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mercredi 26 avril 2023

Nuit du 25 au 26 Avril 1792, naissance de La Marseillaise.

Rouget de Lisle interprétant le Chant de l'Armée du Rhin.
Tableau d'Isidore Pils de 1849.
 

Préambule

    Dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, le capitaine du génie Claude-Joseph Rouget de Lisle, né à Lons-le-Saunier dans le Jura en 1760, compose un chant guerrier, "le Chant de l’Armée du Rhin", qui deviendra peu après "La Marseillaise", l'hymne national des Français.

 

Une goutte de sociologie : Qu'est-ce qu'une nation ? 

    Ne nous y trompons pas, la capacité d’étendre le « nous » au-delà de la horde primitive, familiale puis tribale, a été un progrès pour les descendants de primates que nous sommes. Nos cousins chimpanzés ne sont pas capable de penser leur groupe au-delà de 100 à 150 individus. Tout nouvel arrivant devient un « autre », un « étranger » et il est chassé ou tué. Les êtres humains ont été capables de former des groupes sociaux de plusieurs milliers d’individus puis de plusieurs millions, grâce à des "réalités imaginés" telles que les royaumes, les religions ou les nations.(Cet article vous permettra de mieux comprendre la référence aux chimpanzés.)

    Voilà donc ce qu’est une nation : un groupe important d’êtres humains partageant un minimum de valeurs communes et vivant sous les mêmes lois, dans un espace donné (les limitations de l’espace, souvent arbitraires, permettant principalement de savoir à qui payer les impôts).

    Les nations disposent toutes de certains outils conceptuels aidant à créer du lien, comme les histoires nationales (parfois arrangées en légendes dorées), les drapeaux et bien sûr les hymnes nationaux.

    Ça ne devrait être que cela une nation, mais nos cerveaux de primates, même évolués, sont toujours soumis à certains comportements de domination et encore beaucoup ont du mal à considérer les membres d’autres nations autrement que comme des « autres », des « étrangers »...

    Plus une société est ouverte sur les autres, plus elle progresse. Comme l’a si bien expliqué le sociologue Karl Popper, les Grecs ont été capables de penser la démocratie, grâce à leur ouverture sur le monde résultant de leur expansion commerciale. Les sociétés fermées sont condamnées à l’immobilisme, voire à la régression.

    L’étape suivante sera de penser l’humanité dans sa globalité. Certains y arrivent déjà et se moquent alors parfois des drapeaux et des hymnes nationaux. Mais soyons raisonnables, la civilisation mondiale n’est pas pour demain, alors considérons avec lucidité et bienveillance ces modestes symboles d'unification que sont les drapeaux et les hymnes.

    Après ces quelques précisions, découvrons quelle "nouvelle nation" a donné naissance en 1792 à la « La Marseillaise », l’hymne national des Français. 😉


 

La nouvelle nation française de 1792.

    J'ai pensé qu'il était nécessaire de faire le petit rappel précédent afin que vous puissiez mieux percevoir le côté "nouveau" de La Marseillaise. Car La Marseillaise a elle aussi été victime du révisionnisme historique dont a été victime la Révolution française. Elle a parfois été injustement associée à une forme de nationalisme (ceux qui auraient dû la défendre l'ayant parfois abandonnée à des ennemis de la République) et le sens de ses paroles à été souvent détourné par des gens qui volontairement ou pas, oubliaient le contexte dans lequel elle avait été écrite. 

    Le nationalisme, dans sa forme la plus négative, est une invention du 19ème siècle, pas de la Révolution française, fraternelle et universaliste. L’historien Jean-Paul Bertaud, dans son livre « Valmy, la démocratie en arme » a très bien décrit ce qu’était la nation en 1792, quand la Marseillaise fut créée par Rouget de Lisle :

« En 1792, la Nation est, pour ceux qui y sont attachés, la communauté des hommes libres et égaux, vivant sous des lois qu’ils se sont donnés par l’intermédiaire de leurs députés, de « leurs mandataires ». L’étranger qui vit, travaille et accepte les lois françaises est reconnu comme Français. »

 

    Voici à présent comment est née La Marseillaise et comment elle est devenue l’hymne national de la France.

 

Naissance du Chant de l'Armée du Rhin (qui deviendra la Marseillaise)

    Le 20 avril 1792, l'Assemblée législative à dominance Girondine, a déclaré la guerre au "roi de Bohême et de Hongrie", c'est-à-dire à l'empire d'Autriche, auquel s'alliera en juillet le royaume de Prusse. Louis XVI a approuvé cette guerre car il souhaite une défaite des armées française qui le rétablira sur son trône et nombre de députés pensent que cette guerre sera une occasion de renflouer les caisses vides de l'état (et peut-être leurs poches).

    25 avril 1792, le maire de Strasbourg (officiellement « prêteur royal »), le baron Philippe-Frédéric de Dietrich, lassé d’entendre chantés à tue tête les « ça ira, ça ira ! », et informé des talents de compositeurs du capitaine Claude-Joseph Rouget de Lisle stationné en ville avec son régiment du génie depuis un an, demande à celui-ci d’écrire un chant patriotique. Rouget veut se dérober, mais il cède au maire et aux officiers qui insistent.

Baron Philippe Frédéric Dietrich

    De retour chez lui, Rouget de Lisle se saisit de son son violon et en tire quelques arpèges tandis que les propos échangés la veille lui inspirent les premiers couplets. Il travaille ainsi une bonne partie de la nuit. 

    Le lendemain 26 avril, dès l’aube, il se rend chez le maire, qui, surpris de tant de rapidité, découvre le chant et l’apprécie. Le Baron convoque alors les officiers présents la veille et d’une voix forte de ténor, accompagné au clavecin par son épouse Louise, il commence à chanter : "Allons enfants de la patrie" à la grande satisfaction de tous les présents. C’est cette scène qui est représentée sur le tableau peint en 1849 par Isidore Pils. Le chant est alors baptisé « Chant de l’Armée du Rhin », armée dans laquelle sert le capitaine Rouget de Lisle.

Claude Joseph Rouget de Lisle

    Le Chant de l'Armée du Rhin sera exécuté publiquement sur la place d’Armes de Strasbourg le 29 avril, en présence de huit bataillons alignés pour la revue de départ. Les soldats présents seront galvanisés par ce formidable chant guerrier. 

Place d'Armes de Strasbourg (en 1830)

    Il sera de nouveau exécuté le 14 juillet 1792 (second anniversaire de la fête de la Fédération) au camp de Hoensingue. Il se diffusera alors rapidement en Alsace sous forme manuscrite ou imprimée, avant d’être repris par de nombreux éditeurs parisiens.Très vite, il sera connu de Paris à Marseille ; Marseille où le régiment de fédérés en partance pour la capitale l’adoptera. Ceux-ci l’entonneront lors de la prise des Tuileries à laquelle ils participeront aux côtés des Sans-culottes parisiens le 10 août 1792. Il prendra alors le nom de « Marseillaise ».

Prise du Palais des Tuileries le 10 août 1792

   Contrairement à ce qui est écrit sur de nombreuses sources officielles, la Marseillaise ne sera pas décrétée « chant national » par le Décret du 26 messidor an III (14 juillet 1795), mais, avec d’autres chants civiques « qui ont contribué au succès de la Révolution » le décret impose qu’elle soit exécutée par les corps de musique des gardes nationales et des troupes de ligne ; le Comité militaire étant également chargé de les faire exécuter chaque jour à la garde montante du Palais national.

    Interdite sous l'Empire et la Restauration, la Marseillaise fut remise à l'honneur lors de la Révolution de 1830. Hector Berlioz en élabora alors une orchestration qu'il dédia à Rouget de Lisle. Le roi Louis Philippe lui préféra un autre hymne plus modéré, la Parisienne.

    C’est la IIIe République qui choisira la Marseillaise en 1879 comme hymne national, sans définir d’harmonisation d’officielle pour les orchestres et fanfares. Le ministère de la guerre se chargera en 1887, d’établir une version de références pour éviter la cacophonie.

    En septembre 1944, une circulaire du ministère de l'Éducation nationale préconisera de faire chanter la Marseillaise dans les écoles pour « célébrer notre libération et nos martyrs ». Son caractère d'hymne national sera réaffirmé dans l’article 2 des constitutions de 1946 et de 1958.

    Il existe tant de version ! J'ai choisi presque au hasard cette version, celle d'Hector Berlioz.

 

    Je vous propose également deux extraits de films :

Honneur aux anciens, un extrait du film de Jean Renoir "La Marseillaise" sorti en 1938 :

   Un extrait du film La Révolution française réalisé par Robert Enrico pour le bicentenaire de la Révolution en 1989. On y découvre les volontaires de 1792 montant au front et chantant La Marseillaise :



Souhaitez-vous en savoir encore un peu plus ?

    Une fois n'est pas coutume, je vous propose ci-dessous un beau texte de Christian Marcadet qui a rédigé avec beaucoup d'érudition un livret accompagnant un coffret de 3 CD de chansons de la Révolution française produit par EPM Musique. Vous pouvez vous procurer ledit coffret en cliquant sur l'image ci-dessous : 


 Voici le texte de François Marcadet sur La Marseillaise :
(J'espère qu'il ne m'en voudra pas. Je lui fait de la pub.)

Le chant emblématique

Initialement dénommée Chant de guerre pour l’Armée du Rhin, la Marseillaise est sans doute la meilleure illustration du pouvoir symbolique des chansons de la Révolution et des polémiques suscitées. Depuis deux siècles, l’hymne national français est périodiquement l’objet d’accusations qui reposent sur une argumentation sortie du contexte de l’époque. Rappelons quelques faits : oui, la Marseillaise est bien un chant guerrier, qui a été écrit par un militaire, poète à ses heures, en une seule nuit, quand une situation d’urgence l’exigeait. A cette heure, en avril 1792, la Révolution est aux abois, attaquée de toutes parts : de l’intérieur par des factions réactionnaires et par des royalistes qui souhaitent le retour à l’Ancien régime, mais surtout attaquée de l’extérieur quand la Prusse et l’Autriche menacent de franchir les frontières pour venir au secours de la royauté menacée. Six mois plus tard, la victoire inattendue de Valmy viendra mettre un frein aux ardeurs des monarchies européennes liguées contre la Révolution française. Oui, la Marseillaise est un chant national – et non nationaliste -, dans la mesure où pour les révolutionnaires, la nation c’est le peuple et non des personnes investies de droit divin ou des héros providentiels. Et, en dépit de quelques formulations malheureuses immergées dans un texte de circonstance, il convient de préciser que la Marseillaise est très vite devenue un chant universel, qui exalte les valeurs nouvelles de liberté, d’égalité et de fraternité, qu’aucune nation n’avait revendiquées comme telles jusqu’à ces journées mémorables de 1789.

Désormais, c’est le peuple de France, celui des roturiers au sang impur, qui va verser son sang pour défendre la nation. Et les ennemis de la France, ce sont alors tous les ennemis de la liberté et des idéaux républicains, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur. Plus qu’un territoire, qui résulte des aléas de l’histoire, ce sont des valeurs, toute une philosophie de l’humanité qui est menacée et c’est cette mission émancipatrice que ce chant exalte dans ses couplets.

Certaines modifications sont intervenues depuis ce jour où elle a été chantée pour la première fois dans le salon du maire de Strasbourg : un « marchons » collectif à remplacé le comminatoire « marchez » et, moins heureusement, « féroces (soldats) » a été substitué à « farouches », puis on lui a vite adjoint un 7ème couplet à la paternité disputée (celui dit « des enfants » ; « Nous entrerons dans la carrière... »), mais c’est surtout le traitement musical et l’harmonisation de Gossec qui lui ont donné sa forme définitive, entraînante et glorieuse.

On compte plus d’une centaine de parodies connues de la Marseillaise (combien oubliées?), en Français et dans les langues régionales, sans compter les nombreuses adaptations faites à l’étranger. Les parodies et autres contre-Marseillaises ou chansons qui commentent La Marseillaise ou la citent, toutes d’une certaine façon lui rendent hommage et toujours subsiste en arrière plan la petite musique de la Révolution. Combattue et bâillonnée souvent, reniées ou accaparée parfois, dans un objectif patriotard ou électoraliste, victime de l’oublie à certaines périodes, toujours elle renaît aussitôt que la patrie est en danger. Ainsi, lors des journées de Juillet 1830, lors des heures glorieuses de la Commune, aux jours sombres de l’occupation en France de 1940 à 1944, et tout récemment quand elle est reprise et réactivée par les Français après les attentats qui ont endeuillé la France en 2015 et 2016.

C’est encore elle qui sert d’hymne officiel russe dans les premiers temps de la Révolution bolchevique, d’hymne de substitution au tout début de la Seconde République espagnole en 1931, qui est chantée dans les écoles élémentaires de nombreux pays comme le Brésil et la Chine, qui est jouée dans le Chili socialiste de Salvador Allende, avant le coup d’état de Pinochet, et c’est elle encore qui est brandie place Tian’anmen à Pékin, en 1989. Ce formidable engouement, qui traverse les époques et les frontières, n’est possible que parce que La Marseillaise est devenue le chant symbolique de la liberté, de la fraternité et de l’émancipation des peuples.

« (…) Français ! En guerriers magnanimes

Portez ou retenez vos coups,

Épargnez ces tristes victimes

A regret s’armant contre nous…

Liberté, liberté chérie

Combats avec tes défenseurs... »

 

 

samedi 28 août 2021

Destin historique d'une chanson de poissarde


Chanson "poissarde"

    Au XVIIIème siècle certains airs de musique devenus très populaires pouvaient servir à plusieurs chansons aux paroles fort différentes. C'est le cas de cet air que je vous présente aujourd'hui pour inaugurer ma nouvelle rubrique sur la Musique sous la Révolution.

    Vous allez commencer par découvrir cette chanson "poissarde", populaire sous les règnes de Louis XV et Louis XVI. Poissarde parce que probablement chantée du côté des Halles de Paris par des poissonnières réputées pour leur langage cru, les "Poissardes". 

    Elle s'intitule :"Dans la rue Chiffonnière"

    Attention, les paroles sont explicites, comme on dit aujourd'hui. Mais vous allez voir ensuite quel glorieux destin elle va avoir !


Je pense que vous avez bien mémorisé l'air. Ce genre de refrain se retient facilement !

Chanson révolutionnaire !

    Les paroles changent mais l'air de musique reste le même ! La voici devenue une chanson guerrière ! "On va leur percer le flanc", elle sera chantée de bon cœur par les soldats des armées révolutionnaires. Attention, l'intro dure plus d'une minute !



Chanson guerrière sous l'Empire ! (Les paroles ont changé)

    Cette chanson fut bien sûr adoptée ensuite par les troupes de l'Empire, puisque la plupart était issues des armées révolutionnaires. Elle fut très prisée entre autres par la garde consulaire puis impériale.

    Dans l'extrait suivant du film "Austerlitz" d'Abel Gance (1960) elle est entonnée par la vieille garde qui se lance sans ordres dans la bataille (2 Décembre 1805). Les plus vieux d'entre nous reconnaîtrons le grand acteur Michel Simon.




Quelle étrange destinée pour une chanson de "poissarde" ne trouvez-vous pas ?


Voici les paroles de la version "Empire" :

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

ah c’que nous allons rire
ran plan tire lire

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

On va leur percer le flanc !
ran tan plan tire lire lan plan

le p’tit tondu s’ra content ? (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

ça lui f’ra bien plaisir
ran plan tire lire

le p’tit tondu s’ra content ? (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

Et car c’est de c’la que dépend . (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

le salut de l’empire
ran tan tire lire

on va leur percer le flanc (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

couplet subversif

pour lui plaire il faut du sang (bis)
ran tan plan tire lire lan plan

ah c’que nous allons rire
ran tan tire lire

pour lui plaire il faut du sang (bis)
ran tan plan tire lire lan plan


    Comme je sais que des Napoléoniens me font l'honneur de suivre avec bienveillance ma chronique sur la Révolution. Je leur offre ci-dessous les minutes mémorables du chef d'œuvre d'Abel Ganse sur la bataille d'Austerlitz (en 2 parties).






lundi 9 novembre 2020

9 Novembre 1789 : L'Académie Royale de Musique jouera demain "Iphigénie en Tauride"

 

Académie Royale de Musique

    Dans la rubrique des spectacles du numéro de ce lundi 9 Novembre 1789 du Journal de Paris, nous apprenons que sera jouée demain à l'Académie Royale de Musique : Iphigénie en Tauride, Tragédie lyrique, paroles de M.L.B.D.R., musique de Ch.er Gluck.

    "M.L.B.D.R.", l'auteur du livret, est Nicolas-François Guillard et "Ch.er Gluck" est Christoph Willibald Gluck le grand compositeur bavarois (Empire d'Autriche). Il peut sembler étonnant que le véritable nom de l'auteur du livret soit ainsi masqué. Peut-être cela vient-il qu'il y eu en 1776 une polémique concernant la création de cet opéra. Un certain Alphonse du Congé Dubreuil avait en effet rédigé un livret sur ce sujet qu'il avait proposé en vain à Gluck qui avait déjà reçu des propositions à ce sujet. Dubreuil proposa alors son livret à Niccolo Piccini qui déclina la proposition du fait qu'il ne pourrait produire son opéra avant Gluck.

Le sacrifice d'Iphigénie de Carle Vanloo,
exposé à Paris au salon de 1757.

    Cette tragédie lyrique en quatre actes fut représentée pour la première fois à l'Académie royale de musique de Paris le 18 mai 1779. Le jour de la première, le 18 mai 1779, Marie-Antoinette vint en personne à l'Opéra où elle fut reçue selon le cérémonial ancien, précédée jusqu'à sa loge par les directeurs de l'Opéra porteurs de flambeaux. L'œuvre remporta un très grand succès. À un spectateur qui y trouvait de beaux morceaux, l'abbé Arnaud répliqua : « Il n'y a qu'un beau morceau, c'est l'opéra tout entier ! A la mort de Gluck en 1787 l'Académie royale de Musique et en était à sa quatre-vingt-dixième représentation parisienne.

 Cette œuvre raconte la tragique histoire d'Iphigénie, fille d'Agamemnon et de Clytemnestre, sœur d'Oreste, d'Électre et de Chrysothémis, donc soumise au destin fatal des Atrides. Devenue en Tauride grande-prêtresse de Diane, Iphigénie s’apprête à immoler son frère Oreste, lui-même meurtrier de leur mère ; elle n’a pas reconnu son frère. Seuls les liens du sang et de l’amitié auront raison des spectres qui hantent Oreste et Iphigénie.

    Je vous propose de regarder et écouter cette magnifique captation (comme on dit maintenant) de cette grande œuvre jouée au théâtre d'Anger :


                                 




dimanche 1 novembre 2020

1er Novembre 1789 : Haydn est joué aux Tuileries et au Palais Royal !

 

Joseph Haydn en 1792

    Aujourd'hui 1er Novembre 1789, on donnera un "Concert Spirituel" au Château des Tuileries, avec une symphonie de Haydn en première partie, et un autre concert au Cirque National à l'occasion d'une fête extraordinaire qui commencera à 6 heures par un concert de Haydn !


    Le Cirque National était un théâtre situé au milieu du jardin, du Palais-Royal. Quant au concert spirituel, il a dû être joué dans la fameuse salle des Machines dont nous avons parlé dans l'article sur le théâtre du 31 Octobre 1789.

Vue du Cirque semi-enterré du Palais Royal en 1794


Haydn, le grand compositeur de l'époque

    C'est à partir des années 1770, que le grand compositeur autrichien Haydn, acquit une célébrité qui se répandit au-delà du milieu musical viennois. Ses œuvres se diffusèrent notamment en France et en Angleterre et, à un degré moindre, en Italie. Seule l'Allemagne du Nord demeura réticente au nouveau style révélé par le compositeur. Les organisateurs de concerts à Paris et à Londres lui adressaient des commandes. Des éditeurs sur toutes les places européennes diffusaient ses partitions.

Source : Wikipédia


Ecoutons sa musique !

Je vous propose d'écouter la symphonie N°39 (Il en a composé 1500).


Ci-dessous, vous pouvez le voir conduisant un quatuor.

Haydn conduisant un quatuor vers 1790.



samedi 31 octobre 2020

31 Octobre 1789 : La Dugazon, maudite par ses camarades acteurs du théâtre italien sans Italiens !

 Article mis à jour le 31 octobre 2023.

Une nouvelle pièce de théâtre !

    Aujourd'hui 31 octobre 1789, une nouvelle pièce intitulée "Sire de Créqui", est donnée au Théâtre italien ! C'est une comédie mêlée d'ariettes, dans le "nouveau genre", c’est-à-dire "à grand spectacle et à grand mouvement", comme le précisera le rédacteur de l'article publié le 2 Novembre dans le Journal de Paris.

    On doit cette œuvre au compositeur Nicolas Dalayrac et au librettiste Jacques-Marie Boutet de Monvel, qui se sont inspirés d'un livre du poète et romancier François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud publié en 1775. Les voici ci-dessous :


  
Messieurs Dalayrac, Montvel et d'Arnaud

Le Sire de Créqui

    La pièce nous conte l'histoire d'un chevalier picard du XIIe siècle, Raoul de Créqui, tenu pour mort à la guerre en Palestine (Croisade), mais enfermé par son cruel neveu Baudoin, dans une tour, durant 10 ans (le temps de le déposséder de tous ses biens).

    Vous remarquerez à la lecture de l'article paru le 2 novembre dans le journal de Paris, que le journaliste ne se gêne pas pour dévoiler toute l'intrigue ! Et vous conviendrez également qu'il ne s'agit nullement d'une comédie italienne, mais bien d'une mémorable page de notre histoire de France, la famille de Créqui ayant réellement existé. 

Voici l'article du Journal de Paris en date du 2 Novembre 1789, qui m'a inspiré cet article :
(Cliquez pour agrandir)

  


Tout se perd...

    De nos jour, Raoul de Créqui n'est plus que le nom d'un fromage fabriqué en Picardie. Cliquez sur le chevalier ci-dessous pour en apprendre plus sur la noble famille de Créqui.


  


Aparté 😊

    J'aime bien vous écrire des articles comme celui-ci, car ils permettent de nous éloigner un peu des luttes politiques et de nous rapprocher des gens ordinaires. Nous allons donc découvrir ensemble par le biais de cette pièce, le petit monde du théâtre à Paris, en 1789 et même un peu avant.


Le livret de la pièce !

    Les plus curieux parmi vous auront tout loisir de découvrir la pièce elle-même, grâce à son livret que je partage ci-dessous. Si vous savez lire la musique, votre plaisir en sera doublé, car il y a même les partitions musicales des airs chantés, et les paroles bien sûr !


Qu'est-ce que le théâtre "à l'italienne" (Histoire et architecture)

Bref historique

16ème siècle

1557 - L'arrivée des Italiens à Paris (Certaines sources donnent la date de 1577)

    La première troupe de comédiens italiens des Gli Gélosi, arriva à Paris à la fin du XVIe siècle, appelée de Venise par Henri III. Elle s'installa à l'Hôtel du Petit-Bourdon, situé en face du Louvres. Ces spectacles destinés au public n'étaient pas chers, seulement 4 sols par personne. Elle remporta donc un succès certain.

La Troupe Gelosi

17ème siècle

    En 1645, la Cardinal Mazarin fit venir la troupe de Bianchi dans l'hôtel du Petit-Bourbon, salle qu'elle partagea à partir de 1658 avec la troupe de Molière

Hôtel du Petit Bourdon, face au Louvres en 1652

    Placée sous la protection du roi, elle présentait au public français des pièces de commedia dell'arte en version originale. Ne soyez pas étonnés par le fait que les acteurs se soient exprimés en Italien, il y a beaucoup de scènes mimées en commedia dell'arte et l'italien peut être a peu près compris, s'il est parlé lentement

Les principaux personnages de la commedia dell'arte

    Progressivement, le Théâtre italien s'ouvrit au répertoire des grands dramaturges français de l'époque (dont très peu de noms ont été retenus par la postérité).

1697 - Départ des Italiens !

    Les comédiens italiens se produisirent avec succès à Paris jusqu'un 1697 ; date à laquelle ils commirent l'erreur fatale de vouloir jouer une pièce intitulée "la fausse prude", qui se moquait implicitement de Madame de Maintenon, l'ancienne maitresse de Louis XIV, que celui-ci avait épousé secrètement en 1683 !

Mariage secret de Louis XIV
et de Madame de Maintenon
dans la nuit du 9 au 10 octobre 1683.

    Cette "erreur de programmation", valu aux comédien Italiens d'être chassés de Paris et de se contenter de tournées en Province.

1697 Départ des comédiens italiens

    Si vous souhaitez découvrir le répertoire du théâtre italien de cette époque, je vous conseille la lecture de l'ouvrage que les parisiens découvrirent au début du mois d’octobre 1694 : "Le Théâtre italien ou le Recueil de toutes les scènes françaises qui ont été jouées sur le Théâtre italien de l’Hôtel de Bourgogne". Les recueils de théâtre étaient rares à cette époque et ce livre eut un énorme succès.

Vous pouvez le parcourir dans la fenêtre ci-dessous :

Vous pouvez lire également cet article très intéressant sur Ghirardi, l'auteur de cet ouvrage : "Figures de Ghirardi"


18ème siècle

1716 - Retour des Italiens !

    Les comédiens italiens revinrent à Paris à l'hôtel de Bourgogne sous la Régence en 1716 et qui plus est, sous la protection du Régent, le duc d'Orléans. Pourvus d'une rente annuelle de 15 000 livres, ils enrichirent leur répertoire au fil des ans en abordant peu à peu le répertoire lyrique.

Philippe d'Orléans

    Leur troupe rivalisa avec celle de l'Opéra-Comique, jusqu'à ce que les deux troupes finissent par fusionner en 1762 sous le nom de Comédie-Italienne ou Opéra-Comique-Italien.

1779 - Départ des Italiens.

    En 1779 un arrêté interdit les comédies en italien, et les derniers comédiens italiens de ce théâtre furent renvoyés chez eux (sauf Carlo Bertinazzi qui mourut à Paris en 1783).

    En effet, depuis la fondation de l'Académie française par Richelieu en 1635, l'Etat se préoccupait de normaliser la langue française (orthographe et non-pas ortograf) et de promouvoir son utilisation. Projet que les révolutionnaires eurent à cœur de poursuivre.

Le Cardinal de Richelieu

Petite précision quant à l'usage du Français

    Il faut savoir qu'au XVIIIe siècle, une grande majorité du peuple de France ne parlait pas le français, du moins celui parlé en Île de France, car le parisien n'était qu'une des 25 langues d'oïl parlées sur le territoire ! L’abbé Grégoire en aura confirmation en 1790 lorsqu’on lui remettra le rapport qu’il avait demandé sur l’état du pays et des langues et patois parlés. Des centaines de parlers différents existaient alors à travers tout le pays, voire des milliers si l’on tenait compte des patois qui pouvaient changer d’un village à l’autre. Beaucoup de ces braves gens ignoraient même qu’ils étaient français ! « A quoi bon faire d’aussi belles lois, si elles ne sont pas comprises » dira le député Target devant l'Assemblée le 30 octobre 1789. Comment imprimer des livres d'écoles pour instruire les enfants s'il faut plusieurs centaines de versions du même livre ?

Le théâtre italien sans Italiens.

  Le théâtre italien continua de fonctionner sans ses acteurs italiens. Il s'appela momentanément l'Opéra-Comique, puis il devint le Théâtre Favart en 1783, lorsque la troupe des "Comédiens italiens du roi" et celle de "La Foire Saint Germain" fusionnèrent et s'installèrent dans la salle nouvellement construite sur l'emplacement de l'hôtel du duc de Choiseul.

    Cette troupe de la Salle Favart choisi d’intégrer essentiellement dans son répertoire des pièces françaises composées de dialogues, d’airs et de danses.

Foire Saint-Germain vers 1760

1789 - Nouveau retour des Italiens !

    C'est en 1789, l'année qui nous préoccupe, que les comédiens Italiens revinrent à Paris, grâce à l'entremise du coiffeur de la reine Marie-Antoinette, Léonard-Alexis Autié et du violoniste Giovanni Battista Viotti. Ce dernier arrivait de Turin à la tête d'une nouvelle compagnie italienne. Le roi Louis XVI leur avait accordé en 1788 le privilège d'interpréter à nouveau le répertoire des opéras comiques français et italiens. Cette nouvelle troupe fut baptisée théâtre de Monsieur en raison de la protection qui lui était offerte par Monsieur, frère du roi (futur Louis XVIII). C'est le 26 janvier 1789 que le théâtre de Monsieur fit son inauguration dans la salle des Machines du palais des Tuileries

Plan de la Salle des Machines en 1783

L'expression "côté cour", "côté jardin" vient précisément de ce théâtre.


    Le nouveau théâtre joua : l'opéra italien, l'opéra-comique français, la comédie française et le vaudeville. Le succès fut très grand ; mais la situation du théâtre de Monsieur devint difficile lorsque, de retour de Versailles, la cour s'installa au Palais des Tuileries le 7 Octobre 1789. Il dut alors déménager à la foire Saint-Germain, dans l'attente qu'un nouveau théâtre fut construit. Ce nouveau théâtre, ce sera la salle du 19 de la rue Feydeau, construite par Legrand et Molinos, qui sera inaugurée le 6 janvier 1791. Le théâtre de Monsieur deviendra le théâtre Feydeau.

La Foire Saint-Germain

L'architecture !

    Le théâtre italien ne désignait pas seulement l'origine du répertoire qui y était joué, ni celle des comédiens, mais aussi la structure architecturale de celui-ci. Le premier opéra public ayant adopté la forme en U de la salle, avec des loges remplaçant les gradins avait été le teatro Olimpico de Vicence, en Italie du Nord, commencé en 1580 d'après les plans d'Andrea Palladio.

Plan du teatro Olimpico en 1776

    La scène était surélevée par rapport à la salle, avec un plancher légèrement incliné vers le public. Elle était le centre d'un vaste volume en grande partie invisible du public : la cage de scène, où étaient aménagés différents espaces techniques recevant une machinerie complexe permettant de produire des effets spéciaux ou décoratifs pour la mise en scène.

La comédie française et ses décors au XVIIIe siècle, par Antoine Meunier.
Source BNF

    Les musiciens, autrefois dissimulés derrière la scène, puis sur des balcons latéraux, prenaient place en contrebas de la scène.

    Le parterre était laissé au peuple qui se tenait debout derrière le parapet de l'orchestre, tandis que les loges, qui s'étageaient sur le pourtour, étaient louées à l'année ou achetées à vie par les grandes familles.

Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne en 1767.

    La salle restait éclairée durant tout le spectacle grâce à une multitude de girandoles et de lustres dont la cire chaude des chandelles parfois s'écoulait sur les gens du parterre. 

Opéra royal de Versailles.

Les comédiens italiens (qui ne le sont pas)

    La consultation du calendrier électronique des spectacles sous l'ancien régime et la Révolution (césar), nous apprend que la pièce 'Sire de Créqui" fut par la suite rejouée régulièrement.

    Régulièrement, certes, mais pas autant que l'auraient souhaité le directeur du théâtre et la plupart des acteurs. Vous allez comprendre bientôt pourquoi.

    Le livret de la pièce nous indique que celle-ci fut interprétée par les "Comédiens italiens ordinaires du roi". Il ne faut surtout pas les confondre avec les "Comédiens ordinaires du roi", qui résidaient à "L’hôtel des Comédiens ordinaires du roi", dans le quartier Latin ; Hôtel qui prit ensuite le nom de Théâtre Royal. (Il ne reste plus aujourd'hui que sa façade au n° 14 de la rue de l’Ancienne Comédie dans le 6ème arrondissement de Paris.)

    Ces "comédiens italiens ordinaires du roi" résidaient au "Théâtre Italien", également connu sous le nom de Salle Favart, nom de l'une des deux rues qui longeaient le bâtiment, la seconde étant la rue Marivaux. Ces rues avaient été créées à l'occasion de la construction de ce théâtre sur l'emplacement de l'ancien Hôtel de Choiseul (ou son jardin, selon les sources).

Première salle Favart, vue depuis la rue Marivaux, au XVIIIe siècle

    Rappelez-vous cependant que ces comédiens Italiens n'avaient d'italien que leur désignation. En effet, les vrais Italiens étaient rentrés chez eux, suite l'arrêté de 1779 évoqué plus haut.

    Raison pour laquelle les rôles principaux de cette pièce furent tenus par Mesdames Dugazon et de Saint-Aubin, Mesdemoiselles Carline et Renaut cadette, ainsi que Messieurs Narbonne, Philippe et Chenard. Tachons d'en savoir en peu plus sur ces acteurs, à commencer par la plus célèbre à l'époque, Madame Dugazon !


Les acteurs de la pièce jouée ce 31 Octobre 1789 !


Madame Dugazon

    Madame Dugazon, née Louise-Rosalie Lefèvre à Berlin en 1755, d'un père maître de ballet et danseur (et d'une mère dont on ignore hélas tout), avait pris le joli nom de Dugazon de son mari Jean-Henri Gourgaud, dont c'était le nom de scène. Elle bénéficie d'une page Wikipédia sur laquelle on peut admirer 15 de ses portraits, à presque tous les âges de sa belle carrière. Le pauvre époux Jean-Henri n'a qu'une ridicule représentation de lui en costume de Sganarelle, mais tant pis pour lui, car on disait qu'il était jaloux et brutal. Rosalie dû même porter plainte contre lui parce qu'il l'avait menacée de mort et ils finirent par divorcer en 1794. (Source).

    Vous noterez au passage, qu'au XVIIIe siècle, les femmes savaient porter plaintes contre leurs maris brutaux. (Il faudra que je vous écrive un article dédié à ce sujet, car j'ai trouvé d'autres exemples).

Quelques avis de ses contemporains.

     Madame Vigée-Lebrun    

Madame Vigée-Lebrun

    Voici ce que la célèbre artiste-peintre et amie de Marie-Antoinette, Madame Vigée-Lebrun disait de Louise-Rosalie : 

"J'arrive enfin à celle dont j'ai pu suivre toute la carrière dramatique, au talent le plus parfait que l'Opéra-Comique ait possédé, à madame Dugazon. Jamais on n'a porté sur la scène autant de vérité. Madame Dugazon avait un de ces talents de nature qui semblent ne rien devoir à l'étude.

On n'apercevait plus l'actrice ; c'était Babet, c'était la comtesse d'Albert ou Nicolette. Noble, naïve, gracieuse, piquante, elle avait vingt physionomies, de même qu'elle faisait toujours entendre l'accent propre au personnage, et son chant n'annonçait aucune autre prétention. Elle avait même la voix assez faible, mais cette voix suffisait au rire, aux larmes, à toutes les situations, à tous les rôles.

Grétry et Daleyrac, qui ont travaillé pour elle, en étaient fous, et j'en étais folle."

On devine dans ce témoignage de l'enthousiasme, de l'émotion et plus encore.

    Je tiens cette information de source sure, c'est-à-dire du Comte d'Hézècques, membre du forum de Marie-Antoinette ! (Je suis sérieux) 😂

Le journaliste Georges Touchard-Lafosse

Mme Dugazon,
en tenue d'Azémia
 

    Madame Dugazon avait gravi rapidement les échelons de la renommée grâce au célèbre compositeur André Grétry et à Mme Justine Favart, (Danseuse classique, artiste lyrique, auteure dramatique, actrice, écrivaine), l'épouse de Charles Simon Favart (Dramaturge, librettiste, écrivain et acteur). Le nom de ce couple célèbre fût donné au Théâtre.

    J'ai découvert une autre version beaucoup plus "piquante" (ou perfide) concernant les "qualités" de Madame Dugazon que je vous invite à lire dans les souvenirs du journaliste Georges Touchard-Lafosse, qui assista à cette représentation du 31 octobre 1789.

    Vous pourrez constater en lisant l'extrait ci-dessous, que ses souvenirs sont quelque peu différents des touchants émois de Madame Vigée-Lebrun !

Le journaliste Georges Touchard Lafosse

                   Source Google                  

"L'administration du Théâtre Italien se félicitait d'une réussite qui semblait devoir lui ouvrir un nouveau filon aurifère, lorsque tout-à-coup une indisposition de Madame Dugazon vint arrêter le char de triomphe du Sire de Créqui. C'est un grand abus au théâtre, que celui des indispositions ; surtout lorsqu'elles résultent, comme celle de madame Dugazon, d'une grande opulence de santé…… On racontait, en 1789, des choses prodigieuses touchant les galanteries de cette charmante actrice : si l'on comparait ce genre d'exploits à ceux de la vaillance guerrière, il faudrait remonter jusqu'aux preux de la table ronde pour trouver des prouesses comparables à celles de l'amoureuse en chef du Théâtre Italien. On conçoit que lorsqu'une dame se livre avec cette intrépidité au culte des amours, il est difficile qu'elle soit bien fidèle à celui des beaux-arts : aussi madame Dugazon, aidée des complaisances de son médecin, se disait-elle indisposées fort souvent, et chaque fois que cela arrivait, ses camarades, qui savaient à quoi s'en tenir, montraient un scepticisme rebelle à tous les certificats de la faculté parisienne."


Les archives de l'Académie

    Moins perfide et surtout plus professionnelle, on peut lire une autre biographie de Madame Dugazon dans cet ouvrage très pratique rédigé par l'archiviste Emile Campardon à partir des archives de l'académie. Il détaille toutes les actrices et acteurs du Théâtre italien durant deux siècles, en donnant leurs biographies professionnelles et nombre de détails les concernant : Les comédiens du roi de la troupe italienne pendant les deux derniers siècles.

Cliquez sur le texte ci-dessous pour accéder à la fiche de Madame Dugazon :

    En lisant le détail de cette petite biographie, vous constaterez que c'était réellement une très grande actrice. Elle enthousiasma les parisiens lorsqu'elle interpréta le rôle de Nina, dans le drame en un acte "Nina, ou la folle par amour", présenté pour la première fois, le 15 mai 1786. "De mémoire d'homme, on n'avait pas souvenir d'un pareil succès".

    Le compositeur Grétry la couvrit d'éloge dans ses mémoires. Je vous avoue que je préfère cette dernière description de Madame Dugazon, à celle de Touchard Lafosse.

Madame Dugazon dans le rôle de Nina

    On entend parfois des gens dire qu'ils auraient aimé être à la prise de la Bastille, ou à tel ou tel autre grand événement. Je vous avoue pour ma part que j'aurais aimé assister à cette représentation du 31 octobre 1789.

    N'aimeriez-vous pas, comme moi, écouter chanter Madame Dugazon ? Fermez les yeux et écoutez la vidéo si dessous. Il s'agit de la romance de Nina "Quand le bienaimé reviendra", celle que Louise Rosalie chanta pour la première fois sur scène le 15 Mai 1786 et qui bouleversa le "tout Paris".


Le "tout Paris"
    Quand je dis le "Tout Paris", sachez qu'un assez grand nombre de Parisiens pouvait effectivement se rendre au théâtre italien, car les premiers prix étaient "relativement" abordables. Un travailleur journalier parisien ne gagnant qu'entre 12 et 20 sols par jour (plus souvent 15), il ne pouvait bien évidemment pas aller à ce théâtre lyrique (Le pain coutait 14 sols et demi le 14 Juillet 1789). Mais un artisan gagnait déjà entre 20 sols (1 livre) et 50 sols (2 Livres et 10 sols) par jour et il existait nombre de professions où les salaires étaient plus "confortables".
    
    En 1783 lors de la soirée d'inauguration de la Salle Favart, en présence de la Reine Marie-Antoinette, les places du parterre coûtaient 1 Livre et 4 sols, soit 24 sols.

Source : L'ouvrage ce Campardon

    Le parterre était le moins cher, parce que l'on y était debout et que la cire chaude des lustres au plafond vous coulait dessus...


Un dernier détail concernant Madame Dugazon. Elle était royaliste...

    Eh oui ! La belle Louise-Rosalie était royaliste et surtout fidèle à la Reine. Un soir de 1792, lors d'une représentation en présence de la Reine, elle eut le courage de venir chanter sur le devant de la scène, en s'adressant à Marie-Antoinette, l’air "Ah ! Combien j’aime ma maîtresse." de Lisette dans la pièce "Les événements imprévus". Elle n'alla cependant pas jusqu'à faire ce que disent les paroles qui suivent dans cette jolie chanson, à savoir " Mon sort suivra le sien". Car elle se fit ensuite très très discrète jusqu'en 1795.

    Nous verrons plus tard que la Révolution sera à l'origine d'un schisme au sein des troupes d'acteurs. Certains resteront fidèles à la reine et au roi (à qui ils devaient tant) et d'autres prendront le parti de la Révolution.
    Le couple Dugazon sera lui-même frappé par le séisme révolutionnaire, Louise-Rosalie prenant courageusement le parti de la reine et Jean-Henri celui de la Révolution (A se demander quelles furent leurs intimes motivations). Jean-Henri fera même partie des sans-culottes ramenant à Paris la famille royale arrêtée à Varenne lors de sa fuite, en juin 1791.

ROYALISTE ? 😱
(Personne n'est parfait !)
((Scène finale du film "Certains l'aiment chaud"))

Voilà pour la vedette, mais n'oublions pas les autres acteurs !

Jeanne-Charlotte de Saint-Aubin en 1798

Madame de Saint-Aubin ?

    De son vrai nom Jeanne-Charlotte Schroeder, née en 1764 dans une famille d'artistes, elle joua pour la première fois vers l'âge de 9 ans, devant le roi Louis XV, et à 11 ans elle faisait partie de la troupe de la Montansier ! 

    Cette chanteuse soprano que l'on surnommait "la perle de la comédie italienne" interpréta avec talent pendant 22 ans plus de 200 rôles différents.

    Il n'y a que des choses gentilles à son propos sur sa page Wikipédia. Il est même dit qu'elle partagea le produit de sa représentation de retraite avec la veuve de l'acteur comique Dozainville.

    Quant à sa prestation de ce 31 octobre 1789, l'ami Georges Touchard-Lafosse, nous dit qu'elle et Dugazon "inspirèrent un véritable délire".

    Vous pouvez accéder au descriptif de sa brillante carrière dans l'ouvrage d'Emile Campardon : "Les comédiens du roi de la troupe italienne pendant les deux derniers siècles", page 131.

Cliquez sur le texte ci-dessous pour accéder à la biographie :

Mademoiselle Carline ?

   Notre ami Touchard Lafosse nous dit qu'elle fut copieusement applaudie ! L'ouvrage d'Emile Campardon, nous donne les informations suivantes :

Cliquez sur le texte ci-dessus pour accéder à l'article sur Carline

    Un amant déçu (et quelque peu gougeât) a également laissé en souvenir d'elle cette mauvaise petite chanson :

Sources : "
Les comédiens du roi de la troupe italienne pendant les deux derniers siècles
Anecdotes secrètes du XVIIIe siècle.

  Rose Renaud, épouse d'Avrigny

Mademoiselle Renaud cadette ?

    Elle se prénommait semble-t-il Rose. Je ne n'en suis pas certain, car il se peut qu'il y ait confusion avec sa sœur ainée. Cette soprano débuta sa carrière à l'âge de 13 ans, le 22 octobre 1785, dans le rôle de Babet dans "Les Trois Fermiers" (paroles de Montvel). Elle avait une sœur ainée déjà chanteuse au théâtre italien, connue sous le nom de "Renaud l'ainée", qui eut la délicatesse de l'accompagner sur scène lors de sa première apparition publique, ainsi qu'une sœur cadette, Sophie, qui   commença sa carrière le 21 avril 1788. 

Sources :
Les comédiens du roi de la troupe italienne pendant les deux derniers siècles, de Emile Campardon
Page Wikipédia anglaise de Rose Renaud

Narbonne ?

    Il s'agit fort probablement de Pierre-Marie Narbonne, qui figure dans l'ouvrage d'Emile Campardon "Les comédiens du roi de la troupe italienne pendant les deux derniers siècles".

Voici le début de l'article le concernant :


    Chose curieuse concernant Narbonne, s'il s'agit bien de lui, Campardon nous dit qu'il prit sa retraite en 1787. Faisait-il un extra en jouant ce soir-là ?


Philippe ?

    Il s'agit fort probablement de Philippe Cauvy, qui lui aussi figure dans l'ouvrage d'Emile Campardon "Les comédiens du roi de la troupe italienne pendant les deux derniers siècles".

Voici également le début de l'article le concernant :

Georges Touchard dans ses souvenirs émet ces deux avis brefs les concernant :

  • Philippe, excellent acteur et mauvais chanteur,
  • Narbonne, très bon chanteur et acteur médiocre,

Chenard !

    Nous terminons par Simon Chenard, car il faut bien terminer cet article avec une belle image de la Révolution !

    Notre ami journaliste n'en dit que du bien :"Chenard, homme d'un grand talent sous les deux rapports, réunit tous les suffrages dans le rôle de geôlier, qui par la suite, devint type pour toutes les troupes d'opéra-comique."

Campardon ne lui consacre qu'une note en bas de page, la voici :

Source : Page 135

    Mais Chenard a laissé une plus belle trace dans l'histoire de la Révolution que ses deux compères Philippe et Narbonne. Apprenez que c'est lui qui est représenté en sans-culotte tenant drapeau et pipe au bec, dans le célèbre tableau de Louis Léopold Boilly, dit La Bassée, peint en 1792 !




Conclusion

    J'espère que ce long article vous aura intéressé. Vous aurez pu constater que sous l'ancien régime, tout dépendait du Roi et de ses proches, et que le théâtre était très contrôlé.


    N’oublions pas que c’est la Révolution, qui par la loi du 13 Janvier 1791 sur la Liberté des Théâtres, autorisera tout citoyen à « pouvoir élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tous les genres, en faisant, préalablement à l’établissement de son théâtre, sa déclaration à la municipalité des lieux ». Ce sera ainsi la fin du privilège théâtral de l’ancien régime, détenu par la Comédie-Française.


Merci pour votre lecture,

Bertrand Tièche, alias le Citoyen Basset ! 😉


Post Scriptum :
J'espère que vous me pardonnerez le titre accrocheur de cet article, ainsi qu'une ou deux facéties. J'aimerais tbien qu'il soit lu par plus de 3 ou 4 personnes.




Et souvenez-vous...

ROYALISTE ? 😱
(Personne n'est parfait !)