jeudi 17 décembre 2020

Basset devrait lire Charles-François Lhomond #orthographe

 

"Bertrand, alias le citoyen Basset, défaillant de honte,
alors que des lecteurs  lui signalent des fautes d'orthographe dans ses articles"
(Détournement d'une estampe de 1770 représentant la mort d'Hercule (un opéra))

    Si le citoyen Basset de 1789 se souciait bien peu de l’orthographe, comme le prouve l’enseigne de sa boutique, celui de 2020 est obsédé par celle-ci, en raison du respect qu’il doit à ses lecteurs !

Enseigne de la boutique de Basset représentée sur une estampe.
Lire l'article "Basset, graveur et marchand d'estampes, religieuses puis révolutionnaires"
Hélas !

    Hélas, mille fois hélas, il me faut souvent un délai de plusieurs semaines, avant que je puisse enfin déceler, horrifié, une hideuse faute d’orthographe dans l'un de mes articles ! 

    C’est pour moi une fatalité et un drame. Les fautes des autres me sautent immédiatement aux yeux, mais les miennes se rient de mon aveuglement ! Pas plus tard qu’aujourd’hui, quelqu’un a eu la bonté de me signaler l’une d’entre-elles, qui déshonorait la page d’accueil du site !

    Accablé de honte, je me suis renversé des cendres sur la tête, j’ai lacéré de mes ongles mon visage ravagé de larmes, et j’ai entrepris de rédiger ce bref article, en guise d’expiation.

    Quel meilleur moyen d’expier ma faute, que de rendre hommage aux mânes de Charles-François Lhomond, le grand maître de l’orthographe au 18ème siècle !

(Ne trouvez-vous pas que j’en fait parfois un peu trop ?) 😉

L’abbé Lhomond

    Charles François Lhomond naquit en 1727 à Chaulnes, dans la Somme et rendit l’âme à Paris le 31 décembre 1794 (Aucun lien n’a été établi entre son décès et le réveillon du 31). C’était vraiment un homme du 18ème siècle, à la fois humaniste, historien (de l’Eglise et de la religion chrétienne), pédagogue, mais aussi et surtout un grammairien.

    Parmi les sept ouvrages publiés par cet érudit, celui publié en 1780, intitulé « Elémens de la grammaire françoise » (l’orthographe est d’époque), fit l’objet de sept rééditions du vivant de son auteur, preuves d’un grand succès. De plus il fut continuellement réédité et adapté tout au long du 19ème siècle.

Statue de l'abbé
à Chaulnes

    Vous avez déjà dû constater, si vous avez lu par exemple certains des ouvrages que j’ai partagés sur ce site, que l’orthographe, durant le siècle des Lumières, était souvent très libre. 

    Lhomond a réussi à faire une synthèse de différentes approches de la grammaire déjà esquissées par de précédents auteurs, en tenant compte également de la langue telle qu’elle était parlée. Ce faisant, il a eu le mérite de clarifier la fonction de chaque mot au sein des phrases, selon une logique qui a peu ou prou perduré jusqu’à nos jours. La grammaire n’est pas qu’une invention destinée à faire souffrir les élèves en classe ou les scribouilleurs de mon genre, c’est avant tout une sorte de solfège permettant de jouer harmonieusement des mots et de se faire bien entendre. 

Quid de L'Esclache ?

    J'ai choisi d'évoquer Lhomond, un homme du 18ème siècle. Mais j'aurais pu vous proposer "Les véritables règles de l'ortografe francèze, ou L'art d'aprandre an peu de tams à écrire côrectement" publié par Louis de Lesclache en 1668 ! 

    Je suis certain que si vous parcourez l'ouvrage de ce grammairien réputé (en son temps), vous allez pleurer ! 😆

De l'utilité d'une langue commune...

    Ecrire correctement pour se faire comprendre, c’est bien. Mais parler la même langue, c’est encore mieux ! J’avais déjà évoqué ce problème le 30 Octobre dernier, à l’occasion de la présentation de la motion de Monsieur Target devant l'Assemblée, concernant l'instruction publique et l'éducation nationale. Celui-ci avait posé la question suivante : « A quoi bon faire d’aussi belles lois, si elles ne sont pas comprises ?».

    En effet, très peu de citoyens parlaient et comprenaient le français sous la Révolution !   

    Nous verrons un peu plus tard, qu’après avoir fait enquêter sur l’ensemble du territoire national, l’abbé Grégoire constatera que la langue française n’était parlée que dans une quinzaine de départements sur les 83 ! Il écrira dans son rapport présenté à la Convention le 4 Juin 1794 :

« On peut assurer sans exagération qu'au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale ; qu'un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ; qu'en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent n'excède pas trois millions, et probablement le nombre de ceux qui l'écrivent correctement encore moindre.

Ainsi, avec trente patois différents, nous sommes encore, pour le langage, à la tour de Babel, tandis que, pour la liberté, nous formons l'avant-garde des nations. »

    Comment constituer une nation unie par des liens fraternels si ses citoyens ne parlent pas une langue commune ? Comment éduquer lesdits citoyens, si chaque livre scolaire ou chaque méthode d’agriculture doit être traduite en une infinité de patois, parlers et langues ? A quoi bon publier des lois si celles-ci ne sont pas comprises ? Contrairement à ce que ne cessent de soutenir les ennemis de la République ou les bonnes âmes naïves qui ont cru leurs dires, une langue nationale commune n’a pas pour but d’écraser ou humilier des cultures locales, c’est aussi un ciment indispensable pour construire une nation unie. 

Il est temps de lire Lhomond !

    Comme il en est d’usage sur le site, à chaque fois que je le peux, je partage ci-dessous avec vous l’ouvrage de Charles François Lhomond, disponible sur le site Gallica de la BNF :


Conclusion

    Un dernier mot, ne croyez pas ceux qui disent que les grands lecteurs ne font pas de fautes d’orthographe. Mes bibliothèques surchargées de livres sont là pour témoigner du contraire ! J’ai lu une fois dans un livre, qu’il était pratiquement impossible de repérer soi-même ses fautes (surtout dans un bref délai), car on ne ferait jamais que lire chaque fois ce que l’on a voulu écrire et non ce qui avait été réellement écrit.

    Je termine cet article un peu spécial avec cette photo de street art. L’artiste a eu l’idée amusante de représenter un écolier qui a été "mis au coin" (comme on disait autrefois), sous la plaque de la rue Lhomond, à Paris, dans le 5ème arrondissement.

Source : Les rues de Paris




17 Décembre 1789 : Gravure de la représentation de la cocarde. Vraiment M. Prudhomme ?

 

Source : Musée Carnavalet
Deux étrangetés.

    Cette gravure est extraite du journal "Les révolutions de Paris" de Monsieur Prudhomme. Son titre est le suivant : « REPRESENTATION DE LA COCARDE NATIONALE dont le relief est blanc sur un fond bleu entouré de rouge. »

Elle comporte deux étrangetés.

1/ La légende nous dit que ladite cocarde a été acceptée par Monsieur Le Marquis De La Fayette le 17 décembre 1789. (C’est la raison pour laquelle je l’affiche sur la page de cette date). Mais pourquoi cette date du 17 décembre, alors que la présentation au roi de la première cocarde a eu lieu le 17 juillet 1789 (en présence de La Fayette)?

2/ J’ai beau regarder et regarder encore, je ne vois pas de cocarde sur cette gravure…

Étonnant, non ? Il y a parfois des surprises de ce genre sur les estampes...

Bailly et La Fayette accueillant Louis XVI à l'Hôtel de Ville

Vérifications infructueuses

    J’ai voulu vérifier dans le journal de Prudhomme. Mais je n’ai rien trouvé, ni dans le numéro de la semaine du 12 au 19, ni dans celui de la semaine du 19 au 26 décembre.

Mystère non résolu.

    Je n'ai pas trouvé de réponses au mystère de cette gravure. Mais c’est une bonne raison pour que vous lisiez ou relisiez mon passionnant article sur le 17 juillet 1789, c’est-à-dire le jour de la cocarde. Vous découvrirez alors que tout ce que l’on vous à dit jusqu’à présent sur les trois couleurs devenues nationale, n’est pas tout à fait vrai !

Cliquez sur la cocarde !

Digression indispensable

Parlons du journal de M. Prudhomme : "Les révolutions de Paris"

1er numéro du journal
en date du 15 juillet 1789
.
    Au cours de mes recherches, j’ai découvert avec grand intérêt les analyses publiées dans ce journal. Dans le numéro de la semaine du 12 au 19, on y explique bien le problème posé par le projet de transformer la caisse d’escompte en caisse nationale. Et dans le numéro suivant, le rédacteur raisonne plutôt brillamment sur le meilleur moyen de faire de bonnes lois, malgré la haine (contre les Juifs), les opinions (contre les comédiens) et les préjugés (contre les bourreaux). On y trouve même abordée la question de la légitimité de la peine de mort.

    Le créateur de ce célèbre journal, et son premier rédacteur, fut un écrivain assez obscur, nommé Tournon. Mais le journal "Les révolutions de Paris" dût son succès à son éditeur, Louis Marie Prudhomme, qui n'en était pourtant que le directeur-propriétaire, et à son principal rédacteur, le jeune et brillant Elisée Loustallot. (Tournon se brouilla assez tôt avec Prudhomme, et il quitta le journal après la publication du n° 15). Grâce au talent de Loustallot, le journal eu rapidement du succès (200.000 lecteurs dès ses début). Loustallot avait pris part à de nombreux événement révolutionnaires. Il défendait tout particulièrement les droits de l'homme et la liberté de la presse. Hélas le malheureux mourut très jeune le 19 septembre 1790, à l'âge de 28 ans.  Parmi les rédacteurs qui succédèrent à Loustallot, figurèrent entre autres, Fabre d'Églantine, Léger-Félicité Sonthonax (abolitionniste réputé), Sylvain Maréchal (Anticlérical) et Pierre-Gaspard Chaumette.


De la bonne façon de faire une bonne législation.

A titre d'exemple sur la qualité des articles de ce journal, je vous propose de lire cet extrait édifiant du numéro relatif à la semaine du 19 au 26 décembre :

Louis Marie Prudhomme

"Il y a trop de lumières répandues dans toute la France, pour que ses législateurs puissent user des fraudes utiles et pieuses des Lycurgue, des Moïse et des Numa. Ce n’est que par la simple et froide raison, par l’évidence du bien, qu’ils peuvent fonder leur ouvrage ; moyen solide, sans doute, mais qui suppose un peuple composé d’hommes également éclairés, également vertueux.

Un tel peuple n’existe point, et n’existera vraisemblablement jamais. Il faut donc faire la constitution pour le peuple puisqu’on ne peut faire le peuple pour la constitution ; doit, à l’exemple de Solon, lui proposer, non pas les meilleurs lois possibles, mais les meilleures qu’il puisse supporter.

L’esprit de législation consiste donc à distinguer les coutumes, les abus, les préjugés que l’on peut attaquer à force ouverte, de ceux qu’il faut miner sourdement. Cet esprit ne suppose pas seulement la connaissance du cœur humain ; il suppose une étude profonde du peuple qui est à constituer.

Préparer des moyens de détruire ses préjugés, et le vices qui lui sont chers, en paraissant s’y accommoder, est la seule magie législative qui soit possible et permise. La conduite et les principes des citoyens, sur lesquels tous les yeux sont fixés, développe bien vite le germe de la sagesse que contient une loi prévoyante."




mardi 15 décembre 2020

16 Décembre 1789 : Publication d'un rapport anonyme défendant l'idéologie raciste des Colons des Antilles.

 

"Les Mortels sont Egaux. Ce N'est pas la Naissance
C'est La Seule Vertu qui Fait La Différence"

Une lâche réponse à l'abbé Grégoire

    En réponse au plaidoyer contre l'esclavage publié en octobre par l’abbé Grégoire, parait ce 16 décembre 1789 un mémoire anonyme qui attaque les idées abolitionistes de l’Abbé Grégoire. Ce document de 68 pages porte en dernière page les initiales P.U.C.P.D.D.L.M. : signe de reconnaissance pour son ou ses auteurs et ceux qui partagent les idées défendues. Quant aux idées défendues dans ce document, elles constituent la compilation des préjugés racistes qui constituent l'idéologie coloniale.

L'abbé Grégoire

Un sujet de société qui fait débat.

    L'esclavage était un système odieux d'oppression et d'exploitation des hommes qui, déjà à l'époque, blessait la sensibilité de nombre de gens. Son abolition faisait même partie de certaines demandes faites au roi dans les cahiers de doléances rédigés pour les Etats GénérauxSon abolition faisant donc débat, aussi bien au travers de la publications de livres que d'articles dans les journaux. 

Article 29 du cahier de doléances du village de Champagney

    En octobre 1789, l’abbé Grégoire, curé d’Embermesnil, député aux Etats-Généraux, puis à l’Assemblée Nationale Constituante, avait publié le Mémoire en faveur des gens de couleur ou sang-mêlés de Saint-Domingue, et des autres iles françaises de l’Amérique, adressé à l’Assemblée nationale. C’était la première grande attaque de ce grand homme contre le préjugé de couleur et contre toute l’idéologie raciste développée par les Colons des Antilles. (Saint-Domingue est l'actuelle Haïti).

    L'esclavage était bien en effet une idéologie, car il constituait toute l'architecture de la société coloniale. La grande majorité des Colons ne pouvait concevoir la possibilité de son abolition. Faute de travailler leurs terres, les Colons travaillaient à justifier l'usage et la perpétuation de ce fléau aussi vieux que l'humanité.

    Certains ouvrages faisaient même montre d'une apparence de "compréhension", simulant même un semblant de pitié à l'égard du sort des esclaves et c'était presqu'à regret qu'ils défendaient malgré tout cette abomination. Comme il est difficile de remettre en question un système établi et encore plus difficile de penser contre ses propres préjugés ! Peu de gens en sont capables ! Les Révolutions sont propices à cela...

"Littérature" esclavagiste.

    J'ai trouvé un bon exemple de ce style de "littérature" avec le texte ci-dessous, extrait des pages 12 à 14 du Recueils de pièces imprimées concernant l'esclavage et la Traite des Noirs, l'île de Tobago, Saint Domingue, 1777-1789. Vous allez mieux comprendre la nature du problème.

    Il s'intitule : "Discours sur l’esclavage des Nègres, et sur l’Idée de leur Affranchissement dans les Colonies. Par un Colon de Saint Domingues."

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97892251

"Les Nègres sont esclaves, et vous demandez qu’on les affranchisse. Mais on ne peut le faire qu’en dépouillant les Colons de leurs propriétés. Je n’ai pas besoin de vous prouver, et vous savez déjà qu’elles doivent être sacrées comme toutes les autres (1). Vous croiriez-vous le droit d’enlever ses charrues à un fermier ? Eh bien, ce sont nos instruments de labourage. – Oh ! Des hommes ! Cela fait frémir ; c’est un abus révoltant qu’il faut extirper. – Citoyen indiscret ! Eh bien ! Je vous dis que la Nation assemblée pourrait seule les anéantir ces propriétés, dans le cas où il serait évident que le maintien de l’esclavage fût contraire à l’équité naturelle et aux intérêts de l’État, et que son extinction pût s’opérer sans une lésion manifeste, et sans danger pour les colons, ainsi que pour l’État lui-même.

(1) Le Dr Schwartz, dans son zèle évangélique, non seulement méconnait cette vérité, mais il prétend que l’on doit envisager les colons comme coupables d’un vrai vol, et à ce moyen étant déchus du droit de réclamer aucune indemnité. Pour être conséquent, il ne manquait plus que de demander qu’ils fussent punis comme voleurs.

Nota : Le Docteur Schwartz évoqué ici était le pseudonyme utilisé par Nicolas de Condorcet pour publier son ouvrage : « Réflexions sur l'Esclavage des Nègres » paru en 1781 (accessible en bas de page).

Quant au premier point, qui serait de satisfaire au vœu de l’humanité blessée par l’esclavage des Nègres, chacun sait, et M. l’abbé Raynal lui-même vous a appris que c’était leur état naturel en Afrique. Or maintenant, si mes lecteurs m’ont bien entendu, et s’ils veulent être conséquents, ils conviendront que les Colons ne sont ni causes, ni responsables de cette servitude qu’ils ont trouvée établie, et qui ne fait que se perpétuer dans leurs mains ; pas plus responsables, pas plus criminels qu’un Citoyen possesseur par héritage ou par acquisition d’une terre qui lui produit 40.000 livres de rente, tandis que le plus grand nombre des habitants de son village peut à peine subsister. A qui faut-il s’en prendre ? Ce serait tout au plus à l’Etat qui a permis, favorisé ou toléré ce commerce, et d’abord, dans cette supposition, à moins de renverser toute l’idée d’ordre et de justice, il faudrait qu’il commençât par rembourser la valeur des Nègres, ce qui ne serait qu’une partie du dédommagement exigible, puisque leurs bras seuls peuvent féconder nos terres. Il faudrait donc essuyer le double inconvénient de payer environ un milliard dont les intérêts seraient un accroissement énorme d’impôts pour la Nation, et d’être privé de tous les avantages que donnent les colonies."

La propriété est sacrée ! 

    Le côté sacré de la propriété, évoqué au premier paragraphe était un argument récurrent dans ce débat relatifs à l'esclavage. J’ai déjà évoqué dans un autre article comment le caractère sacré de la propriété avait empêché nombre de réformes envisagées par Louis XVI.     Selon l’abbé Véri, Louis XVI aurait un jour posé cette question à son ministre Turgot après que celui-ci lui ai fait part de la difficulté de réaliser les réformes indispensable au royaume, tout en restant dans le cadre stricte de la loi et du respect des contrats. (page 379 du journal de l'abbé Véri) :

« Parmi les différents qui arrêtent toute mutation, il y a celui de la probité qui doit respecter la foi publique des contrats. On ne peut pas nier que la résiliation d'un bail attaque cette fidélité des contrats. M. Turgot ne méconnaît pas ce cri de l'équité naturelle. Il ne désavoue pas non plus que résilier un bail sans rendre en écus sonnants les fonds que les fermiers généraux ont donnés en avance au Roi ne soit contraire au premier appel de l'équité. Il convient que remettre le remboursement de ces fonds à des termes éloignés en faisant cesser aujourd'hui leur bail, c'est une injustice très apparente. Mais, en faisant ces aveux, voici ses autres observations, que je ne crois pas inutile de mettre dans toute leur étendue.

« Faisons une supposition, m'a-t-il dit, sur un objet absolument étranger. Le Roi juge utile et juste de supprimer l'esclavage des nègres dans les colonies en remboursant leur valeur aux propriétaires. Il ne peut faire ce remboursement que dans dix ans. Faut-il attendre ces dix ans pour produire un bien si considérable que la justice réclame dès aujourd'hui et qui n'aura peut-être jamais lieu si on le laisse à l'incertitude des événements ?

Du risque à reconnaître une injustice dans une société injuste...

    Reconnaître l'injustice de l'esclavage, c'était aussi le risque de devoir reconnaître l'injustice d'autres modes d'exploitation des êtres humains, eux aussi traditionnels et anciens, découlant des injustices sociales. Quid des riches propriétaires bâtissant leurs fortunes sur la peine des pauvres gens ? Vous rendez-vous compte de l'enjeu ? 

    La propriété était si sacrée, qu'à l'instar de la soi-disant abolition des privilèges, accordée lors de la nuit du 4 août 1789 (sous l'effet de la Grande Peur) qui finalement obligeait les opprimés à racheter leur liberté afin de dédommager les privilégiés ; l'abolition de l'esclavage aurait demandé que les Colons propriétaires d'esclaves fussent eux aussi dédommagés !

Analyse du mémoire anonyme par l'historienne Florence Gauthier

    Je n'ai pu trouver ce mémoire anonyme sur le WEB. En revanche j'ai découvert cette brillante analyse sur le site Open Édition. Florence Gauthier est historienne, spécialiste du XVIIIe siècle, maître de conférences à Paris VII, auteur entre autres de "La voix paysanne dans la Révolution". Ce texte constitue le chapitre 3 de son livre :"L'aristocratie de l'épiderme - Le combat de la société des Citoyens de Couleur, 1789 - 1791."

Vous pouvez accéder à ce texte via la fenêtre ci-dessous :

Je vous conseille bien évidemment d'acheter et lire ce livre !


Une vidéo en noir et blanc sur l'esclavage.

    Au cours de mes recherches, j'ai découvert cette vidéo sur le site de la BNF. Elle dure 26 minutes. Je vous conseille vivement de la regarder. Elle est pour le moins édifiante. Vous allez probablement être choqué par ce que vous allez apprendre.


Sources :

Quelques-uns des livres évoqués :

Le journal de l'abbé Veri.


Le livre de l'abbé Grégoire.


Le livre de Condorcet.


Discours sur l'esclavage des Nègres (défense de l'esclavage)


Bibliothèque de Moreau de Saint Merry :


15 Décembre 1789 : Présentation d'une machine inventée par l'abbé de Mandres (sans vapeur)

 

Bateau à cage d'écureuil
Source

    Voici un article à ma façon, sur un abbé inconnu, mécanicien et inventeur de son état, avec une digression sur les machines à vapeur que j'ai jugée nécessaire... 😉

    Je vous ai déjà parlé des abbés révolutionnaires, distribuant des armes, brandissant le sabre devant la Bastille ou morigénant les riches dans des sermons incendiaires. Mais je ne vous ai pas encore parlé d’abbés mécaniciens inventeurs. C’est le cas de l’abbé Claude-Simon de Mandres, né à Amance en 1728, curé de Donneley, de l’Evêché de Metz. (Aujourd’hui Donnelay dans la Moselle).

    Cet abbé ingénieux consacra probablement plus de temps à la mécanique qu’à ses ouailles. Durant des années, en effet, il ne cessa jamais d’inventer, de perfectionner et de faire la publicité de ses machines. Il y consacra tant de son temps et de son argent qu’il se ruina presque et qu’il sollicita l’Assemblée nationale pour l’obtention d’une pension pour son ouvrier Joseph Girard et lui-même, eut égard à ses investissements durant tant d’années (pétition à l’Assemblée du 18 décembre 1791). Il dû aussi très souvent réclamer l’argent qui lui était dû pour les travaux accomplis par ses machines. Et il eut même à défendre la paternité de ses inventions ! Raison pour laquelle il fut l’un des membres fondateurs de la Société des inventions et découvertes, auprès de laquelle il déposa un brevet d'invention le 28 septembre 1791 pour un "levier-moteur à pédales, au moyen duquel les hommes agissaient à la fois avec le poids du corps et leur force musculaire" (une sorte de cric elliptique).

    Lors de la séance du 13 octobre 1789, six commissaires avaient été nommés pour examiner un mémoire de l’abbé de Mandres concernant une découverte « très intéressante pour les arts et très-utile pour les ports de mer et les villes de guerre. » Le président avait alors désigné Messieurs De Vialis, Bureau de Puzy, Malouët, De Phélines, De Bousmard et le marquis de Vaudreuil.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5169_t1_0415_0000_3


    Ce 15 décembre 1789, lesdits commissaires viennent rendre compte de leur mission devant l’Assemblée.

Présentation d'une machine inventée par l'abbé Demandre, lors de la séance du 15 décembre 1789

M. Bureaux de Puzy. L'Assemblée avait chargé des commissaires d'examiner une machine dont M. l'abbé Demandre est auteur. Il résulte de notre examen que ce mécanisme, très-simple et infiniment ingénieux, peut s'appliquer avec avantage aux pompes d'épuisement, aux sonnettes à battre des pieux, etc., et qu'il double les forces des hommes. M. l'abbé Demandre a aussi fait l'application de sa machine à la navigation. Des pièces très-authentiques et la notoriété publique prouvent que, dans un des endroits où le Rhin a le plus de rapidité, trente bateaux, attachés à la suite les uns des autres, et dont quatre étaient remplis de gravier, ont facilement remonté ce fleuve par le moyen de ce mécanisme, auquel huit hommes étaient employés.

M. Malouet. On a fait à Toulon l'essai de la machine de M. Demandre, et le succès a été complet.

L'Assemblée témoigne le désir de voir cette machine : M. le président annonce qu'elle sera exposée sur le bureau avant l'ouverture d'une des prochaines séances.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_4204_t1_0574_0000_4

Aimable avertissement 😊

    Vous trouverez en bas de cet article trois fenêtre donnant accès à des documents rédigés par l’abbé de Mandres. Mais auparavant, comme évoqué en introduction, je souhaiterais évoquer le développement des machines à vapeur au 18ème siècle. Vous comprendrez ainsi pourquoi les inventions de l'abbé étaient en passe de devenir anachroniques.

 

Projet de barge à curer les ports

La fin d’une époque.

    J’ai eu beaucoup de mal à trouver des informations sur l’abbé de Mandres (l’orthographe du PV de l’Assemblée m’ayant lancé de plus sur des fausses pistes). J’ai éprouvé encore plus de difficultés à comprendre en quoi consistait ses inventions. En 1785 Claude-Simon de Mandres avait effectivement obtenu un privilège du roi pour la construction d'un bateau de son invention, dit « levier-moteur » et deux ans plus tard (29 et 3 décembre 1787) il avait fait ses premières expériences officielles à Strasbourg. C'était un bateau constitué d’une plate-forme sur laquelle était placé un cabestan et une roue centrale mue par vingt hommes, qui mettaient en mouvement deux roues avec des pagaies placées de chaque côté du bateau.

    Mais ce que j’ai surtout compris, c’est que les inventions de l’abbé n’étaient que des améliorations d’antiques systèmes utilisant la force humaine. Celles-ci étaient probablement astucieuses, mais elles ne constituaient pas un réel progrès. C’était un peu comme si un brave gars s’évertuait à perfectionner la taille des silex, pendant que son voisin découvrait la fabrication des haches en bronze.

    Le temps n’était plus à perfectionner les sonnettes à battre des pieux par des moyens humains astucieux, mais à découvrir une nouvelle force motrice, autre qu’animale !

Fiche technique en pdf

Des roues et de la vapeur !

Roues à aubes

    Sans vouloir faire du tort à ce brave abbé De Mandres, son invention n’était probablement pas très originale. Beaucoup de tentatives avaient été faites depuis le début du 18ème siècle, pour mouvoir les bateaux "autrement", avec des roues à palmes, pagaies ou aubes, mais aussi avec des moteurs à vapeurs que l’on appelait des pompes à feu.

    L’application des roues à aubes à la navigation, était d’ailleurs loin de constituer une idée nouvelle. L’idée de réunir sur une roue un certain nombre de rames, afin d’obtenir un emploi plus commode de la force motrice, remontait à l’antiquité. Les roues à palettes étaient au nombre des machines très anciennes connues de l’architecte romain Vitruve mais dont il ne connaissait d’ailleurs pas les inventeurs. Il existe des médailles romaines qui représentent des navires de guerre (liburnes) armés de trois paires de roues, mues par des bœufs et ceux-ci sont également mentionné dans le De rebus bellicis, un traité de guerre romain. Des navires mus par des roues à aubes tournées par des bœufs, auraient transporté les Romains en Sicile, pendant la première guerre punique !

De rebus bellicis

    Un écrivain militaire du XVe siècle, Robert Valturius, fit aussi mention de la substitution des roues à aubes aux rames ordinaires. Il donna, dans son ouvrage, les dessins, grossièrement exécutés, de deux bateaux munis de petites roues en forme d’étoiles, et composées de l’assemblage de quatre rayons placés en croix, réunis à un centre commun. Voir ci-dessous :

Lien vers le livre joliment illustré

    Un mécanicien, nommé Duquet, avait fait à Marseille et au Havre, de 1687 à 1693, un grand nombre d’essais avec des rames tournantes, composées chacune de quatre rames courtes et larges, opposées deux à deux et placées en croix. Ces expériences avaient produit en France beaucoup d’impression, et cette idée ne tarda pas à y être poursuivie.

    En 1732, le comte de Saxe présenta à l’Académie des sciences de Paris, le plan très-bien conçu, d’un bateau remorqueur ayant de chaque côté une roue à aubes, que faisait tourner un manège de quatre chevaux. « Ces roues, dit le comte de Saxe, faisant le même effet que les rames perpendiculaires, il s’ensuivra que la machine remontera contre un courant, et tirera après elle le bateau proposé. »

Et vive la vapeur !

    La vapeur non plus, ce n’était pas une technique nouvelle, puisqu'au premier siècle après Jésus Christ, le génial Héron d'Alexandrie avait inventé l'éolipyle, une chaudière hermétiquement close d'où partaient verticalement deux tubes en coude. L'extrémité de ceux-ci portait une sphère creuse, munie de deux tuyères recourbées et qui pouvait pivoter librement sur son axe horizontal. Cette ingénieuse turbine pouvait tourner sur elle-même à une vitesse de 1500 tours par minutes. Il aurait suffi de relier tout cela à une courroie et à un arbre d'entraînement puis d’inventer le piston, pour débuter une ère industrielle ! Mais à quoi bon dans cette époque où la main d’œuvre fournie par les esclaves coûtait si peu ?!

l'éolipyle d'Héron

Le siècle de la vapeur !

    Il fallut donc attendre le 18ème siècle, le siècle des inventions, pour que la vapeur puisse entrer en action ! Les premières applications importantes furent celles des pompes à vapeur destinées au relevage des eaux, comme la pompe à feu de Chaillot à Paris, construite par les frères Périer (Jacques-Constantin Périer et Auguste-Charles Périer), qui fonderont plus tard la Compagnie des eaux de Paris (qui perdure sous le nom actuel de Véolia).

Pompe à feu de Chaillot en 1781

Navires à vapeur

    Concernant la navigation, le petit bateau que Denis Papin avait construit en 1707, pour gagner par la Weser le port de Brême puis l’Angleterre, était déjà propulsé à l’aide de rames tournantes. Mais les historiens ne sont pas certains que son bateau ait déjà été équipé d’une machine à vapeur. Peut-être ne faisait-il simplement qu’emporter les plans et les pièces détachées d’une invention qu’il se proposait de mettre au point à la Royal Society de Londres. De toute façon, les bateliers de la Weser détruisirent son bateau et cela mis fin à ses recherches sur la propulsion par la force expansive de la vapeur d’eau.

Les bateliers détruisant le bateau de Denis Papin

    C’est à la suite du travail du comte de Saxe évoqué plus haut, que l’Académie des sciences avait été amenée à mettre au concours en 1753 la question "des moyens de suppléer à l’action du vent pour la marche des vaisseaux". C’était le physicien suisse Daniel Bernoulli qui avait remporté le prix en démontrant, hélas pour la vapeur, que la seule machine à vapeur connue à l’époque, celle de Newcomen, était incapable de faire avancer un navire. Mais tout n'allait pas s'arrêter là !

Daniel Bernoulli

    Ce fut le génial écossais James Watt, vers 1770, qui fit réellement progresser la technique de la machine à vapeur, avec sa machine à simple effet, qui eut pour résultat de diminuer de trois quarts la dépense du combustible, d’augmenter l’intensité de l’action motrice et de diminuer les dimensions de la machine.

James Watt
    
Machine à vapeur de Boulton et Watt en 1784


Jouffroy d'Abbans, le marquis précurseur.

Jouffroy d'Abbans

    
C’est le Français Claude François Dorothée, marquis de Jouffroy d’Abbans qui fit voguer les premiers vrais navires à vapeur !

    Il se rendit célèbre, une première fois en 1776 en faisant naviguer sur le Bassin de Gondé (Doubs) son bateau à vapeur "Le palmipède" qui actionnait des rames en formes de palmes (pas assez puissant cependant pour naviguer sur une rivière), puis une seconde fois le 15 juillet 1783 à Lyon, en faisant remonter la Saône par son "Pyroscaphe" de 46 mètres de long, durant 15 minutes, entre la cathédrale Saint-Jean et l’Ile-Barbe, en présence de dix mille spectateurs qui se pressaient sur les quais, et sous les yeux des membres de l’Académie de Lyon.

Le pyroscaphe remontant la Saône le 15 juillet 1783.

    Un procès-verbal de l’événement et un acte de notoriété, furent dressés par les soins de l’académie de Lyon. Mais pour obtenir un brevet, son bateau devait naviguer à Paris, devant les commissaires de l'Académie des sciences. Les Lyonnais continuent de dire qu’il fut victime de la jalousie des Parisiens, mais dans les faits, Jouffroy eut de nombreux déboires financiers et lorsqu’arriva la Révolution, il choisit d’interrompre ses travaux et de partir en exil. Il ne revint en France qu'en 1795, mais ne reprit ses travaux qu’en 1816.

Maquette du pyroscaphe, au musée de la Marine

    L’Histoire a surtout retenu le nom de l’ingénieur américain Robert Fulton qui fit voguer sur la Seine le 9 août 1803, le soi-disant premier bateau à vapeur, mais lui-même aurait déclaré : « Si la gloire ne devait revenir qu’à un seul homme, elle reviendrait à l’auteur des expériences menées sur la Saône à Lyon en 1783 »


Sources : J'ai trouvé nombre des infos ci-dessus dans le livre "Les Merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes"

Revenons vers notre abbé de Mambres

    Ma digression sur les machines à vapeur nous a fait perdre de vue les initiatives de l’abbé de Mambres. Voici comme promis quelques-uns de ses écrits. Dommage cependant qu’il n’y ait pas de plans de ses inventions !

1789 Mémoire à Nosseigneurs,

Nos seigneurs de l'Assemblée nationale, à Versailles :

1790, Précis des pièces de l'abbé de Mandres, relativement à sa découverte, et aux avantages qui en résultent :

18 Décembre 1791, Pétition à l’Assemblée nationale par Claude-Simon de Mandres :