jeudi 10 décembre 2020

10 Décembre 1789 : On commence à parler du fameux livre rouge et des pensions versées par le roi.

 

Le livre rouge, objet d'un futur scandale.

Le livre rouge...

    Aujourd’hui, nous découvrons en lisant le procès-verbal de ce qui a été discuté à l’Assemblée nationale constituante, que des interrogations ont été formulées au sujet de la parution de l'état des pensions et des livres rouges des départements. Nous allons voir dans de prochains articles que les discussions vont aller crescendo à propos du fameux livre rouge, à savoir le livre comptable détaillant la liste des pensions versées par le roi. Compte tenu de son contenu, il aurait été sage de la part de Louis XVI qu'il le fit disparaître disparaitre. Mais pour une raison inconnue (faiblesse ou ruse ?), il n'en fera rien et les conséquences seront gravissimes.

Déjà évoqué le 26 novembre précédent.

    Le sujet avait déjà été évoqué lors de la séance du 26 novembre dernier. Certains ayant trouvé des erreurs dans l’état imprimé desdites pensions.

    Il avait alors été fait lecture d'une lettre du prince de Salm-Kyrbourg, qui se plaignait d'être compris dans l'état imprimé des pensions pour une somme de 20.000 livres dont le prince justifiait avoir fait abandon le 18 septembre 1787, par une lettre par lui écrite à Sa Majesté, et par la réponse de M. L'archevêque de Toulouse, en date du 12 décembre de cette année.

(Le prince de Salm-Kyrbourg, né à Limbourg (Allemagne) en 1745, s’était installé en 1751 avec sa famille à Paris et avait été nommé maréchal de camps en 1788. Le prince se rallia à la révolution, ce qui ne l’empêcha pas malgré tout d’être condamné comme aristocrate à l'échafaud en 1794.)


    M. le maréchal de Castries avait réclamé aussi contre l'état des pensions, dans lequel il était compris pour 27.104 livres, alors qu'il ne jouissait réellement que de celle de 20.000 livres, réduite à 18.000 livres, qui lui a été donnée pour sa retraite du ministère ; parce qu'il avait remis celle de 7.104 livres, dont il jouissait précédemment, lorsqu'il avait été pourvu du gouvernement de Flandre.

Charles Eugène Gabriel de La Croix de Catries

    M. le baron d'Harambure, membre du comité des finances, avait alors répondu que les brevets de pensions, fournis par M. Dufresne (directeur du Trésor royal), avaient été dépouillés avec la plus grande exactitude ; que l'état en avait été mis sous les yeux de M. Dufresne, qui l'avait déclaré conforme à la vérité.

Louis-François-Alexandre d'Harambure

    Je vous invite à découvrir la biographie du Baron d’Harambure sur Wikipédia. Vous aurez la surprise d’y apprendre que non seulement il soutint la Révolution du 10 août 1792 et devint un ardent républicain, mais que, accusé à comparaitre devant le "terriblissime" tribunal révolutionnaire, il fut acquitté solennellement à l’unanimité !

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3901_t1_0262_0000_4

Découvrons le nouvel échange qui s’est tenu ce 10 décembre, à propos des pensions versées et des livres rouges :

M. Lemercier. L'imprimeur de l'Assemblée a reçu depuis plus d'un mois la seconde section de l'état des pensions, je demande quel est le motif qui l'empêche de faire paraître cet état.

M. Camus. L'Assemblée devrait être renseignée également sur les démarches qui ont été faites relativement aux livres rouges de divers départements.

M. Lebrun. MM. de Lablache et Perrier sont chargés de cet objet, et mettront incessamment le comité des finances à même de répondre à ce sujet à l'Assemblée.

M. le marquis d'Ambly. Je fais la motion de décréter que toutes les pensions non mentionnées dans la liste soient censées supprimées.

M. le comté Charles de Lameth. Nous ne conserverons sur l'état des dépenses à faire annuellement que celles qui auront été examinées et jugées indispensables. Il est inutile de dire que ce qui ne sera pas connu ne sera pas payé ; nous aurions l'air d'être disposés à laisser aux ministres le droit de faire des dépenses secrètes et non autorisées.

Source :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3997_t1_0493_0000_6

Une vidéo !

    Nous reparlerons bientôt du fameux livre rouge des comptes de la France. Mais en attendons, je vends un peu la mèche (spoil alert!), en vous proposant d'en apprendre plus avec cette vidéo que j'ai trouvé sur le site L'HISTOIRE PAR L'IMAGE :

Cliquez sur l'image pour accéder au site.

    Mais pourquoi ? Pourquoi Louis XVI acceptera-t-il que ce livre soit publié ? Souhaitait-il vraiment que la Révolution aille encore plus loin ???






mercredi 9 décembre 2020

9 Décembre 1789 : Robespierre demande la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs.

 

Maximilien Robespierre, avocat et député du Tiers-état de la ville d'Arras

Robespierre, le député atypique.

    Robespierre est vraiment un député à part au sein de cette assemblée constituante. Chaque fois qu'il intervient, c'est pour défendre les intérêts des pauvres, autrement dit de cette immense partie du Tiers-état que représente le petit peuple. Il n'y réussit pas toujours comme nous l'avons constaté le 22 octobre dernier. Et il semble qu'il n'y soit pas parvenu non-plus cette fois-ci, puisque le texte de son intervention ne constitue qu'une annexe du procès-verbal de la journée du 9 décembre à l'Assemblée nationale. Néanmoins chacune de ses interventions ou tentatives d'interventions nous éclaire un peu plus sur la personnalité du député d'Arras.

    Je ne puis cependant vous laisser lire son texte, sans vous éclairer sur son contenu. Je pense que vous allez apprendre une ou deux choses étonnantes.

 

Que vient faire Colbert dans cette histoire ?


    
Hélas, il va me falloir remonter à Louis XIV et à son célèbre ministre Jean-Baptiste Colbert, pour vous expliquer de quoi il ressort !

Jean-Baptiste Colbert
    Je vous ai déjà parlé de Colbert à l'occasion de la journée du 5 décembre1789, pour évoquer ses mesures prises afin de préserver les forêts du royaume. Colbert avait en effet déclaré en 1660 « La France périra faute de bois ». Il avait calculé que l’Angleterre pouvait alors fabriquer une centaine de navires de guerre avec ses forêts alors que la France ne pouvait plus en produire qu’une vingtaine ! Il fallait donc reconstituer les forêts de toute urgence pour créer une marine forte, indispensable en cette époque de guerres incessantes avec l'Angleterre. De plus, le bois représentait à l'époque l’unique source d’énergie (bois de chauffage et bois combustible pour les verreries, forges, tuileries et fourneaux). Il était également le matériau indispensable aux projets architecturaux du roi. Colbert réussit ainsi à convaincre Louis XIV que les centaines de milliers d’arpents boisés du domaine royal pourraient être une source de revenus considérable à condition d’y remettre de l’ordre.

    Le 15 octobre 1661, Louis XIV, signa l'arrêt du conseil d'État décrétant la clôture des forêts du roi, de celles des communautés ecclésiastiques et laïques. S'engagea alors la grande réformation générale des forêts. Un premier travail d'inventaire montra que le total général des bois royaux était estimé à 1.318.705 arpents, soit environ 672.500 hectares. Grâce à la Réformation générale, dont la mise en place dura en fait plus de 20 ans, le revenu net des forêts royales passa de 228.000 livres en 1661 à 1.028.000 livres en 1683.


Ordonnance de 1669.

    En 1669, après un long travail préparatoire de 8 ans, Colbert soumis au roi Louis XIV l'ordonnance "Sur le fait des Eaux & Forêts", que celui-ci signa le 13 août 1669. Cette ordonnance restaurait l'autorité du roi sur "ses forêts" et mettait en place une administration solide disposant du monopole de jugement des infractions.

L'ordonnance est consultable via ce lien :
https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/ord/1669/08/13/n1/jo

    Ce monument administratif constitue toujours le soubassement de l'actuel Code forestier. Il permit effectivement la restauration des hautes futaies et l’indépendance du royaume en matière de bois de marine dans la seconde moitié du 18ème siècle que nous étudions ensemble. Mais il eut des effets collatéraux que le grand Colbert n'avait peut-être pas envisagé. 

 

Les effets collatéraux, dus à la cupidité des seigneurs.


    
Le très long texte constituant cette ordonnance comporte un chapitre particulier, intitulé : " Des Bois, Prez, Marais, Landes, Pastis, Pêcheries, & autres biens appartenant aux Communautés & Habitants des Paroisses."

    L'alinéa 4 de cet article premier, stipule que :

" Si néanmoins les bois étaient de la concession gratuite des Seigneurs, sans charge d'aucun cens, redevance, prestation ou servitude, le tiers en pourra être distrait & séparé à leur profit, en cas qu'ils le demandent, & que les deux autres suffisent pour l'usage de la Paroisse; sinon le partage n'aura lieu : Mais les Seigneurs & les Habitants jouiront en commun comme auparavant : Ce qui sera pareillement observé pour les pré, marais, îles, pastis, landes, bruyères, & grasses pâtures, où les Seigneurs n'auront autre droit que l'usage, & d'envoyer leurs bestiaux en pâture comme premiers Habitants, sans part ni triage, s'ils ne sont de leur concession, sans prestation, redevance ou servitude."

    Cet article fut l'occasion pour les seigneurs de faire main-basses sur ce que l'on appelait alors les "communs", c'est-à-dire des terres à disposition de la communauté.

    La réglementation qui concernait d'abord les bois royaux, fut étendue aux bois des particuliers comme à ceux des communautés à partir de 1715...


Les communs.

    Si je continue de développer ainsi, cet article risquerait de devenir un livre. Je dois donc me contenter de vous donner des aperçus. Libre à vous de suivre ces pistes de votre côté ensuite.

    Apprenez donc que le même phénomène avait déjà eu lieu en Angleterre, avec ce que l'on appelle le mouvement des enclosures qui avait opposé très violemment les pauvres des campagnes aux propriétaires terriens entre le 13ème et 17ème siècle.



Cliquez pour accéder à un article en Anglais sur les "enclosures"

    Les riches propriétaires terriens de la noblesse voyaient dans la privatisation et la clôture des espaces la garantie d’une meilleure productivité, (notamment pour l’élevage des moutons destinés aux filatures)Les pauvres, qui dans les coutumes et les premiers textes législatifs avaient (comme en France) des droits élémentaires sur les communs, y voyaient une privation de leurs moyens de subsistance : récolte du miel, des glands et châtaignes, le bois de chauffe, les produits de la cueillette (champignons et fruits), etc.


    Ces expropriations forçaient les malheureux à rejoindre les villes et accepter les travaux les plus ingrats, notamment l’engagement sur les bateaux de la marine anglaise. Le mouvement politique des "Levellers" porta les revendications égalitaires des révoltés des communs lors de la Guerre civile anglaise de 1647. Il s'en suivit une répression par la terreur dans les campagnes.
John Lilburn, chef des Niveleurs, faisant appel à la foule, devant le pilori.

    Lire également cet article sur Katherine Ligley et John Lilburn :"Niveleurs féminins, campagne pour l'égalité dans les années 1640."

    De nos jours, certains intellectuels et chercheurs actualisent la réflexion sur les communs, pour penser les nouvelles enclosures que constituent les privatisations de ce qui était auparavant le bien de tous, comme par exemple les services publics. 

Article en Anglais sur le problème de la privatisation des biens communs

"Le mouvement des biens communs se compose de nombreuses personnes qui luttent contre la privatisation et la marchandisation de leur richesse partagée par le « marché libre ». La « clôture des biens communs » est sans doute l'une des dynamiques fondamentales du capitalisme néolibéral – s'entendre avec l'État pour s'approprier et commercialiser les ressources partagées du peuple, qu'il s'agisse d'éléments de la nature, de la culture et de l'information. La suite ici : "Enclosures of the Commons"

    Des intellectuels, et aussi des politiques, du moins en Angleterre, comme vous l'apprendra la lecture de cet article du journal The Guardian, en Anglais bien sûr (utilisez votre traducteur favori) : La renaissance des niveleurs.


Revenons à Robespierre.

    Si vous avez bien lu tout ce qui précède, vous avez à présent les clés pour comprendre la "Motion de M. de Robespierre sur la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs, lors de la séance du 9 décembre 1789". Dois-je vous rappeler que Robespierre était un homme qui connaissait la Loi ? Il était avocat.

Source : 
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3993_t1_0486_0000_2

La voici. Je me suis permis de signaler en rouge des passages intéressants et forts :

Motion de M. de Robespierre au nom de la province d'Artois et des provinces de Flandre, de Hainaut et de Cambrésis, pour la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs (Cette motion n'a pas été insérée au Moniteur.).

Messieurs, nous venons vous offrir l'une des plus belles occasions qui puissent se présenter à vous de signaler ce zèle pour les intérêts du peuple et pour le bonheur de l'humanité qui est à la fois le premier de tous vos devoirs, et le plus actif de tous vos sentiments.

Vous avez détruit entièrement le régime féodal ; avec lui, doivent disparaître non-seulement tous les droits onéreux ou humiliants qui en dépendent, mais encore, et à plus forte raison, tous les abus et toutes les usurpations dont il est la source ou le prétexte. Telle est celle dont nous proposons de vous entretenir.

Les villages, bourgs et villes de l'Artois possédaient paisiblement, depuis un temps immémorial, des propriétés sur lesquelles reposaient, en grande partie, la richesse et la prospérité de cette province et principalement de nos campagnes.

C'étaient surtout des pâturages, des marais, d'où l'on tirait une grande quantité de tourbe nécessaire pour suppléer à la rareté du bois dont la disette est grande et le prix excessif dans cette contrée. A la conservation de ces propriétés étaient attachés presque généralement, l'abondance des bestiaux, la prospérité de l'agriculture, le commerce, les lins* qui faisaient vivre une partie de ses habitants, et la subsistance d'une multitude innombrable de familles. (* Elles servaient à rouir, à blanchir, à sécher les lins)

Mais elles ne purent échapper aux attentats du despotisme.

Les intendants et les états d'Artois, qui se disputèrent et conquirent tour à tour, par des arrêts du conseil l'administration de ces biens communaux, qu'ils enlevèrent aux communautés, nous laissèrent incertains laquelle de ces deux espèces d'administration nous avaient opprimés, par des injustices et des vexations plus craintes.

Conversions arbitraires des pâturages et des marais en terres labourables, contre le vœu et l'intérêt des habitants, spoliations violentes, règlements tyranniques dont l'objet était d'enrichir les agents de l'administration aux dépens des citoyens ; aucune de ces vexations ne nous fut épargnée.

L'une des plus révoltantes fut sans doute celle qui nous ravit une partie de nos biens communaux, pour les faire passer entre les mains des seigneurs.

On connaît l'ordonnance des eaux et forêts de 1669, qui, par un article, adjuge aux seigneurs le tiers des biens qui appartenaient aux communautés, avec ces deux modifications : 1° si les deux autres tiers sont suffisants aux besoins des communautés ; 2° s'ils ont été originairement concédés à titre gratuit.

Cette disposition, mitigée par deux exceptions si bizarres et dont l'application était nécessairement arbitraire, ne pouvait jamais être qu'un attentat à la propriété et aux droits inviolables du citoyen. Qu'importe en effet que mes biens soient au niveau ou au-dessus de mes besoins ? Cette circonstance peut-elle vous autoriser à me les voler ? Qu'importe encore que je les aie acquis à titre gratuit ou à titre onéreux ? Dans le second cas ils sont sacrés comme le contrat de vente ; dans le premier ils sont sacrés comme le contrat de donation ; dans l'un et l'autre, ils sont sacrés comme les droits de la propriété. Par conséquent l'acte qui dépouillait les peuples des biens qui leur avaient été dévolus par une antique concession, pour en investir quelques hommes privilégiés, n'était qu'une infraction absurde des premiers principes de la justice et de l'humanité.

S'il était essentiellement nul, dans quelque lieu que ce fût, à plus forte raison devait-il l'être, dans la province d'Artois qui, d'après ses lois particulières, doit être affranchie de l'ordonnance des eaux et forêts.

Cependant dans la suite, le droit du plus fort introduisit cette vexation dans notre province ; et les seigneurs envahirent, sous le nom de triage, une grande partie des propriétés de leurs vassaux.

L'une des époques les plus mémorables de ces injustices fut l'année 1779.

Ce fut alors que les Etats d'Artois formèrent la coupable entreprise de dépouiller les communautés qui avaient échappé aux brigandages précédents, sous le prétexte de partager leurs biens et de les convertir en terres labourables. Ce fut alors qu'après avoir essayé les menaces, les artifices, les séductions, les persécutions secrètes, pour les amener à adopter ces opérations ruineuses, ils surprirent clandestinement et firent presque en même temps enregistrer à leur insu, au parlement de Paris, des lettres patentes qui ordonnent le partage de ces propriétés, de manière que le tiers des biens communaux prétendus concédés par le seigneur, à titre gratuit, sera adjugé au seigneur, et le 6e de ceux qui étaient possédés à titre onéreux.

Ainsi par cette dernière clause qui était l'objet évident de toute cette trame, on enchérissait encore sur l'article inique de l'ordonnance de 1669, qui ne comprenait que les biens concédés à titre gratuit, avec la condition que nous avons déjà indiquée, en comprenant dans cette usurpation le 6e des biens acquis à titre onéreux, qu'elle exceptait formellement. Nos concitoyens opprimés réclamèrent contre cet attentat : mais la commission intermédiaire des Etats d'Artois, rendait des ordonnances et les dépouillait par provision, et leurs réclamations mêmes étaient punies comme des crimes. Nous avons vu ses ordres arbitraires plonger dans les prisons une multitude innombrable de citoyens qui n'avaient commis d'autre faute que d'invoquer la protection des lois en faveur de leurs propriétés violées ; nous avons vu, pour la même cause, leurs cachots regorger longtemps des malheureuses victimes de leur tyrannie ; nous avons vu des femmes, mettre au monde et allaiter dans ces lieux d'horreur des enfants dont l'existence faible et languissante attestait sous quels auspices ils l'avaient reçue. Mais ce qu'on ne croira pas peut-être dans les lieux qui ne furent point le théâtre de ces scènes atroces, c'est que nous avons vu nos oppresseurs parcourir, à main armée, nos campagnes comme un pays ennemi, pour subjuguer leurs paisibles habitants qui n'opposaient à leurs violences que des réclamations juridiques ; c'est que l'un des membres de notre commission intermédiaire, après avoir présenté aux ministres les citoyens les plus pacifiques comme des rebelles armés contre l'autorité, a conduit des troupes réglées contre nos bourgades qu'il a investies, au milieu de la nuit, et dont les habitants arrachés au sommeil, fuyants comme dans une ville prise d'assaut, étaient arrêtés par ses satellites et traînés en prison comme des criminels ; crime si atroce que bientôt les ministres eux-mêmes détrompés de ces grossières impostures, se hâtèrent de désavouer les ordres militaires qu'on leur avait surpris. Et quel était le principal agent de ces horribles manœuvres ? Un député du tiers état, qui, réunissant à cette qualité celle d'agent d'un grand seigneur, avait formé le projet de désoler son pays, pour livrer à son maître des propriétés immenses que l'inique partage devait lui procurer ..... Qui pourrait raconter tous les maux, toutes les persécutions publiques ou secrètes que les malheureux habitants des campagnes ont souffertes pendant plusieurs années d'exactions, de violences et de procès ruineux ! Car plusieurs communautés eurent le courage d'en soutenir contre toute les intrigues et contre le crédit formidable de leurs oppresseurs ; et au parlement de Paris et au conseil d'Etat... Enfin celles dont les biens n'avaient pu encore être partagés obtinrent par un arrêt la permission de les conserver.

Mais toutes ont conservé le cruel souvenir de tant d'injustices, et l'un des objets que nos commettants nous ont recommandés avec le plus d'intérêt et d'unanimité est le soin de vous en demander la réparation, et de solliciter auprès de vous une loi, qui rende à celles dont les pâturages et les marais ont été mis en culture le droit de les remettre à leur premier usage, s'ils jugent que leur intérêt l'exige, et qui restitue à toutes la portion considérable qui leur a été injustement ravie avec les fruits perçus depuis 1762, époque du premier arrêt surpris pour Vitry.

Les mêmes droits et des circonstances semblables ont dicté le même vœu à toutes les provinces Belgiques, où les communautés dépouillées par les manœuvres du despotisme et de l'aristocratie, attendent avec impatience la restitution et la justice qui leur sont dues.

Les vexations qu'elles ont éprouvées offrent même cette circonstance particulière que la cupidité et l'injustice leur ont enlevé par des arrêts du conseil, non-seulement le tiers des biens concédés à titre gratuit ; non-seulement le 6e de ceux qui avaient été acquis à titre onéreux ; mais même le tiers de cette dernière espèce de propriété.

Et d'ailleurs quel surcroît d'iniquité dans tous ces pâturages essentiellement iniques par eux-mêmes ! Il est des seigneurs, qui en ont envahi la moitié ; une foule d'autres, au lieu de prendre en une seule masse la part qu'ils s'attribuaient ont choisi pour leur lot, diverses portions éparses qui était à leur convenance, de manière qu'ils ne peuvent pas même en jouir sans traverser, sans gêner, sans détériorer celles qu'ils ont laissées aux habitants... Partout enfin la tyrannie féodale a ajouté à ses injustices les preuves de ce mépris insultant pour les droits des hommes, qui la caractérise ....

Il dépend de vous, Messieurs, de réparer aujourd'hui ses ravages, après avoir abattu sa puissance, et de faire bénir, par un seul acte, votre autorité tutélaire dans l'étendue d'une vaste contrée. Nous ne voyons pas du moins quelle objection nous pouvons prévoir ici contre une pareille demande.

La justice exige en général la restitution de tous les biens dont les communautés ont été dépouillées même en remontant à l'époque de l'ordonnance de 1669 ; mais il en est ici une très grande partie, à l'égard desquels cette question est décidée par des raisons particulières et singulièrement péremptoires, même dans tous les systèmes.

Rappelons-nous d'abord que l'ordonnance de 1669 faisait présent aux seigneurs du tiers des biens appartenait aux communautés, à deux conditions : la première que ces biens auraient été concédés gratuitement, la seconde, que les deux autres tiers seraient suffisants pour les besoins des habitants.

Or, indépendamment des deux exceptions établies, par cet article, il est évident que jamais il n'a pu transmettre aux seigneurs la propriété d'aucune partie de ces biens.

En effet, sans compter d'abord que rien n'est si difficile à reconnaître, ni sujet à une décision arbitraire que le titre primitif de ces possessions; sans compter que si l'on remonte ici à la véritable origine de la propriété, il est de fait qu'elles appartenaient d'abord et par le droit aux peuples ; et qu'il n'y a pas plus de raison de s'arrêter à l'époque de la possession des seigneurs, que de se reporter à celle de la propriété du peuple ; que souvent ces prétendues concessions n'ont jamais été vérifiées, et que, dans ce cas, les biens devaient être présumés avoir toujours appartenu aux communautés malgré la maxime féodale contraire ; il suffit d'observer, comme nous l'avons déjà fait, qu'à quelque titre que les communautés fussent propriétaires au temps de l'ordonnance de 1669, à titre gratuit ou à titre onéreux, leurs propriétés n'en étaient pas moins inviolables ; que par conséquent, lorsque le despotisme aristocratique et ministériel entreprit d'en transférer une partie aux seigneurs, c'est-à-dire à lui-même, il excéda évidemment son pouvoir, et fit non pas une loi, mais un acte de violence et d'usurpation qui n'a jamais pu anéantir, ni altérer les droits imprescriptibles du peuple ; et il est impossible de voir dans l'exécution de cet ordre arbitraire et injuste rien autre chose qu'une spoliation violente et un vrai brigandage ; on sait que le brigandage et la rapine ne peuvent jamais constituer un titre de propriété. On sait même qu'un titre de cette espèce est un obstacle invincible à la prescription. Et d'ailleurs peut-on opposer la prescription au peuple ? Peut-on opposer au peuple une possession quelque longue qu'elle ait été si elle était le fruit de l'oppression où il gémissait, et durant laquelle ses réclamations même auraient été punies comme des crimes ! Et ne sait-on pas encore, que même pour les particuliers, que même dans les causes civiles, la violence et la fraude opposent un obstacle insurmontable à la prescription ! Que sera-ce donc, dans la cause du peuple, dans la cause de la liberté contre la tyrannie ? Jadis on regardait comme imprescriptibles les aliénations du domaine, faites même sous les auspices de la bonne foi et sous le sceau d'un consentement libre ; et le patrimoine sacré du peuple pourrait être prescrit, lorsqu'il lui a été arraché par la force !

Mais à qui l'opposerait-on, cette prescription ? Au législateur lui-même. Car il n'est ici question que d'une loi à porter. Or, si le législateur peut révoquer ses propres lois, à plus forte raison, le véritable législateur peut-il changer les ordonnances du législateur provisoire, qui s'était emparé de ses fonctions. Si le ministre de 1669 a pu enlever aux communes une partie de leurs biens, pour les donner aux seigneurs, à plus forte raison pouvez-vous la retirer aujourd'hui des mains de ces derniers pour la restituer aux légitimes propriétaires. Ou bien l'article de l'ordonnance de 1669 était nul, ou il était valide ; dans le premier cas il ne peut nous être opposé ; dans le second, la loi que vous ferez aujourd'hui aura au moins la même force et la même puissance ; et il y aura entre elle et l'édit ministériel, cette différence, que celui-ci n'était qu'un acte absurde et tyrannique, et que la vôtre, ouvrage de la volonté générale, réparera l'injustice qu'il a faite, et rétablira les droits de l'homme qu'il a violés....

On trouvera peut-être cette logique bien redoutable pour les seigneurs ; nous en conviendrons volontiers, pourvu que l'on avoue qu'elle est aussi consolante pour le peuple et conforme à la justice et à l'humanité. Pourra-t-on bien nous objecter qu'elle blesse la propriété ? Mais que l'on nous dise donc quel est le véritable propriétaire, de celui qui a été dépouillé de son bien par la force, ou de celui entre les mains duquel ont passé ses dépouilles.

Dira-t-on que celui qui depuis a acquis ces biens de bonne foi, ne doit pas en être évincé ? Mais tous ceux qui achètent le bien d'autrui, sont-ils dispensés par leur bonne foi de le rendre au vrai propriétaire ? Ce qu'un tel événement peut avoir de malheureux pour l'autre prive-t-il celui-ci de ses droits ? Et certes quel est celui qui mérite ici plus d'égards et de commisération, ou du seigneur riche qui perdra un objet qui ne lui appartient pas, ou des malheureux vassaux à qui il faut le restituer ?

Voilà ce que nous opposons en général à l'ordonnance de 1669 ; mais indépendamment de toutes ces raisons, nous pourrions trouver dans ses disposions mêmes de quoi appuyer notre réclamation et nos raisonnements. En effet n'exige-t-elle pas cette condition, pour toucher aux biens communaux, que les deux tiers restants, soient suffisants pour les besoins des habitants ? Mais, nous le demandons, quand cette condition a-t-elle été remplie ? Dans quels lieux s'est-on informé des besoins et des intérêts des peuples, pour l'appliquer ? N'est-il pas constant, n'est-il pas notoire, que partout l'ambition et la cupidité ont étendu cette loi oppressive, sans aucune distinction ? Et de bonne foi croit-on qu'en effet les seigneurs qu'elle favorisait étaient trop pauvres, et les infortunés habitants des campagnes trop riches, de manière qu'il fallût ôter à ceux-ci, pour donner à ceux-là ? Tout ce que nous pouvons assurer, du moins pour nos provinces, c'est que ces injustes spoliations déguisées sous le nom de partage, c'est que les absurdes opérations qui ont changé l'état de leurs biens communaux, ont ruiné ou appauvri les communautés et les ont réduites presque partout à une profonde misère. Ainsi l'ordonnance de 1669 condamne elle-même toutes ces infractions des droits de la propriété, et elle a toujours réclamé contre elles, puisque la condition même à laquelle elle les avait attachées n'a pas été remplie.

Mais ce que nous venons de dire, ne regarde que les biens communaux prétendus concédés à titre gratuit, mais ceux qui n'avaient été concédés par les seigneurs en aucune manière et qu'ils ont envahis ! Mais ceux qui étaient acquis à titre onéreux, et qu'ils ont usurpés ! Sous quel prétexte se dispensera-t-on de les restituer, lorsque l'ordonnance même qui était le prétexte de ces usurpations, les proscrit elle-même expressément ? Or, il en est une foule de ce genre, dans toutes les parties de la France, et surtout, dans les provinces dont nous réclamons les droits.

Vous avez déjà vu entre autres ; des ordres arbitraires surpris au ministère, même à une époque très récente, en enlever le sixième aux communautés de l'Artois ; vous avez vu la Flandre dépouillée du tiers de ces biens, exceptés même par l'ordonnance de 1669, sans compter les vexations plus grandes qui ont encore excédé ces bornes.

Dira-t-on, par exemple, que les infâmes intrigues, que les attentats multipliés contre la liberté dont nous avons rendu compte, sont devenus des titres de propriété contre ceux de nos concitoyens qu'ils ont opprimés ! Quel est celui qui osera soutenir, dans l'Assemblée des représentants du peuple, qu'il est déchu de ces droits, dès qu'il a plu à quelques tyrans de les lui ravir ; que le vol et la rapine peuvent lui être opposés pour l'en dépouiller, tandis qu'on ne les regarderait que comme des motifs de restitution dans la cause d'un particulier ?...

Mais, vous, Messieurs, votre jugement sur ce point est déjà prononcé d'avance, par celui qui a proscrit le régime féodal. Il survivrait à lui-même dans ce qu'il n'eut jamais de plus odieux, si l'oppression dont nous parlons pouvait se prolonger. N'est-ce pas à titre de seigneurs, n'est-ce pas en vertu de la puissance féodale, que l'on s'est emparé des biens que nous réclamons ? Gomment donc pourraient-ils les conserver quand la puissance féodale n'est plus ? Si des droits qui avaient au moins quelque chose de légitime dans cet ancien système sont anéantis, comment des usurpations, que l'injustice féodale elle-même aurait proscrites, pourraient-elles subsister ? Après avoir déclaré qu'en France les terres devaient être libres, comme les personnes, et affranchies par conséquent de toutes charges seigneuriales, comment laisserez-vous ces biens eux-mêmes entre les mains des seigneurs qui les ont usurpés par le plus criant abus de leur pouvoir ?

Quelques-uns, dit-on, voudraient nous proposer de consacrer tous ces actes d'oppression, sous le prétexte qu'une conduite contraire donnerait un effet rétroactif à votre loi ; mais quel autre effet une loi, qui ordonne des restitutions nécessaires, peut-elle avoir, que celui de retirer les biens qui en doivent être l'objet, des mains de ceux à qui ils n'appartiennent pas, pour les rendre aux propriétaires ? Ce n'est point là un effet rétroactif ; c'est l'effet naturel et essentiel de la loi.

Quand vous éteignez un droit seigneurial qui était perçu annuellement, la charge dont vous voulez délivrer le peuple, disparaît entièrement : mais à l'égard des biens qui lui ont été ravis, sous le nom de triage ou autrement, si vous vous contentez de dire : «Le triage à l'avenir, sera supprimé ; » vous laissez subsister la spoliation dont il est la victime ; vous dites bien, «à l'avenir il ne sera plus permis d'attenter à la propriété du peuple ; mais vous dites en même temps, «ses oppresseurs continueront de jouir de la propriété qu'ils s'attribuent sur une partie de ses biens, » et sous le prétexte chimérique de ne point donner à la loi un effet rétroactif qui n'existerait pas, vous prolongez réellement dans l'avenir, la privation funeste des droits dont il a été dépouillé, et le plus odieux monument de l'empire féodal.

Saisissez donc, Messieurs, avec empressement cette occasion facile que nous vous présentons, d'accorder au peuple un grand bienfait. Tant d'obstacles s'opposent souvent à votre zèle pour le bonheur de l'humanité ! Profitez de ce moyen de le satisfaire, au moins en partie. Hélas ! Dans ce moment même que les puissants ennemis du bien public s'efforcent d'aggraver la misère de nos concitoyens, par d'injustes alarmes, par des soupçons sinistres et par mille intrigues odieuses ; grâce à leurs funestes soins ce peuple souffrant ignore jusqu'aux lois bienfaisantes par lesquelles vous avez préparé le bonheur de la nation entière. Dissipez, Messieurs, dissipez ces nuages alarmants, qui s'élèvent pour obscurcir l'aurore de la liberté naissante. Portez dans les cœurs inquiets et abattus l'espérance, la consolation et la joie, par un acte éclatant de justice et d'humanité, qui leur montrera toute la différence qu'ils doivent mettre entre les représentants du peuple et ceux qui cherchent à le tromper, après l'avoir opprimé. Hâtez-vous de leur donner ce gage du bonheur dont ils seront redevables à vos travaux, et de conquérir, pour ainsi dire, cinq provinces de plus à la constitution et à la liberté !


Cette restitution ne se fera pas tout de suite, vous vous en doutez...

    Il faudra attendre la chute de la royauté et la publication du décret du 28 août 1792, "relatif au rétablissement des communes et des citoyens dans les propriétés et droits dont ils ont été dépouillés par l’effet de la puissance féodale".

    Dans les faits, la mise en application se fera grâce au le décret du 10 juin 1793. En même temps qu’il prévoira le partage des biens communaux, il mettra tout en œuvre pour favoriser l’action des communes en restitution des biens usurpés par les ci-devant seigneurs. Il offrira de nouvelles possibilités aux municipalités pour qu’elles obtiennent la propriété des terres vaines et vagues (sect. IV, art. 1er) mais surtout le législateur imposera la procédure de l’arbitrage forcé pour résoudre les litiges opposant « les communes et les propriétaires à raison des biens communaux et patrimoniaux, pour droits, usages, prétentions, demandes en rétablissement dans les propriétés dont elles ont été dépouillées par l’effet de la puissance féodale ». L’arbitrage, procédure extra-judiciaire qui se veut simple et rapide même si les arbitres sont tenus d’appliquer la loi, permettra ainsi à de nombreuses communes d’obtenir leur réintégration dans les « biens usurpés ».

    Ce décret du 10 juin 1793, actera finalement l’abolition définitive des droits féodaux qui avait été proclamée à grands cris le 4 août 1789.

Il aura fallu attendre la seconde Révolution, celle du 10 août 1792...




    En 1793, un certain Jacques-Pierre Bridet publiera la brochure ci-dessous, intitulée : "Observations sur le décret du 28 août 1792, qui accorde aux habitants des communes la propriété et le partage des biens dits communaux."

mardi 8 décembre 2020

8 Décembre 1789 : Les bonnes idées de ce bon Marquis de Villette (fils spirituel ou réel de Voltaire)

 

    Je vais commencer par évoquer une anecdote amusante et je finirai par traiter d'un sujet sérieux, l'homosexualité, dont la dépénalisation constitue un autre des innombrables progrès apportés par la Révolution française.

Une pluie de dons patriotiques.

    Souvenez-vous de ces citoyennes qui, le 7 septembre 1789 étaient venues déposer leurs bijoux devant l’Assemblée nationale dans le désir de contribuer à rembourser la dette nationale. Sa majesté elle-même, le 22 septembre suivant, avait annoncé faire don de sa vaisselle d’argent pour aider à rembourser ladite dette.

Louis XVI fait don de sa vaisselle d'argent.

 Depuis, les dons patriotiques, comme on les appelle, ne cessent d’affluer à l’Assemblée. Dans le numéro deux de son journal des Révolutions de France et de Brabant, Camille Desmoulins cite de nombreux exemples de dons patriotiques. Un ancien Rouannais, demeurant depuis trente ans à Amsterdam a fait présent à la caisse patriotique de 20.000 Livres, onze domestiques d’un seigneur anglais ont envoyé 120 Livres, les Maitres Chandeliers de Paris 5.936 Livres, la ville de Dieppe, 107 marcs d’argent et un carton plein de bijoux ! Il ajoute que la multiplicité des dons fatigue souvent l’haleine de Monsieur de Virieux, chargé en sa qualité de Receveur national, d’en faire l’énumérations ! Dans le numéro huit de janvier 1790, il évoquera même le cas de ce citoyen suisse de la ville de Constance qui, voulant faire éclater son admiration pour la sagesse des décrets de l’Assemblée nationale, et pour les merveilles de la révolution de France, ne veut plus d’autre patrie. Se regardant déjà comme citoyen français, il s’est acquitté de la contribution patriotique, et, versant 6000 Livres à la caisse nationale, a demandé des lettres de naturalité et d’adoption.

 C’est à qui fera montre de la plus grande générosité, toujours ostensiblement, bien évidemment !

On reparle des boucles d'argent.

    Monsieur le Marquis de Villette a envoyé dernièrement les boucles d'argent de son club, surnommé national. Serait-ce parce que le port des boucles d’argent sur les chaussures est devenu bien risqué depuis que - comme nous l’avons appris en novembre - des margoulins les prennent de forces aux particuliers, pour en faire don, prétendent-ils, à la nation ? C’est la ville d’Issoudun, rappelons-le, qui avait initié ce mouvement des boucles, en envoyant à l'Assemblée nationale environ 115 marcs de boucles d'argent provenant des chaussures de ses citoyens. Bordeaux avait suivi le mouvement peu après, ainsi que les vols de boucles...

L'affaire des boucles d'argent.

    Monsieur de Villette propose de frapper avec les lingots d’argent des contributions patriotiques, des dons et offrandes, etc. , de nouvelles pièces à emblèmes et symboles de la liberté. Il croit qu'elles ne passeront pas alors aussi facilement la frontière que les monnaies portant les effigies royales, parce que, suppose-t-il, les souverains voisins les arrêteraient comme séditieuses. Il pourrait bien se tromper : car le bon argent, comme le bon vin, n'a point d'enseigne !

    Le même marquis engage également les jeunes gens à revêtir des costumes moins recherchés, et à déposer la coûteuse rente qu'ils font à leurs coiffeurs sur l'autel de la patrie.

    Mais toutes ces démonstrations patriotiques commencent à fatiguer quelque peu le public. Les plus sensés savent bien que ce n'est point par de si pauvres moyens que se sauvent les grands États. "Épluchons d'abord le livre rouge" : disent-ils, c’est-à-dire la comptabilité du royaume et surtout, surtout, vendons les biens nationaux !

Le poids écrasant de la dette nationale (Estampe de 1789)

L'étonnant Marquis de Villette !

    Je vous invite à lire la fiche Wikipédia du sympathique Marquis de Villette. Vous y apprendrez qu’il était le « fils probable » de Pierre-Charles de Villette, seigneur du Plessis-Longueau, trésorier général de l’extraordinaire des guerres (la paternité est toujours une probabilité), et le « fils certain » de Thérèse-Charlotte Cordier de Launay, tante du marquis de Sade, connue pour son esprit et sa beauté, mais aussi pour avoir été la maitresse du grand Voltaire ! Raison pour laquelle le Marquis de Villette se reconnaissait Voltaire pour vrai père, auquel il portait une affection filiale véritable. Son personnage mériterait un article plus complet, car ce brave homme était vraiment atypique. Connu pour son homosexualité affichée, il provoqua quelques scandales et fit même quelques séjours en prison, mais sa vie fut bien plus que cela !

    Le Marquis de Villette était un homme bon et courageux. Il avait abandonné la charge d’avocat conseiller du roi au Châtelet, que son père lui avait acheté pour entrer dans la carrière des armes. Il avait acquis en 1757 la charge de maréchal des logis général de la cavalerie, puis en 1758 celle de mestre de camp de dragons, et en 1759 celle de premier aide de camp du prince de Condé. Il avait reçu en 1763 la croix de Saint-Louis à la suite de blessures au combat, en particulier à la bataille de Minden où son cheval avait été tué sous lui. Soucieux de son fils spirituel ou réel, Voltaire l’avait marié en 1777, chez lui à Ferney, à Reine Philiberte de Varicourt, que Voltaire n’appelait que « Belle et Bonne ».

Reine Philiberte de Varicourt

    Dévoué à ses amis, le Marquis de Villette montra lors de la Révolution un vrai courage à soutenir ses opinions à la fois contre les préjugés de la noblesse et contre les excès révolutionnaires. Il fut l’un des rares qui osèrent condamner les massacres de septembre. Il fut également un défenseur du droit des Femmes ! Villette avait en effet proposé de “déroger à l’usage gothique, qui exclut les Femmes de nos assemblées politiques...”

    Accessoirement, Villette profita de la Révolution pour prendre la liberté d’effacer, à l’angle de l’hôtel qu’il possédait et qu’avait habité Voltaire, l’inscription : « quai des Théatins » pour y substituer « quai de Voltaire ». Il justifia cela en disant : « C’est chez moi qu’est mort ce grand homme, son souvenir est immortel comme ses ouvrages. Nous aurons toujours un Voltaire, et nous n’aurons jamais de Théatins »

    Charles de Villette succomba à Paris le 7 juillet 1793, à l’âge de 56 ans de ce qu’on appelait alors une maladie de langueur et qui était probablement une grave dépression...

Un mot sur l'homosexualité sous la Révolution.

    Je pense nécessaire de rappeler que la dépénalisation de l’homosexualité constitue un des nombreux progrès apportés par la Révolution française. C’est en effet à l’automne 1791 que l’Assemblée constituante promulgua un nouveau code pénal abolissant la criminalisation de la sodomie, (décision confirmée par le code pénal de Napoléon de 1810). À partir de ce moment, les relations entre adultes de même sexe ne furent plus jamais illégales en France. La dernière application de la sentence pour fait de sodomie remontait à 1750. Il s'agissait des cas de Bruno Lenoir et Jean Diot, qui après avoir été surpris sur le fait par un sergent du guet, avaient été condamnés à être exécutés et qui périrent sur le bûcher en juillet 1750. Le projet avait été porté par Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, député de l’Hérault aux États généraux, franc-maçon assumé et accessoirement homosexuel. L’idée était de cesser de punir les « crimes imaginaires », réputés sans victimes.

Plaque commémorative posée devant le N°67 rue Montorgueil à Paris.

Décalages temporels

    Je vous rappelle que nombre de pays criminalisent encore de nos jours l'homosexualité, marquant ainsi au moins deux siècles de retard sur la liberté des mœurs. Sachez que le ridicule Poutine est même allé jusqu'à faire interdire la propagande homosexuelle, comme si la propagande pouvait convaincre un hétérosexuel de devenir homosexuel !!! 😂 L'homosexualité est un comportement couramment observé dans la nature chez d'autres espèces animales que la nôtre. Le seul comportement vraiment contre-nature, en fait, c'est le célibat ! Mais c'est un autre sujet 😊

Petit retour à notre ami Villette.

    Malgré sa brillante carrière, cet aimable marquis se voulait être un écrivain. De mauvaises langues prétendent néanmoins qu'une part de son talent littéraire revenait à son secrétaire Claude-Marie Guyétand. Peu importe, je vous propose de lire via la fenêtre ci-dessous, l’éditions de 1788 des œuvres du Marquis de Villette. Cinquante-cinq éditions ont été publiées depuis la première en 1782, en 4 langues. (On trouve une réimpression de l'édition de 1923 pour seulement 25 € chez Amazon).

(Je suis heureux de posséder celle de 1782.)


Voici quelques photos de l'exemplaire de 1782 que j'ai en ma possession.

 

 






lundi 7 décembre 2020

7 Décembre 1789 : La cour est en deuil mais le port des diamants est autorisé

Tenue de grand deuil de cour (1781)

    Ce lundi 7 décembre l’Assemblée national a envoyé une députation à la Reine pour lui présenter des condoléances par suite de la mort de sa sœur.

    Samedi dernier, 5 décembre, le numéro 339 du Journal de Paris avait informé les Parisiens qu’à partir de ce lundi, la Cour allait prendre le Deuil pour deux mois à l'occasion de la mort de Marie-Anne-Josephe-Jeanne-Antoinette de Lorraine, Sœur de la Reine des Français, Abbesse du Noble Chapitre D'Insbruck, Née le 13 Août 1743, morte dans la 47e année de son âge.

    Le journal avait également donné le déroulement du deuil :

1re époque. Du 7 Décembre au 6 Janvier inclus.

Les Hommes porteront l'Habit de drap noir complet avec les boutons ; Manchettes effilées unies, Boucles et Epée bronzées.

Les Femmes porteront la Robe de laine garnie d'étamine ou de crêpe noir, le Bonnet de crêpe (la Coiffe pour 9 jours seulement) Gants, Eventail et Bas noirs, les boucles bronzées.

2e Epoque. Du 7 au 22 Janvier, inclusivement,

Les Hommes porteront l'Habit de soie noire, Manchettes effilées de mousseline brodée, Boucles et Epée blanches.

Les Femmes porteront la Robe de soie noire garnie de gaze, le Bonnet et l'ajustement de gaze rayée, les Diamants.

3e Epoque. De 23 Janvier au 6 Février suivant inclusivement, fin du deuil,

Les Hommes prendront les Manchettes d'entoilage, garnie d'effilé découpé, et suivront, pour le surplus ; l'Etiquette de la précédente Epoque.

Les Femmes porteront la Robe de soie blanche, noire et blanche ; on continuera les Diamants.

Un peu de mauvais esprit...

    Quelqu’un aurait écrit perfidement dans la chronique de Paris (un nouveau quotidien qui paraît depuis le 24 août), qu’il espérait bien "nos bourgeoises et nos coquettes n'iront pas cette fois se conformer à un usage servile et faire porter elles-mêmes "le deuil à nos manufactures".

    Il peut sembler curieux en effet que les honnêtes gens désirent porter le deuil de quelqu’un qui n’est pas de leur famille.

    On raconte que Louis XV adolescent, voyant pour la première fois, à Paris, les bourgeois et bourgeoises porter le deuil de la cour, fit cette remarque méprisante : "Je ne me croyais pas tant de parents." Un courtisan lui répondit que, dans les grandes maisons, les domestiques portaient les deuils. – Pas à leurs frais, eu-t-on pu faire observer.

Petit détail gênant.

    Il semble que le Journal de Paris se soit trompé de sœur ! C’est Marie-Anne Josèphe Antoinette d'Autriche née au Palais de la Hofburg à Vienne, le 6 octobre 1738 qui s’est éteinte à Klagenfurt, le 19 novembre 1789 ; pas Marie-Josèphe Gabrielle Jeanne Antoinette Anne d'Autriche née le 19 mars 1751 à Vienne, morte le 15 octobre 1767 à Vienne et encore moins Marie-Élisabeth Josèphe Jeanne Antoinette de Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d'Autriche née le 13 août 1743 à Vienne qui s’éteindra à Linz le 22 septembre 1808 et qui fut bien, elle, abbesse du chapitre de chanoinesses nobles d'Innsbruck.

"Domestique", mais pas bien informé. Comme c’est embarrassant…

La défunte Marie-Anne Josephe Antoinette

Voici néanmoins quelques jolies tenues de deuil :