfans dont un garçon, âgé de 28 ans, qui devoit avoir une des charges de Receveur des Tailles, et Mme de Montesson. On ne croit pas que ces Dames veulent jamais revenir demeurer au Mans. On saura, par les papiers publics, tout ce qui s’est passé dans ce temps-ci et même au Mans où, après une frayeur qui a allarmé toutte la Ville, on a établi une Milice bourgeoise qui continue et continuera longtemps encor. »

Les suites du terrible événement.

    Le 15 novembre suivant, au Mans, durant la prestation de serment de la garde nationale, trois compagnies réclameront la libération des meurtriers du comte de Montesson, obligeant le comité Patriotique à faire disperser l'attroupement par les dragons. Je vous renvoie à l’article du 14 Novembre.

Le 3 décembre 1789, les assassins subiront leurs châtiments.

En voici le compte rendu donné par notre chanoine :

« Le jeudy 3 décembre 1789, il y a eu une exécution des assassins de Mrs Cureau et de Montesson; il y en a eu un de roué vif, un de pendu, un de marqué aux deux épaules et un aux galères perpétuelles. Il y en a encor plusieurs de decretés qui pourront subir le même sort, si on les prend. Comme on craignoit une révolte de la part de la paroisse de Ballon et autres voisines, il y avoit un nombre de 50 personnes par chaque compaignie de la Milice Citoyenne, qui étoient autour de la place des Halles, et tout le Régiment de Chartres étoit distribué par piquets dans différents quartiers de la Ville et aux environs de la place. Le tout s’est passé sans aucun murmure ; les trois qui ont été punis le méritoient bien. Celuy qui a été roué s’appelle Barbier ; il étoit déjà vieux, l’autre pendu et un qui a été marqué à trois lettres. »


Supplice de la roue - 1633 - Dessin de Jacques Callot