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mercredi 26 avril 2023

Nuit du 25 au 26 Avril 1792, naissance de La Marseillaise.

Rouget de Lisle interprétant le Chant de l'Armée du Rhin.
Tableau d'Isidore Pils de 1849.
 

Préambule

    Dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, le capitaine du génie Claude-Joseph Rouget de Lisle, né à Lons-le-Saunier dans le Jura en 1760, compose un chant guerrier, "le Chant de l’Armée du Rhin", qui deviendra peu après "La Marseillaise", l'hymne national des Français.

 

Une goutte de sociologie : Qu'est-ce qu'une nation ? 

    Ne nous y trompons pas, la capacité d’étendre le « nous » au-delà de la horde primitive, familiale puis tribale, a été un progrès pour les descendants de primates que nous sommes. Nos cousins chimpanzés ne sont pas capable de penser leur groupe au-delà de 100 à 150 individus. Tout nouvel arrivant devient un « autre », un « étranger » et il est chassé ou tué. Les êtres humains ont été capables de former des groupes sociaux de plusieurs milliers d’individus puis de plusieurs millions, grâce à des "réalités imaginés" telles que les royaumes, les religions ou les nations.(Cet article vous permettra de mieux comprendre la référence aux chimpanzés.)

    Voilà donc ce qu’est une nation : un groupe important d’êtres humains partageant un minimum de valeurs communes et vivant sous les mêmes lois, dans un espace donné (les limitations de l’espace, souvent arbitraires, permettant principalement de savoir à qui payer les impôts).

    Les nations disposent toutes de certains outils conceptuels aidant à créer du lien, comme les histoires nationales (parfois arrangées en légendes dorées), les drapeaux et bien sûr les hymnes nationaux.

    Ça ne devrait être que cela une nation, mais nos cerveaux de primates, même évolués, sont toujours soumis à certains comportements de domination et encore beaucoup ont du mal à considérer les membres d’autres nations autrement que comme des « autres », des « étrangers »...

    Plus une société est ouverte sur les autres, plus elle progresse. Comme l’a si bien expliqué le sociologue Karl Popper, les Grecs ont été capables de penser la démocratie, grâce à leur ouverture sur le monde résultant de leur expansion commerciale. Les sociétés fermées sont condamnées à l’immobilisme, voire à la régression.

    L’étape suivante sera de penser l’humanité dans sa globalité. Certains y arrivent déjà et se moquent alors parfois des drapeaux et des hymnes nationaux. Mais soyons raisonnables, la civilisation mondiale n’est pas pour demain, alors considérons avec lucidité et bienveillance ces modestes symboles d'unification que sont les drapeaux et les hymnes.

    Après ces quelques précisions, découvrons quelle "nouvelle nation" a donné naissance en 1792 à la « La Marseillaise », l’hymne national des Français. 😉


 

La nouvelle nation française de 1792.

    J'ai pensé qu'il était nécessaire de faire le petit rappel précédent afin que vous puissiez mieux percevoir le côté "nouveau" de La Marseillaise. Car La Marseillaise a elle aussi été victime du révisionnisme historique dont a été victime la Révolution française. Elle a parfois été injustement associée à une forme de nationalisme (ceux qui auraient dû la défendre l'ayant parfois abandonnée à des ennemis de la République) et le sens de ses paroles à été souvent détourné par des gens qui volontairement ou pas, oubliaient le contexte dans lequel elle avait été écrite. 

    Le nationalisme, dans sa forme la plus négative, est une invention du 19ème siècle, pas de la Révolution française, fraternelle et universaliste. L’historien Jean-Paul Bertaud, dans son livre « Valmy, la démocratie en arme » a très bien décrit ce qu’était la nation en 1792, quand la Marseillaise fut créée par Rouget de Lisle :

« En 1792, la Nation est, pour ceux qui y sont attachés, la communauté des hommes libres et égaux, vivant sous des lois qu’ils se sont donnés par l’intermédiaire de leurs députés, de « leurs mandataires ». L’étranger qui vit, travaille et accepte les lois françaises est reconnu comme Français. »

 

    Voici à présent comment est née La Marseillaise et comment elle est devenue l’hymne national de la France.

 

Naissance du Chant de l'Armée du Rhin (qui deviendra la Marseillaise)

    Le 20 avril 1792, l'Assemblée législative à dominance Girondine, a déclaré la guerre au "roi de Bohême et de Hongrie", c'est-à-dire à l'empire d'Autriche, auquel s'alliera en juillet le royaume de Prusse. Louis XVI a approuvé cette guerre car il souhaite une défaite des armées française qui le rétablira sur son trône et nombre de députés pensent que cette guerre sera une occasion de renflouer les caisses vides de l'état (et peut-être leurs poches).

    25 avril 1792, le maire de Strasbourg (officiellement « prêteur royal »), le baron Philippe-Frédéric de Dietrich, lassé d’entendre chantés à tue tête les « ça ira, ça ira ! », et informé des talents de compositeurs du capitaine Claude-Joseph Rouget de Lisle stationné en ville avec son régiment du génie depuis un an, demande à celui-ci d’écrire un chant patriotique. Rouget veut se dérober, mais il cède au maire et aux officiers qui insistent.

Baron Philippe Frédéric Dietrich

    De retour chez lui, Rouget de Lisle se saisit de son son violon et en tire quelques arpèges tandis que les propos échangés la veille lui inspirent les premiers couplets. Il travaille ainsi une bonne partie de la nuit. 

    Le lendemain 26 avril, dès l’aube, il se rend chez le maire, qui, surpris de tant de rapidité, découvre le chant et l’apprécie. Le Baron convoque alors les officiers présents la veille et d’une voix forte de ténor, accompagné au clavecin par son épouse Louise, il commence à chanter : "Allons enfants de la patrie" à la grande satisfaction de tous les présents. C’est cette scène qui est représentée sur le tableau peint en 1849 par Isidore Pils. Le chant est alors baptisé « Chant de l’Armée du Rhin », armée dans laquelle sert le capitaine Rouget de Lisle.

Claude Joseph Rouget de Lisle

    Le Chant de l'Armée du Rhin sera exécuté publiquement sur la place d’Armes de Strasbourg le 29 avril, en présence de huit bataillons alignés pour la revue de départ. Les soldats présents seront galvanisés par ce formidable chant guerrier. 

Place d'Armes de Strasbourg (en 1830)

    Il sera de nouveau exécuté le 14 juillet 1792 (second anniversaire de la fête de la Fédération) au camp de Hoensingue. Il se diffusera alors rapidement en Alsace sous forme manuscrite ou imprimée, avant d’être repris par de nombreux éditeurs parisiens.Très vite, il sera connu de Paris à Marseille ; Marseille où le régiment de fédérés en partance pour la capitale l’adoptera. Ceux-ci l’entonneront lors de la prise des Tuileries à laquelle ils participeront aux côtés des Sans-culottes parisiens le 10 août 1792. Il prendra alors le nom de « Marseillaise ».

Prise du Palais des Tuileries le 10 août 1792

   Contrairement à ce qui est écrit sur de nombreuses sources officielles, la Marseillaise ne sera pas décrétée « chant national » par le Décret du 26 messidor an III (14 juillet 1795), mais, avec d’autres chants civiques « qui ont contribué au succès de la Révolution » le décret impose qu’elle soit exécutée par les corps de musique des gardes nationales et des troupes de ligne ; le Comité militaire étant également chargé de les faire exécuter chaque jour à la garde montante du Palais national.

    Interdite sous l'Empire et la Restauration, la Marseillaise fut remise à l'honneur lors de la Révolution de 1830. Hector Berlioz en élabora alors une orchestration qu'il dédia à Rouget de Lisle. Le roi Louis Philippe lui préféra un autre hymne plus modéré, la Parisienne.

    C’est la IIIe République qui choisira la Marseillaise en 1879 comme hymne national, sans définir d’harmonisation d’officielle pour les orchestres et fanfares. Le ministère de la guerre se chargera en 1887, d’établir une version de références pour éviter la cacophonie.

    En septembre 1944, une circulaire du ministère de l'Éducation nationale préconisera de faire chanter la Marseillaise dans les écoles pour « célébrer notre libération et nos martyrs ». Son caractère d'hymne national sera réaffirmé dans l’article 2 des constitutions de 1946 et de 1958.

    Il existe tant de version ! J'ai choisi presque au hasard cette version, celle d'Hector Berlioz.

 

    Je vous propose également deux extraits de films :

Honneur aux anciens, un extrait du film de Jean Renoir "La Marseillaise" sorti en 1938 :

   Un extrait du film La Révolution française réalisé par Robert Enrico pour le bicentenaire de la Révolution en 1989. On y découvre les volontaires de 1792 montant au front et chantant La Marseillaise :



Souhaitez-vous en savoir encore un peu plus ?

    Une fois n'est pas coutume, je vous propose ci-dessous un beau texte de Christian Marcadet qui a rédigé avec beaucoup d'érudition un livret accompagnant un coffret de 3 CD de chansons de la Révolution française produit par EPM Musique. Vous pouvez vous procurer ledit coffret en cliquant sur l'image ci-dessous : 


 Voici le texte de François Marcadet sur La Marseillaise :
(J'espère qu'il ne m'en voudra pas. Je lui fait de la pub.)

Le chant emblématique

Initialement dénommée Chant de guerre pour l’Armée du Rhin, la Marseillaise est sans doute la meilleure illustration du pouvoir symbolique des chansons de la Révolution et des polémiques suscitées. Depuis deux siècles, l’hymne national français est périodiquement l’objet d’accusations qui reposent sur une argumentation sortie du contexte de l’époque. Rappelons quelques faits : oui, la Marseillaise est bien un chant guerrier, qui a été écrit par un militaire, poète à ses heures, en une seule nuit, quand une situation d’urgence l’exigeait. A cette heure, en avril 1792, la Révolution est aux abois, attaquée de toutes parts : de l’intérieur par des factions réactionnaires et par des royalistes qui souhaitent le retour à l’Ancien régime, mais surtout attaquée de l’extérieur quand la Prusse et l’Autriche menacent de franchir les frontières pour venir au secours de la royauté menacée. Six mois plus tard, la victoire inattendue de Valmy viendra mettre un frein aux ardeurs des monarchies européennes liguées contre la Révolution française. Oui, la Marseillaise est un chant national – et non nationaliste -, dans la mesure où pour les révolutionnaires, la nation c’est le peuple et non des personnes investies de droit divin ou des héros providentiels. Et, en dépit de quelques formulations malheureuses immergées dans un texte de circonstance, il convient de préciser que la Marseillaise est très vite devenue un chant universel, qui exalte les valeurs nouvelles de liberté, d’égalité et de fraternité, qu’aucune nation n’avait revendiquées comme telles jusqu’à ces journées mémorables de 1789.

Désormais, c’est le peuple de France, celui des roturiers au sang impur, qui va verser son sang pour défendre la nation. Et les ennemis de la France, ce sont alors tous les ennemis de la liberté et des idéaux républicains, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur. Plus qu’un territoire, qui résulte des aléas de l’histoire, ce sont des valeurs, toute une philosophie de l’humanité qui est menacée et c’est cette mission émancipatrice que ce chant exalte dans ses couplets.

Certaines modifications sont intervenues depuis ce jour où elle a été chantée pour la première fois dans le salon du maire de Strasbourg : un « marchons » collectif à remplacé le comminatoire « marchez » et, moins heureusement, « féroces (soldats) » a été substitué à « farouches », puis on lui a vite adjoint un 7ème couplet à la paternité disputée (celui dit « des enfants » ; « Nous entrerons dans la carrière... »), mais c’est surtout le traitement musical et l’harmonisation de Gossec qui lui ont donné sa forme définitive, entraînante et glorieuse.

On compte plus d’une centaine de parodies connues de la Marseillaise (combien oubliées?), en Français et dans les langues régionales, sans compter les nombreuses adaptations faites à l’étranger. Les parodies et autres contre-Marseillaises ou chansons qui commentent La Marseillaise ou la citent, toutes d’une certaine façon lui rendent hommage et toujours subsiste en arrière plan la petite musique de la Révolution. Combattue et bâillonnée souvent, reniées ou accaparée parfois, dans un objectif patriotard ou électoraliste, victime de l’oublie à certaines périodes, toujours elle renaît aussitôt que la patrie est en danger. Ainsi, lors des journées de Juillet 1830, lors des heures glorieuses de la Commune, aux jours sombres de l’occupation en France de 1940 à 1944, et tout récemment quand elle est reprise et réactivée par les Français après les attentats qui ont endeuillé la France en 2015 et 2016.

C’est encore elle qui sert d’hymne officiel russe dans les premiers temps de la Révolution bolchevique, d’hymne de substitution au tout début de la Seconde République espagnole en 1931, qui est chantée dans les écoles élémentaires de nombreux pays comme le Brésil et la Chine, qui est jouée dans le Chili socialiste de Salvador Allende, avant le coup d’état de Pinochet, et c’est elle encore qui est brandie place Tian’anmen à Pékin, en 1989. Ce formidable engouement, qui traverse les époques et les frontières, n’est possible que parce que La Marseillaise est devenue le chant symbolique de la liberté, de la fraternité et de l’émancipation des peuples.

« (…) Français ! En guerriers magnanimes

Portez ou retenez vos coups,

Épargnez ces tristes victimes

A regret s’armant contre nous…

Liberté, liberté chérie

Combats avec tes défenseurs... »

 

 

mercredi 29 avril 2020

26 au 29 Avril 1789 : Emeute Réveillon, quelle histoire ?

Mise à sac de la fabrique de papiers peints de Réveillon

L'émeute "Réveillon"

    Ce soir du 29 Avril 1789, les corps de Jean-Claude Gilbert, couverturier, et Antoine Pourrat, gagne-denier, pendent à un gibet érigé place de la porte Saint-Antoine. Ils ont été condamnés ce jour-même par la chambre criminelle du Châtelet, pour attroupement, émeute et sédition. Ainsi se termine l'émeute "Réveillon" commencée le 26 Avril au soir.

Dessin de Le Guerchin vers 1580-1600

    Cette singulière émeute parisienne qui a eu lieu autour de la fabrique de papiers-peints du sieur Jean-Baptiste Réveillon dans le Faubourg Saint-Antoine, est évoquée dans tous les ouvrages concernant la Révolution française. Chacun y voit en effet un signe précurseur des événements révolutionnaires de juillet et plus particulièrement de la prise de la Bastille. Mais vous allez constater en lisant cet article, que chacun y va, comme il est d'usage, de son interprétation personnelle, au gré de ses sources bien sûr, mais aussi et surtout au gré de ses a priori ou préjugés, et ce, du simple témoin contemporain de l'affaire, jusqu'à l'historien. C'est presque un cas d'école, car vous retrouverez cette même confusion, dans la relation de nombre d'événements révolutionnaires. Bien naïfs ou bien présomptueux en effet, sont ceux qui, relatant certains événements historiques, affirment doctement "cela s'est passé exactement ainsi, pour telles et telles raisons précises" ! J'aurai d'autres occasions d'évoquer ce sujet polémique avec vous.

28 Avril 1789. Attroupement devant les établissements Réveillon (Claude Niquet)

Une singulière émeute

    Des émeutes, Il y en avait déjà un peu partout en France depuis plusieurs mois, principalement des émeutes frumentaires, c'est-à-dire portant sur le prix du pain ou le manque de celui-ci. Neuf-cents émeutes ont été dénombrées par les historiens en France, entre 1786 et 1789 ! Mais cette émeute dite "Réveillon" est singulière. Le mot émeute vient du mot émotion. Une émeute a donc quelque chose d'irrationnel. Une simple rumeur suffit à emporter les esprits et à les entrainer dans la colère et la violence. Mais lorsque l'on se penche avec attention sur le déroulement de celle-ci, en lisant différents récits, on ne peut manquer de trouver quelque peu curieux certains détails. Vous verrez plus tard que l'on retirera cette même impression lorsque nous nous intéresserons à la prise de la Bastille.

    Un mot au passage sur la Bastille. Le gouvernement craignait tellement que de telles émeutes éclatent, qu'il venait de faire mettre en sureté à la Bastille, le dépôt d'armes qui se trouvait à l'Arsenal…

La Bastille attendant son heure (estampe de 1749)

Un climat propice à l'effervescence populaire

    En ce printemps de 1789, la tension sociale était très forte en raison de plusieurs facteurs.

  • Un traité mal conçu.

 La crise économique résultant du traité Eden-Rayneval de libre-échange avec l'Angleterre causait une vague de licenciements.

Affiche anglaise illustrant le traité.
Notez à droite les Français mangeant des grenouilles...

Gravure anglaise "Anticipation, ou la mort prochaine du Traité de commerce français."

  • La rareté des grains

Le prix du pain ne cessait d'augmenter, du fait du manque de grains résultants du formidable orage qui avait balayé la France le 13 Juillet 1788 et du petit refroidissement climatique en cours.

Carte de l'orage du 13 juillet 1788

En 1783 eu lieu en Islande la plus grande éruption des temps historiques
qui eu des conséquences terribles en France.

  • Une nouvelle politique économique

    Notons également les effets de la nouvelle politique économique très libérale initiée par le courant des physiocrates, celle-ci favorisant (entre autres) la spéculation sur les blés. 

Je traite de ces problèmes très complexes plus en détail dans les 2 articles suivants :

24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales.

10 Novembre 1789 : La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?

    Pour toutes ces raisons une grande vague de misère envahissait le pays et des milliers de miséreux affluaient sur Paris.

Lire cet article : A propos de la terrible misère au 18ème siècle

"La pauvre famille"
Dessin (pinceau, encre et lavis)
de Jean-Baptiste Greuze (1763)

    A tout cela, venait s'ajouter l'effervescence due à la convocation des états généraux, dont la date approchait (5 mai 1789). On ne parlait presque plus que de cela dans les journaux et probablement dans les rues. Dans toutes les grandes villes du royaume les trois ordres, c'est-à-dire, la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat, se réunissaient pour élire les représentants qui se rendraient aux Etats Généraux.

Costumes des députés des trois ordres aux Etats Généraux

    Les élus de Tiers-état étaient censés représenter le peuple, c’est-à-dire à peu près 98% de la population, mais ils ne représentaient de fait que la bourgeoisie, vu qu'à Paris, le petit peuple n'avait pas été autorisé à participer aux élections des représentants du tiers-état. Cette mise à l'écart des petites gens qui s'étaient malgré tout exprimés dans les cahiers de doléances, créait chez beaucoup un fort sentiment d'irritation. A tout cela s'ajoutait bien sûr l'angoisse de la faim résultant du manque de pain et du prix sans cesse en hausse de celui-ci.

    Le pouvoir connaissait et redoutait cette agitation populaire, puisqu'entre "le 13 avril et le 1er mai, 1500 hommes de cavalerie et un régiment suisse, le "Salis-Samade", s'étaient installés à Mantes, Pontoise, Beauvais, Compiègne, Meaux et Etampes. Ces troupes avaient été placées sous les ordres du baron de Besenval, lieutenant-général et commandant de l'intérieur depuis plusieurs années (dont on reparlera le 12 Juillet 1789). Répartie en petits groupes, la cavalerie était employée à prévenir et à réprimer les troubles alors fréquents, par suite de la disette, dans les marchés de l'Ile-de-France et des provinces limitrophes. En juin, les troupes se renforceront de 550 cavaliers stationnant tout autour de Paris.

Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt

    Ce fut ainsi que, peu à peu, tous les acteurs de la Révolution se mirent en place pour le premier acte de Juillet 1789.

Une rumeur,

    C'est le dimanche 26 avril, après la séparation des trois ordres réunis à l'Archevêché de Paris, que le sieur Jean-Baptiste Réveillon, fabriquant de papiers peints et l'un des 42 commissaires élus du tiers-état, est averti qu'une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres veulent le pendre ! Pourquoi cette colère meurtrière ? Une rumeur disait que Réveillon aurait affirmé qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous par jour et que le pain était trop bon pour le peuple (le pain coûtait alors de 13 à 13,5 sous).

L'Archevêché de Paris, lieu des assemblées.

    Nombre de textes nous expliquent que cette rumeur était "infondée" et que le Peuple avait mal compris ce que Réveillon avait dit (le Peuple est stupide). On nous dit que Réveillon se justifiera quelques jours plus tard, en expliquant l'origine des perfidies dont il était victime. C'est-à-dire que durant l'hiver, il avait payé 18 sous par jour, 200 ouvriers qui ne pouvaient plus travailler en raison du fait que les teintures de couleurs avaient gelé. Il aurait dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain baissât de prix. Un quidam mal intentionné avait donc dû entendre cela et mal comprendre. D'autres relations de l'événement nous expliquent que Réveillon avait mis au chômage ses ouvrier à cause de la concurrence anglaise qui mettait à mal ses affaires.

    Compte tenu de la terrible rigueur de l'hiver 1788/1789, la thèse des couleurs gelées est assez crédible. Mais l'hypothèse de la concurrence anglaise est également pertinente. Car l'industrie française souffrait effectivement des conséquences du traité de libre-échange Eden-Rayneval, entre la France et l'Angleterre. L'industrie anglaise était en effet très en avance sur celle de la France. Nombre de patrons d'entreprises françaises prendront d'ailleurs pour cette raison le parti de la Révolution française lorsque celle-ci se produira. Mais pas Réveillon, car lorsque la Révolution éclatera, Jean-Baptiste Réveillon émigrera en Angleterre avec sa fortune intacte.

L'émeute Réveillon

Des propos grossiers

    Si l'on cherche un peu, on apprend que le 23 avril précédant, au cours de l'assemblée électorale du district de Sainte-Marguerite, Jean-Baptiste Réveillon se serait réellement plaint à propos du salaire des ouvriers.

  • Le fond.

    Il aurait proposé de supprimer les taxes prélevées sur les biens de consommation courante entrant dans la capitale, permettant mécaniquement la baisse de leur prix, et offrant alors aux entrepreneurs la possibilité de baisser les salaires, un discours que ne pouvaient entendre tous les travailleurs précaires, vivant au niveau de subsistance, pour qui le moindre sou était une question de survie.

  • La forme

    Hippolyte Adolphe Taine (1828-1893) évoquera le fait que Réveillon "et le commissaire Lerat" y "ont mal parlé" et "Parler mal, c'est mal parler du peuple" (Taine, "Les origines de la France contemporaine, la Révolution. — L'anarchie", Paris, Hachette, 2e vol de 1878, 6 volumes, de 1875 à 1893).  

  • Propos inconsidérés selon la police.

    Nous ne sommes pas sûrs de la teneur exacte des propos (demande d'abaissement des salaires à 15 sous, au lieu d'une vingtaine, regrets du "bon vieux temps où les salaires étaient plus bas") ; le 22 avril, déjà, dans une autre assemblée, dans le district des Enfants-Trouvés, le salpêtrier (fabricant de salpêtre) Henriot n'avait-il pas déjà affirmé que les ouvriers pouvaient bien vivre avez quinze sous par jour ?  (Sagnac, 1910). Dans, tous les cas, des propos de ce genre ont bien été tenus, confirme ce jour-là le lieutenant de police Thiroux de Crosne

"Il y a eu hier sur les dix heures un peu de rumeur dans un canton du faubourg Saint-Antoine ; il n’était que l’effet du mécontentement que quelques ouvriers marquaient contre deux entrepreneurs de manufacture qui, dans l’assemblée de Sainte-Marguerite, avaient fait des observations inconsidérées sur le taux des salaires." (in Rudé, 1982). 

28 Avril 1789. Fusillade au Faubourg Saint-Antoine (Claude Niquet)


Justification et légende patronale

"Pub" de Réveillon

    
En mai 1789, sitôt remis de ses émotions, Jean-Baptiste Réveillon publiera un "Exposé justificatif pour le sieur Réveillon, entrepreneur de la manufacture royale de papiers peints, fauxbourg Saint-Antoine". Ce document est intéressant car on y découvre le personnage se présentant en persécuté et exposant, malgré ses malheurs, sa compassion envers ses ouvriers :

"Un nouvel objet de douleur se joignait à mes maux : trois cent cinquante ouvriers que ma manufacture fait vivre, près de manquer de pain, ainsi que leurs enfants & leurs femmes, me déchiraient le cœur : leurs cris sont parvenus jusqu'à moi ; j'ai oublié un instant mes malheurs, & je n'ai songé qu'à ceux qui les menaçaient…"

Quel meilleur moyen de leur venir en aide que de les faire de nouveau travailler ?

Le texte se poursuit donc ainsi : "J'ai pris, grâces aux secours de mes amis, les précautions nécessaires pour faire continuer les travaux des ateliers."

Fidèle à un argumentaire qui fera ses preuves plus tard, le Sieur Réveillon se présente également comme un entrepreneur parti de rien (Un "self made man" dirait-on de nos jours) :

"Moi qui ai commencé par vivre du travail de mes mains ! Moi qui fais par ma propre expérience, quand mon cœur ne l'apprendrait pas, combien le pauvre a de droits à la bienveillance ! Moi enfin, qui me souviens & qui me suis toujours fait honneur d'avoir été ouvrier & journalier, c'est moi qu'on accuse d'avoir taxé les ouvriers et les journaliers à QUINZE SOUS par jours !"

"Après trois ans d'apprentissage, je me trouvai, pendant plusieurs jours, sans pain, sans asyle, & presque sans vêtement. J'étais dans l'état de désespoir qui est la suite d'une situation si horrible ; je périssais enfin de douleur & d'inanition. Un de mes amis, fils d'un menuisier, me rencontra ; il manquait d'argent, mais il avait sur lui un outil de son métier, qu'il vendit pour m'avoir du pain."

Accédez au texte intégral du "justificatif" par la fenêtre ci-dessous :

     Rangez vos mouchoirs chers amis ! Bien qu'il ait probablement eu quelques difficultés passagères, Réveillon était avant tout fils d'un "bourgeois de Paris" et il connut surtout une vraie réussite entrepreneuriale. En 1753, son apprentissage de trois ans de marchand-papetier à peine achevé, il fut en mesure de racheter l'affaire de son maître à sa veuve, de rembourser les dettes de celui-ci et d'épouser sa fille ! L'outil vendu par son ami menuisier devait être en or massif ! En 1765 Jean-Baptiste Réveillon achètera rue de Montreuil, dans le Faubourg Saint-Antoine, la magnifique propriété de la Folie-Titon pour la convertir en fabrique de papiers peints.

La Folie Titon

    Le mot "folie" ne fait pas référence à l'éventuelle exubérance architecturale du la propriété de Monsieur Titon. On désignait ainsi les maisons de villégiatures ou de réceptions entourées d'un rideau d'arbres, folie étant une altération de feuillée. Cette folie avait été construite en 1673 par Maximilien Titon, directeur des manufactures royales d'armes, comme maison de campagne. Elle recevra en 1784 le nom de « Manufacture royale de papiers peints ».

    Sachez également que c'est à la File Titon, qu'eu lieu le 19 octobre 1783, le premier vol humain, effectué par Jean-François Pilâtre de Rozier et Giroud de Villette dans un ballon captif, c'est-à-dire amarré au sol par une corde.


Un faubourg Saint-Antoine pas aussi populaire que ça !

    Attardons-nous un moment sur le faubourg Saint-Antoine, au milieu duquel se situait la fabrique de papiers peints du sieur Réveillon. N'imaginez pas trop vite un faubourg grouillant d'un petit peuple s'affairant au milieu d'échoppes et d'ateliers bruyants. Il y a bien sûr des boutiques et des milliers d'ouvriers travaillent dans ce faubourg. Mais beaucoup viennent d'autres quartiers de Paris, plus populaires et plus éloignés. Regardez ci-dessous l'extrait du fameux plan de Bretez et vous allez découvrir une suite de belles propriétés entourées de hauts murs. La plupart des faubourgs de Paris étaient en fait constitués de belles propriétés et d'édifices religieux, tous entourés de jardins ceinturés de hauts murs.

Le Faubourg Saint-Antoine sur le plan de Bretez

La Folie Titon en 1739

Faubourg Saint-Antoine en 2022.
On reconnait la pointe sur laquelle se situait la Boucherie, et il existe une rue Titon.

Jouez aux historiens et posez-vous des questions

    Je vous propose de lire ci-dessous (si vous le souhaitez) quelques textes qui décrivent et commentent l'événement. Vous ne manquerez pas de découvrir des différences et même quelques points particuliers qui posent questions.

    Qui sont les émeutiers et d'où viennent-ils ?  Un récit nous les décrit descendant de la montagne Sainte-Geneviève par le faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue Mouffetard et les Gobelins. Ils font même un détour par le pont de la Tournelle jusqu'à la place de Grève, afin de pendre et brûler une effigie à une lanterne. Il ne semble pas en tout cas qu'ils s'agissent d'ouvriers de chez Réveillon !

    Que venaient faire là, ces deux Chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, que l'on retrouvera morts parmi les émeutiers ?

    Pourquoi par deux fois le carrosse du Duc d'Orléans traverse-t-il l'émeute ? Dans l'après-midi du 28, le duc d'Orléans, prince du sang, traverse le rassemblement en carrosse et appelle au calme, avant de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Ce qui lui vaut d'être ovationné. Dans la soirée, le passage du carrosse de sa femme, la duchesse d'Orléans, en route pour assister à des courses de chevaux à Vincennes, permet d'ouvre une brèche et donne l'occasion à la foule de se précipiter dans la manufacture. Vous allez découvrir bientôt le jeu équivoque du Duc d'Orléans, au cours des journées révolutionnaires.

    Pourquoi ni le guet ni la garde n'interviennent-ils pas au début de l'événement ? Vous verrez plus tard que le régiment des gardes françaises se fera remarquer plus tard pour son inaction, voire sa participation lors des événements révolutionnaires… Il faudra finalement que les fougueux cavaliers Croates du Royal Cravate chargent la foule et que les gardes Suisses fassent toner le canon ! (Au fait messieurs, le nom de votre cravate vient précisément de l'écharpe que portait les soldats de ce régiment. C’est le mot Hrvat, forme croate de Croate, qui a donné krvat, puis cravate.)

    Vous constaterez par la suite que ce genre de bizarrerie se reproduira souvent lorsque nous évoquerons d'autres événements révolutionnaires ! Vous comprendrez alors pourquoi certains se posent des questions quant à la nature spontanée de telles émeutes. Des bandes qui surgissent de nulle part, des militaires (souvent les gardes françaises) qui n'interviennent que mollement, le Duc d'Orléans qui passe par là, autant d'ingrédients suffisants pour imaginer un complot. Lorsque nous évoquerons la prise de la Bastille, vous verrez que la confusion sera encore pire ! 

Nota : J'ai conservé l'orthographe de l'époque et je me suis permis de souligner en rouge quelques passages, pour attirer votre attention.

Journal politique ou Gazette des gazettes

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4153057/f139.item

La tranquillité de la capitale pendant toutes ces assemblées, avait été parfaite ; mais elle fut cruellement troublée le 27 et le 28. Monsieur Réveillon, propriétaire d'une riche manufacture de papiers peints, établie au faubourg Saint Antoine, s'étant permis quelques propos qui déplurent au Peuple, comme le dire qu'un salaire de 15 sols par jour était suffisant pour la subsistance d'un manouvrier, une quantité de gens armés de bâtons et de pierres tenta, le 27, de détruire la manufacture. Après avoir brisé les vitres de la maison, on voulait en arracher le propriétaire. Un fort détachement de Gardes Françaises vint au secours de ce citoyen qui sut souffrait à la fureur du Peuple. La troupe grossissant à chaque instant, ne pouvant exécuter les violences qu'elle avait projetées, se jette sur la maison du Sieur Henriot, salpêtrier, la pilla, enleva & brûla tous les meubles & effets qui la garnissait. Le 28, l'insurrection devint alarmante : les mutins, au nombre de 4 à 5 mille, ne pouvant être contenus par les Gardes Françaises, ni par les Gardes Suisses, le régiment de Royal-Cravate, cavalerie, s'y joignit, & ce ne fut qu'après bien des efforts qu'on parvint à disperser la multitude animée. Il fallut réprimer son audace à coup de fusil, & il y eut beaucoup de sang répandu de part & d'autre ; mais, grâce au ciel, le calme est enfin rétabli.

Dans ces circonstances, il parut un arrêt du parlement, qui fait défenses à toutes personnes de former aucuns attroupements, d'entrer de force dans les maisons, d'y commettre des excès, &c, à peine d'être poursuivies extraordinairement comme perturbateurs du repos public, & punies suivant la rigueur des ordonnances.

Le 23, le parlement enregistra une déclaration du roi, datée du 28, & par laquelle Sa Majesté attribue à la prévôté la connaissance de ces excès.

Le 29, un jugement prévôtal, rendu à la chambre criminelle du Chatelet, condamne Jean-Claude Gilbert, couverturier, & Antoine Pourrat, gagne-denier, à être pendus à la place de la porte Saint-Antoine, pour attroupement, émeute & sédition.

Journal de Paris

Pas un mot sur l'événement. Etonnant, non ?

Source :


Journal d'un bourgeois de Paris pendant la révolution Hyppolite Monin (à partir de la page 127). Il s'agit d'une version romancée, écrite par un historien spécialiste de la Révolution française.

Source :
https://www.google.fr/books/edition/Journal_d_un_bourgeois_de_Paris_pendant/qikvAAAAYAAJ?hl=fr&gbpv=0

26 avril. Aussitôt réunis à l'Archevêché, les trois ordres se sont séparés, et chacun d'eux a nommé des commissaires pour la rédaction des cahiers définitifs. M. Angran d'Alleray, lieutenant civil au Châtelet, avait été désigné pour présider notre assemblée : il s'est refusé à remplir ses fonctions comme simple citoyen, malgré la disposition où se trouvait l'assemblée de les lui confirmer par élection. Il s'est retiré, mais à portée, avec ses huissiers. Nous avons élu président Me Target, et secrétaire M. Sylvain Bailly. M. le prévôt de Paris, président de la noblesse, est venu nous proposer l’union avec son ordre. Mais chacun pensait à ce mot : Timeo Danaos, et dona ferentes, et tout ce miel ne nous a pas englués. Bien plus, quelques électeurs voulaient obliger à sortir trois anoblis, entre autres un banquier, M. Lecoulteux de la Noraye. La noblesse n'aurait certaine ment pas voulu d'eux et ils seraient demeurés à cheval entre deux selles. Ils se sont excusés sur ce qu'ils avaient obtenu la noblesse par le commerce, et nous les avons gardés, quoiqu'ils eussent dérogé à leur ordre. Mgr de Juigné a été admis comme président du clergé ; mais il a dû congédier sa haute croix qui le précédait partout suivant l'usage. Le clergé a renoncé, ainsi que la noblesse, à tout privilège en fait d'impôt. En rentrant chez moi, je rencontre, rue Saint Séverin, une bande d'hommes déguenillés et à moitié ivres, qui vociféraient, avec des menaces de mort, le nom d'un de nos 42 commissaires élus (Par 103 voix. Le premier était Guillotin, qui eut 239 voix), M. Réveillon, fabricant de papiers peints. J'apprends que, prévenu à temps, M. Réveillon n'est point sorti de l'Archevêché. Je m'informe de ce qu'on lui reproche. Il aurait dit qu'une famille d'ouvriers pouvait bien vivre avec 15 sous par jour, que le pain était trop bon pour le peuple, etc. Cette accusation est une infâme calomnie : M. Réveillon a été lui- même ouvrier, et s'en est toujours souvenu.

27 avril. Dès avant-hier et durant toute la journée d'hier dimanche, des bandes avinées se portent du côté du faubourg Saint-Antoine, où sont situées, à la Folie-Titon, la maison et la fabrique de M. Réveillon. Le guet et la garde ont laissé faire. Ce matin continue cette singulière émeute contre un particulier jusqu'ici inconnu de la foule, et considéré par ses amis comme la bonté et la bienfaisance mêmes. Une de ces troupes, que j'ai suivie, pouvait bien compter cinq à six cents mutins. Ils ne portaient d'autres armes que des bâtons, avec un papier blanc au bout. Ils s'arrêtaient pour boire, et payaient. De la montagne Sainte - Geneviève, ils sont descendus au faubourg Saint-Marceau, puis, par la rue Mouffetard, aux Gobelins : le poste des gardes françaises devant lequel ils sont passés, n'a pas bougé. Ils sont revenus par la rue Saint-Victor et celle des Fossés-Saint Bernard, ont volé des bûches au chantier, puis, par le pont de la Tournelle, se sont arrêtés place de Grève. Là, le plus grand de la bande a crié un « Arrêt du tiers état qui condamne les nommés Réveillon et Henriot (Salpêtrier, voisin de Réveillon) à être pendus et brûlés en place publique ». Ils ont accroché à une potence l'effigie d'un homme peinte sur un morceau de carton. Ils ont brûlé un autre mannequin. Pendant cette exécution, une autre troupe avait gagné le faubourg Saint-Antoine. Mais la maison Réveillon était entourée par les gardes françaises, qui avaient élevé de solides barricades. Il n'y a pas eu de sang versé, le duc du Châtelet et le comte d'Affry ayant recommandé aux soldats la plus grande modération. Le soir, les boutiquiers des rues Saint- Denis, Saint-Martin, Saint- Antoine, etc. , qui avaient fermé, rouvrent en partie.

28 avril, MM. Réveillon et Henriot ont été mis en sûreté à la Bastille. Les gardes françaises ont été renforcées des gardes suisses, du guet, de la maréchaussée. Mais une des barricades a été affranchie pour laisser passer Mme la duchesse d'Orléans, qui allait à une course de chevaux à Vincennes. Les soldats ont été aussitôt assaillis de pierres, de tuiles, et même de débris de cheminées. Ils ont fait feu. Après-midi, le Royal-Cravate a chargé la foule. Quant à la maison, elle a été saccagée de fond en comble. Vers 5 heures, le Pont-Neuf, le Pont-au-Change, le boulevard de la Porte-Saint-Antoine, sont remplis d'une foule compacte. Le peuple arrête les voitures, fait descendre hommes ou femmes, et les oblige à crier : Vive le Roi ! Vive M. Necker ! Vive le Tiers État ! Le Parlement a rendu un arrêt contre les rassemblements illicites.

29 avril. - M. Réveillon se justifie, ou plutôt il explique l'origine des perfidies dont il est victime. Il a, cet hiver, payé 18 sous par jour 200 ouvriers à ne rien faire, les couleurs étant gelées, et tout travail impossible. Il aurait dit alors qu'il désirait qu'un tel secours pût suffire, et que le pain baissât de prix. A la Folie - Titon, il n'y a plus que les quatre murs : heureusement, dès avant-hier, Mme Réveillon avait mis en sûreté ses papiers et ses bijoux. — Sept individus ont été trouvés morts ivres ou empoisonnés dans les caves ; plusieurs centaines d'émeutiers ou de curieux ont été tués ou blessés, deux chevaliers de Saint- Louis dans le nombre. Sur les sept heures du soir deux des assaillants, jugés prévôtalement, sont pendus devant la Bastille, et leurs cadavres enlevés une heure après. — Hélas ! Nous avons eu bien pire que le Champ de Mont morin .

30 avril. – La foule va en procession au faubourg Saint-Antoine. On ne sait que penser de cette étrange sédition : on croit qu'elle a été préparée de longue main, mais qu'elle n'a pu mûrir assez tôt pour empêcher nos élections. On a aussi surpris deux meneurs dans un galetas d'une ignoble maison, rue des Prêtres Saint-Séverin : or le curé de Saint- Séverin donne avis que, quelques jours avant l'émeute du 27, on voyait souvent venir des personnes de qualité dans cette maison. La crainte et la défiance sont dans tous les cours, au moment où il n'est question dans la plupart des écrits avoués par leurs auteurs que de la fraternité des ordres, du Roi notre bon père à tous, etc. La haine, envie, l'orgueil, la cruauté font tomber les masques l'un après l'autre.

Adrien Joseph Colson, courrier du 3 mai 1789

    Adrien Joseph Colson, avocat au Parlement de Paris et intendant de la famille de Longaunay, écrivit de 1780 à 1793, au rythme de la poste, soit deux fois par semaine, à Roch Lemaigre, régisseur des terres du Berry de cette famille. Il raconte, de son point de vue, les événements révolutionnaires. A noter qu'il rapporte plus qu'il ne témoigne.

(…) Au moment encore où j'écrivais ma dernière lettre (28 avril), il se passait au faubourg Saint-Antoine une scène sérieuse de désordres qui ensanglantaient les rues et jusqu'aux toits des maisons de ce Faubourg. Quelques jours avant cet événement, la crapule de ce faubourg, prétendant qu'un sieur Réveillon avait dit qu'il ne trouvait pas le pain trop cher et qu'il était à un taux raisonnable, s'en est tellement offensée qu'elle s'est mise à le chercher tous les jours pour le tuer. Ne le trouvant pas, et le nombre de cette crapule augmentant tous les jours, elle s'est enhardie et animée au point de brûler tous ses effets et, le lendemain ou deux jours après, elle a incendié sa maison. Déjà une partie se portait en foule dans les rues de Paris et une autre s'y répandait par pelotons : et ceux-ci faisaient les premiers essais du brigandage en arrêtant les voitures et quelque fois les gens de pied bien mis pour en extorquer de l'argent. Tous ces excès réunis ont obligé, au moment où j'écrivais ma lettre, à faire marcher au faubourg saint Antoine où était le centre de ces brigands un corps considérable de troupes formé de différends détachements des gardes françaises, un des gardes suisses, le régiment entier de royal cravate cavalerie et d'autres corps qui se trouvaient autour de Paris. Les gardes suisses avaient conduit avec eux leurs canons. La crapule du faubourg a eu le front et la témérité de monter sur le toit des maisons et dans les chambres et de lancer des pierres qu'elle avait amassée, des tuiles et tout ce qu'elle avait, sur les troupes. Elle a tué quelques soldats du régiment du royal cravate et en a blessé quelques-uns des gardes françaises. Mais on lui a tué et blessé bien du monde. Un grenadier des gardes françaises a dit à quelqu'un de qui je le tiens qu'à sa part il en avait tué cinq sur les toits au moment où il les voyait mesurer leur coup sur les toits avec des tuiles sur ses camarades. Le lendemain de cette scène on a pendu deux de ces brigands : cela a rétabli le calme un jour ou deux. Mais on dit que l'avant dernière nuit cette canaille a été ouvrir les prisons et les salles de force de Bicêtre, ce qui annonce qu'elle n'en restera pas là et qu'il faudra de nouveaux coups de vigueur contre elle. (…) Vous savez sans doute qu'à Orléans il s'est passé des scènes aussi terribles qu'ici au faubourg Saint-Antoine. (…)


1762 à 1789 journal anecdotique de Paris et Versailles (Pages 377 et 378)

Source : https://www.google.fr/books/edition/Paris_et_Versailles/9O9AAQAAMAAJ?hl=fr&gbpv=0

Voici les nouvelles de Paris, du 29 avril : Notre tour est venu, la révolte a éclaté avant-hier 27, mais pour toute autre cause que celle des grains. Les ouvriers du faubourg Saint-Antoine avaient été ameutés contre un sieur Réveillon, propriétaire d'une grosse manufacture de papier peint. On l'accusait d'avoir soutenu dans l'assemblée de son district qu'un ouvrier pouvait vivre avec 15 sols par jour et qu'il fallait diminuer les salaires ; ce qui était faux. Les ouvriers promenèrent lundi un mannequin, le représentant, qu'ils brûlèrent. Ils ne purent forcer sa maison, qu'un détachement des gardes défendaient ; ils s'en vengèrent sur celle d'un salpêtrier, son ami, en brûlant tous les meubles et effets au milieu de la rue. Le guet, les gardes françaises, soutenus par cent chevaux des Cravates, dissipèrent les mutins vers minuit. Il aurait fallu en pendre de bon matin deux ou trois qui avaient été arrêtés. Point du tout, on ne fit rien. Les ouvriers se réunirent hier de bonne heure, ils repoussèrent les troupes, et cette fois ils par vinrent à forcer la maison de Réveillon. Les tuiles, les cheminées pleuvaient sur les soldats. L'ordre vint de tirer, les Cravates chargent, il y a un carnage affreux. Les ouvriers, ivres de vin et de liqueurs, trouvés dans les caves se défendent en désespérés. A 8 heures, les gardes suisses arrivent avec du canon. Ce n'est qu'à minuit qu'on est maître du champ de bataille. On compte deux cents hommes au moins de tués. Les troupes en ont plusieurs de blessés et trois ou quatre tués. A la première décharge des troupes, quinze jeteurs de tuiles et briques ont déniché de dessus les toits. Vous voyez que ce n'est pas la même cause que pour les grains.

Godechot : La prise de la Bastille, 1965 (via Guillemin page 29).

Source : https://echosdeslumieres.home.blog/2019/04/11/merci-patron-1789-laffaire-reveillon/ 

Le bruit se répand dans Paris, que Réveillon, un marchand de papier peint du faubourg Saint-Antoine, aurait déclaré que ses ouvriers pouvaient bien vivre avec 15 sous par jours. On le traite d’affameur (le pain coûte de 13 à 13,5 sous). En vérité Réveillon n’avait pas dit cela. C’était un brave homme qui devant mettre au chômage une partie de son personnel, à cause de la concurrence anglaise, les avait payés quand même et avait déclaré qu’il faudrait une réduction des prix des denrées de bases, pour qu’un ouvrier puisse vivre avec 15 sous par jours.

La troupe ouvre le feu (12 soldats et près de 300 manifestants tués).

Herodote.net

Source : https://www.herodote.net/27_28_avril_1789-evenement-17890427.php

Jean-Baptiste Réveillon dirige une grande manufacture de papiers peints dans la rue de Montreuil, la Folie-Titon. Il fournit ainsi de l'emploi à trois cents ouvriers.

Obligé de réduire ses effectifs en raison de la concurrence anglaise induite par le Traité Franco-britannique ‘Eden-Rayneval’ (1786), il a octroyé une allocation chômage à ceux dont il a dû se séparer. Cette initiative originale témoigne de ses idées progressistes...

Autre témoignage de son ouverture d'esprit : le 23 avril 1789, il suggère au gouvernement du roi Louis XVI de supprimer les octrois, taxes prélevées sur les marchandises à l’entrée dans la capitale. Cette mesure devrait faire baisser les prix des biens de consommation courante. Et si les prix baissent, il deviendra loisible aux employeurs de baisser aussi les salaires de leurs ouvriers. CQFD. La proposition est reprise par un fabricant de salpêtre, Henriot.

Mais cet argumentaire libéral d’avant-garde, diffusé dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel, où travaillent une quarantaine de milliers d'ouvriers, artisans et compagnons, n’a pas l’heur de plaire à la population laborieuse qui n'en retient que la menace d'une baisse de salaire.

Ce petit peuple est irrité par ailleurs de n'avoir pas été autorisé à participer aux élections aux états généraux, qui doivent se réunir à Versailles au début mai.

Des manifestations spontanées se forment çà et là. Les effigies de Réveillon et Henriot sont brûlées dans la nuit du 26 au 27 avril en place de Grève, devant l'Hôtel de ville, aux cris de « Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! ». La maison de Réveillon est pillée.

Le lendemain, plusieurs milliers de personnes investissent la manufacture Réveillon, sous la surveillance de quelques troupes, gardes françaises, gendarmes à cheval, cavaliers du Royal Cravates. En soirée, comme les troupes doivent s'écarter pour faire de la place au carrosse du duc d'Orléans, la foule en profite pour entrer dans la manufacture et la mettre au pillage. Tout est saccagé et brûlé.

Là-dessus intervient la troupe. C’est l’affrontement. Avec douze morts parmi les forces de l’ordre et au moins une centaine parmi les émeutiers, la journée s’avère plus meurtrière que toutes celles qui suivront.

Histoire de la Révolution française par l'historien Jules Michelet

Les électeurs, sous un président de leur choix, siégeaient à l’Archevêché ; ils allaient procéder à la fusion des cahiers de districts et à la rédaction du cahier commun ; ils s’accordaient déjà sur une chose, que Sieyès avait conseillée, l’utilité de placer en tête une déclaration des droits de l’homme. Au milieu de cette délicate et difficile besogne métaphysique, un bruit terrible les interrompit. C’était la foule en guenilles qui venait demander la tête d’un de leurs collègues, d’un électeur, Réveillon, fabricant de papier au faubourg Saint-Antoine. Réveillon était caché ; mais le mouvement n’en était pas moins dangereux. On était déjà au 28 avril ; les États généraux promis pour le 27, puis remis encore au 4 mai, risquaient fort, si le mouvement durait, d’être ajournés de nouveau.

Il avait commencé précisément le 27, et il n’était que trop facile de le propager, le continuer, l’agrandir, dans une population affamée. On avait répandu dans le faubourg Saint-Antoine que le papetier Réveillon, ex-ouvrier enrichi, avait dit durement qu’il fallait abaisser les journées à quinze sols ; on ajoutait qu’il devait être décoré du cordon noir. Sur ce bruit, grand mouvement. Voilà d’abord une bande qui, devant la porte de Réveillon, pend son effigie décorée du cordon, la promène, la porte à la Grève, la brûle en cérémonie sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville, sous les yeux de l’autorité municipale, qui ne s’émeut pas. Cette autorité et les autres, si éveillées tout à l’heure, semblent endormies. Le lieutenant de police, le prévôt des marchands Flesselles, l’intendant Berthier, tous ces agents de la cour, qui naguère entouraient les élections de soldats, ont perdu leur activité.

La bande a dit tout haut qu’elle irait le lendemain faire justice chez Réveillon. Elle tient parole. La police, si bien avertie, ne prend nulle précaution. C’est le colonel des gardes françaises qui de lui-même envoie trente hommes, secours ridicule ; dans une foule compacte de mille ou de deux mille pillards et cent mille curieux, les soldats ne veulent, ne peuvent rien faire. La maison est forcée, on brise, on casse, on brûle tout. Rien ne fut emporté, sauf cinq cents louis en or. Beaucoup s’établirent aux caves, burent le vin et les couleurs de la fabrique, qu’ils prirent pour du vin.

Chose incroyable, cette vilaine scène dura tout le jour. Remarquez qu’elle se passait à l’entrée même du faubourg, sous le canon de la Bastille, à la porte du fort. Réveillon, qui y était caché, voyait tout des tours. On envoyait de temps à autre des compagnies de gardes françaises qui tiraient, à poudre d’abord, puis à balles. Les pillards n’en tenaient compte, quoiqu’ils n’eussent que des pierres à jeter. Tard, bien tard, le commandant Besenval envoya des Suisses, les pillards résistèrent encore, tuèrent quelques hommes ; les soldats répondirent par des décharges meurtrières qui laissèrent sur le carreau nombre de blessés et de morts. Beaucoup de ces morts, en guenilles, avaient de l’argent dans leurs poches.

Si, pendant ces deux longs jours où les magistrats dormirent, où Besenval s’abstint d’envoyer des troupes, le faubourg Saint-Antoine s’était laissé aller à suivre la bande qui saccageait Réveillon, si cinquante mille ouvriers, sans travail, sans pain, s’étaient mis, sur cet exemple, à piller les maisons riches, tout changeait de face ; la cour avait un excellent motif pour concentrer une armée sur Paris et sur Versailles, un prétexte spécieux pour ajourner les États. Mais la grande masse du faubourg resta honnête et s’abstint ; elle regarda, sans bouger. L’émeute, ainsi réduite à quelques centaines de gens ivres et de voleurs, devenait honteuse pour l’autorité qui la permettait. Besenval trouva, à la fin, son rôle trop ridicule, il agit et finit tout brusquement. La cour lui en sut mauvais gré ; elle n’osa le blâmer, mais ne lui dit pas un mot.

Le Parlement ne put se dispenser, pour son honneur, d’ouvrir une enquête, et l’enquête resta là. On a dit, sans preuve suffisante, qu’il lui fut fait défense, au nom du roi, de passer outre.

Quels furent les instigateurs ? Peut-être personne. Le feu, dans ces moments d’orage, prend bien de lui-même. On ne manqua pas d’accuser « le parti révolutionnaire ». Qu’était-ce que ce parti ? Il n’y avait encore nulle association active.

On prétendit que le duc d’Orléans avait donné de l’argent. Pourquoi ? Qu’y gagnait-il alors ? Le grand mouvement qui commençait offrait à son ambition trop de chances légales pour qu’à cette époque il eût besoin de recourir à l’émeute. Il était mené, il est vrai, par des intrigants prêts à tout ; mais leur plan, à cette époque, était entièrement dirigé vers les États généraux ; seul populaire entre les princes, leur duc, ils s’en croyaient sûrs, allait y jouer le premier rôle. Tout événement qui pouvait retarder les États leur paraissait un malheur.

Qui désirait les retarder ? Qui trouvait son compte à terrifier les électeurs ? Qui profitait à l’émeute ?

La cour seule, il faut l’avouer. L’affaire venait tellement à point pour elle qu’on pourrait l’en croire auteur. Il est néanmoins plus probable qu’elle ne la commença point, mais la vit avec plaisir, ne fit rien pour l’empêcher et regretta qu’elle finît. Le faubourg Saint-Antoine n’avait pas alors sa terrible réputation ; l’émeute sous le canon même de la Bastille ne semblait pas dangereuse.

Histoire de la Révolution française par Adolphe Thiers, homme politique et historien.

Source :
https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_la_R%C3%A9volution_fran%C3%A7aise_(Thiers)/1

La cour ne voulut point influencer les élections ; elle n’était point fâchée d’y voir un grand nombre de curés ; elle comptait sur leur opposition aux grands dignitaires ecclésiastiques, et en même temps sur leur respect pour le trône. D’ailleurs elle ne prévoyait pas tout, et dans les députés du tiers elle apercevait encore plutôt des adversaires pour la noblesse que pour elle-même. Le duc d’Orléans fut accusé d’agir vivement pour faire élire ses partisans, et pour être lui-même nommé. Déjà signalé parmi les adversaires de la cour, allié des parlements, invoqué pour chef, de son gré ou non, par le parti populaire, on lui imputa diverses menées. Une scène déplorable eut lieu au faubourg Saint-Antoine ; et comme on veut donner un auteur à tous les évènements, on l’en rendit responsable. Un fabricant de papiers peints, Réveillon, qui par son habileté entretenait de vastes ateliers, perfectionnait notre industrie et fournissait la subsistance à trois cents ouvriers, fut accusé d’avoir voulu réduire les salaires à moitié prix. La populace menaça de brûler sa maison. On parvint à la disperser, mais elle y retourna le lendemain ; la maison fut envahie, incendiée, détruite. Malgré les menaces faites la veille par les assaillants, malgré le rendez-vous donné, l’autorité n’agit que fort tard, et agit alors avec une vigueur excessive. On attendit que le peuple fût maître de la maison ; on l’y attaqua avec furie, et on fut obligé d’égorger un grand nombre de ces hommes féroces et intrépides, qui depuis se montrèrent dans toutes les occasions, et qui reçurent le nom de brigands.

Tous les partis qui étaient déjà formés s’accusèrent : on reprocha à la cour son action tardive d’abord, et cruelle ensuite ; on supposa qu’elle avait voulu laisser le peuple s’engager, pour faire un exemple et exercer ses troupes. L’argent trouvé sur les dévastateurs de la maison de Réveillon, les mots échappés à quelques-uns d’entre eux, firent soupçonner qu’ils étaient suscités et conduits par une main cachée ; et les ennemis du parti populaire accusèrent le duc d’Orléans d’avoir voulu essayer ces bandes révolutionnaires.

Ce prince était né avec des qualités heureuses ; il avait hérité de richesses immenses ; mais, livré aux mauvaises mœurs, il avait abusé de tous ces dons de la nature et de la fortune. Sans aucune suite dans le caractère, tour à tour insouciant de l’opinion on avide de popularité, il était hardi et ambitieux un jour, docile et distrait le lendemain. Brouillé avec la reine, il s’était fait ennemi de la cour. Les partis commençant à se former, il avait laissé prendre son nom, et même, dit-on, jusqu’à ses richesses. Flatté d’un avenir confus, il agissait assez pour se faire accuser, pas assez pour réussir, et il devait, si ses partisans avaient réellement des projets, les désespérer de son inconstante ambition.

Wikipedia !

Nota : Je trouve intéressant de donner la version de WIKIPEDIA au 21 mai 2022, non seulement parce qu'elle est bien renseignée, mais aussi parce que je me suis rendu compte que les articles de Wikipedia changeaient parfois très fortement au fil du temps.

Le déclenchement de la révolte

Jean-Baptiste Réveillon est un entrepreneur à la tête de la Manufacture royale de papiers peints employant 300 travailleurs et installée à la Folie Titon, dans les jardins de laquelle s'élève la première montgolfière, le 19 octobre 1783. Ce lieu, aujourd'hui disparu, se situait sur l'actuelle rue de Montreuil, près de la station de métro Faidherbe-Chaligny, à Paris, une plaque en témoigne.

Depuis la signature du traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre, en l'an 1786, les importations textiles anglaises à bas prix inondent le marché français. Les entreprises françaises du textile ont de plus en plus de mal à écouler leurs marchandises. En l'espace de quatre ans, les exportations anglaises ont quintuplé en valeur.

Après un hiver particulièrement rigoureux, le prix du pain augmente fortement dans les premiers mois de 1789. La tension est augmentée par l'ouverture prochaine des États généraux qui doivent se tenir à Versailles, mais qui est finalement reportée au 5 mai. Les élections des députés du Tiers-État ne sont pas encore terminées à Paris et les ouvriers et les apprentis compagnons n'ont pas le droit de vote, plus restrictif qu'ailleurs dans le royaume. La menace de la disette et du chômage, l'exclusion des assemblées électorales du tiers état mécontentent les habitants des populaires faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel.

Le 23 avril, au cours d'une assemblée d'électeurs du tiers état, Réveillon aurait tenu des propos inquiétants sur les salaires des ouvriers. Il aurait regretté le bon vieux temps où les ouvriers étaient payés 15 sous par jour au lieu de 25 alors. Selon une deuxième interprétation, ce patron nourri d'idées libérales aurait suggéré de supprimer l'octroi afin de diminuer le prix d'importation de la farine et donc le prix du pain, l'autorisant ainsi à baisser les salaires. Un autre patron, Henriot (ou Hanriot), fabricant de salpêtre, partage son opinion. Quoi qu'il en soit, parmi le peuple, le bruit se répand que Réveillon veut baisser les salaires. Dès le soir, son nom est conspué. La rumeur est répétée et commentée dans les cabarets et les ateliers, si bien que le mécontentement finit par exploser.

Le déroulement

Le lundi 27 avril, des milliers de chômeurs, d'ouvriers, d'artisans, de petits patrons, de débardeurs s'ameutent près de la Bastille, puis se dirigent vers l'hôtel de ville, aux cris de « Mort aux riches ! Mort aux aristocrates ! Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! À bas la calotte ! À l'eau les foutus prêtres ! » Place de Grève, sont brûlées les effigies de Réveillon et d'Henriot. Devant l'hôtel de ville, une délégation de bourgeois envoyée par l'assemblée électorale convainc les manifestants de se disperser. Mais la colonne se dirige vers la manufacture et l'hôtel de Réveillon. Un détachement d'une cinquantaine de gardes-françaises leur en interdisant l'accès, les manifestants se rabattent sur la maison d'Henriot, laquelle n'est pas protégée. Le salpêtrier et sa famille ont juste le temps de s'enfuir au donjon de Vincennes avant que leur maison ne soit saccagée et pillée.

Le lendemain, 28 avril, un nouveau rassemblement se tient devant l'hôtel et la manufacture de Réveillon, mais les forces de l'ordre, renforcées depuis la veille et retranchées derrière des barricades, tiennent à distance la foule houleuse et désarmée. Dans l'après-midi, le duc d'Orléansprince du sang, traverse le rassemblement en carrosse et appelle au calme, avant de distribuer le contenu de sa bourse à la volée. Il est ovationné. Dans la soirée, le passage du carrosse de sa femme, la duchesse d'Orléans, ouvre une brèche temporaire dans les barricades. Les émeutiers en profitent pour forcer l'entrée de l'hôtel et tout saccager. Des fenêtres et du haut des toits, ils lancent des tuiles et des meubles sur la troupe. Exaspérés, les gardes tirent. Cette riposte tue un nombre indéterminé d'émeutiers, selon le commissaire du Châtelet, 900 selon le marquis de Sillery, un soulèvement particulièrement meurtrier en considérant la fourchette haute. Du côté des soldats, le bilan s'établit plus sûrement à 12 tués et 80 blessés. Jusqu'à dix heures du soir, le lieutenant de police Thiroux de Crosne quadrille le faubourg Saint-Antoine et fait pourchasser les séditieux jusqu'au faubourg Saint-Michel.

Le 29 avril, il en fait pendre deux.

Analyses et interprétations

Selon l'historienne Raymonde Monnier, qui note l'absence des salariés de Réveillon dans l'émeute du 28 avril, cette affaire Réveillon n'est pas un « affrontement entre patrons et ouvriers ». Motivée par l'augmentation du prix du pain et donc par la faim et la misère, elle se rattache aux émeutes de subsistance, typiques de l'Ancien Régime. En même temps, se dessinent les caractères d'une journée révolutionnaire : le peuple se réclame du tiers état et lance des slogans nouveaux tels que « Liberté ». À dix jours de l’ouverture des États généraux, les Parisiens les plus pauvres, exclus du scrutin, s'impatientent et entendent exprimer, par la force, leurs revendications. De ce point de vue, ces journées peuvent être vues comme le premier soulèvement populaire de la Révolution.

Les événements du faubourg Saint-Antoine sont certainement spontanés, mais des contemporains ont pensé à une action commanditée et alimenté la thèse du complot. Certains y ont vu la main de l'Angleterre ou des aristocrates. Rétif de la Bretonne, dans Les Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne, accuse « Aristocratie » d'avoir acheté des bons à rien pour aller attaquer Réveillon. Plus précisément, la rumeur pointa du doigt le duc d’Orléans. Le baron de Besenval et Jean-François Marmontel le rapportent dans leurs mémoires respectifs. L'historienne Évelyne Lever estime qu'aucune preuve ne désigne Louis-Philippe d'Orléans. De même, Jean-Christian Petitfils disculpe le prince, « agitateur inconséquent » mais trop dilettante pour mener une conspiration. Par contre, la faction Orléans, qu'animait notamment Choderlos de Laclos, a pu agir pour son compte. On comprendrait alors mieux pourquoi, pris dans l'émeute, ni le carrosse du duc, ni celui de la duchesse ne furent pris à partie par la foule excitée.

Conclusion

Il y a bien sûr énormément d'autres versions. Je complèterai d'ailleurs ultérieurement cet article avec de nouvelles, afin que nous prenions mieux la mesure des variantes, en pesant même le poids de certains mots...

A propos, avez-vous remarqué la version "libérale" du site Hérodote.net ? Pour faire contrepoids, je vous suggère de lire la version très complète, très renseignée et très politisée du site "Ploutocratie.com" 😉

Merci pour votre lecture. Surtout si vous êtes arrivés à la fin de cet article !

A suivre !


Plaques commémoratives au numéro 31 bis de la rue de Montreuil à Paris.