samedi 22 août 2020

22 Août 1789 : Le poète Florian est enrôlé dans la garde


    Vous connaissez bien sûr les fables de Jean de La Fontaine, mais connaissez-vous celles de Jean-Pierre Claris de Florian

    Le premier écrivit sous le grand Louis XIV. Le second écrivit sous la Révolution. Les fables de Florian valent bien celles du grand La Fontaine, mais curieusement Florian demeure méconnu. Peut-être parce qu’il a publié ses fables en 1792 ? 

    Ce n’est que par le plus grand des hasards que je l’ai découvert un jour en achetant un vieux livre de ses fables, dans une brocante. 

    Florian, né en 1755, était un petit neveu de Voltaire. Il fut aimé par ses contemporains et il eut dit-on une vie heureuse, bien qu’il mourût jeune, en 1794. Les mauvaises langues diront que ce fut après un bref mais malheureux passage en prison.

    Je vous parle de Florian aujourd’hui, parce que cet aimable poète a été nommé le 22 Août 1789, chef de la milice bourgeoise de Sceaux ! Il y eut beaucoup de ces moments festifs tout au long de la Révolution. Pour beaucoup, la Révolution était un rêve en train de se réaliser.

    Florian n’était pas un va-t-en-guerre et la délégation municipale venue le solliciter au son des fifres et des tambours, le savait bien. Il ne s’agissait que d’un poste honorifique que ses concitoyens lui offraient, en raison de sa popularité.

    Florian n’était pas non-plus un politique. C’était un vrai poète. Il écrivit aussi des contes, des nouvelles et des romans champêtres aux goûts de son temps, mais qu’on ne lit plus guère. Ses fables par-contre, se lisent toujours aussi agréablement, je vous l’assure. Certaines font agréablement réfléchir. Mais n’est-ce pas le propre d’une fable réussie ?

    Pour vous en donner une petite idée, je vous propose les deux suivantes, que j’ai extraites de mon précieux petit livre.



Voici la première. Elle s’intitule "Les deux lions"

« Sur les bords africains, aux lieux inhabités

Où le char du soleil roule en brûlant la terre,

Deux énormes lions, de la soif tourmentés,

Arrivèrent au pied d'un rocher solitaire.

Un filet d'eau coulait, faible et dernier effort

De quelque naïade expirante.

Les deux lions courent d'abord

Au bruit de cette eau murmurante.

Ils pouvaient boire ensemble ; et la fraternité,

Le besoin, leur donnaient ce conseil salutaire :

Mais l'orgueil disait le contraire,

Et l'orgueil fut seul écouté.

Chacun veut boire seul : d'un œil plein de colère

L'un l'autre ils vont se mesurant,

Hérissent de leur cou l'ondoyante crinière ;

De leur terrible queue ils se frappent les flancs,

Et s'attaquent avec de tels rugissements,

Qu'à ce bruit dans le fond de leur sombre tanière

Les tigres d'alentour vont se cacher tremblants.

Égaux en vigueur, en courage,

Ce combat fut plus long qu'aucun de ces combats

Qui d'Achille ou d'Hector signalèrent la rage,

Car les dieux ne s'en mêlaient pas.

Après une heure ou deux d'efforts et de morsures,

Nos héros, fatigués, déchirés, haletants,

S'arrêtèrent en même temps.

Couverts de sang et de blessures,

N'en pouvant plus, morts à demi,

Se traînant sur le sable, à la source ils vont boire :

Mais, pendant le combat, la source avait tari ;

Ils expirent auprès.

Vous lisez votre histoire,

Malheureux insensés, dont les divisions,

L'orgueil, les fureurs, la folie,

Consument en douleurs le moment de la vie :

Hommes, vous êtes ces lions ;

Vos jours, c'est l'eau qui s'est tarie. »


Et voici la seconde, d’une certaine façon, un peu politique : "Le lion et le léopard »

« Un valeureux lion, roi d'une immense plaine,

Désirait de la terre une plus grande part,

Et voulait conquérir une forêt prochaine,

Héritage d'un léopard.

L'attaquer n'était pas chose bien difficile ;

Mais le lion craignait les panthères et les ours,

Qui se trouvaient placés juste entre les deux cours.

Voici comment s'y prit notre monarque habile :

Au jeune léopard, sous prétexte d'honneur,

Il députe un ambassadeur :

C'était un vieux renard. Admis à l'audience,

Du jeune roi d'abord il vante la prudence,

Son amour pour la paix, sa bonté, sa douceur,

Sa justice et sa bienfaisance ;

Puis, au nom du lion propose une alliance

Pour exterminer tout voisin

Qui méconnaîtra leur puissance.

Le léopard accepte ; et dès le lendemain,

Nos deux héros, sur leurs frontières,

Mangent à qui mieux mieux les ours et les panthères ;

Cela fut bientôt fait ; mais quand les rois amis,

Partageant le pays conquis,

Fixèrent leurs bornes nouvelles,

Il s'éleva quelques querelles.

Le léopard lésé se plaignit du lion ;

Celui-ci montra sa denture

Pour prouver qu'il avait raison ;

Bref on en vint aux coups. La fin de l'aventure

Fut le trépas du léopard :

Il apprit alors un peu tard

Que contre les lions les meilleures barrières

Sont les petits Etats des ours et des panthères. »

Jean-Pierre Claris de Florian


Je vous ai trouvé cette version illustrée que je trouve fort jolie.



vendredi 21 août 2020

21 Août 1789 : L'Assemblée nationale définit ce qu'est la liberté !

Mise à jour du 30/08/2021 : Pour une fois que Facebook acceptait que je fasse une pub, il a fallu que cet article définissant la liberté tombe en période de délire antivax, pendant lequel des brebis égarées sont partie en guerre au nom de "leur" liberté, contre les vaccins. J'ai donc décidé d'ajouter à la fin de cet article concernant la journée du 21 Août 1789, un texte de ma composition expliquant d'un point de vue philosophique, ce qu'est la liberté. 
Libre à Vous de le lire ! (Il se situe à la fin de cet article).

"La Liberté", peinte par Jeanne Louise Vallain, dite Nanine en 1794

Lire le commentaire érudit de
Mehdi KORCHANE Docteur en Histoire de l'art, à propos de ce tableau.

Une journée calme à Paris ainsi qu'à Versailles 

    Rien de spectaculaire ni d'original à vous signaler aujourd'hui. Pas d'émeute, pas de rumeur, pas de château incendié, rien. Pour ce qui concerne les châteaux qui brûlaient de-ci de-là en juillet, les paysans se sont calmés lorsqu'ils ont été informés de l'abolition des privilèges à la suite de la fameuse nuit du 4 août. Le premier droit leur ayant été accordé étant celui de chasser, ils en usent et en abusent, comme le raconte le voyageur anglais Arthur Young qui entends les pétarades dans les campagnes et les plombs siffler à ses oreilles. Mais ils doivent également rattraper le retard pris sur les moissons, ça c'est vital !

    A Versailles, les députés de l'Assemblée Constituantes travaillent sur le texte de la fameuse Déclaration des Droits de l'Homme et de Citoyen, à partir du projet de 24 articles déposés par le 6ème bureau, dirigé par Jérôme Champion de Cicé. Ce projet initial subira de nombreuses modifications. La proposition de L’abbé Grégoire d'adjoindre une déclaration des devoirs, ne sera pas retenu.

    Hier, 20 Août, l'Assemblée a adopté le préambule et les trois premiers articles, aujourd'hui, elle va adopter les articles quatre, cinq et six.

Les débats valent la peine d'être lus, on y aborde des sujets de la plus haute importance.

Qu'est-ce que la Liberté ?


    Monsieur le Chevalier Alexandre de Lameth propose la rédaction suivante de deux articles définissant la liberté :

«1° La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a évidemment de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ;

«2° La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société : tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

    MM. Camus, Blin, Mougins de Roquefort et Martineau demandent la suppression du mot évidemment. Ils arguent du fait que si ce mot "évidemment" subsiste, ce sera rendre tous les citoyens juges de la loi : il en résultera pour le législateur une incapacité de défendre les actions nuisibles ; chacun dira : la loi n'a pas dû défendre cette action parce qu'elle n'est pas nuisible : donc la loi sera nulle.

Le mot "évidemment" sera donc supprimé.

    Après encore quelques courtois échanges, les députés iront aux voix sur les articles et les amendements et la rédaction de M. de Lameth sera décrétée ainsi qu'il suit :

«1° La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ;

«2° La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_6343_t2_0464_0000_17

    La discussion s'interrompra le 26 août 1789 après l'adoption de l'article 17 relatif au droit de propriété, afin de laisser la place à la discussion des articles de la Constitution elle-même.

    Le lendemain, 27 août, la Constituante adopte la motion suivante, proposée par Mougins de Rocquefort :

« L'Assemblée nationale décrète qu'elle borne quant à présent la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux dix-sept articles qu'elle a arrêtés, et qu'elle va procéder sans délai à fixer la Constitution de la France pour assurer la prospérité publique, sauf à ajouter après le travail de la Constitution les articles qu'elle croirait nécessaires pour compléter la Déclaration des droits. »

    Ce sera seulement le 5 octobre 1789, sous la pression de l'émeute, que Louis XVI acceptera la Déclaration ainsi que les dix-neuf articles de la Constitution déjà adoptés par la Constituante.

Post Scriptum anachronique :

Qu'est-ce que les antivax actuels ne comprennent pas dans cette définition simplissime et claire de la liberté ?

Crétin antivax
La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ;
ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme
n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres
 de la société la jouissance de ces mêmes droits.
Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ;

Mise à jour du 30 Août 2021 :

Que dit la philo de cette liberté dont les antivax se disent privés ?

    Une amie Facebook, psychologue de profession, m'a demandé récemment ce que la philosophie pouvait apporter dans le débat actuel porté par celles et ceux qui arguent de leur liberté individuelle pour refuser de se faire vacciner. Elle a fort judicieusement évoqué la possibilité que ces antivax ne comprennent le concept de liberté que d'une façon infantile, c'est-à-dire comme les bébés pour qui la liberté totale est synonyme de toute puissance.

    Spontanément, j'ai pensé à Jean-Jacques Rousseau et à Baruch Spinoza. En toute modestie - car de la philosophie je ne suis qu'un lecteur - je vais tâcher de clarifier aussi brièvement que possible pourquoi j'ai pensé à ces deux philosophes.

    Pourquoi Rousseau ? Parce qu'il semble que beaucoup aient oublié que nous vivons en société et plus du tout à l'état de nature. La vie en société est régie par un contrat social auquel nous adhérons de fait, tant que nous vivons dans ladite société (contrat social pensé au 18ème siècle par Locke, Hobbes et Rousseau).

    En quittant l'état de nature - par exemple, grâce à l'instruction et la culture - nous perdons la liberté d'indépendance naturelle qui était la nôtre à l'origine, mais en contrepartie nous accédons à la liberté conventionnelle de la vie en société, qui elle, nous apporte trois libertés majeures, (lorsque nous vivons sous un régime démocratique, bien sûr) :

1/ La liberté politique (je ne suis soumis à aucune volonté que la volonté générale et je peux contribuer à sa définition),

2/ La liberté civile (la société me protège ainsi que mes biens et me garantit de pouvoir faire tout ce que la loi n’interdit pas),

3/ La liberté morale (ce que je fais, je le fais par une décision volontaire).

    Nous vivons une époque heureuse (lire des bouquins d'histoire vous en convaincra), où en seulement quelques mois, ont été développés plusieurs vaccins efficaces contre une pandémie qui commençait de tuer partout sur la planète. Mais chose curieuse, réseaux sociaux aidant, des idées folles qui autrefois auraient fait sourire, ont commencé de proliférer et de contaminer nombre de gens par le simple effet du nombre. Il faut savoir que plus une ânerie est colportée, plus elle prend les apparences d'une vérité. C'est un phénomène bien connu, depuis que les gens vivent en société (idéologies et religions en ont grandement profité). Schopenhauer écrivait :"Il n’est pas d’opinion, si absurde qu’elle soit, dont les hommes ne s’emparent avec empressement dès qu’on a pu les persuader que cette opinion est communément reçue." (Le fameux effet du nombre sur les réseaux sociaux). Toujours aussi dur, Schopenhauer poursuivait ainsi " L’exemple agit sur leurs pensées comme sur leurs actes. Ce sont des moutons de Panurge, qui suivent le bélier de tête, où qu’il les mène : Il leur est plus facile de mourir que de penser."

    Vous vivez en société ? Alors ne brisez pas le contrat social en faisant du tort à vos concitoyens. Les études épidémiologiques nous apprennent qu'une couverture vaccinale de 60% à 90% est nécessaire (selon les virus) pour qu'ait lieu "l'immunité collective".

    Le refus de se faire vacciner n'est donc pas une liberté mais un refus de respecter la liberté que nous devons aux autres, en particulier celle d'être en bonne santé.

    Pourquoi Spinoza ? Pour préciser ce qu'est la liberté à l'état de nature, cette fameuse liberté naturelle et surtout très individuelle, que revendiquent celles et ceux qui ignorent ce qu'est une dictature mais sont persuadés d'en vivre une.

    Rien ne ressemble moins à la liberté que cette liberté naturelle ! Spinoza nous a en effet expliqué que nous nous croyons libres, parce que nous ignorons tout ce qui nous détermine. L'intuition géniale de ce grand philosophe s'est trouvée confirmée depuis par les sciences : étude du cerveau, psychologie comportementale, sociologie, etc. A l'état de nature, ignorant tout du fonctionnement de l'univers qui nous entoure, aussi bien que des règles comportementales qui nous régissent, nous sommes aussi libres que des balles rebondissantes projetées dans le grand flipper de l'univers. Notre seule possibilité de liberté selon Spinoza, c'est de prendre conscience de tout ce qui nous empêche d'être libres.

    Voilà pourquoi le "Boss", c'est-à-dire Socrate, ne cessait pas de rappeler à ses disciples cette injonction gravée sur le fronton du temple de Delphes : "Connais-toi toi-même". Socrate voulait faire comprendre que l'on ne peut accéder au bonheur que par un effort de conscience. Il en est de même pour la liberté. Seule la connaissance, y compris celle de soi-même, nous permet d'être un peu plus libre ; jamais totalement bien sûr, puisque nous accablés par nos déterminismes : sociaux, familiaux, culturels, génétiques, etc. Et que nous sommes censés devoir apprendre toute notre vie.

    La liberté ne s'acquiert que par le savoir. Raison pour laquelle Emmanuel Kant avait choisi comme devise de l'esprit des Lumières, l'expression du poète latin Horace :"Sapere aude !", "Ose savoir !". C'est-à-dire : "Aie le courage de te servir de ta propre intelligence !".

    Je sais bien que ce n'est pas toujours facile de se servir de sa propre intelligence. Cela demande un apprentissage long et souvent très pénible. De plus, dame nature ne nous a pas tous gratifiés équitablement des mêmes capacités d'abstraction. Personnellement, j'ai un truc que je vais vous confier. Lorsqu'une nouvelle idée commence de circuler, soyez attentifs à qui l'adopte. Regardez au milieu de qui vous vous retrouvez. En général cela me suffit pour être alerté. Sinon, rien ne vous empêche de bosser par vous-même. Tiens, encore un truc que je vous donne amicalement. Si vous voulez apprendre sur un sujet précis, évitez les vidéos et donnez-vous la peine de lire. Je sais que l'écran a remplacé l'écrit, mais niveau qualité et densité informationnelle, une heure de vidéo sur YouTube n'équivaut la plupart du temps qu'à cinq ou six pages d'un bon livre ou d'un rapport.

    Alors que celles et ceux qui ne se sont pas encore fait vaccinés aillent le faire ou qu'ils aillent jusqu'au bout de leur logique en refusant d'aller à l'hôpital, si le virus les rattrape. Je connais quelqu'un qui a passé 2 semaines dans un coma provoqué, tellement il souffrait du virus et je vous garantis que ce sont bien les représentants de "Big Pharma" qui l'ont ramené à la vie, et pas les huiles essentielles, les cristaux ni un réalignement de ses chakras.

    Bon, je n'ai pas pu m'empêcher d'être un peu taquin à la fin, j'en suis désolé, mais toutes ces médecines alternatives me désolent tellement. Sachez tout de même que Big Pharma s'enrichit plus en vendant de l'homéopathie qui ne demande ni recherches coûteuses ni même de molécules à fabriquer (juste des stocks de sucre), qu'avec la plupart des médicaments. Oups !

Merci à celles et ceux qui m'ont lu.

Bertrand Tièche, alias "le Citoyen Basset".

Pour ceux qui veulent réfléchir par eux-mêmes à propos des vaccins, je conseille ces deux pages Facebook :

https://www.facebook.com/HERVERIFIE

https://www.facebook.com/Scienceisfutur/

Les 2 images suivantes sont extraites de la Page très didactique de HERVERIFIE.




    Encore un détail. Saviez-vous que Louis XVI fut le premier vacciné de France ? Lisez mon article à propos de la journée du 18 juin 1774 !



jeudi 20 août 2020

20 Août 1789 : Le peintre David expose son "Brutus"



    Le Salon de peinture du Louvre de 1789 présente une nouvelle série d’œuvres commandées depuis 1775 pour la couronne aux artistes officiels par Charles Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller, le directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et Manufactures. 


Charles Claude Flahaut de La Billarderie,
comte d’Angiviller
    Ami personnel de Louis XVI, Charles Claude Flahaut de La Billarderie, comte d’Angiviller avait remplacé, en 1774, le marquis de Marigny comme surintendant des bâtiments du roi. Il avait tenté de poursuivre l’action de son prédécesseur malgré les restrictions budgétaires et l'apparent manque d'intérêt de Louis XVI pour les arts.

    Parmi les œuvres présentées au Salon des peintures, figure le nouveau tableau réalisé par Jacques-Louis David : « Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils ». Il va rencontrer autant de succès auprès du public qu’en avait connu en 1785 son œuvre précédente « Le serment des Horaces »

    Avec Brutus, David a choisi de célébrer la morale et l’abnégation républicaines. L'histoire de Brutus se situe au 6ème siècle avant notre ère. La République romaine vient d’être fondée et Brutus en est consul. Apprenant que ses fils ont comploté pour rétablir la royauté, Brutus n’écoute que son devoir. Il les fait arrêter et condamner à mort. David a représenté le moment où les licteurs apportent les deux corps de ses fils au père prostré au pied de la statue de Rome, tandis que son épouse et ses filles se livrent au désespoir. 

    Nous verrons combien les révolutionnaires adoraient faire mention de la République romaine, allant même à se donner des noms de romains célèbres. Quant au peintre David, il deviendra le peintre de la Révolution. 

    Je vous propose de lire l’article passionnant concernant ce grand peintre, accessible par le lien suivant : https://histoire-image.org/fr/etudes/david-artiste-revolutionnaire 

Autoportrait de David réalisé en 1794


20 Août 1789 : Les esclavagistes fondent le club Massiac à Paris

    Dans un autre article pour ce même jour du 20 août 1789, je vous ai parlé de l’histoire, disons "pittoresque", en évoquant l’exposition du tableau de David.

    Je dois prendre garde à ne pas tomber dans ce travers, raison pour laquelle j’ajoute cet article qui traite du côté sombre de l’histoire. Car le 20 août 1789, c’est aussi le jour de la création du club Massiac, celui des colons esclavagistes, qui entendent bien peser à l’Assemblée, surtout à présent que celle-ci travaille sur la Déclaration des Droits de l’Homme.

    Sachez que 15 % des députés de l’Assemblée nationale ont des propriétés dans les colonies et qu’un nombre encore plus grand a des intérêts dans le commerce colonial.

Louis Marthe de Gouy d'Arsy
    Ce club Massiac aura pour principaux chefs Gouy d’Arsy et Moreau de Saint-Méry. Ses membres se constitueront en groupe de pression et répandront leurs idées au moyen de pamphlets, mémoires, lettres jusqu’en 1791. Ils s’opposeront violemment à la Société des Amis des Noirs créée le 19 février 1788 (Condorcet, La Fayette, Brissot…) qui milite pour l’abolition de la traite. Nous serons amenés à reparler d’eux.


    J’ai trouvé nombre d'infos sur les colonies et l’esclavage dans un document passionnant découvert sur une page de l’Institut d’Histoire de la Révolution Française.

Cliquez sur l’image ci-dessous pour y accéder :


Voici un extrait de ce document qui évoque la création du club Massiac :


    « Ce 20 août 1789, à l’initiative du marquis Mordant de Massiac, la société de correspondance des colons français est créée. Elle sera plus connue sous le nom de Club de Massiac. Les membres de ce club sont davantage des propriétaires résidant en France, dont le patrimoine repose à la fois sur des plantations coloniales et sur des seigneuries métropolitaines. Ils sont souvent impliqués dans le négoce. Ils sont par conséquent favorables au maintien de l’esclavage.

Hostiles à la représentation des colonies à l’Assemblée, ils craignent que les débats publics ne fassent la lumière sur les réalités coloniales et ne provoquent une législation remettant en cause le système esclavagiste. Afin d’échapper aux effets de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, alors en discussion à la fin du mois d’août 1789, le Club de Massiac avance l’idée d’une constitution spécifique des colonies.

L’arrêté fondateur du club du 23 août 1789, précisera que l’Assemblée constituante ne devrait sous aucun prétexte pouvoir influer sur les affaires de Saint-Domingue.

Le Club de Massiac souhaite la mise en place d’assemblées coloniales dotées d’attributions fortes. Les grands planteurs redoutent les « hésitations » ou de l’autoritarisme des administrateurs nommés par le pouvoir central qu’ils qualifient d’agents du « despotisme ministériel. »

Dès le 27 août 1789, le Club de Massiac fera connaître son existence aux différentes chambres de commerce des grands ports du royaume. Le club encouragera alors les négociants et propriétaires de plantation à se grouper en association dans le but de réclamer au secrétaire d’état à la Marine et aux Colonies, la création d’une assemblée coloniale et de plusieurs assemblées provinciales visant à rendre Saint-Domingue plus autonome. »

Toujours extrait du même document, voici ce texte qui décrit avec détail, la situation des colonies françaises en 1789 :

 « En 1789, le roi de France exerce son autorité sur des établissements coloniaux qui se caractérisent par une production de denrées essentiellement assurées par des esclaves. Par ordre d’importance de la population, ces colonies esclavagistes sont : la partie française de Saint-Domingue (actuel Haïti), la Martinique, la Guadeloupe et ses dépendances (Marie-Galante, partie française de Saint-Martin, Île de la Désirade, les Saintes), l’Île Bourbon (Île de la Réunion), l’Île de France (Île Maurice) et ses dépendances (Île Rodrigue et Seychelles), la Guyane, Sainte-Lucie, Tobago.

Tous ces établissements coloniaux se caractérisent par l’exportation vers l’Europe de denrées (sucre, café, indigo, coton, cacao) produites par des esclaves d’ascendance africaine. Ce commerce doit se faire exclusivement sur des navires français par des négociants du royaume de France : c’est l’Exclusif. L’espace colonial français est également formé par des comptoirs de pêche (Saint-Pierre et Miquelon), de traite négrière (îles de Gorée et de Saint-Louis du Sénégal), de commerce avec l’Inde (Pondichéry, Chandernagor, Mahé, Yanaon, Karikal).

Le commerce colonial français est à son apogée au début de la Révolution. La traite négrière française atteint alors son paroxysme avec plus de 54 000 captifs embarqués sur des négriers français en 1790. Dans la période 1786-1790, les négociants français contribuent à environ 40 % de la traite européenne, dépassant les armateurs négriers portugais et britanniques. Les denrées coloniales et produits du commerce colonial (textiles d’Inde, épices, porcelaine...) représentent en valeur 38 % des importations du royaume de France en 1787. Ces denrées sont pour une bonne part, réexportées et forment 33 % des exportations du royaume de France, soit autant que les produits manufacturés. »

Source : https://journals.openedition.org/lrf/1403

 

Afin de ne pas rester sur une note trop sinistre, je vous offre l'estampe ci-dessous probablement éditée par la société des amis des noirs.

Tout est dit dans sa légende : 

"Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance,
c'est la vertu qui fait la différence"

 Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance, c'est la vertu qui fait la différence



mercredi 19 août 2020

Visitez le Paris du 18ème siècle en vidéo !

 J'ai découvert pour vous cette vidéo sur Youtube. Il s'agit du projet Bretez, qui a reçu en 2020 la médaille de cristal du CNRS

Son auteur s'est particulièrement attaché au rendu sonore, mais les images n'en sont pas moins de grande qualité.

Regardez plutôt :


19 Août 1789 : Le travail sur la déclaration des droits de l'homme progresse enfin.

 

Stanislas Clermont-Tonnerre

    De nombreux projets étaient en cours d'étude concernant la déclaration des droits de l’homme, qui devait servir de préambule à la future constitution.

    Différents bureaux de l'Assemblée s'étaient attelés à la tâche. Mais ce 19 août 1789, sous la présidence de Stanislas Clermont-Tonnerre, l’Assemblée va retenir le projet, dit du sixième bureau, dont les membres sont plutôt "conservateurs".

    Je vous donne à lire ci-dessous, un long extrait du procès-verbal de la séance de ce 19 août, dont certains passages sont passionnants.

    Mais pour vous aider à mieux comprendre les conditions de l’accouchement difficile de cette déclaration, je vous propose de lire un article très intéressant daté de l’été 1988, dont voici le lien : https://www.lhistoire.fr/les-six-jours-des-droits-de-lhomme

    Pour les plus studieux d’entre vous, voici donc l’extrait du procès-verbal :

La discussion sur la déclaration des droits, présentée par le comité des cinq, est reprise.

M. l'abbé Bonnefoy :

"Après avoir comparé les divers plans de déclaration des droits avec celle de M. de Lafayette, j'ai vu que cette dernière est le texte dont les autres ne forment que le commentaire. Je trouve dans le plan de M. Mounier les mêmes maximes augmentées de plusieurs autres. Je conclus pour celui de M. de Lafayette, qui est simple et clair, et qui réunit en peu de mots les droits primitifs de l'homme. Je désire seulement qu'on y ajoute : « que l'homme a un droit sacré à sa conservation et à sa tranquillité, et que l'Etre suprême a fait les hommes libres et égaux en droits."

M. Pellerin :

"Le principe de toute société consiste dans la propriété et dans la liberté.

L'homme perd de cette liberté à raison de ce que la loi lui défend.

L'homme perd de sa propriété par les contributions qu'il doit à la chose publique.

Telles sont les restrictions que l'on doit apporter aux principes fondamentaux.

Il semble, au surplus, que c'est les reconnaître que de promettre à chacun liberté, sûreté et propriété.

Si les principes sont certains, si chacun connaît ses droits, il paraît qu'il est plus facile de les concevoir que de les exprimer ; chacun de nous a senti que si c'était notre devoir d'éclairer nos concitoyens sur leurs droits, il n'était pas moins prudent de les éclairer sur l'exercice de ces mêmes droits ; c'est un flambeau salutaire dans les mains de l'homme sage et paisible, qui devient une torche incendiaire dans les mains d'un furieux.

Sans doute tous les principes que l'on nous a présentés sont vrais en eux-mêmes ; mais il a fallu étayer les conséquences qui pouvaient devenir dangereuses.

Aussi cette méthode a-t-elle gêné tous les auteurs ; tantôt il a fallu taire des principes, tantôt il a fallu les circonscrire. C'est ainsi qu'il a fallu prévenir les fausses interprétations. C'est à vous à guider le peuple dans les routes obscures où il serait entraîné. C'est à vous à l'instruire.

Vous allez lui indiquer ses droits ; mais ces droits supposent des devoirs : il est incontestable que les uns ne peuvent exister sans les autres ; ils ont entre eux des idées relatives. Il est incontestable, en effet, qu'aucun citoyen n'a de droits à exercer, s'il n'y a pas un autre citoyen qui ait des devoirs à remplir envers lui.

Il faut donc établir que les droits ne peuvent exister sans les devoirs ; ainsi, lorsque nous établissons que la vie de l'homme, son honneur, son travail, forment sa propriété, il convient cependant de dire qu'il en doit une portion à la patrie. Ainsi il convient encore d'ajouter que, lorsque l'on porte atteinte à ses droits, il ne doit pas repousser la force par la force, mais recourir à la justice.

Nous n'oublierons pas surtout de rappeler à l'homme qu'il ne tient pas la vie de lui-même ; que les vertus sont récompensées. C'est par la méditation de ces vérités que l'on rétablit la morale et que l'on parvient à rendre les hommes vertueux.

Un membre a présenté un projet qui, dans deux colonnes, renferme les droits de l'homme et les devoirs du citoyen. Cette forme éprouvera peut-être des difficultés ; mais jamais on ne doit renoncer au mieux. Et si l'Assemblée n'en reconnaît pas la nécessité, elle ne peut se refuser à celle d'y céder.

Je demande donc une déclaration qui renferme les droits et les devoirs de l'homme en société."

M. le vicomte de Mirabeau :

"Pour trancher le nœud gordien, je propose qu'à la place d'une déclaration des droits, on mette simplement à la tête de la Constitution : pour le bien de chacun et de tous, nous avons arrêté ce qui suit, etc."

M. Guiot :

"Vous avez deux grands inconvénients à éviter : le premier, de vous traîner sur les pas des préjugés ; le second, de vous égarer dans les détails obscurs de la métaphysique, et de substituer des maximes artificielles aux vérités simples de la nature : il faut remonter au principe générateur et en suivre les conséquences. Il existe, et il doit en exister un qui embrasse tous les droits et tous les devoirs de l'homme ; c'est celui de veiller à la conservation de son être ; les autres n'en sont que la suite naturelle."

Monsieur le Président propose d'aller aux voix pour admettre ou rejeter la discussion du projet proposé par le comité des cinq, article par article.

Il est arrêté presque unanimement de ne pas s'en occuper.

Il fallait cependant un projet quelconque, comme un canevas sur lequel l'Assemblée rédigerait une déclaration.

M. le marquis de Bonnay, voyant qu'on refusait la proposition de choisir un des projets présentés, réfute avec beaucoup de précision les objections qu'on lui avait faites la veille, sur le danger à opiner pour ce choix dans les bureaux. La forme de l'appel des voix, dit-il, est une opération fatigante et défectueuse. L'ennui des lectures pourrait faire adopter par lassitude un projet qui ne serait pas le meilleur. Dans les bureaux, au contraire, chacun jouira de son suffrage et de sa liberté, en indiquant le nom de l'auteur et le titre du projet ; les listes des bureaux ne seront pas des résultats, mais de simples résumés ; les membres sont plus rapprochés, et les inexactitudes moins fréquentes. Cette méthode est plus courte que celle de l'appel en assemblée générale, puisque dans les bureaux on appellera trente membres à la fois.

M. Desmeuniers représente que l'Assemblée a rejeté d'avance la manière de prendre les voix par bureaux. Il regarde comme une subtilité de dire que les résumés des bureaux n'étaient pas des résultats.

M. de Castellane oppose le règlement qui ne permet pas d'autre forme de délibérer que par assis ou levé et par l'appel des voix en cas de doute sur la majorité ; ce qui exclut l'appel des voix par bureaux.

M. Pétion s'y oppose aussi, et dit qu'il désire qu'on mette en délibération les différents projets proposés.

M. Pérez de Lagesse fait valoir en faveur des projets de déclarations proposés par les membres du comité de Constitution la même considération qui avait fait délibérer sur le projet proposé par le comité des cinq.

M. de Lally-Tollendal :

L'Assemblée nationale a décrété qu'une déclaration des droits de l'homme serait mise en tête de la Constitution à établir : ainsi il n'y a plus à revenir sur cette question.

Ce serait peut-être un argument pour ceux qui trouvaient quelques inconvénients à celte déclaration que la difficulté que nous éprouvons à en arrêter une, la diversité de celles qui nous ont été présentées, les débats qui s'élèvent sur les textes, sur le sens de la plupart, sur leur trop grande étendue ou sur leurs bornes trop circonscrites, sur la profondeur de l'une, que l'on appelle obscurité, et sur la simplicité de l'autre, que l'on traite de faiblesse.

Si, entre douze cents que nous sommes, nous avons tant de peine à nous réunir sur la manière d'entendre cette déclaration, croirons-nous que l'intelligence de vingt-quatre millions d'hommes s'y fixe d'une manière uniforme ?

"Les Anglais, c'est-à-dire le peuple du monde entier qui entend le mieux la science du gouvernement, je ne crains pas de le dire, j'avais besoin de le dire, et lorsque nous naissons à peine à cette science, en vérité il y a trop de témérité à nous de prétendre rabaisser ceux que des siècles de méditation et d'expérience ont éclairés, et que la nature n'a pas doués inégalement entre tous les hommes de la faculté de penser et de recueillir ; les Anglais, dis-je, ont plusieurs actes qui constatent leurs droits et qui sont les fondements de leurs libertés. Dans tous ces actes, soit sous leur grande charte sous le roi Jean, soit dans leurs différentes pétitions, et sous les trois Edouard, sous Henri IV, soit dans leurs pétitions des droits sous Charles 1er, soit enfin dans leur Bill du droit et dans leur acte déclaratoire sous Guillaume, ils ont constamment écarté toutes ces questions métaphysiques, toutes ces maximes générales susceptibles de dénégation, de disputes éternelles, et dont la discussion atténue toujours plus ou moins le respect dû à la loi qui les renferme; mais ils y ont substitué de ces vérités de fait qu'on ne peut entendre que d'une manière, qu'on ne peut réfuter d'aucune, qui n'admettent ni discussion ni définition, et qui réduise la mauvaise foi elle-même au silence. Ainsi, quand ils ont dit qu'aucun homme ne soit emprisonné ou arrêté que par un jugement légal de ses pairs, la liberté des Anglais est devenue un axiome, personne n'a eu besoin de raisonner, personne n'a osé disputer, chacun a su qu'il était maître de lui, et que la loi seule pouvait entreprendre sur sa liberté, et que c'était de lui que la loi tenait ce pouvoir.

C'est sans doute une grande et belle idée que celle d'exposer tous les principes pour en tirer toutes les conséquences ; de faire remonter tous les hommes à la source de leurs devoirs ; de les pénétrer de la dignité de leur être avant de leur assurer la jouissance de leurs facultés, et de leur montrer la nature avant de leur donner le bonheur.

Mais je demande, et c'est le seul objet du rapprochement que je viens de faire, je demande ce que j'ai déjà demandé il y a longtemps, que l'on écarte de cette idée le mal qui peut se placer à côté du bien dans les meilleurs institutions ; je demande que celte déclaration de droits soit aussi courte, aussi claire, aussi réduite qu'il se pourra; que, le principe posé, on se hâte d'en tirer la véritable conséquence, pour que d'autres n'en tirent pas une fausse, et que, après avoir transporté l'homme dans les forêts, on le reporte sur le-champ au milieu de la France.

J'ai lu toutes ces déclarations ; j'ai admiré la profondeur des unes, la sagacité des autres. Le projet proposé par M. Mirabeau est satisfaisant sous un rapport ; c'est un de ceux, qui ont le plus écarté toutes ces subtilités métaphysiques. Plusieurs articles peuvent et doivent remplir toutes les vues ; mais d'autres sont trop vagues : plusieurs principes, justes en eux-mêmes, mais trop généralisés, pouvaient entraîner des conséquences effrayantes ; l'article 3, par exemple, pourrait entraîner des dangers incalculables.

J'avoue qu'aucune ne m'a paru aussi claire, aussi simple, aussi sévèrement conformes aux principes, et cependant aussi sagement adaptée aux convenances, aux lieux et aux temps, que celle projetée par M. Mounier. J'y trouve celle de M. de Lafayette, dont je fais un grand cas, et je l'y trouve encore perfectionnée. Je crois qu'on pourrait même la réduire, y faire quelques changements, y joindre le début de celle qu'a proposée hier M. de Mirabeau. Je l'inviterai surtout à y joindre un article que j'ai trouvé dans celle de M. Pison du Galand, sur le rapport de l'homme avec l'Etre suprême ; qu'en parlant de la nature on parle de son auteur, et qu'on ne croie pas pouvoir oublier, en formant un gouvernement, cette première base de tous les devoirs, ce premier lien des sociétés, ce frein le plus puissant des méchants, et cette unique consolation des malheureux L'article de M. du Galand est applicable à tous les cultes, à toutes les religions ; j'insiste pour qu'il fasse partie de la déclaration ; j'insiste pour que M. Mounier soit invité à corriger, d'ici à demain, son projet de déclaration, et à le mettre sous les veux de l'Assemblée.

Si cette déclaration devait encore entraîner plus de débats, je me joindrais à l'avis qui a été ouvert hier de marcher en avant sur les points de la Constitution, sauf à revenir ensuite sur les principes généraux dont nous les faisions précéder. Je ne serai point effrayé de l'inconséquence qu'on voudrait reprocher à cette marche. Les principes de fait que nous avons à établir sont indépendants des principes de raisonnement d'où nous voulons les faire dériver.

Ces principes de fait sont les seuls qui nous soient tracés, qui nous soient dictés par tous nos commettants ; notre fidélité est comptable de ceux-là ; c'est notre zèle qui a voulu rechercher les autres. Enfin le peuple attend, le peuple désire, le peuple souffre ; ce n'est pas pour son bonheur que nous le laissons plus longtemps en proie aux tourments de la crainte, aux fléaux de l'anarchie, aux passions mêmes qui le dévorent et qu'il reprochera un jour à ceux qui les ont allumées. Il vaut mieux qu'il recouvre plus tôt sa liberté, sa tranquillité ; qu'il recueille plus tôt les effets, et qu'il connaisse plus tard les causes.

M. Lanjuinais :

"Il y a deux manières de voter ; elles sont fixées par le règlement ; c'est la voie de l'appel nominal, ou le vote par assis et levé."

M. Desmeuniers : "Je m'oppose au vote dans les bureaux qui a été demandé."

M. Pétion :

"Je propose d'aller aux voix par assis et levé sur chaque projet de déclaration des droits en suivant l'ordre de leur présentation, et d'accepter celui qui aura réuni le plus de suffrages."

Monsieur le Président :

"Sera-t-il procédé par la voie de l’appel au choix d’une des déclarations des droits de l’homme et du citoyen, soumise à l’Assemblée, sous la réserve expresse que la déclaration préférée sera ensuite discutée article par article ?"

Cette question est résolue affirmativement.

En conséquence il a été procédé à l’appel des voix pour choisir la déclaration de droits dont les articles seront d’abord discutés. La pluralité des suffrages s’est réunie en faveur de celle qui a pour titre : Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, discutée dans le sixième bureau de l’Assemblée nationale. La déclaration de Monsieur l’abbé Sieyès a obtenu le plus de voix après celle-ci.

La suite des échanges porte sur une demande de l’imprimeur qui a demandé un emplacement plus vaste. Le président invite ensuite le comité des rapports à s’assembler à cinq heures, celui des subsistances à six heure : ainsi que les trente membres désignés pour former les deux comités des matières ecclésiastiques et civiles, afin de se distribuer dans ces deux comités.

La séance de l’Assemblée nationale reprendra à sept heure du soir.

Source du procès-verbal :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4867_t2_0457_0000_11

Gravure de Claude Niquet en 1789.
(On voit sous celle-ci, le despotisme foudroyé.)


19 Août 1789 : Un inconnu fait un scandale au théâtre !

Marie-Joseph Chénier

    Ce soir, à Paris, au théâtre français (actuel théâtre de l’Odéon), un spectateur ose se lever en pleine représentation pour réclamer à grands cris que soit enfin jouée la pièce de Marie-Joseph Chénier, « Charles IX » interdite par la censure depuis 1788 !

    Fleury, l’acteur qui vient d’être interrompu par ce malotru, lui répond qu’il n’a pas l’autorisation de la jouer. Le public dans la salle se met à trépigner et à crier qu’il ne faut plus attendre les permissions, mais les prendre.

    Les forces de l’ordre sont obligées d’intervenir pour faire évacuer la salle !

    Ce provocateur, perturbateur de l’ordre public, déclinera son identité ; il s’agissait d’un avocat tout à fait inconnu alors, un certain Danton

   La première de la pièce, créée par l’acteur François-JosephTalma, aura lieu quelques semaines plus tard, le 4 novembre 1789. Elle provoquera une intense polémique qui viendra de la Cour, du haut clergé, de la Sorbonne, et plus généralement des adversaires de l’ordre politique nouveau.

    Cette pièce deviendra emblématique du théâtre politique par la hardiesse de son sujet.

    Elle constituait une allégorie du pouvoir monarchique despotique, campant un roi de France Charles IX, acceptant et ordonnant le massacre de la Saint Barthélémy. 

    De plus elle distinguait les responsabilités de la monarchie et de l’Église, en exemptant le peuple parisien.

    L'acteur Talma y était dit-on, saisissant, en Charles IX, quant au tableau final, prenant conscience de son crime il s'effondrait avant de mourir en disant :"J'ai trahi la patrie et l'honneur et les lois. Le ciel en me frappant donne un exemple aux Rois."

    Talma sera porté en triomphe à la sortie du théâtre, avec l’auteur de la pièce, Chénier.

    Danton aurait dit dans un café voisin :"Si Figaro a tué la noblesse, Charles IX tuera la royauté".

    L’Église la fera interdire à la trente-troisième représentation. Mais le 21 juillet 1790, la pièce sera de nouveau jouée malgré l'interdiction. La troupe de la Comédie-Française se divisera alors entre les révolutionnaires et les autres sociétaires qui refuseront de jouer avec Talma.

    Talma s'engagera de plus en plus politiquement et il se liera même d'amitié avec un certain Bonaparte.

    Il sera exclu de la Comédie-Française en 1791 et ira se réfugier dans un nouveau théâtre rue Richelieu. La salle prendra vite le nom de théâtre de la République, et quand les "comédiens-français" seront emprisonnés en septembre 1793, on accuse Talma d'avoir comploté contre ses anciens partenaires.

Le texte de la pièce est accessible par le lien suivant :
https://libretheatre.fr/.../2015/11/CharlesIX_Chenier_LT.pdf

Costumes pour la pièce Charles IX

Encore un mot sur le théâtre, durant la Révolution

    Dans son livre dont je vous parlerai bientôt, l’historien Eugène Despois pose la question suivante à propos de l’étonnante fréquentation des théâtres durant toute la révolution :

« Qui donc alors s’abandonnait à cette joie égoïste et à cette indifférence, plus féroce peut-être en des temps si graves que les frénésies les plus extrêmes du fanatisme ? »

Il donne l’étonnante réponse suivante :

« Hélas ! C’était au moins une notable partie de la population de Paris, puisque vingt théâtres ne suffisaient point à satisfaire la curiosité du public. Sans doute les pièces de circonstance abondaient alors, beaucoup moins pourtant qu’on ne semble le croire. Sur le théâtre du Vaudeville, par exemple, récemment ouvert, on ne compte pas moins de quarante pièces représentées pendant l’année 1793, et si j’en juge par les titres donnés dans l’Almanach des Spectacles pour 1794, je ne vois guère qu’une dizaine de pièces à intentions républicaines. Néanmoins, l’Almanach des Spectacles vante le caractère patriotique de ce théâtre et des pièces que l’on y joue. « C’est, ajoute-t-il, surtout depuis la Révolution que le Vaudeville a repris sa force et son véritable caractère. » Le répertoire des autres théâtres ne semble pas en général annoncer des préoccupations plus élevées. » 

Abolition des privilèges, pour le théâtre aussi ! 

    N'oublions surtout pas que c’est la révolution qui par la loi du 13 Janvier 1791 sur la Liberté des Théâtres, autorisera tout citoyen à « pouvoir élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tous les genres, en faisant, préalablement à l’établissement de son théâtre, sa déclaration à la municipalité des lieux ».

Ce sera ainsi la fin du privilège théâtral de l’ancien régime, détenu par la Comédie-Française.

Un article intéressant sur ledit privilège, se trouve ici : https://books.openedition.org/enc/890?lang=fr

Vous aimez le théâtre ?

    Le sujet du théâtre sous la Révolution vous intéresse ? Alors précipitez-vous vers cet article : "La Dugazon, maudite pas ses camarades du théâtre italien sans Italiens".