jeudi 1 octobre 2020

1er Octobre 1789 : Rapport de M. Necker, suivi de son « généreux » don patriotique !

 

    À la suite du vote « de confiance » de l’Assemblée nationale, le 26 septembre dernier, M. Necker, premier ministre des finances, présente aux députés son rapport relatif au décret sur les impositions.

    Je vous le donne à lire, ci-dessous. Ne vous laissez pas décourager par sa longueur. Je vous assure qu’il comporte quelques « pépites », comme on dit.

    Sinon, vous pouvez faire dérouler la page jusqu’à la fin, pour lire ce grand moment de générosité inouïe, au cours duquel M. Necker, lui aussi fait son don patriotique. 

    Afin de ne pas gâcher la bonne impression que cela va vous faire, je ne vous parlerai que bien plus tard des millions que ces emprunts rapporteront à ce banquier qui devait sa fortune au trésor public du royaume de France...


Source du discours : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5083_t1_0228_0000_24


M. Necker, ministre des Finances :

"Messieurs, je viens vous remercier très-humblement des sentiments de confiance qui ont contribué à vous faire adopter les idées dont j'ai eu l'honneur de vous rendre compte ; ces sentiments seront toujours l'objet de mon ambition et ma récompense la plus précieuse, et je vous prie de recevoir avec bonté l'hommage de ma respectueuse reconnaissance.

Je ne sais pourquoi l'on a voulu me faire considérer l'étendue et la plénitude de votre confiance comme une sorte de responsabilité qui m'était imposée ; il n'en est aucune qui pût m'effrayer, s'il n'y avait pas moyen de témoigner au Roi et à la nation mon absolu dévouement. Je cours un bien grand hasard par la simple réunion de mon bonheur au succès des affaires et à la prospérité de l'Etat : d'ailleurs, puisqu'au milieu de tant de difficultés on ne peut se déterminer que par des vraisemblances, si quelqu'un doit être compromis, si quelqu'un doit s'exposer à des reproches ne vaut-il pas mieux que ce soit moi ? et que vous, Messieurs, qui pouvez faire tant de bien, vous qui, pour le salut de l'Etat, devez conserver votre ascendant dans toute son intégrité, vous soyez, si vous le voulez, absolument à part dans l'issue de cette grande circonstance ?

Vous ne perdrez pas de vue néanmoins qu’une ressource inusitée est commandée par une réunion de circonstances sans exemple. Il existe des besoins urgents et considérables ; il n'y a plus de crédit, et le numéraire effectif est entièrement disparu. Cependant vous avez déclaré à plusieurs reprises et de différentes manières que vous vouliez être fidèles aux engagements de l'Etat. Que reste-t-il donc, qu'un grand effort proportionné à cette grande vertu ?

C'est un malheur sans doute, et un grand malheur, que d'être obligé de conseiller le recours à une contribution considérable : je le connais pour la première fois, et j'en éprouve toute l'amertume ; aussi, après m'être assuré de moi-même et par devoir à cette peine sensible, tout ce qui pourrait me venir des autres, opinion, jugement, censure, je le redoute moins. Mon âme trop fortement préoccupée de ses propres regrets est moins soumise aux atteintes des considérations extérieures.

Le moyen cependant que vous avez adopté avait été déjà présenté par l'un des membres de cette Assemblée sous le nom de centième denier, et votre mouvement général en faveur de cette proposition avait été regardé comme une sorte d'assentiment au vœu de Paris, déjà manifesté de plusieurs manières ; ainsi j'ai suivi l'opinion publique, je ne l'ai pas prévenue.

Quoi qu'il en soit, me conformant à la teneur de votre dernière délibération, j'ai cru devoir vous proposer mes idées sur le décret qu'on attend avec impatience de la part de cette Assemblée ; j'ai supposé pour un moment que j'avais à en tracer l'esquisse. J'ai cru que cette esquisse ou ce projet de décret devait se rapporter au plan dont je vous ai fait l'exposition ; puisque vous l'avez adopté dans son entier, je demande la permission de vous en faire la lecture.

ESQUISSE OU PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, ayant pris en considération le rapport qui lui a été fait de la situation des finances par le premier ministre de ce département, conformément aux ordres du Roi, a reconnu la nécessité :

1° D’assurer par une délibération préalable l'équilibre entre les revenus el les dépenses fixes ;

2° De pourvoir aux besoins extraordinaires qui sont indépendants des dépenses fixes ;

3° De concourir autant qu'il est en son pouvoir à la sûreté des payements les plus prochains, et à la levée des embarras dans lesquels se trouve en ce moment le Trésor royal par la rareté du numéraire et le discrédit général.

En conséquence, l'Assemblée nationale a voté et décrété les dispositions suivantes :

PREMIÈRE PARTIE

Relative aux revenus et aux dépenses fixes.

Art. 1er. Les dépenses ordinaires de la guerre, des gouvernements et des maréchaussées qui, dans le compte des finances, se montent à 99, 160,000 livres, non compris ce que les provinces et les villes s'imposent et versent directement dans les caisses militaires, et non compris encore les pensions militaires qui font partie de la dépense générale des pensions, seront diminuées de 15 à 20 millions, en augmentant cependant d'une manière raisonnable la paye et le sort des soldats, et le Roi sera prié d'ordonner que de nouveaux plans d'organisation militaire assurent cette économie.

Art. 2. L'Assemblée nationale rend un hommage respectueux aux sentiments qui déterminent Leurs Majestés à ne former dorénavant qu'une seule et même maison, et elle accepte avec reconnaissance la résolution prise par Sa Majesté de réduire à 20 millions les diverses dépenses connues sous le nom de maison du Roi ; mais si cette disposition obligeait Sa Majesté à des réductions qui pussent altérer son bonheur ou diminuer trop sensiblement la majesté extérieure du Trône, l'Assemblée nationale, lorsque les temps deviendraient plus heureux, s'empressera de témoigner à Sa Majesté qu'elle partage, avec tous les Français, le désir de donner à un monarque bien-aimé, le chef du plus grand empire, toutes les preuves de dévouement qui pourront intéresser l'éclat du Trône et la satisfaction particulière de Sa Majesté.

Art. 3. L'Assemblée nationale chargera son président de se retirer par devers le Roi, pour faire connaître à Sa Majesté que, vu la nécessité d'établir dans toutes les parties de dépenses une économie sévère, et vu le grand exemple donné par Leurs Majestés elles-mêmes, l'Assemblée prie le Roi de prendre en considération l'étendue des fonds destinés annuellement aux maisons des princes, et de vouloir bien concourir à leur réduction dans la forme qui lui paraîtra la plus convenable. Le président fera connaître à Sa Majesté que l'Assemblée nationale verrait avec satisfaction que cette réduction pût soulager les finances de l'Etat d'une somme annuelle de plusieurs millions.

Art. 4. L'Assemblée, instruite que les fonds destinés aux affaires étrangères, très-considérables autrefois, ont été successivement diminués, et que la réduction depuis deux ans est de plus de 4 millions, remerciera Sa Majesté des ordres qu'elle vient de donner pour un nouveau retranchement successif d'un million.

Art. 5. L'Assemblée a décrété que les pensions actuellement existantes seraient diminuées dès à présent de 5 à 6 millions, et elle charge le comité des finances de former un projet conforme à cette disposition, et de le mettre sous les yeux de l'Assemblée.

Art. 6. L'Assemblée approuve que le supplément de 2,500,000 livres fourni par le Trésor royal à la cuisse du clergé soit retranché de l'état des finances.

Art. 7. L'Assemblée décrète que, lors de la réunion prochaine des vingtièmes, de la taille, et de la capitation taillable dans une seule imposition territoriale d'une somme déterminée, cette somme surpasse de 15 millions le produit actuel de ces impôts, à la charge que tous les abonnements particuliers soient abolis, et que toutes les personnes et toutes les terres privilégiées concourront dans une juste proportion au payement de l'imposition territoriale. Et se réserve de plus, l'Assemblée, d'examiner incessamment si au lieu et place de cette augmentation générale de 15 millions, il ne lui conviendra pas mieux que chaque province, selon une répartition quelconque, soit chargée des dépenses indiquées dans le discours du premier ministre des finances et qui ensemble équivalent à peu près à cette somme de 15 millions.

Art. 8. L'Assemblée nationale détermine la suppression de la dépense actuelle des haras.

Art. 9. L'Assemblée nationale approuve que les autres économies indiquées, soit d'une manière générale dans le dernier discours du premier ministre des finances, soit d'une manière plus précise dans son discours à l'ouverture de l'Assemblée nationale, économies qui ont été rappelées et expliquées plus particulièrement dans le rapport du comité des finances, soient examinées de nouveau par le comité, de concert avec le premier ministre des finances, et que le tableau circonstancié de ces économies soit incessamment mis sous les yeux de l'Assemblée nationale, pour être pris par elle une détermination définitive à cet égard.

Art. 10. Entend l'Assemblée, que soit par le produit de ces économies, soit par celles que la diminution des anticipations pourra procurer, soit par les premières extinctions des rentes viagères, soit enfin par d'autres ressources, et d'une manière quelconque, un parfait équilibre soit établi entre les revenus et les dépenses fixes, avant le 1er janvier de l'année prochaine.

Art. 11. L'Assemblée statue pareillement que la perte de revenu, occasionnée par la réduction du prix du sel ; que les pertes encore de ce genre, auxquelles pourrait exposer l'abolition entière de cet impôt, ou de tout autre, seront exactement remplacées par d'autres contributions, de manière que l'équilibre entre les revenus et les dépenses fixes ne soit jamais dérangé.

SECONDE PARTIE Relative aux besoins extraordinaires.

De nouveaux emprunts ne pouvant qu'augmenter le déficit actuel, et l'état du crédit public ne permettant pas d'ailleurs de trouver par ce moyen des fonds équivalents aux besoins extraordinaires de cette année et de la suivante, l'Assemblée nationale, après avoir pris connaissance d'un mémoire revêtu d'un grand nombre de signatures, par lequel on a proposé l'établissement d'une taxe momentanée, relative à la fortune de chaque particulier, et après avoir écoulé le rapport du premier ministre des finances, ainsi que le rapport particulier du comité nommé par elle, pour conférer avec ce ministre, ladite Assemblée ayant égard au péril dans lequel se trouve la chose publique, a statué et statue ce qui suit:

Art. 1er. Il sera demandé à tous les habitants et à toutes communautés du royaume, aux exceptions près indiquées dans l'un des articles suivants, une contribution extraordinaire et patriotique, laquelle n'aura lieu qu'une fois, et à laquelle ou ne pourra jamais revenir, pour quelque cause et sous quelque motif que ce soit.

Art. 2. Cette contribution extraordinaire et momentanée devant être égale et proportionnelle, afin que chacun soit disposé à s'y soumettre, elle a été réglée par l'Assemblée au quart du revenu dont chacun jouit, déduction faite des charges foncières, impositions, intérêts par billets ou obligations ou rentes constituées auxquelles il se trouve assujetti, et de plus à 2 1/2 % de l'argenterie ou des bijoux d'or et d'argent dont on sera possesseur, et à 2 1/2 %de 1 or et de l'argent monnayés que l'on garde en réserve.

Art. 3.Il ne sera fait aucune recherche ni inquisition pour découvrir si chacun a fourni une contribution conforme aux proportions ci-dessus indiquées ; il ne sera même imposé aucun serment ; mais l'Assemblée pleine de confiance dans les sentiments d'honneur et de fidélité de la nation française, ordonne que chacun, en annonçant sa contribution, s'exprimera de la manière suivante :

Je déclare avec vérité que telle somme de... dont je contribuerai aux besoins de l'Etat, est conforme aux fixations établies par le décret de l'Assemblée nationale.

Ou bien, si cela est,

Je déclare, etc... que cette contribution excède la proportion déterminée par le décret de V Assemblée nationale.

Art. 4. Ces déclarations se feront par devers les municipalités des lieux dans lesquels on a son principal domicile, ou par devers tels délégués nommés par ces municipalités.

Art. 5. Les marchands et autres citoyens qui, dans quelques villes, payent leur capitation en commun et par rôle particulier, jouiront de la même facilité pour le payement de la contribution patriotique, et ils feront leur déclaration par devers les syndics de leur communauté.

Art. 6. Les personnes absentes du royaume enverront directement leur déclaration aux municipalités de leur principal domicile, ou elles donneront leur procuration à telles personnes qu'elles jugeront à propos de choisir, pour donner en leur nom cette déclaration.

Art. 7. Toutes les déclarations devront être faites au plus tard avant le 1er janvier de l'année prochaine, et les municipalités appelleront ceux qui seraient en retard,

Art. 8. Il sera dressé, sans perte de temps, un tableau du montant général des déclarations, afin que l'Assemblée nationale puisse avoir connaissance incessamment de l'étendue de celte ressource, et comparer ensemble les contributions de chaque province et de chaque ville.

Art. 9. Chaque municipalité aura un registre dans lequel ces déclarations seront inscrites, et ce registre contiendra les noms des contribuants, et la somme à laquelle ils auront fixé leur contribution.

Art. 10. En conformité de ce registre, il sera dressé un rôle des diverses sommes à recevoir de chaque particulier, lequel rôle sera remis aux mêmes préposés qui sont chargés de recevoir les vingtièmes ou la capitation, pour en faire le recouvrement ; et les deniers qui en proviendront seront remis aux receveurs des impositions ou aux trésoriers des provinces, qui les remettront sans délai au Trésor royal ou à sa disposition.

Art. 11. Le tiers de la contribution totale sera payé d'ici au 1er avril 1790 ; le second, du 1er avril

1790 au 1er avril 1791 ; le troisième, du 1er avril 1791 au 1er avril 1792.

Art. 12. Tous ceux qui voudront payer leur contribution comptant, en un seul payement, seront libres de le faire, et ils auront droit, pour leur avance, à la déduction de l'intérêt légal.

Art. 13. Ne seront assujettis à aucune proportion tous ceux dont le revenu n'est que de 400 livres : ils seront déclarés libres de fixer cette proportion selon leur volonté.

Art. 14. Les ouvriers et journaliers sans propriété ne seront obligés à aucune contribution ; mais on ne pourra cependant rejeter l'offrande libre et volontaire d'aucun citoyen, et ceux qui sont déclarés exempts par cet article, pourront se faire inscrire sur le rôle des contribuants pour telles modiques sommes qu'il leur plaira de désigner.

Art. 15. Au mois d'avril 1792, et à l'expiration du dernier terme désigné pour l’acquit final de la contribution patriotique, le registre des déclarations réellement acquittées sera clos et scellé par chaque municipalité, et déposé à son greffe pour n'être ouvert de nouveau qu'à l'époque désignée dans l'article suivant.

Art. 16. À l'époque où le crédit national permettra d'emprunter à quatre pour cent d'intérêt en rentes perpétuelles, circonstance heureuse et qui ouvrira de nouvelles ressources à l'Etat, il sera procédé successivement et selon les dispositions qui seront alors déterminées au remboursement des sommes qui auront été fournies gratuitement pour subvenir à la contribution extraordinaire délibérée par le présent décret.

Art. 17. Le remboursement ne pourra être fait qu'au contribuant, ou à telle personne qu'il aura désignée dans sa déclaration, pour jouir après lui de ses droits ; et, si cette personne, ainsi que le contribuant, est décédée à l'époque du remboursement, l'état sera affranchi de ce remboursement.

Art. 18. Chaque municipalité sera tenue d'informer les administrations de sa province de l'exécution successive des dispositions arrêtées par le présent décret, et ces administrations en rendront compte à un comité composé du ministre des Finances et des commissaires qui seront nommés par l'Assemblée nationale, pour surveiller avec lui toute la suite des opérations relatives à la rentrée et à l'emploi de la contribution patriotique.

TROISIÈME PARTIE Relative au moment présent.

L'Assemblée nationale s'en remet au Roi du soin de prendre avec la caisse d'escompte ou avec des compagnies de finance tels arrangements qui lui paraîtront convenables, afin de recevoir d'elles des avances sur le produit de la contribution patriotique, ou sur telles autres exigibles qui pourront leur être délivrées.

L'Assemblée nationale approuve que le premier ministre et le comité des finances examinent, de concert, les projets qui seront présentés pour la conversion de la caisse d'escompte en une banque nationale, et que le résultat de cet examen soit mis sous les yeux de l'Assemblée.

L'Assemblée nationale invite les particuliers, les fabriques et les communautés à porter leur argenterie aux hôtels des monnaies, et elle autorise les directeurs de ces monnaies à payer le titre de Paris 55 livres le marc en récépissés, à six mois de date sans intérêt, lesquels récépissés seront reçus comme argent comptant dans le recouvrement de la contribution patriotique ; l'Assemblée nationale autorise de plus le Trésor royal à recevoir dans l'emprunt national l'argenterie au titre de Paris, à 58 livres le marc, à condition que, moyennant cette faveur particulière, on ne jouira pas de la faculté de fournir la moitié de la mise en effets portant cinq pour cent d'intérêt.

Voilà, Messieurs, le projet ou l'esquisse du décret qui parait devoir être la suite de votre dernière délibération relative aux finances ; je soumets ces idées à votre jugement, en me permettant encore de vous observer que rien n'est plus instant.

Le don extraordinaire ! 

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5083_t1_0230_0000_3

Il me reste, Messieurs, à vous demander une grâce : c'est de vouloir bien me faire l'honneur de recevoir, en signe de zèle et de bon exemple, ma soumission particulière à la contribution patriotique ; je l’ai fixée à 100,000 francs, et je déclare avec vérité qu'elle est fort au-dessus de la proportion que vous en avez adoptée. (On applaudit à plusieurs reprises.)

M. le Président répond : 

"La France est depuis trop longtemps accoutumée aux sacrifices que vous faites à la patrie, pour que l'Assemblée nationale puisse être surprise de celui que vous annoncez encore aujourd'hui ; elle me charge de vous en témoigner sa satisfaction : pour le surplus, elle délibérera."

 M. Necker se retire au milieu des applaudissements de la presque unanimité de l'Assemblée.

Nota : Vous aurez remarques ce « presque unanimité ». Nous pouvons en conclure que les députés n’étaient pas tous de grands naïfs.


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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand