samedi 24 octobre 2020

24 Octobre 1789 : La Société royale d’agriculture propose à l’Assemblée des réformes vitales


    Nous avons vu combien l’insuffisance des subsistances constitue le problème majeur du royaume de France en cette fin du 18ème siècle. Les révoltes frumentaires, dues au manque de blé, éclatent régulièrement depuis le début du siècle. La révolution de Juillet 1789 est probablement la révolte frumentaire de trop (même si elle ne fut pas la dernière).

Vous trouverez dans les livres et sur Internet de nombreuses explications, toutes aussi plausibles et intéressantes les unes que les autres.

On évoque la plupart du temps les trois causes suivantes :

1/ les volcans de la chaîne du Laki en Islande qui envoyèrent dans l’atmosphère entre 1783 et 1785, trois fois plus de particules polluantes que les émissions actuelles de toute l’Europe. Ce qui causa un grand nombre de victimes de maladies respiratoires, une pollution des sols et qui eut surtout des conséquences catastrophiques sur le climat en provoquant son refroidissement, avec des hivers très rudes et des été courts et pluvieux.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour accéder à une vidéo très intéressante sur cette catastrophe.

Panache de l'éruption de 1783
  

2/ Le grand orage du 13 juillet 1788, qui dévasta toutes les récoltes du nord de la France (probablement un effet secondaire des désordres atmosphériques provoqués par les volcans).

Carte de l'orage du 13 juillet 1788

3/ Les tentatives de libéralisation du commerce des grains, à partir de 1763, inspirées de la nouvelle philosophie économicopolitique des physiocrates (premiers essais de libéralisation de l'économie française).

Physiocratie, constitution naturelle du gouvernement (1768)

    Cet exemplaire est estimé entre 15.000 et 20.000 €, mais vous pouvez le lire gratuitement par le lien ci-dessous :


Mais on oublie une autre cause...

    Toutes ces explications sont vraies. Mais on en oublie toujours une, c’est l’incroyable retard de l’agriculture dans le royaume de France. Les progrès de cette science vitale étaient en grande partie rendus impossibles par ce qu’il faut bien appeler le système féodal.

Je vous avais déjà parlé de l’étonnement de cet agronome anglais, Arthur Young, qui lors de ses voyages en France, s’étonnait de voir tant de terres, inexploitées, recouvertes d’épaisses forêts, de friches ou de marais. Le brave homme maudissait ces seigneurs qui dédaignaient de faire fructifier leurs terres, préférant d’épaisses forêts où ils venaient chasser de temps à autres, lorsqu’ils quittaient brièvement la cour de Versailles.

Rappel : Il faut vraiment lire Les voyages en France, d’Arthur Young !

Tome 1 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1192719?rk=21459;2

Tome 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119272p?rk=42918;4

Miniature du Tome 7 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Le mémoire !

    Vous retrouverez dans ce long mémoire adressé aux membres de l’Assemblée par l’Académie Royale d’Agriculture, de nombreux exemples de ces coupables archaïsmes. Comme celui de ce seigneur aux environs de Caen, près de Louvigny, qui, entre autres, « a le droit d'envoyer depuis le 20 avril, jusqu'à ce que les foins soient coupés et enlevés, douze vaches et un taureau sur une prairie fertile ; le conducteur, comme dans le Toulois, doit aussi marcher continuellement, et ne pas permettre que les animaux se reposent nulle part, de sorte que les propriétaires ne récoltent que ce que le troupeau féodal a épargné et foulé aux pieds. »

Il faut d’ailleurs noter que nombre des solutions de développement proposées sont inspirées de réformes ayant déjà eu lieu en Angleterre, comme par exemple le partage des communes.

On peut lire par exemple :

« Le parti puissant des protecteurs du régime féodal, pour qui tout était au mieux, n'aurait pas manqué de faire naître des obstacles insurmontables, que les cours étaient toujours disposées à accueillir ; mais enfin la raison, l'intérêt public, ne parlent plus en vain, et c'est avec confiance que la Société propose de mettre en culture de convertir en propriétés, des terrains incultes qui n'appartiennent à personne, parce qu'ils sont à tout le monde. L'intérêt général et l'intérêt particulier sollicitent impérieusement ce partage. La masse des propriétés et le nombre des propriétaires augmentant, celle des cultures de toutes sortes de productions marchera d'un pas égal. Le propriétaire seul est actif et laborieux ; un produit assuré est la récompense de ses travaux et de son industrie : animé par une jouissance exclusive à laquelle il ne croyait pouvoir jamais aspirer, il cultivera avec ardeur sa nouvelle propriété, il se livrera à des essais qui, en devenant pour lui des moyens d'aisance, enrichiront l'agriculture de productions nouvelles ou perfectionnées.

Citons donc des exemples à l'appui de ces vérités. L'Angleterre doit principalement l'état florissant de son agriculture au partage des communes ; comme en France, elles occupaient un espace immense, puisqu'on les évaluait à un tiers du sol ; la révolution qui rendit le peuple anglais libre, fut aussi celle qui le porta à demander le partage des communes. L'habitude, la routine, les derniers efforts de la féodalité, opposèrent, en beaucoup d'endroits, des obstacles ; mais l'exemple de ceux qui avaient partagé le sort heureux d'être devenus propriétaires, l'intérêt évident des seigneurs mêmes, ne tardèrent pas à éclairer la nation britannique, et chaque année le Parlement non-seulement autorisait le partage des communes, mais il permettait encore de clore ses propriétés. Le résultat d'une telle opération est facile à concevoir : le peuple anglais s'est livré tout entier à la culture ; ses champs sont couverts de bestiaux, le peuple y est aisé, et il jouit de son industrie, que le gouvernement protège sans cesse. »

Miniature du Tome 3 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)

Ses rédacteurs.

Le mémoire présenté ce 24 Octobre 1789 a été fait et arrêté dans une assemblée générale et extraordinaire de la Société Royale d’Agriculture, tenue au Louvre, le 26 septembre 1789.

Il est signé par le marquis de Bullion, directeur ; Parmentier, vice-directeur ; Béthune ; duc de Gharost ; de La Bergerie ; l'abbé Lefebvre, agent général, Broussonnet, secrétaire perpétuel.

Vous pouvez le lire dans sa totalité en y accédant par le lien ci-dessous :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6424_t1_0523_0000_3

Une version d’origine est accessible par une fenêtre sur la BNF en bas de cet article.

Miniature du tome 4 du cours d'Agriculture de l'abbé Rosier (1783)



Je vous donne à lire malgré tout le préambule ci-dessous :


Sur les abus qui s'opposent aux progrès de l'agriculture et sur les encouragements qu'il est nécessaire d'accorder à ce premier des arts.

Dans un temps où l'Assemblée nationale s'occupe d'assurer la liberté individuelle, civile et politique, ainsi que la propriété des citoyens ; où l'agriculture, délivrée des droits féodaux, des corvées royales et seigneuriales, laissera aux cultivateurs l'intégrité du temps qu'exigent les travaux des champs, la Société royale d'agriculture, devenue, par la protection d'un Roi citoyen à qui la nation vient de décerner le beau titre de restaurateur de la liberté française, le centre de toutes les connaissances et de tous les encouragements relatifs à l'économie rurale, doit porter à l'Assemblée nationale l'hommage respectueux des cultivateurs ; elle doit être l'organe de leurs vœux.

La législation rurale présente autant de vices que la législation civile et la législation criminelle : réformer ces deux dernières en négligeant la première, serait laisser imparfaite la restauration de la France ; et la régénération du royaume (la Société ose l'avancer, parce qu'elle doit le dire) a pour principale base la régénération de la culture,

La liberté, l'intérêt de la propriété, la facilité d'acquérir, les encouragements propres à accroître la reproduction territoriale, sources premières de la richesse nationale, tel a été le but des travaux de la Société et de ses correspondants de toutes les provinces. C'est sous ce point de vue qu'elle réclame avec confiance de l'Assemblée nationale, un décret contenant les principaux points du code rural et les plus instants à régler. La Société s'en rapporte, au surplus, à la sagesse des représentants de la nation, pour modifier, rectifier et perfectionner les projets qu'elle ne s'est permis de soumettre à l'Assemblée nationale, que par le désir de lui prouver son zèle pour la prospérité publique, que dans la vue de concourir à préparer ses déterminations, et à ménager ses instants précieux pour les objets importants qui lui restent encore à examiner. En conséquence, la Société royale d'agriculture propose, au nom des cultivateurs, de décréter les articles suivants :

Article 1er. Que tout propriétaire aura le droit de cultiver son terrain de la manière qui lui conviendra, et d'employer sa propriété à la culture des objets auxquels il donnera la préférence.

Art. 2. Que le droit de parcours sera aboli dans les cantons et provinces où il existe encore, et que chacun sera libre de clore sa propriété, de quelque étendue qu'elle soit, sans que personne puisse l'en empêcher.

Art. 3. Que personne ne pourra s'opposer au partage des communes, et que les assemblées provinciales seront chargées de le surveiller dans les lieux où il se réalisera, en ayant égard aux droits légitimes de chacun.

Art. 4. Que personne ne pourra s'opposer au dessèchement des marais ou terrains inondés, à la destruction des moulins ou étangs ; que la nature des travaux desdits moulins et étangs pourra seulement donner lieu à une indemnité, laquelle sera déterminée par les assemblées provinciales ou municipales.

Art. 5. Que les terres du domaine, et toutes celles qui seront décidées appartenir à la nation, pourront être vendues et aliénées, soit à prix d'argent, soit en rentes rachetables, après toute fois que la valeur en aura été constatée par les assemblées provinciales.

Art. 6. Que les baux ruraux pourront être, dans tout le royaume, portés à dix-huit ans et au-delà, sans donner lieu à aucun droit fiscal ou autre envers qui que ce soit, et que les baux des bénéfices ne pourront être pour un terme au-dessous de dix-huit ans ; qu'en outre, dans le cas de changement de titulaire, les nouveaux seront tenus de maintenir les baux de leurs prédécesseurs, et qu'en aucun cas lesdits bénéficiers ne pourront faire de baux généraux.

Art. 7. Que, vu l'importance de multiplier les propriétaires cultivateurs, de faciliter la division des propriétés, les droits de franc-fief et d'échange perçus par le fisc, seront entièrement supprimés, et les autres droits d'échange seigneuriaux stipulés rachetables.

Art. 8. Que pour faciliter le commerce des terres et assurer les propriétés, il ne sera fait à l'avenir aucune substitution, ni exercé aucune espèce de retrait.

Art. 9. Que la forme actuelle des saisies réelles, dont l'effet est d'attaquer, de détériorer les propriétés et de les rendre souvent stériles pendant leur durée, sera supprimée et remplacée par toute autre qui n'aura pas le même danger.

Art. 10. Que l'administration et l'inspection des bois et forêts du domaine, du clergé, des communautés et des hôpitaux, seront confiées aux assemblées provinciales et municipales.

Art. 11. Que les entraves apportées jusqu'à présent par la législation, à la formation et à l'extension des prairies artificielles, seront détruites, et les plus grands encouragements donnés à cette branche de culture.

Art. 12. Que vu l'importance d'encourager la multiplication des abeilles, la production des cires indigènes, et de remédier aux importations de cires étrangères, les ruches seront déclarées insaisissables pour cause d'imposition.

Art. 13. Que vu l'importance du produit des vignes, les différents droits d'aides, en ce qu'ils tendent à violer les domiciles, à entraver le commerce des vins, seront entièrement supprimés.

Art. 14. Que la défense de cultiver le tabac et quelques plantes, à huile, étant contraire au principe de la liberté, la culture de ces plantes sera permise dans toutes les provinces du royaume, sauf à faire supporter une imposition particulière aux terres qui y seront employées.

Art. 15. Que le régime de la gabelle sera entièrement supprimé.

Art. 16. Que les assemblées générales s'occuperont des moyens de ramener les divers poids et mesures de toutes les provinces à l'uniformité désirée depuis si longtemps.

Art. 17. Que pour rendre plus facile le transport des denrées et le commerce intérieur du royaume, les assemblées provinciales destineront chaque année une somme pour l'entretien et la confection des chemins vicinaux.

Art. 18. Que le régime actuel des milices, enlevant des bras nécessaires à la culture et troublant les travaux des cultivateurs, sera changé.

Art. 19. Que la célébration de toutes les fêtes sera renvoyée au dimanche.

Art. 20. Que les dépôts de mendicité seront supprimés et remplacés par des ateliers publics, sous l'inspection des assemblées provinciales et municipales.

L'Assemblée nationale est suppliée de prendre, le plus tôt possible en considération les demandes qui lui sont faites par la Société royale d'agriculture ; en promulguant les décrets qu'elle jugera favorables à l’agriculture avant l'hiver prochain, elle mettrait les cultivateurs à même de se livrer l'année prochaine à des travaux qui concourraient à augmenter considérablement les produits territoriaux.

ENCOURAGEMENTS.

Article 1er. De l'utilité d'honorer les laboureurs et les cultivateurs.

Art. 2. D'une caisse de prêt.

Art. 3. De l'utilité d'une Société d'agriculture pratique, et qui s'occuperait principalement :

1° De l'art vétérinaire ;

2° De la panification ;

3° De la manipulation des chanvres et des lins ;

4° De l'art des accouchements ;

5° Du chaulage des grains ;

6° De l'emploi de plantes perdues pour le commerce ;

7° Des plantes potagères ;

8° Du parcage des bêtes à laine, etc., etc., etc.



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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand