dimanche 11 octobre 2020

11 Octobre 1789 : Le pain est de retour dans Paris avec le roi, mais le dideau n'est pas loin.


    Les Parisiennes avaient raison. Si le roi réside dans Paris, le pain s'y trouvera aussi et c'est effectivement ce qui se passe. Mais, car il y a un "mais", le retour soudain du pain pose questions. Pourquoi a-t-il manqué ces derniers jours, alors que des convois de blé ne cessent d'affluer vers Paris ? L'approvisionnement du pain constitue à lui seul un vrai mystère pendant la Révolution française. Qui ne veut pas tenir compte des rumeurs populaires et des théories de complots, doit malgré tout se poser des questions à la lecture de certains documents et témoignages. J'ai d'ailleurs rédigé un article à ce sujet : "La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés". Article auquel l'historienne Aurore Chery m'a fait l'honneur de répondre par un autre article 

    Notre ami Adrien-Joseph Colson rend compte de la situation telle qu'il la perçoit, à son ami de Province dans son courrier du 11 octobre 1789. Je vous rappelle que Colson est avocat au Parlement de Paris. C'est donc un bourgeois qui fait très certainement partie des électeurs du Tiers état. Son témoignage est toujours intéressant, en raison du fait qu'il côtoie chaque jour le petit peuple et qu'il est ainsi informé de toutes les rumeurs qui circulent dans Paris. A le lire, vous remarquerez cependant son ton plutôt méprisant à l'égard des petites gens.

Lisons cet extrait de son courrier du 11 octobre :

Réapparition miraculeuse du pain.

    Quoique le jour où le roi est arrivé à Paris l'on eût dans la matinée de la peine à avoir du pain, le soir il y en avait en abondance et de reste chez les boulangers. Les jours suivants il en regorgeait, dit-on, et cependant l'on assure que les boulangers en cuisent bien moins que lorsqu'il y avait disette.

    On ajoute qu'on en a beaucoup jeté dans les puits, dans les commodités, et qu'on en a trouvé 500 dans les filets de Saint-Cloud. (1)

Division chez les femmes du peuple.  

    Le mardi 6, le lendemain de l'arrivée du roi, une troupe de femmes s'est emparée à la halle d'environ 300 tonneaux de farines sous prétexte qu'elles étaient gâtées, quoiqu'on dise que dans cette quantité il s'en trouvait au moins cent tonneaux de bonnes, et elle les a jetés à la rivière à la vue des croisées du roi (sous ses fenêtres) d'où il pouvait les voir.

    Le même jour et les jours suivants, elles arrachaient les rubans que les dames portaient sur leurs bonnets sans qu'on sache par quel motif ni à quel dessein. Et elles commençaient à extorquer de l'argent des ecclésiastiques qu'elles rencontraient. Elles allaient vraisemblablement passer à de plus grands excès si ces premiers eussent été soufferts et, par le danger qu'il y avait d'exercer contre elles des contraintes, il était difficile de les réprimer.

    Mais heureusement, les femmes de la halle ont envoyé une députation à l'Hôtel de Ville pour témoigner qu'elles désapprouvaient extrêmement toute cette conduite, et elles se sont engagées à contenir toutes ces femmes dans l'ordre si on voulait leur donner quatre hommes par districts. Cette division survenue dans le parti des femmes a fait qu'hier les turbulentes d'entre elles n'ont rien entrepris. Mais nous n'en sommes pas plus tranquilles. 

Un complot ? 

    Je joins ici une feuille imprimée qui vous instruira d'un complot affreux qui vient de se découvrir et dont les suites nous ont fait craindre que dans la nuit dernière on ne mît le feu à deux ou trois mille endroits dans Paris. Je suis obligé, le temps me manquant, de vous en entretenir au premier courrier. Voilà les suites du soulèvement exécuté par 2 ou 300 barboteuses de la fange de Paris. (...) Je n'ai pas le temps de relire cette lettre. (Le courrier pour la Province doit partir bientôt.)

    Je vous renvoie à l'article de la journée du 13 octobre 1789 pour en apprendre plus sur ce complot.

(1) Les filets de Saint-Cloud ?

    Lorsqu'on cherche à se renseigner à propos de ces filets de Saint-Cloud, on découvre de drôles d'infos. Il semble en effet que ces filets faisaient beaucoup parler les Parisiens.

Vue du Pont de Saint-Cloud (Cherchez les filets)
Source

    Selon certains, ces filets étaient tendus jour et nuit et leur but était de recueillir tous les objets entrainés par le fleuve ainsi que les cadavres de ceux qui se suicidaient dans la Seine, ou qui étaient assassinés avant d'être jetés dans l'eau. C'est pittoresque, mais probablement faux.

    J'ai trouvé un texte ("La Morgue" publié en 1831) dans lequel l'auteur, Léon Gozlan s'irrite de cette fable :

"Mais c'est une erreur qu'il faut absolument détruire ; pardon, pour cette illusion perdue ! Il n'y a pas de filets à Saint-Cloud, et il ne saurait y en avoir. La trame qui arrêterait les voyageurs sous-marins serait, ou assez plongée dans la rivière pour n'être pas déchirée par les bateaux, et dans ce cas elle laisserait passer les noyés, ou elle s'élèverait à fleur d'eau, et alors les bateaux et les trains ne passeraient plus. Ainsi donc, que les amours discrets qui embellissent la Tête noire de leurs soupers voluptueux ne craignent pas d'arrêter leurs regards distraits sous l'arche majestueuse du pont de Saint-Cloud, qu'ils admirent Boulogne, antichambre du séjour royal ; Sèvres, ville de porcelaine ; Saint-Cloud et sa noble avenue ; qu'ils se laissent aller à la mélancolie bleue du soir, quand la Seine double le paysage par la limpidité de ses eaux roses et damassées, ils ne verront pas monter lentement ce prétendu filet, serrant dans ses mailles puissantes, comme un poisson de l'Océan, l'épouvantable objet de leur préoccupation."

    Mais il y avait bien des filets tendus sous le pont reliant Saint-Cloud à Boulogne. Il s'agissait d'un grand dideau, c'est-à-dire un filet suspendu par des potences et des poulies que l'on tendait ou relâchait suivant les occasions. Le but de ce filet était plutôt de pêcher des poissons que des cadavres.

    Une gravure de 1799 représente d'ailleurs l'un des pêcheurs qui devait exercer son métier à Saint-Cloud.

Source : Paris Musées

    Au début du siècle dernier on pêchait encore ainsi les aloses, des poissons migrateurs, sous le pont de Nantes.
    

    J'ai envie d'évoquer également le grand Victor Hugo, qui dans les Misérables souhaite l'installation de filets à Saint-Cloud :

"Quant à la France, nous venons de dire son chiffre. Or, Paris contenant le vingt-cinquième de la population française totale, et le guano parisien étant le plus riche de tous, on reste au-dessous de la vérité en évaluant à vingt-cinq millions la part de perte de Paris dans le demi-milliard que la France refuse annuellement. Ces vingt-cinq millions, employés en assistance et en jouissance, doubleraient la splendeur de Paris. La ville les dépense en cloaques. De sorte qu’on peut dire que la grande prodigalité de Paris, sa fête merveilleuse, sa folie Beaujon, son orgie, son ruissellement d’or à pleines mains, son faste, son luxe, sa magnificence, c’est son égout.

C’est de cette façon que, dans la cécité d’une mauvaise économie politique, on noie et on laisse aller à vau-l’eau et se perdre dans les gouffres le bien-être de tous. Il devrait y avoir des filets de Saint-Cloud pour la fortune publique."


Pêche au dideau sur la Loire en 1936.
Source


Post Scriptum :

    Oui, je sais, je digresse parfois un peu. Mais il y a tant de choses à apprendre. Donc, je vous demande pardon pour le dideau.

    Mais blague à part, le pain fut vraiment l'acteur principal de cette Révolution.


samedi 10 octobre 2020

10 Octobre 1789 : Louis XVI change de titre...

 

Louis XVI en costume de sacre

    La monarchie de droit divin n’est plus !

L’Assemblée décrète que Louis XVI ne s’appellera plus « roi de France et de Navarre » qui n’a plus lieu d’être depuis que la souveraineté nationale a été proclamée, mais : « par la grâce de Dieu et de la loi constitutionnelle de l’Etat, roi des Français ». Cette référence divine n’est sans doute qu’une concession provisoire faite à la tradition.

Car le pouvoir royal se trouve bien placé sous la tutelle de la Nation et la loi qui en émane.

Ça ne va pas plaire à tout le monde, vous vous en doutez...





10 Octobre 1789 : Les bourgeois de Paris prennent leur rêve pour une réalité

 

    Aujourd'hui 10 octobre 1789, la Commune de Paris a envoyé une délégation de ses représentants en députation à l'Assemblée nationale. 

    Ces représentants élus du Tiers Etat sont ravis d'accueillir bientôt à Paris, l'Assemblée nationale.

Lisons leur discours aux députés :

Adresse d'une députation de l'Assemblée des représentants de la commune de Paris

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5159_t1_0405_0000_8

 

« Nosseigneurs,

« L'assemblée générale des représentants de la commune de Paris croirait manquer à ses devoirs les plus sacrés si, dans les premiers moments du calme qui renaît, elle ne s'empressait pas de vous exprimer ses sentiments sur les mémorables événements que les jours passés ont vu se succéder avec tant de rapidité. Elle croirait y manquer encore si, dans la joie que lui cause la' résolution du Roi de se fixer dans la capitale, elle ne s'empressait pas de la partager avec vous, et de vous témoigner la vive satisfaction qu'a fait naître, dans son âme, le décret qui vous porte à suivre Sa Majesté.


« L'orage est loin de nous, cet orage qui menaçait d'écraser la capitale et la France entière ; il a paru comme un éclair, et s'est évanoui de même : grâces en soient rendues au Ciel, dont la main bienfaisante nous a si visiblement protégés ; à vous, Nosseigneurs, dont les sages décrets ont apaisé les cris d'un peuple égaré ; à la bonté du Roi, qui a daigné condescendre à toutes ses demandes, et remplir tous ses vœux ; enfin, à l'activité des troupes nationales parisiennes, et de leur sage commandant, pour rétablir la tranquillité et sauver les victimes dont la mort était jurée.

« Tout paraît rentré dans l'ordre : jetons un voile sur les événements, sur les manœuvres affreuses qui les avaient préparés ; ne voyons que le bien qui en découle ; jouissons-en, sans diminuer nos jouissances par l'amertume des regrets.

« Le prince a comblé nos vœux, et nous sentons déjà le bienfait de sa présence. L'abondance a reparu parmi nous, la paix l'accompagne : hâtez-vous, nous vous en conjurons ; hâtez-vous de vous réunir à ce Roi citoyen, dont vous vous êtes déclarés inséparables, et vous comblerez nos espérances ! Avec quelle ivresse les Parisiens ne contempleront-ils pas l'Assemblée qui balance les destinées de la France ?

« Et quels avantages ne résulteront pas de votre présence ? Par elle la nation se convaincra que l'harmonie la plus parfaite, règne entre ses représentants et le Roi ; elle se convaincra que la même harmonie subsiste entre le prince et sa bonne ville de Paris ; qu'il ne l'a choisie pour son séjour, que parce qu'elle lui présente une plus nombreuse portion de ses enfants. Par-là se détruiront ces bruits affreux que les ennemis du bien public répandent dans les provinces, avec lesquels ils cherchent à exciter, à justifier de nouveaux désordres.

« Votre présence encore affermira le calme dans cette capitale, y préviendra le retour des insurrections ..... Ah ! n'en accusez pas la foule des bons citoyens de Paris. Quels Français sont plus qu'eux pénétrés de respect pour celte Assemblée ? Quels Français regrettent plus la violation faite au sanctuaire de la législature ? Vous, ministres des autels, que la sainteté de votre caractère rendait inviolables, oubliez un moment de délire ; il ne reviendra plus : il n'est aucun de nous qui, pénétré de respect pour la religion dont vous êtes les organes, ne la défende en vos personnes ; il n'en est aucun qui ne soit prêt à verser son sang pour assurer votre tranquillité et l'indépendance des délibérations de l'Assemblée.

«Elles seront libres, n'en doutez pas, Nosseigneurs, croyez-en les précautions dont la commune de Paris s'empressera de vous environner ; croyez en nos efforts, notre intérêt, pour écarter de vous les dangers ; croyez en cette armée redoutable de citoyens autorisés par la loi à déployer toutes leurs forces contre les perturbateurs ; croyez en le nouveau serment par lequel tous ces soldats citoyens s'engagent, en ce moment, à assurer l'inviolabilité de vos personnes et la liberté de vos délibérations. Et toutes ces précautions ne deviennent-elles pas inutiles, quand on contemple l'opinion publique qui vous environne et vous défend mieux que toutes les armes ; quand on considère ce peuple, qui, jouissant de tout ce qu'il a demandé, n'aura que des bénédictions à vous donner ? Il n'est pas, ce peuple, tel qu'on le peint toujours, prêt à déchirer même ses bienfaiteurs. Ce peuple est bon, il est juste ; mais il a souffert, mais il n'est pas instruit, mais il est égaré. Vos décrets ont allégé déjà ses souffrances ; vos lumières l'éclaireront ; votre vigilance écartera ces moteurs secrets qui cherchaient à l'enflammer : ils disparaîtront d'ailleurs à l'aspect de l'administration active et concentrée qui s'organise maintenant. Quels puissants motifs, pour vous inviter, Nosseigneurs, à promptement honorer la capitale de votre préférence ! Le vœu d'un Roi chéri qui vous attend, l'honneur et la tranquillité d'une ville qui vous bénit, la nécessité de raffermir l'union entre la capitale et les provinces, union sans laquelle il n'y a point de paix, point de prospérité, point de nation. »

 


10 Octobre 1789 : Mounier abandonne la politique, ou prend la fuite ?

 

Mounier, poursuivi par une lanterne...

    Mounier, qui présidait encore il y a trois jours à peine, l’auguste assemblée nationale, a décidé d’abandonner son mandat de député et de se retirer dans sa province du Dauphiné. Il arrive ce jour à Grenoble. 

    Le fougueux orateur de Vizille avait été un des précurseurs de cette révolution. C’était en effet à Vizille dans le château de l’industriel Claude Perier, que s’était déroulée le 21 juillet 1788, la Réunion des états généraux du Dauphiné, également appelée Assemblée de Vizille, depuis laquelle avait été lancé un appel à la nation tout entière pour définir par la voie des Etats Généraux, un nouvel ordre politique.

    Mounier avait cru voir son rêve réalisé quand le Tiers Etat avait réussi à imposer la souveraineté nationale. Mais il aurait voulu que les choses en restent là et que l’on puisse trouver un accord avec le roi en jetant les bases d’une monarchie constitutionnelle. La méfiance de Louis XVI envers cette bourgeoisie trop ambitieuse et l’impatience populaire ont eu raison de son rêve de révolutionnaire bien sage. Le moment de bascule a eu lieu pour lui lors de la scission du parti patriote qui l’a fait se retrouver à droite. Mais ce sont les journées des 5 et 6 octobre et surtout le retour à Paris manu militari du roi qui l'ont décidé à prendre la fuite. Même son ami, l’avocat Barnave, lui aussi du Dauphiné, l’a abandonné.

    Officiellement son départ est un renoncement à la vie politique. Mais ce départ, vu par le graveur de cette estampe, ressemble plutôt à une fuite. On le voit même poursuivi par une lanterne, ce mobilier urbain qui servait en certaines occasions à pendre des aristocrates. Il faut dire que Mounier avait été victime de campagnes de presse très hostiles lorsqu'il était au sein de l'Assemblée.

Toujours est-il qu'à peine sera-t-il arrivé dans son cher Dauphiné que des troubles vont commencer de s'y produire dès le 14 octobre.

Le 26 octobre, le président de l'Assemblée nationale recevra une adresse des officiers municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, au sujet d'une convocation extraordinaire ordonnée par la commission intermédiaire de cette province. La municipalité de Saint Marcellin demandera dans cette circonstance la conduite qu'elle doit tenir, (ne désirant que le vœu et les ordres de l'Assemblée nationale).

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5237_t1_0552_0000_26

S'en suivra une discussion des députés sur la légalité de cette convocation, et le décret suivant :

"L'Assemblée nationale décrète qu'il soit sursis à toute convocation de provinces et d'États, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait déterminé, avec l'acceptation du Roi, le mode de convocation dont elle s'occupe présentement ; décrète en outre que M. le président se retirera par-devers le Roi, à l'effet de demander à Sa Majesté si c'est avec son consentement qu'aucune commission intermédiaire a convoqué les Etats de sa province ; et dans le cas où ils auraient été convoqués sans la permission du Roi, Sa Majesté sera suppliée de prendre les mesures les plus promptes pour en prévenir e rassemblement (...)"

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0555_0000_2

Les explications de Mounier

Le plus intéressant, lors de cette journée du 26 octobre, sera la lecture du rapport envoyé à l'Assemblée par Mounier, pour expliquer son départ précipité.

Je vous en conseille vivement la lecture, car on y apprend nombre de détails passionnants sur tous les événements qui se sont déroulés depuis juin 1789.

En voici le lien : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3

Et la version PDF : 
https://www.persee.fr/docAsPDF/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3.pdf




10 Octobre 1789 : Lafayette reçoit une promotion valable pour 15 lieues. Vraiment ?

 

M. le Marquis de Lafayette

    Ce 10 octobre, le roi investit Lafayette du commandement des troupes régulières jusqu’à quinze lieues de la capitale (environ 60 kilomètres).

    Peu de temps après les journées des 5 et 6 Octobre, le marquis de La Fayette était venu se confier à Louis XVI, pour tenter de justifier sa conduite lors des événements. Il avait remis un mémoire au roi et lui avait juré sur son honneur qu'il était innocent de toute complicité avec les ennemis de la Royauté. Lafayette aurait également tenté de convaincre le roi qu’il était dans l’intérêt de celui-ci d’embrasser la cause révolutionnaire, du moins en apparence.

    Malheureusement pour Lafayette, le roi se méfie de lui. Il le croit même vendu au duc d’Orléans. Raison pour laquelle il fera seulement semblant de suivre les conseils de ce malheureux Lafayette qui ne désirait rien tant que sauver la monarchie. Cette nomination militaire est donc plus probablement un hochet donné à Lafayette qu’une réelle preuve de confiance.

Vous avez dit 15 lieues ?

    La longueur d’une lieu variait souvent selon l’époque ou la région, mais elle correspondait approximativement à 4 kilomètres, c’est-à-dire la distance pouvant être parcourue par un homme ou un cheval en marchant pendant une heure.

Ce tableau imprimé spécialement à l'occasion de l'instauration du système métrique, (encore un bienfait de la Révolution), indique que le kilomètre vaut 1/6ème de lieue.

Tableau du nouveau système métrique

10 Octobre 1789 : Sur la base d'une rumeur, Mirabeau accuse Saint-Priest qui lui répond

 

Salon de l'œil-de-bœuf, où eu lieu la rencontre
entre Saint-Priest et les femmes de Paris

Mirabeau

Le comte de Mirabeau demande en séance que l’Assemblée reçoive la dénonciation formelle suivante :

« Il est de notoriété publique qu’un ministre, et ce ministre est Monsieur de Saint-Priest, a dit à la phalange des femmes qui demandaient du pain : « Quand vous n’aviez qu’un Roi, vous ne manquiez pas de pain ; à présent que vous en avez douze cents, allez-vous adresser à eux. » Je demande que le comité des rapports soit chargé d’informer sur ce fait. »


La lettre de réponse du ministre accusé, figure en annexe du procès-verbal de la séance du 10 octobre. La voici :

Saint-Priest
Lettre de M. le comte de Saint-Priest à M. le président du comité des recherches à l'Assemblée nationale.

J'apprends, Monsieur, que l'Assemblée nationale a reçu une dénonciation de M. le comte de Mirabeau, qui, dit-on, a été faite en ces termes : « Un ministre, appelé le comte de Saint-Priest, a dit lundi à la phalange de ces femmes qui lui demandaient du pain : « Quand vous aviez un Roi vous aviez du pain ; aujourd'hui, vous en avez douze cents, allez leur en demander. »

Je demande que le comité des recherches soit tenu d'acquérir les preuves de ce fait.

On m'ajoute que cela devait être décrété ce soir, et renvoyé en effet au comité des recherches.

Je crois, Monsieur, devoir aller au-devant de ces enquêtes, en ayant l'honneur de vous déclarer authentiquement que le fait allégué par M. le comte de Mirabeau est controuvé, et que je n'y ai pas fourni le plus léger prétexte. M. le comte de Mirabeau ne dit pas m'avoir entendu, et j'aime à croire qu'il a été trompé le premier. Je déclare, sur mon honneur qui m'est plus cher que ma vie, que je n'ai parlé qu'aux femmes qui sont entrées dans l'œil-de-bœuf, le Roi m'ayant ordonné d'aller les entendre et de leur répondre. Je crois bien avoir eu cent témoins, et je doute qu'un seul réponde qu'il ait été mention de l'Assemblée nationale. Sur la plainte que ces cinq ou six femmes m'ont faite de manquer de pain, j'ai répondu que Je Roi avait fait l'impossible pour procurer des grains au royaume et à la capitale ; que, lorsque les récoltes étaient mauvaises, il était bien difficile de pourvoir à la subsistance du peuple ; que l'on avait tiré des grains de tous les pays du monde ; qu'enfin le détail de l'approvisionnement de Paris était depuis deux mois entre les mains de la ville, et que le Roi et les ministres y aidaient de leur mieux. Je ne me rappelle pas que cette conversation, dont j'ai sur-le-champ rendu compte au Roi, ait roulé sur autre chose ; mais je suis sûr, je le répète, qu'il n'a pas été question de l'Assemblée nationale. Et d'abord, peut-on appeler une phalange de femmes les cinq ou six auxquelles j'ai parlé dans l'œil-de-bœuf ? Je croirais que ceux qui ont fait ce rapport à M. le comte de Mirabeau ont ignoré jusqu'au lieu de la scène. J'ajouterai que, sans avoir l'honneur d'être connu de lui, sans lui avoir parlé de ma vie, j'aurais espéré qu'il aurait cru moins légèrement sur mon compte un propos choisi dans ce qui s'est dit de plus trivial depuis quelques jours par les gens qui voulaient exciter le peuple contre l'Assemblée nationale ; peut-être aussi ma conduite précédente aurait-elle dû me mettre à l'abri de cette imputation. J'ai passé beaucoup d'années au service de ma patrie, et travaillé pour son bonheur et pour sa gloire. Au reste, Monsieur, je sais qu'un citoyen doit être toujours disposé à répondre au tribunal du public. Je viens récemment de confondre une calomnie inventée contre moi à mon district de Saint-Philippe du Roule. On avait travesti une de mes lettres ; mais l'original, ayant été produit, a parlé pour moi, et l'imposteur a été démasqué. Ici, je réclame ceux qui m'ont entendu dans l'œil-de-bœuf ; et je crois, sans cependant en être bien assuré, que M. le prince de Poix, et M. le duc de Liancourt étaient de ce nombre. J'offre de prouver l’alibi pour toute autre conversation avec ces femmes.

Telle est, Monsieur, ma justification ; elle est faite à la hâte, mais je sais le danger des premières impressions, et l'avantage qu'on peut en tirer.

J'ajouterai, Monsieur, que je suis pénétré de respect pour l'Assemblée nationale, et que je viens d'en donner une preuve en refusant de signer des arrêts du conseil, depuis la date de la sanction que le Roi a donnée aux droits de l'homme, ayant jugé que ces formes sont devenues interdites. Je ne dispute pas à M. le comte de Mirabeau ses talents, son éloquence, ses moyens ; mais je ne le crois pas meilleur citoyen que moi.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Signé : le comte de Saint-Priest.

Paris, le 10 octobre 1789.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6401_t1_0407_0000_12


10 Octobre 1789 : Un évêque diabolique et boiteux nationalise les biens du clergé

 

Talleyrand, la girouette politique

    L’évêque d’Autun, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, propose en séance ce 10 octobre 1789, de mettre les biens du Clergé à la disposition de la Nation, le but étant bien sûr de redresser les finances du pays. En contrepartie de cette nationalisation, ladite Nation prendra en charge les salaires des ecclésiastiques dont elle déterminera le nombre total.

    Les historiens semblent insister beaucoup sur cette proposition de Talleyrand, en date du 10 octobre. Est-ce à cause de la personnalité de Talleyrand, celui que l’on surnomma « Le diable boiteux », à cause de son pied bot et de son esprit retors ? (Lisez sa fiche Wikipédia qui en brosse un portrait assez détaillé). 

    C’est oublier en effet que ce sujet est déjà dans l’air de l’auguste Assemblée nationale depuis un moment. Souvenez-vous de la proposition faites le 24 septembre dernier par Monsieur Dupont de Nemours !

    Monsieur Dupont de Nemours a-t-il été oublié pour quelque obscure raison ? Le fait qu’il soit Protestant ? Ou que son nom ait traversé ces deux derniers siècles en raison de sa bonne fortune en Amérique ? Disons que Talleyrand est un personnage théâtral qui se prête mieux aux imaginations des fans "d'histoire spectacle". Nous aurons d’autres occasions de parler de cet évêque un peu spécial, qui ne l’était d’ailleurs que depuis un an et qui ne le restera pas longtemps.

Vous pourrez lire la très longue présentation de ce projet par le lien suivant :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5157_t1_0398_0000_4

Réforme dans l'air du temps.

    Vous vous doutez bien que cette réforme du clergé va faire grand bruit, et ce, même si elle n’avait rien de très originale.

    Les constituants n’avaient en effet rien inventé. Ils s’inspiraient grandement des réformes réalisées dans son Empire, par Joseph IIle propre frère de la reine Marie Antoinette. Ce despote éclairé dont le mot d’ordre était « Tout pour le peuple ; rien par le peuple », avait soumis totalement l’Eglise à son autorité, fait prêter au évêques un serment qui les soumettaient à l’Etat, ordonné la fermeture de monastères jugés inutiles dont les biens avaient été transférés aux paroisses et tout plein d’autres réformes qui auraient fait défaillir un Chouan ou un de nos contemporains ignare en histoire !

    Vous ne me croyez pas ? Vérifiez, je n’invente rien, on appela le Joséphisme.

Joseph II, le despote éclairé qui mis l'Eglise au pas dans son Empire

    La bourgeoisie au pouvoir était progressiste, mais pas au point d’augmenter les impôts qu’elle devrait payer ensuite. Voilà pourquoi ces esprits éclairés, tous un peu voltairiens, voire théistes ou athées, s'étaient tournés vers le richissime clergé.

    L’Eglise possédait un quart de Paris et un dixième à peu près du territoire national, ce qui représentait 3 à 3,5 milliards de l’époque. Elle percevait de plus, 150 millions de rentes annuelles !

Des débats en prévision !

    Cette proposition de Talleyrand va être âprement débattue trois semaines durant. Elle sera combattue d'un côté par l'abbé Maury, Malouet et Sieyès sur des critères mettant en cause le droit de propriété transgressé par la Nation lorsqu'elle s'approprie les biens d'autrui. Mais elle sera soutenue par Mirabeau ou Thouret qui argueront du fait que ces biens n'appartiennent pas au clergé mais à la masse des fidèles qui leur en ont fait don, donc à la Nation.

    Le clergé va se diviser également. Tout d'abord surpris par la proposition de Talleyrand, les curés se joindront finalement à elle. Probablement en raison du doublement de salaire qui en résultera pour eux. En effet, le salaire versé par la Nation ne pourrait être inférieur à 1200 livres annuel (non compris le logement et le jardin), soit plus du double que ce dont ils disposaient). De plus, la réduction du nombre d'ecclésiastique évoqué dans le projet de Talleyrand n’allait concerner que la catégorie des prélats et des hauts dignitaires, tous nobles, et bien souvent éloignés des soucis de la religion, comme Talleyrand...

    Concernant Talleyrand, j’aurais pu vous renvoyer sur un des nombreux sites évoquant cet étonnant personnage. Mais la fantaisie me prend de vous proposer cette vidéo. Il s’agit d’un extrait de 11 minutes, du film de Sacha Guitry, « Le diable boiteux » réalisé en 1948. C’est du pur Sacha Guitry. Le plus anciens comprendront ce que je veux dire par là. 😉 

    C'était déjà un vieux film quand j'étais jeune, mais je conseille aux jeunes de ne pas se laisser rebuter par le noir et blanc et de regarder cet extrait qui devrait les faire sourire, voire les étonner. Les dialogues sont délicieux. Ils me font penser à du Audiard, mais niveau Académie française.