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District de Saint-Jacques du Haut Pas |
Je vous offre aujourd'hui un petit bijou. Il ne s'agit rien
moins que des reproductions des drapeaux des 60 districts de la Garde Nationale
en 1789.
Ces petites merveilles sont regroupées et présentées avec érudition en
deux cahiers édités en 1947 par les Editions Militaires Illustrées.
Cette édition originale a été tiré à 1500 exemplaires, dont 900 sur vélin pur fil Crèvecœur des Papeteries du Marais.
Regardez ci-dessous ce que cela donne :
Le premier
cahier présente l'histoire de ces drapeaux rédigée par le Commandant Henry Lachouque. Le second cahier regroupe les planches dessinées par Gérard Blanckaert. Je dois dire que ces dessins sont d'une qualité peu commune, que mes photos ne peuvent pas rendre complètement. En effet, les parties
dorées ou argentées des drapeaux brillent vraiment comme de l'or ou de l'argent
!
Des drapeaux disparus dans les limbes du temps
Il ne reste absolument plus rien de ces prestigieux
drapeaux, car ils furent brûlés conformément à la Loi du 22 avril 1792, l'an
4e. de la Liberté, "relative au brûlement des anciens Drapeaux,
Étendards & Guidons".
Cette loi avait été rendue nécessaire par suite des difficultés qui avaient été constatées pour l'application du décret du 30 juin 1791, pour un nouveau modèle de drapeau. A partir de ce décret, chaque
régiment à deux bataillons, possèderait dorénavant deux drapeaux différents.
Sur le premier, on trouverait les trois couleurs nationales mais on
conserverait la croix blanche avec mention du numéro du régiment. Sur le
second, figureraient la croix blanche, le numéro du corps et différentes
couleurs. Pour tous les drapeaux, la devise, qui existait déjà sous l'Ancien
Régime, se généraliserait et s'intitulerait : "discipline, obéissance à la loi".
L'auteur de la préface, Monsieur Rosset, Syndic du Conseil
de Paris en 1947, nous dit se perdre en conjectures sur les motifs qui ont pu
animer ce qu'il appelle "le zèle iconoclaste des hommes de 1792" et il fait
de cet acte l'un des épisodes "caractéristiques et des plus significatifs
du drame de la Révolution naissante". Il semble donc oublier que cette loi
avait été signée de la main du roi Louis XVI ! D'un point de vue militaire, cette loi homogénéisait les uniformes et les drapeaux, mettant fin ainsi aux disparités chatoyantes qui contribuaient à semer la confusion sur les champs de bataille, quand dans la mêlé on se savait plus qui était qui. En revanche, je trouve intéressant qu'il qualifie les événements de 1792, de révolution naissante, ce qu'ils furent effectivement.
Le ton est donné, si j'ose dire.
Monsieur Rosset n'apprécie guère cette révolution populaire de 1792. Il remercie d'autant plus sincèrement le commandant Henry Lachouque pour cet ouvrage, que celui-ci partage avec lui les mêmes a priori et préjugés. Il le remercie "au nom du
Conseil municipal de Paris, toujours attentif, quels que soient les hommes ou
les partis qui passent à l'Hôtel de Ville".
En effet, on comprend très vite ce que le Commandant pense du peuple de Paris ; ces gens qu'à la cour du roi on surnomme les grenouilles, rappelle-t-il. (Lisez mon article à ce sujet).
Les Parisiens de 1789 en révolte sont qualifiés de : pègre, voyous, ivrognes, valetaille, guenilleux,
bonnets gras, motionnaires, crapules, chienlit, greluchons, clercs de basoche,
têtes fêlées, catins, souteneurs, galériens évadés, vagabonds sortis de leurs tanières
et bien sûr, brigands. (Lire mon article "Peuple ou Populace").
Il résume sa pensée avec une citation tirée d'une comédie de
Victorien Sardou (Ragagas) :
"L'émeute, c'est quand le populaire est vaincu… tous
des canailles. La révolution, c'est quand il est le plus fort… tous des
héros."
Un mot sur les uniformes
Seul un bourgeois pouvait se payer la tenue
nécessaire pour entrer dans la Garde nationale. Un uniforme coûtait 117 Livres,
auxquelles il fallait ajouter 66 Livres pour l'équipement suivant :
- 1 chemise de toile,
- 2 cols en basin blanc
- 1 col noir
- 1 mouchoir en coton
- 1 paire de bas
- 3 paires de guêtres
- 1 cocarde
- 2 paires de souliers de cuir à boucles
- 1 tire-bouton
- 1 épinglette
- 1 havresac en peau de veau
- 1 boucle de col
- 1 tournevis
- 1 sac de toile.
Pour mémoire, 1 Livre valait 20 sous (ou
sols) et 20 sous était le montant du salaire journalier d'un ouvrier
parisien (un artisan pouvait gagner jusqu'à 50 sous). L'uniforme et son équipement valait donc 243 Livres, soit
243 journées de travail d'un ouvrier.
(Je ne vous cache pas que j'essaie de trouver d'autres sources, tellement cela me semble exorbitant !)
Accès aux galeries !
Je suis sûr que certains s'impatientent et veulent voir les gravures ! Il vous suffit de cliquer sur les images ci-dessous pour accéder aux albums. Vous constaterez, qu'à la fin de la première, il y a quelques variantes, car des sources donnaient des versions différentes :
Je continue... 😉
Ce que nous apprend la lecture de ce bel
ouvrage.
1/ Concernant le commandant Lachouque, nous sommes faces à
un personnage dont les préjugés vis-à-vis de la Révolution étaient courants à
l'époque dans le milieu militaire (et le sont probablement encore, hélas, et
pas seulement dans l'armée).
Paradoxalement, ce militaire de carrière, au service de la République, n'aime
guère la République et il méprise le peuple. Il est nostalgique de l'Ancien régime,
où selon lui tous les Français étaient heureux, et seul le 1er Empire auquel
il consacrera de nombreux ouvrages, trouve grâce à ses yeux.
Si le commandant Lachouque s'intéresse
autant aux magnifiques drapeaux des 60 districts de Paris, c'est parce que ce sont
encore des drapeaux de l'ancien régime, les tout derniers. Leur iconographie
mêle quelques nouveaux symboles (Liberté, par exemple), aux anciens qui demeurent ceux de l'héraldique
monarchique et religieuse de l'Ancien régime..
Quoi qu'il en soit, le récit des événements fait par le
commandant Lachouque, n'en est pas moins d'un grand intérêt à lire. Ses
préjugés, inhérents à chaque homme, ne l'empêchent pas de nous apprendre nombre
de détails intéressants. Mais il est vraiment nécessaire de les croiser
avec d'autres sources.
Que s'est-il d'ailleurs réellement passé durant ces
journées chaudes de Juillet 89 ? Il cite Lafayette qui aurait répondu à cette question le
24 Juillet 1789 : "On ne le sait pas on ne le saura jamais, car une main
invisible dirige la populace".
Qu'importe si d'autres ont vu parfois sortir cette main du
Palais Royal ou de quelque autre endroit encore plus embarrassant !?
2/ D'un point de vue historique, on comprend ce que l'on peut
déjà pu deviner à la lecture de mes articles concernant les journées
révolutionnaires de Juillet 1789 ; à savoir, que la garde bourgeoise de 48.000
hommes créée à l'Hôtel de Ville de Paris le 13 Juillet 1789 à midi, devenue Garde nationale le 15 Juillet, avait plus
pour objectif de protéger la Bourgeoisie du peuple, que le peuple de la dizaine de
régiments qui menaçaient Paris ! (1)
(1) Royal Dragons à Paris, Royal Allemand à la Muette, Royal
Cravatte à Charenton, Régiment Suisse de Reyrac à Sèvres, Régiment suisse de
Salis-Samade à Issy, Régiment de Provence et de Vintimille à Saint-Denis,
Berchémy-Hussards à l'Ecole Militaire et Régiments de Bouillon et de Nassau à
Versailles, avec les Hussards de Lauzun.
En effet, c'est bien la peur du peuple qui a motivé les
Electeurs de Paris à former une milice bourgeoise. Comme le précise Lachouque, "ils
sont les "Elus du peuple" depuis le dimanche 26 avril dernier". Oui,
mais de quel peuple ? Probablement pas de celui que la faim accable.
Il précise : "Dans les soixante districts de la
capitale, "le Roi ayant reconnu leur pouvoir électif", ils ont choisi
"librement les députés du Tiers aux Etats Généraux", après quoi ces
électeurs auraient dû se séparer, mais, "soit pour donner leurs
instructions à leurs députés, soit par ce besoin de se réunir et de s'agiter,
qui est toujours dans le cœur des hommes", ils ont continué à tenir
séances à l'archevêché.
Ces grands électeurs du Tiers Etat prendront bientôt le nom (inspiré
du mot anglais "Commons") de Commune de Paris. Ils éliront par acclamation
Bailly, comme Maire de Paris et ils nommeront Lafayette Commandant de la Garde
nationale. Le peuple n'aura pas vraiment à donner son avis. (Voir ma chronique
des journées de juillet et août 1789).
Du côté de l'Assemblée nationale constituante, les députés
n'auront pour seul désir que de faire la paix avec ce roi qu'ils aiment tant et
de mettre fin aux troubles qui les ont pourtant bien aidés à prendre le
pouvoir. La Garde nationale leur servira en quelque sorte de bras armé.
Celle-ci sera en effet plus souvent utilisée pour réprimer les émeutes que pour
tourmenter les ennemis de la Révolution.
Plus le temps passera, plus les Parisiens se défieront de
cette Garde nationale commandée par le tout-puissant général Lafayette.
Rappelons que le 17 Juillet 1791, la Garde nationale
commandée par Lafayette fera feu (50 morts), sur une délégation venue déposer
au Champs de Mars une pétition demandant la destitution du roi ; roi qui le
mois précédent s'était enfuis, avait été rattrapé à Varennes, puis avait été
pardonné et avait même vu sa pension augmentée !
Le 29 septembre 1791, l'Assemblée constituante votera une
loi sur la Garde nationale, approuvée par le roi le 14 octobre 1791. Cette loi
s'inscrira dans la logique de la nouvelle constitution censitaire du 3
Septembre 1791, divisant les citoyens en différentes classes, les citoyens passifs
n'ayant pas le droit de vote, et les actifs ayant le droit de vote, mais
eux-mêmes divisés en 3 catégories dont seuls les citoyens actifs pouvant
justifier d’une imposition directe d’au moins un marc d’argent, soit cinquante
livres (c'était beaucoup) et posséder une propriété foncière, pouvaient
se faire élire. Ne seront tolérés dans la Garde nationale que les citoyens
passifs qui auront servi sans interruption depuis le début de la Révolution et
qui seront jugés « bien intentionnés ». Hormis ces exceptions, seuls
les citoyens actifs pourront être incorporés, c'est-à-dire, la bourgeoisie. (Voir mon article sur le Marc d'argent).
1792
C'est en 1792 que la Garde nationale prendra progressivement
partie pour le peuple, du fait de l'aggravation de la situation, suite à la
déclaration de guerre à l'Autriche du 20 Avril ; guerre souhaitée par les Girondins et par Louis XVI,
mais pas pour les mêmes raisons (les uns souhaitant la victoire et l'autre
souhaitant la défaite).
En Août 1792, les armées prussiennes et autrichiennes marcheront
sur Paris sans pouvoir être arrêtées, conduite par le Maréchal Brunswick, qui
dans le manifeste qu'il rédigera le 25 Juillet, menacera de livrer la ville de
Paris à une exécution militaire et à une subversion totale.
Devant un si grand péril 4000 gardes nationaux seront
réquisitionnés pour défendre la frontière et rejoindre l'armée du Rhin,
commandée par le Général Alexis Magallon de la Morlière.
Le 11 juillet 1792, face aux défaites militaires et aux
menaces d’invasion (des Prussiens du duc de Brunswick et des émigrés du prince
de Condé), l’assemblée législative déclarera "la Patrie en danger" et
la levée de 50 000 volontaires parmi les gardes nationales.
Le 30 Juillet 1792, un décret prendra des mesures contre les
citoyens actifs qui se désengagent de la Garde nationale ou se font remplacer.
Le 1er Août 1792, un décret ouvrira l'accès à la Garde
nationale aux citoyens passifs.
Le 10 Août 1792, devant la menace ennemie, les Parisiens s'insurgeront et
chasseront le roi de son Palais des Tuileries ; une insurrection à laquelle prendra
part la Garde Nationale.
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10 Août 1792, prise des Tuileries |
Suite à l'insurrection du 10 Août 1792, les décrets des 11 et 12 août 1792 modifieront
les règles et le corps électoral. "La distinction des Français entre
citoyens actifs et non-actifs sera supprimée, et pour y être admis, il suffira
d’être Français, âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant de son
revenu et du produit de son travail, et n’étant pas en état de
domesticité."
La loi du 19-21 Août 1792 légalisera la réduction des
soixante bataillons correspondants aux soixante districts parisiens, à
quarante-huit ; ce qui correspondait au nombre des sections de la Commune.
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Septembre 1792, Pont Neuf de Paris, départ de la Garde nationale vers le front. Tableau de Léon Cogniet |
À la fin de l’été, la situation militaire deviendra dramatique. Longwy capitulera le 23 août devant les Prussiens, Verdun se rendra. Le 26 août, l’assemblée approuvera alors, sur la proposition de Danton, une nouvelle levée de 30 000 hommes.
Le 21 Septembre 1792, lendemain de la victoire de Valmy, ou
la progression des armées étrangères sera enfin stoppée, la France deviendra
une république.
En résumé, on avait besoin d'armer le peuple pour défendre
la France, raison pour laquelle la Garde nationale s'ouvrit à tous les
citoyens...
La Garde nationale sera intégrée sous le commandement militaire de Paris en 1795.
La Garde nationale aura une dernière fois son heure de gloire à Paris en 1871 lors de la Commune de Paris, quand elle sera la dernière à s'opposer aux troupes prussiennes, pour finir par se faire massacrer par les troupes versaillaises de Thiers (Plutôt le Kaiser que la Commune!). Mais ça, c'est une autre histoire...
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Le Peuple et sa Garde nationale en 1871. |
Merci pour votre lecture,
Bertrand Tièche, alias le Citoyen Basset !
Post Scriptum :
Je vous conseille la lecture de cet article de Florence Devenne
publié en 1990 dans lequel j'ai trouvé des infos intéressantes :
"La garde
Nationale ; création et évolution (1789-août 1792)".