lundi 7 décembre 2020

7 Décembre 1789 : La cour est en deuil mais le port des diamants est autorisé

Tenue de grand deuil de cour (1781)

    Ce lundi 7 décembre l’Assemblée national a envoyé une députation à la Reine pour lui présenter des condoléances par suite de la mort de sa sœur.

    Samedi dernier, 5 décembre, le numéro 339 du Journal de Paris avait informé les Parisiens qu’à partir de ce lundi, la Cour allait prendre le Deuil pour deux mois à l'occasion de la mort de Marie-Anne-Josephe-Jeanne-Antoinette de Lorraine, Sœur de la Reine des Français, Abbesse du Noble Chapitre D'Insbruck, Née le 13 Août 1743, morte dans la 47e année de son âge.

    Le journal avait également donné le déroulement du deuil :

1re époque. Du 7 Décembre au 6 Janvier inclus.

Les Hommes porteront l'Habit de drap noir complet avec les boutons ; Manchettes effilées unies, Boucles et Epée bronzées.

Les Femmes porteront la Robe de laine garnie d'étamine ou de crêpe noir, le Bonnet de crêpe (la Coiffe pour 9 jours seulement) Gants, Eventail et Bas noirs, les boucles bronzées.

2e Epoque. Du 7 au 22 Janvier, inclusivement,

Les Hommes porteront l'Habit de soie noire, Manchettes effilées de mousseline brodée, Boucles et Epée blanches.

Les Femmes porteront la Robe de soie noire garnie de gaze, le Bonnet et l'ajustement de gaze rayée, les Diamants.

3e Epoque. De 23 Janvier au 6 Février suivant inclusivement, fin du deuil,

Les Hommes prendront les Manchettes d'entoilage, garnie d'effilé découpé, et suivront, pour le surplus ; l'Etiquette de la précédente Epoque.

Les Femmes porteront la Robe de soie blanche, noire et blanche ; on continuera les Diamants.

Un peu de mauvais esprit...

    Quelqu’un aurait écrit perfidement dans la chronique de Paris (un nouveau quotidien qui paraît depuis le 24 août), qu’il espérait bien "nos bourgeoises et nos coquettes n'iront pas cette fois se conformer à un usage servile et faire porter elles-mêmes "le deuil à nos manufactures".

    Il peut sembler curieux en effet que les honnêtes gens désirent porter le deuil de quelqu’un qui n’est pas de leur famille.

    On raconte que Louis XV adolescent, voyant pour la première fois, à Paris, les bourgeois et bourgeoises porter le deuil de la cour, fit cette remarque méprisante : "Je ne me croyais pas tant de parents." Un courtisan lui répondit que, dans les grandes maisons, les domestiques portaient les deuils. – Pas à leurs frais, eu-t-on pu faire observer.

Petit détail gênant.

    Il semble que le Journal de Paris se soit trompé de sœur ! C’est Marie-Anne Josèphe Antoinette d'Autriche née au Palais de la Hofburg à Vienne, le 6 octobre 1738 qui s’est éteinte à Klagenfurt, le 19 novembre 1789 ; pas Marie-Josèphe Gabrielle Jeanne Antoinette Anne d'Autriche née le 19 mars 1751 à Vienne, morte le 15 octobre 1767 à Vienne et encore moins Marie-Élisabeth Josèphe Jeanne Antoinette de Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d'Autriche née le 13 août 1743 à Vienne qui s’éteindra à Linz le 22 septembre 1808 et qui fut bien, elle, abbesse du chapitre de chanoinesses nobles d'Innsbruck.

"Domestique", mais pas bien informé. Comme c’est embarrassant…

La défunte Marie-Anne Josephe Antoinette

Voici néanmoins quelques jolies tenues de deuil :

 


 


 


dimanche 6 décembre 2020

6 Décembre 1789 : Le spectre de la démocratie effraie les notables, mais pas l'abbé Fauchet.

 

Discours de Périclès, héros de la démocratie athénienne.

L'horrible danger de la démocratie.

    On discute beaucoup politique en cet automne 1789, pas seulement au sein de l’Assemblée nationale, mais aussi dans les salons, les clubs, les loges, les tavernes, les marchés, partout ! Les "honnêtes bourgeois" du Tiers-état, regroupés au sein de la Commune de Paris, menée par le duo Bailly et La Fayette, s’inquiètent de certaines des idées qui commencent de courir au sein du peuple. Des idées excessivement démocratiques, portées par quelques trublions dont nous seront amenés à reparler de plus en plus souvent.

Ça grogne dans les districts parisiens

    Nous en avons déjà parlé les 20 et 23 novembre. Les districts se plaignent que les députés à l'Hôtel-de-Ville ont usurpé une autorité qui ne leur appartenait pas. Ainsi ils ont formé un régiment de chasseurs, fait des règlements de police qu'ils ont portés à l'Assemblée, pour éviter de les soumettre à la décision des districts, ont prié le Roi de rappeler les gardes du corps, etc.

Le très agité district des Cordeliers

Georges Danton

    Par son intense activité, le district des Cordeliers semble mener les 39 autres. Fondé par Georges Danton et Jean-Paul Marat, le club des cordeliers est ouvert aux Parisiens pour une cotisation annuelle de 24 sous (salaire d'une journée de travail d'un ouvrier). Présidé par l’énergique Danton, les Cordeliers ont révoqué leurs députés et en ont nommé d'autres sur la démission des trois membres de la commune qui n'avaient pas voulu prêter le serment qui leur avait été demandé ; ces députés nouveaux n'ont de pouvoirs que pour un règlement provisoire et non des pouvoirs indéfinis. Mais scandale, l'assemblée des représentants des communes a voulu conserver les anciens membres et rejeter les nouveaux !

Jeton d'admission aux séances du club des Cordeliers.
Danton exige :

1° le droit pour chaque district de révoquer à volonté, après trois assemblées tenues pour cet objet, ses cinq représentants à la Commune,

2° La plénitude du pouvoir législatif, en matière municipale, pour la majorité des districts régulièrement consultés.

L’abbé Fauchet en demande plus

Claude Fauchet
    Sur ce dernier point, portant sur le pouvoir législatif, l’abbé Claude Fauchet propose encore plus. Il voudrait qu'une loi de l'Assemblée nationale ne fût définitive qu'une fois adoptée par la majorité des districts et des assemblées électorales des départements. "Eh ! monsieur l'abbé, » lui aurait répliqué un paysan de la banlieue, « quand est-ce que nous aurons le temps de planter nos choux ?".

    Cet abbé est loin de l’idée que l’on se fait des ecclésiastiques sous la Révolution, du moins tels que nous les ont décrits les nostalgiques de l’Ancien régime. Je parle des ecclésiastiques du bas clergé, pas ceux du haut clergé bien sûr qui étaient avant tout des nobles plutôt que de vrais religieux. Les petits curés du bas clergé étaient au contact du peuple et souvent aussi miséreux que leurs ouailles. Du moins jusqu’à ce que les "horribles" révolutionnaire doublent leurs salaires et leurs offrent même le suprême bonheur de pouvoir se marier (5918 prêtres se marieront entre 1791 et 1816).

Claude Fauchet, devenu évêque
    L’abbé Fauchet fut l’un de ceux qui conduisirent le peuple à l’attaque de la Bastille, où, le sabre en main, il guida la députation qui venue sommer le gouverneur Launay de rendre la forteresse. Souvenons-nous également de l’abbé Lefebvre qui la veille, 13 juillet organisait la distribution de petits sachets de poudre aux Parisiens ! Le 5 août suivant, le bouillonnant abbé Fauchet avait prononcé dans l'église Saint-Jacques-la-Boucherie un discours éloquent en guise d’oraison funèbre pour les citoyens tués le 14 juillet, prenant comme point de départ les paroles de l’apôtre Paul : « Vous avez été appelés à la liberté ».     Ce fut lui qui bénit le drapeau tricolore de la Garde nationale en septembre dernier. Il siégea à la Commune de Paris du 18 septembre 1789 au 8 octobre 1790. L26 octobre 1789, dans un discours contre les prêtres réfractaires, Fauchet expliquera ses conceptions sociales, politiques et religieuses. Fauchet considérait le travail comme un attribut de la citoyenneté, développait sa compréhension de l’Évangile comme creuset de l’égalité et, surtout, de la liberté, affirmait la primauté de la qualité de citoyen sur la qualité religieuse, et clamait son attachement à la Constitution, particulièrement au roi, rouage indispensable à la stabilité de la monarchie constitutionnelle. Cet abbé très populaire dirigea également la Société des Amis de la Vérité. Il publiait La Bouche de Fer, avec Nicolas de Bonneville. Les 13 et 22 octobre 1790, il inaugura les séances d’un Cercle social au cirque du Palais-Royal, en prônant un socialisme fondé sur l’amour, et le christianisme, dont la franc-maçonnerie annonçait, selon lui, l’organisation. Mystique, l’abbé Fauchet lançait l’anathème sur les voltairiens et, d’une façon générale, sur tous ceux qui se méfiaient de son syncrétisme "christo-maçonnique". Devenu évêque Fauchet se proclama républicain en juin 1791, lors de la fuite de Louis XVI, et fut élu par le Calvados à la Législative puis à la Convention. Il vota contre la mort du roi, refusa de siéger après le 2 juin 1793, fut impliqué le 14 juillet dans l’affaire de Charlotte Corday et périt avec les Girondins.
PS : J'ai découvert en lisant le journal "Les Révolutions de Paris" semaine du 12 au 19 décembre, que l'abbé Fauchet faisait également partie du Comité de Police qui confirma que ce journal appartenait bien à Prudhomme. Je ne vous cache pas que j'ai beaucoup de sympathie pour ce curé)

Comment les curés ont initié la Révolution.

    Rappelons-nous les 3 curés du Poitou qui furent les premiers à rejoindre le Tiers-état le 13 juin 1789, lors des états généraux. Le 19 juin, l’ensemble du clergé décidera même de se joindre au Tiers par 149 voix contre 137. Le lendemain, le roi fera fermer la salle de l’Assemblée nationale constituée le 17 juin à Versailles et ensuite, tout se précipita. On peut donc dire que le ralliement du clergé fut un élément déclencheur majeur ! Les prêtres seront d’ailleurs très nombreux au sein de l’Assemblée nationale.

    En quoi est-ce étonnant d'ailleurs ? La juste colère de ces prêtres à quelque chose de celle du dénommé Jésus qui chassa les marchands du Temple à Jérusalem ! Le même Jésus qui disait qu'il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu ! (Luc 18 : 25).

Jésus chassant les marchands du Temple.
Oeuvre de Jean-Baptiste Jouvenet
(1644-1717)

Méfiance envers les curés.

    Bientôt, les Constituants se méfieront de plus en plus de ces 40.000 prêtres du bas-clergé (sur un clergé de 44.000 membres) et nous verrons qu’ils monteront bientôt le peuple contre ceux-ci.     

    Les Girondins que tout le monde considère à présent comme degentils provinciaux modérés justes et bons, victimes des "horribles jacobins", feront passer le 27 mai 1792 une loi terrible contre les prêtres, stipulant qu’il suffisait de la dénonciation de vingt citoyens pour qu’un prêtre soit condamné à la déportation. Le but des Girondins, selon la phrase d’Isnard, était celui-ci : « Le dénouement de la révolution doit être l’exclusion du christianisme ».     Le même Isnard qui menacera de faire raser Paris par la Province le 25 mai 1793…

Véto du roi sur le décret du 27 mai 1792

   Mais pour le moment, en ce mois de décembre 1789, notre abbé révolutionnaire anime de ses fougueux discours les assemblées primaires et les sections de Paris. Et ce faisant, il agace...

Une motion "divine"

Camille Desmoulins
    Le journaliste Camille Desmoulins trouve "divine" la motion de l’abbé Fauchet. C'est une aimable façon de dire qu'elle est utopique, irréalisable. Desmoulins se range ainsi de l’avis des plus raisonnables, qui sont convaincus qu’il n'y aurait alors plus de lois, mais des débats sans fin. Les honnêtes bourgeois qui siègent à la Commune s’inquiètent déjà des empiètements des districts sur l'Hôtel de Ville, et des clubs sur les districts. Pousser plus loin le débat démocratique et la prise de décision politique leur semble totalement déraisonnable. Ils invoquent ainsi l’antique sagesse qui affirme que le mieux est l'ennemi du bien, car selon eux, ce mieux n'est fondé que sur des raisonnements abstraits, sans aucun souci de la véritable nature des hommes et des choses. Vaste sujet…

De l'horrible peur de la démocratie


    Derrière tout cela se cache en effet l’ombre terrifiante du suffrage universel ! Le 22 octobre 1789, un certain Robespierre avait déjà tenté de protester contre la clause du Marc d'argent qui excluait toute une partie de la population. Plus tard, lors de son discours du 11 août 1791, il défendra encore plus clairement le principe du suffrage universel, arguant du fait que le suffrage censitaire choisit par l’Assemblée nationale constituante aurait interdit à Jean-Jacques Rousseau de pouvoir voter !

« Quelle serait la garantie de Rousseau ? Il ne lui eut pas été possible de trouver accès dans une assemblée électorale. Cependant, il a éclairé l’humanité et son génie puissant et vertueux a préparé vos travaux. D’après les principes du Comité, nous devrions rougir d’avoir élevé des statues à un homme qui ne payait pas un marc d’argent. »

    Robespierre pensait que d’années en années, tout de même, il finirait par y avoir de moins en moins d'analphabètes, et qu’avec le suffrage universel, les gens ouvriraient leurs yeux sur leur condition, puis comprenant les causes de leur misère, arriveraient peut‐être à faire une république d'équité. Robespierre était un grand naïf, c'est ça qui l'a perdu...

    Mais durant cet automne de 1789, la voix de Robespierre est constamment étouffée au sein de cette assemblée de bons bourgeois propriétaires. Des cris et tumultes variés, surviennent chaque fois que lui ou l’un des quelques défenseurs du suffrage universel tente de s'exprimer. Dans une lettre qu'il adressa à son ami Buissart, Robespierre expliqua : "Ces dispositions (chahuts) sont l’ouvrage du parti aristocratique de l’Assemblée qui n’a pas même permis aux autres de défendre les droits du peuple et a constamment étouffé leurs voix par des clameurs ; de manière que la plus importante de toutes nos délibérations a été arrêtée sans discussion, dans le tumulte et emportée comme par violence." 

    Pourtant, comme l'a si joliment formulé l’abbé Grégoire : "il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain et un cœur français" pour avoir le droit de voter.

  Mais selon les gens "raisonnables" de 1789, le referendum populaire n'est éventuellement possible démocratiquement que dans des républiques comme la Suisse : encore n'est-il alors qu'une exception. Dans les grands Etats, il n'aboutirait qu'à l'anarchie, puis, par le plébiscite, au despotisme.

    Il faut dire à leur défense qu’il existait bien peu d’exemples de démocraties au 18ème siècle. Même l'antique Démocratie athénienne était mal vue, puisque c’était elle qui avait condamné à mort le grand Socrate. Platon dans la République, comme Aristote dans la Politique, s’inquiétaient déjà de voir la masse populaire, inculte, influençable et indisciplinée, devenir maîtresse de la cité. Les poètes comiques dénonçaient à l’envie les dangers de la démagogie.

    Ceux des Révolutionnaires qui veulent abolir la monarchie, (il n'y en a pas, ou peu en 1789), se prennent pour les Romains qui abolirent la monarchie des Tarquins et instaurèrent la République. 

Brutus saisissant le poignard ensanglanté de Lucrèce
et jurant par Mars et tous les autres dieux romains qu'il
expulsera les Tarquins de Rome. S’en suivra l’expulsion
de Tarquin le superbe (qui avait violé Lucrèce) et l’abolition
 de la monarchie. A partir de ce moment fondateur les affaires
 de Rome appartiendrai au peuple et Rome deviendra
 une res publica ("une affaire publique" en latin)

Res publica ?

    Contrairement à ce que pensent la majorité des gens, république n’est pas synonyme de démocratie ! Il suffit de découvrir le régime totalitaire rêvé par Platon dans sa République pour s’en convaincre. République vient du latin « res publica » qui signifie « la chose publique », rien de plus. Alors avec nos gentils bourgeois emperruqués de 1789 qui ne rêvent que d’une monarchie constitutionnelle, nous sommes encore loin de l’idée de République et encore plus de celle de démocratie !

    De nos jours, les dangers inhérents à la démocratie sont mieux contrôlés. L’ingénierie sociale s’est développée et les moyens aussi subtils qu’intelligent de "guider" l’opinion, voire de fabriquer le consentement, n’ont jamais été aussi efficaces. Mais c'est un autre sujet...

Réaction dans la Presse.

J'ai évoqué les politiques, mais n'oublions pas la Presse !

Dans le numéro 2 de son journal des « Révolutions de France et de Brabant », publié fin novembre 1789, Camille Desmoulins écrira à propos du Marc d’Argent (page 46) : 

« Je reviendrai quelque jour sur ce décret du marc d’argent, je l’ai toujours regardé comme un attentat révoltant aux droits de l’homme. Si j’avais eu l’honneur d’être à l’Assemblée Nationale, je sens que j’aurais fait tant d’efforts pour empêcher ce décret de passer et pour opposer du moins à l’inégalité réelle des fortunes, l’égalité fictive des droits ; j’aurais parlé avec tant de véhémence que peut-être mon zèle m’eut-il coûté la vie, et j’aurais cru ne pouvoir mourir en plaidant une plus belle cause. Mais me voilà journaliste, et c’est un assez beau rôle. »

Instauration du suffrage universel avec la Constitution de 1793 

    Sans vouloir "spoiler" (Ou divulgacher comme on dit sur Radio France) en dévoilant la suite de la Révolution, vous devez déjà savoir que celle-ci finira par prendre un "mauvais" tournant démocratique, à cause de "l’immonde Robespierre" et sa clique (Humour). C’est sa Convention Montagnarde qui rédigera la si démocratique constitution du 24 juin 1793, jugée encore de nos jours comme la plus démocratique jamais publiée. 

Allégorie de la Constitution de 1793

    Les adversaires de la Révolution se moquent souvent du fait qu’elle ne fut jamais appliquée. Mais en vérité, la mise en œuvre de celle-ci avait été ajournée jusqu’à la paix. Ce qui choque les rieurs pour la 1ère République ne les choque pas pour la 3ème République, car rappelons que lors de la séance historique du 4 août 1914 à la Chambre des députés, le Parlement français s'ajourna sine die laissant au Président du Sénat et au Président de la Chambre des députés le soin de le convoquer, le cas échéant. L’état d’exception de 1793, avec ses 11 armées étrangères qui envahissaient la France, valait bien celui d’août 1914 !

Constitution de 1793

"Heureusement", la Révolution populaire échouera...

    Au grand soulagement des financiers divers et variés, la Constitution de 1793 sera supprimée et remplacée, grâce à l’exécution de Robespierre le 9 Thermidor an 2 (27 juillet 1794) et la disparition de son courant politique « excessivement » démocratique.

    Le 1er avril 1795 (12 Germinal an III), une fois la Révolution terminée, quelques sans-culottes parisiens tenteront une insurrection contre la Convention thermidorienne pour demander l'application de cette Constitution de 1793 et réclamer du pain. Sur ordre de la Convention thermidorienne, le général Jean-Charles Pichegru, qui était de passage à Paris, dispersera violemment la manifestation. La Révolution populaire était définitivement écrasée.

Au lendemain de la journée insurrectionnelle du 12 Germinal an III (1er avril 1795)
la foule tente de libérer Barère, Billaud-Varenne et Collot d'Herbois, anciens membres
du Comité de Salut Public, déportés par Décret de la Convention nationale thermidorienne.

Post Scriptum :

Et les femmes ?

    Bonne question. Vous avez remarqué ; que ce soit le suffrage censitaire ou le suffrage universel, on ne parle que du vote des hommes et pas de celui des femmes.

    Pas d’anachronisme s’il vous plaît. Nous parlons encore là de l’ancien monde. Il faudra encore beaucoup de démocratie, de révolutions et d’écoles pour que les droits légitimes soient enfin accordés aux Femmes. On ne les accordera d’ailleurs pas de bon cœur. Comme tous droits nouveaux, elles devront se battre pour les acquérir. Rappelez-vous qu'en matière de progrès social, rien n’est jamais donné ! Et comme pour tous les droits liés au progrès sociétal de la civilisation, rien n’est jamais acquis. Il faut combattre perpétuellement, sous peine de voir la réaction imposer de nouveau ses archaïques traditions.

    Alors souvenons-nous que la Révolution française ne fut qu’un début, une porte ouverte sur le progrès, tout le chemin restait à faire et il n’est pas encore terminé.

    S’il vous plaît, ne me parlez pas de la pauvre Olympe de Gouge. La belle Olympe était pour la monarchie constitutionnelle et le suffrage censitaire. Le vote du peuple lui importait peu et le projet républicain de Robespierre et sa clique l’horrifiait. (Désolé)

Lisez plutôt cet article sur la trop méconnue Louise-Renée Audu



samedi 5 décembre 2020

5 Décembre 1789 : Les bois de Boulogne et Vincennes sont pillés par des paysans en manque de bois de chauffage.

Dessin de Jean-François Millet

    Voilà un fait-divers qui semble au prime abord sans grande importance historique, mais qui est en fait révélateur de la situation dramatique du pays en cette fin d'année 1789.

Fait-divers, fait d'hiver.

    Ce n'est d'ailleurs pas un événement propre à l'année 1789, puisque le 18ème siècle est connu pour l'extrême rigueur de ses hivers. Des hivers terribles suivis d'étés maussades dont les effets conjoints eurent des conséquences incontestables sur l'origine de la Révolution. Le bois de chauffage manquait et de plus il était cher. Les vols de bois étaient donc choses courantes dans les campagnes.

    Ce 1er décembre 1789, la Commune de Paris a dû dépêcher un détachement de quatre cents gardes nationaux qui ont incarcéré à la Conciergerie cinquante-sept voleurs de bois de chauffage.

Notre ami l'avocat Adrien Joseph Colson, dont j'évoque régulièrement la correspondance, écrit ceci à son ami de province dans son courrier du 6 décembre :

" Il se commet beaucoup de vols clandestins et l'on surprend beaucoup de voleurs. Hier on en a arrêté plus de 63, plus hardis que les autres, qui s'avisaient de couper les arbres au bois de Long-Champs, à la face de tous les passants. Monsieur Lafayette qui en a été instruit les a fait investir par mille hommes et les a fait arrêter. Un Monsieur qui vient souvent chez Monsieur Ladoubé lui a dit hier les avoir vu conduire en prison. J'entends crier * à ce moment qu'on en a arrêté 56." (* Cri poussé par un vendeur de journaux dans la rue)

    Notons au passage que Colson ne se pose pas vraiment de questions à propos de ces vols d'arbres...

    Le 31 décembre 1788, on avait relevé -21.8° à Paris et -31° à Mulhouse. Le mois de décembre 1788 avait été, tous mois confondus, le mois le plus froid à Paris depuis des siècles et pour des siècles encore ! Dans les derniers jours de décembre 1788, le froid était devenu si fort que la mer elle-même avait commencé à geler, et le début de l'année 1789 avait commencé avec les catastrophiques débâcles des glaces sur la Seine, la Loire et le Rhône. (Voir l'article du 27 janvier 1789)

    Décembre 1789 était donc une fois de plus un décembre glacial et la population cherchait à se chauffer. C'est bien sûr le peuple, déjà accablé par le manque de pain, qui souffrait le plus du froid et qui peinait à trouver le moyen de se réchauffer !

    Le bois de chauffage était cher à Paris et il était même encore plus cher en banlieue, parce qu'une grande partie de celui-ci, livrée par grands trains de bois flottants arrivant par la Seine, était débarquée dans Paris et que de fait, les marchands devaient payer l'octroi des Fermiers généraux en sortant de Paris !

    Ci-dessous, 2 vues extraites du plan de Bretez, dit de Turgot :

  • La première représente l'île Louvier, aujourd'hui disparue, située à l'entrée Est de Paris, acquise par la Ville de Paris en 1700 et affermée à des marchands de bois.


  • La seconde montre les entrepots de stockage de bois de part et d'autre de la Seine, avant les pataches (bateaux des douaniers) de l'entrée Est de Paris.

Une autre disette, celle du bois !

    Le grand Colbert, ministre du Louis XIV avait déclaré en 1660 « La France périra faute de bois ». Il avait en effet calculé que l’Angleterre pouvait alors fabriquer une centaine de navires de guerre avec ses forêts alors que la France ne pouvait plus en faire qu’une vingtaine ! Il fallait donc reconstituer les forêts de toute urgence pour créer une marine dont il percevait toute l'importance ; il mit donc en place des règlements aptes à assurer la conservation des forêts.

    Mais la situation du parc forestier ne pouvait pas se résoudre plus rapidement que ne pousse un arbre ! De plus, après la mort de Colbert, puis celle de Louis XIV, on revint en arrière avec le rétablissement des charges vénales, la création de nouveaux postes d'officiers surnuméraires, la reprise des coupes abusives et des délits divers. La période qui suivit, jusqu'à la révolution, fut donc dramatique pour les forêts.


Les effets négatifs du libéralisme des physiocrates

    Vous vous souvenez peut-être des physiocrates dont je vous ai déjà parlés (voir l'article du 3 octobre 1789). Tous les grands esprits se revendiquaient physiocrates au 18ème siècle. Ceux-ci contestaient le système dirigiste et prêchaient le retour à la nature. Leurs penseurs libéraux en prenant pour postulat l'intelligence de l'homme, son bon sens, sa conscience aiguë de ce qui est bon et mauvais pour ses intérêts, ceux de ses voisins et de la forêt, demandèrent l'abolition des lois prohibitives et le retour au respect de la propriété privée. A partir de 1760, le gouvernement adopta ces conceptions libérales. Cela se traduisit par la redistribution de la propriété foncière et la libéralisation des exploitations forestières. Ainsi, le gouvernement de Turgot, à la suite de famines consécutives à deux hivers fort rigoureux (1762 et 1766), autorisa de nombreux défrichements et une décision de Louis XV, en 1766, exempta d'impôts pendant 15 ans les terres défrichées et nouvellement cultivées. La situation des forêts empira en conséquence.

    Jamais autant qu'au 18ème siècle la surface des forêts françaises ne fut aussi réduite ! Il y avait encore des forêts, bien entendu, mais elles n'étaient pas entretenues. Arthur Young (encore lui) écrivait en 1788 :"La disette de bois, et par contrecoup la hausse des prix de ce combustible, ont occupé au moins une centaine de plumes pendant les dix dernières années." En 1827, à l'aube de la révolution industrielle, la forêt ne constituait plus que 16 % du territoire français, soit 7 à 8 millions d'hectares.

Source graphique

15.000 ans d'histoire des forêts en France

La plus forte hausse de prix

    Le bois fut l'une des denrées qui dans tout le pays augmenta le plus à partir de 1730 : il subit une hausse de longue durée, la plus forte de toutes celles observées sur le marché des produits au XVIIIe siècle : 91 %. La hausse fut légère jusqu'en 1770, mais elle se précipita ensuite (66 % d'augmentation de 1770 à 1789).

De grosses quantités de bois.

    Les cahiers des Etats généraux (Tome V, page 284) donnent le chiffre de 700 000 voies de bois pour l'approvisionnement de Paris, dont 500 000 arrivant par trains de bois flottés. (À Paris la « voie » représentait 1,9 stère donc 700 000 voies = 1 330 000 stères de bois.)

Train de bois (Voir vidéo ci-après)

    A noter que les Parisiens utilisaient également du "charbon de terre" équivalent à 150 000 voies de bois. Le charbon de terre était ce que nous appelons le charbon ou la houille. On le dénommait ainsi en opposition au charbon de bois. C'est d'ailleurs l'utilisation généralisée de ce charbon de terre qui sauvera les forêts françaises dont la surface s'était réduite à peau de chagrin à la fin du 18ème siècle.

Sources :
https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1966_num_13_4_2921#:~:text=Le%20bois%20de%20plaine%2C%20l%C3%A9g%C3%A8rement,%E2%80%94%20200)%20(6)%20.
http://foret.chambaran.free.fr/index.php?page=historique

Les trains de bois du Morvan

    Pendant plus de 3 siècles, entre 1547 et 1877, les Parisiens ont été en grande partie chauffés par du bois qui venait du Morvan. Celui-ci arrivait à Paris par des trains de bois flottants partant de Clamecy dans la Nièvre, qui suivaient le cours de l'Yonne, puis de la Seine.

Un train de bois de 72 mètres acheminant 200 stères de bois.


    Ce parcours fut amélioré par la suite, avec la création du Canal du Nivernais cheminant parallèlement à l'Yonne. C'est à la suite du terrible hiver de 1784, que l'idée de ce canal naquit dans l'esprit des académiciens Condorcet, Bossut et Rochon, après qu'ils furent venus enquêter sur le moyen de mieux approvisionner Paris en Bois. Les travaux démarrèrent lentement, s'interrompirent sous la Révolution, reprirent péniblement sous Napoléon 1er, puis pour de bon sous la Restauration jusqu'à son ouverture en 1841.

    Hélas pour ce canal, quelques dizaines d'années seulement après sa mise en service, le chemin de fer vint le supplanter...

Source :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/nievre/le-train-de-bois-qui-etait-parti-de-clamecy-dans-la-nievre-est-arrive-paris-741465.html

Un mot sur le bois de Boulogne

Le bois de Boulogne en 1705

    Le bois de Boulogne est tout ce qui reste de l'ancienne forêt de Rouvray, voulant dire « lieu planté de chênes rouvres », mentionnée pour la première fois en 717, dans la charte de Compiègne (celle-ci date de 1153). Il tient son nom de l'église Notre-Dame-de-Boulogne-la-Petite qui avait été construite sur ordre de Philippe le Bel à la suite d'un pèlerinage qu'il avait effectué avec sa fille Isabelle de France à Boulogne-sur-Mer en 1308. Le roi avait décidé d'élever une église semblable à celle qu'il avait vue sur les bords de la Manche et qui abritait alors une statue miraculeuse de la Vierge. Le roi la voulant près de Paris, cette église fut construite à l'emplacement de Les Menuls lès Saint Cloud, un petit village de bucherons.

Vue du château de Madrid

    Même si les rois avaient commencé de l'aménager progressivement (parc de chasse, plantation de 15000 muriers sous Henri IV, château de la Muette), le bois de Boulogne était encore une vraie forêt au XVIIIe siècle ; c'était depuis le domaine du château de la Muette qu'en novembre 1783, Pilâtre de Rozier et le marquis d'Arlandes avaient réussi le premier vol en ballon à air chaud, construit par les frères Montgolfier.

Vue de la terrasse de Mr. Franklin à Passi.
Premier voyage aérien par M. le marquis d'Arlande et Mr Pilatre des Rosiers, le 21 novembre 1783

L'antique bois de Vincennes

Plan général du bois de Vincennes en 1739
    

    Le bois de Vincennes est un reste de la forêt qui recouvrait les environs de Paris pendant l’Antiquité. Le document le plus ancien mentionnant la forêt de Vincennes est la confirmation par Charles le Chauve d'un échange entre l'évêque de Paris et l'abbé de Saint-Maur date de 848. Tous ceux postérieurs à 980 indiquent le bois comme propriété royale. Devenu terrain de chasse de Hugues Capet, il demeura par la suite à l'usage exclusif des rois de France. Philippe Auguste le fit enclore d'une enceinte de 12 kilomètres qui ne fut abattue que sous le second empire, mais qui n'empêchait pas vols de bois et braconnage, bien sûr. J'allais oublier Louis IX, dit Saint Louis, qui selon la légende venait y rendre justice sous un chêne.

Saint Louis, rendant la Justice


Post Scriptum :

    J'ai lu un commentaire sur Internet disant que la déplétion du bois au XVIIIe siècle signifiait que déjà à l'époque, il y avait trop de gens. J'espère que vous aurez compris à la lecture de cet article que le problème, tout comme aujourd'hui résidait plus dans une mauvaise gestion des ressources, ainsi que leur répartition inéquitable, que dans celui d'une éventuelle surpopulation.

    De plus, cette pénurie de bois incita les gens à trouver de nouvelles solutions. En matière d'énergie, le bois fut progressivement remplacé par le charbon et dans la construction les ingénieurs inventèrent de nouveaux procédés en utilisant par exemple le métal pour les structures et les charpentes des bâtiments et des navires. C'est aussi à ce moment que commença la révolution industrielle et que débuta aussi la production de CO2 en grande quantités.

Vous avez dit CO2 ?

Regardez les chiffres ci-dessous.... (Téléchargez le document pour mieux lire les chiffres)


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vendredi 4 décembre 2020

4 Décembre 1789 : Rapport accablant de M. Hébrard sur les grains

 "La loi martiale est confiée aux mains de ceux qu'elle devrait frapper."

Rapport de M. Hébrard sur les grains, lors de la séance du 4 décembre 1789

    M. Hébrard, au nom du comité des rapports, demande à entretenir un instant l'Assemblée de la question des grains. Il fait une peinture touchante des misères qui règnent à Lyon, place si intéressante par sa population et ses manufactures. Des complots sourds el affreux sont ourdis pour intercepter les grains qu'elle achète ; elle est exposée à chaque instant à manquer de subsistance. Sedan, Rethel-Mazarin, Reims, se trouvent exposés aux mêmes malheurs ; les uns se plaignent des accapareurs intérieurs ; les autres disent qu'au mépris des décrets de l'Assemblée nationale on continue toujours d'exporter les grains de France. Telle est la facilité attachée à vos décrets, dit-il, que ceux qui devraient les soutenir sont, les premiers à les enfreindre ; la loi martiale est confiée aux mains de ceux qu'elle devrait frapper.

Projet de décret sur l'exportation des grains, lors de la séance du 4 décembre 1789

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3957_t1_0366_0000_2

Le comité propose de remédier au mal par l'adoption des articles suivants :

Art. 1er. Quiconque sera pris exportant ou faisant exporter des grains chez l'étranger, sera puni de mort.

Art. 2. Quiconque sera convaincu d'avoir arrêté ou fait arrêter les grains, et empêché la circulation dans l'intérieur du royaume, sera puni de peines afflictives plus ou moins grandes, suivant les circonstances.

Art. 3. Il sera fait défense à toutes municipalités et comités de prendre aucune délibération, faire aucun arrêté sur la circulation ou exportation des grains, contraires aux décrets de l'Assemblée, sous peine, contre les membres qui les auront signés, d'interdiction perpétuelle de toutes fonctions publiques ou sous plus grande peine, si leurs arrêtés avaient été suivis d'exécution.

Art. 4. Que le décret soit aussitôt porté à la sanction, et de suite envoyé à toutes les municipalités et bourgs du royaume, pour y être lu, publié, enregistré, et exécuté suivant sa forme et teneur.

L'Assemblée renvoie la discussion du décret à l'heure de deux heures.

    Curieusement, le procès-verbal de l'Assemblée n'évoque plus ce projet de décret dans les discussions de l'après-midi.