Mounier en fuite vers son Dauphiné |
Officiellement, cet apparent abandon de sa fonction, résultait de son prétendu renoncement à la vie
politique. Mais une gravure le représentant poursuivi par une lanterne, nous avait suggéré que c’était probablement plus compliqué que ça.
Mounier redoutait l’hostilité croissante que certains
milieux développaient à son égard. De nombreuses gazettes publiaient des
articles virulents contre lui. C’était Mounier, par exemple, qui le 31 août
avait proposé « d’annoncer un prix de cinq cent mille Livres & leurs
grâces aux coupables qui voudraient lui révéler le complot & les premiers
auteurs », suite à une rumeur concernant « quinze mille hommes prêtes
à marcher pour « éclairer » les châteaux, & pour faire subir aux
députés qui trahiraient la patrie le sort des Foulons & des Berthier »,
rapportée dans une lettre signée du Marquis de Saint-Huruge (1) & quelques
autres noms ! Curieusement, cette somme faramineuse n’avait tenté aucun de
ces 15.000 séditieux ! (2). Les journées tumultueuses des 5 et 6 octobre,
suivies du retour du roi manu militari à Paris, avaient achevé de convaincre cet
homme si sensible aux rumeurs qu’un grand danger le guettait.
(1) A en croire le document que vous pourrez consulter par le lien ci-dessous, le Marquis de Saint-Huruge était à la solde du Duc D’Orléans. Dans son histoire des Girondins (t. XVI, p. 367) Lamartine dit que « c’était une sédition à lui tout seul). En tout cas, probablement suite à cette lettre lue devant l’Assemblée le 31 août, il fut arrêté le 2 septembre, enfermé au Chatelet, et seulement relâché le 5 novembre, après avoir été défendu par Camille Desmoulins et le district des Cordeliers.
Source : https://www.persee.fr/doc/rhmc_0996-2743_1908_num_11_1_4891_t1_0063_0000_1
(2) Version du N°245 du Journal de Paris, pages 1103 et 1104 :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1104&f=false
A noter que le PV de l’Assemblée nationale ne donne pas exactement le
même version, mais nous ne nous étonnerons plus de cela depuis que nous avons déjà remarqué ces anomalies dans notre article du 23 octobre sur l'Affaire Robespierre.
Source PV Assemblée :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_2
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4923_t2_0513_0000_5
Jean-Joseph Mounier |
Fort curieusement, à peine Mounier est-il de retour dans son
Dauphiné natal, que des troubles commencent de s’y produire dès le 14 octobre. Au
point que le 26 octobre, l’Assemblée nationale reçoit une adresse des officiers
municipaux de la ville de Saint-Marcellin en Dauphiné, au sujet d'une
convocation extraordinaire ordonnée par la commission intermédiaire de cette
province ; la municipalité de Saint Marcellin demandant à l’Assemblée qu’elle
conduite elle doit tenir "ne désirant que le vœu et les ordres de ladite Assemblée
nationale".
L’annonce de cette convocation
extraordinaire des trois ordres du Dauphiné : la noblesse, le clergé et le
tiers-état, est un véritable défi lancé à l’Assemblée nationale !
Comme le fait remarquer Alexandre de Lameth : « Les
Etats du Dauphiné sont convoqués par ordre ; première irrégularité. Ils le sont
sans le consentement du Roi, tandis que le règlement même de ces Etats exige ce
consentement ; seconde irrégularité. »
De plus, précise M. Le Chapelier : « il ne doit point y
avoir d'assemblées provinciales quand l'Assemblée nationale est formée et que
chaque province y a des représentants. La proposition contraire tendrait
évidemment à détruire ou à bouleverser le royaume. »
Cette convocation prétend n’avoir d'autre objet que les
impôts et la nomination des suppléants. Mais M. La Poule informe ses collègues
qu’une lettre venant de Vienne lui a appris que les trois ordres du Dauphiné allaient
être rassemblés, pour s’occuper « de la translation de l’Assemblée »
(c’est-à-dire son déménagement controversé de Versailles à Paris), et qu'on lui
annonce « l'improbation » de quelques décrets. Raison pour laquelle
il engage l’Assemblée nationale à user de toute sa puissance et de tout son
courage « pour réprimer des entreprises aussi dangereuses. »
Le danger d'une contre-révolution
Il y a danger, en effet, car, précise M.
Lanjuinais, la province du Dauphiné n'est pas la seule qui s'assemble ; la
noblesse de Bretagne se réunit à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. « Dans
cette dernière ville » dit-il, « quatre-vingt-dix nobles et
quatre-vingts parlementaires ont été convoqués le 10 octobre ; ils ont engagé
les autres ordres à se rassembler pour rendre à la religion son utile influence,
à la justice sa force active, au Roi son autorité légitime, osons le dire, sa
liberté, et pour s'opposer à l'abolition des droits et franchises de la
province et des villes. »
Si les autres provinces commencent à suivre cet
exemple, l’Assemblée nationale a effectivement du souci à se faire. Quelque
chose me dit également que le mandement de l’évêque de Tréguier, véritable
manifeste contre-révolutionnaire, a dû marquer certains esprits.
L'Assemblée nationale s'inquiète !
La situation est grave et M. Le Chapelier la résume ainsi :
« Tolérer que les provinces s'assemblent ; c'est les autoriser à faire des réunions dont le résultat ne peut être que dangereux avant la Constitution achevée. Quel intérêt pressant peuvent avoir les provinces ? Les impôts peuvent être réparti » par des commissions intermédiaires. C'est aux municipalités à recevoir les déclarations et le produit des contributions patriotiques, et non pas aux provinces à y délibérer. Ce ne sont donc que les mauvais citoyens qui voudraient mettre le trouble dans le royaume qui sont intéressés à protéger ces convocations irrégulières. »
Le Chapelier en tire la conclusion suivante :
« Ainsi, puisque la proposition a été faite, il faut la décider d'après le principe et interdire à toutes les provinces le droit de s'assembler jusqu'à ce que le mode de représentation et de convocation soit établi. »
Sources :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5238_t1_0552_0000_29
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0554_0000_6
Le décret :
A l’issue de cette discussion, l’Assemblée nationale,
inquiète, finit par voter ce décret :
"L'Assemblée nationale décrète qu'il soit sursis à
toute convocation de provinces et d'États, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale
ait déterminé, avec l'acceptation du Roi, le mode de convocation dont elle
s'occupe présentement ; décrète en outre que M. le président se retirera
par-devers le Roi, à l'effet de demander à Sa Majesté si c'est avec son
consentement qu'aucune commission intermédiaire a convoqué les Etats de sa
province ; et dans le cas où ils auraient été convoqués sans la permission du
Roi, Sa Majesté sera suppliée de prendre les mesures les plus promptes pour en
prévenir e rassemblement (...)"
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5240_t1_0555_0000_2
Le Dauphiné calomnié ?
J’allais oublier de vous dire que lors de cet échange, un
certain M. de Blacons s’est insurgé contre le fait que l’on calomniait la
province du Dauphiné. Henri-François de Forest de Blacons, originaire de
Grenoble (province du Dauphiné) avait été l’un des premiers nobles à siéger avec le tiers état, dès le 22 juin.
Mais très vite il s’était rallié aux royalistes. De Blacons s’indigne donc que
l’on calomnie sa province « en lui supposant des projets qui puissent
inspirer quelques craintes » alors que celle-ci a « assez prouvé son
patriotisme, pour être à l'abri de tout soupçon ». D’ailleurs,
ajoute-t-il, « un des membres de cette Assemblée, qui a reçu longtemps des
marques flatteuses de votre estime (M. Mounier), est maintenant dans la
capitale de cette province ; il rendra incessamment compte des motifs de son
départ, et ne tardera pas à revenir parmi vous ».
Revenons à Jean-Joseph Mounier.
Mounier ! Justement, parlons-en, puisque le procès-verbal
de cette séance du 26 octobre, se termine par le gros rapport qu’il a adressé à
l’Assemblée. Le document s’intitule : « Exposé de la conduite de
M. Mounier dans l'Assemblée nationale , et motifs de son retour en Dauphiné ».
Source rapport :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3
N°302 du Journal de Paris |
Le Journal de Paris rapporte seulement dans son N°302 du 29octobre dans une rubrique intitulée Variétés, un « Extrait des Affiches du
Dauphiné du 22 octobre » mentionnant l’intention de M. Mounier « de
donner à sa Patrie des éclaircissements sur les motifs de son retour ».
Lien vers l’article (page 1393) :
https://books.google.fr/books?id=kiAgiWUJ0msC&hl=fr&pg=PA1360#v=onepage&q=1393&f=false
Les « explications » de Mounier
Je ne vais pas vous rendre compte de la totalité de cet
épais rapport. En voici juste le début :
« Des factieux ont cru devoir, pour le succès de leurs projets, répandre contre moi, dans le peuple, les plus noires calomnies. Les témoignages d'estime et de confiance dont j'ai été honoré par ma province, m'imposent la loi de me justifier publiquement. Je dois faire connaître à mes commettants l'état actuel des grands intérêts dont ils m'ont confié la défense, et les motifs qui ont nécessité mon retour en Dauphiné. »
Le ton est donné…
Plus loin, il explique pourquoi il a écrit ce très long
rapport :
« Je n'écris point pour exciter la division des provinces ; et ce n'est pas de celui qui, le premier peut-être en France, a soutenu l'utilité de leur réunion et le danger de leurs privilèges particuliers, qu'on doit craindre une pareille tentative, Il faudrait avoir perdu tout espoir de sauver la monarchie, pour s'exposer à tous les inconvénients qui, dans la situation actuelle de l'Europe, résultent des petits Etats. » Voilà un semblant réponse pour les troubles en Dauphiné.
« Je n'écris point pour contribuer au retour des anciens abus ; je suis incapable de concevoir un projet aussi criminel ; et ce n'est pas celui qui, dans le temps même de la servitude, a donné tant de preuves de son amour pour la liberté, qu'on pourrait soupçonner de vouloir se rendre l'apôtre du despotisme, lorsque la liberté est devenue l'objet du plus ardent désir de tous les citoyens. »
« Je n'écris pas non plus pour censurer les résolutions de l'Assemblée nationale ; je rends hommage aux dispositions bienfaisantes qu'on doit à ses travaux, telles que l'uniformité des peines, l'égalité de tous les hommes devant la loi, l'admission de tous les citoyens à tous les emplois sans distinction de naissance, la responsabilité des ministres, la faculté de racheter les redevances féodales, plusieurs droits importants de la nation consacrés, plusieurs maximes protectrices de la liberté promulguées, et surtout l'abolition de la division des ordres. »
« J'écris, comme je crois l'avoir toujours fait, pour la vérité et pour la liberté. »
La vérité ? Vraiment ?
Quelle vérité ? La sienne (C'est humain). Car dans le domaine des
idées, il n’y a pas de vérité mais que des opinions (dirait le sophiste Protagoras).
Quelle liberté ? Plus nous avanceront dans cette
chronique de la Révolution, plus nous nous poserons la question de savoir de quelle liberté il est question. Liberté
de commercer ? Liberté de penser ? Il est clair que dans ces premiers
mois de révolution, la liberté visée ne concerne pas tout le monde.
Je vous conseille vivement de lire le rapport de Mounier,
surtout d’un point de vue historiographique, car il nous fait un récit très détaillé
de tous ces premiers mois de la Révolution. Il est très certainement sincère (Mais sincérité n’est pas vérité). Ce qu’il nous raconte, c’est sa vérité, son
interprétation de ce qu’il a vécu. Il a vraiment cru à cette histoire des 15.000
hommes qui allaient sortir du Palais Royal pour faire un sort à certains
députés de l’Assemblée. Par contre, vous constaterez qu’il ne croit pas aux
complots des monarchistes. Il ne croit pas à ce plan d’évasion de la famille royale à Metz. Les seuls complots auxquels il donne crédit, ce sont ceux de ses
adversaires politiques.
Je plains les historiens qui doivent comparer d’énormes
quantités de sources différentes pour approcher un semblant de « vérité »
qu’un seul nouveau document suffira à faire exploser !
Voici le lien du rapport de Mounier :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_6426_t1_0557_0000_3
Mounier finira par envoyer le 15 Novembre sa lettre de
démission de l'Assemblée nationale constituante. Il précisera dans celle-ci son
intention d’envoyer un suppléant pour le remplacer. Celle-ci sera lue lors de
la séance du 21 Novembre 1789 et elle sera acceptée.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_4134_t1_0159_0000_6
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand