Affichage des articles dont le libellé est Réflexions. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Réflexions. Afficher tous les articles

jeudi 29 décembre 2022

La Révolution a échoué, Kant explique pourquoi, Condorcet réconforte, Marc-Aurèle relativise et Tolstoï...

 Article en cours de rédaction au 29 décembre 2022.

Je publie à présent les articles en cours de rédaction, pour le cas où...


La Révolution française a bien sûr échoué.

    Oui, la Révolution française a échoué, tout simplement parce qu’il ne pouvait pas en être autrement. Aucun changement de société d’une telle ampleur ne peut se réaliser en si peu d’années, pas même en une génération. Les hommes et les femmes de 1789 voyaient trop loin, trop grand, trop beau. Ils avaient trop de projets, trop d’idées ; Bien plus que n’en pouvaient accepter les enfants malades de l’Ancien régime qu’ils étaient. Car n’oublions pas que tous, ils étaient les enfants de l’ancien régime. Ils en portaient donc tous les défauts et les tares, l’avidité chez les uns, l’ignorance chez les autres et la violence en commun.

    Les révolutionnaires de 1789 ne pouvaient qu’ouvrir avec colère ou espoir, au péril de leurs vies, la lourde porte d’airain de la nouvelle ère qui s’annonçait ; Rien de plus, sinon darder çà et là quelques phares dans la nuit de l’avenir pour entrevoir quelques pistes et lancer quelques graines qui peut-être germeraient à l'aube d'un jour éloigné.

Emmanuel Kant
Gravure de J.Chapman
La lucidité de Kant

    Emmanuel Kant, le philosophe des Lumières, celui de la raison, de l'universel et de la liberté, avait compris totalement l’événement, aussi bien l’importance civilisationnelle de la Révolution française que sa fragilité, lorsqu’il écrivit ceci :

"Même si le but visé par cet événement n’était pas encore aujourd’hui atteint, quand bien même la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple aurait finalement échoué, ou bien si, passé un certain laps de temps, tout retombait dans l’ornière précédente (comme le prédisent maintenant certains politiques), cette prophétie philosophique n’en perd pourtant rien de sa force. Car cet événement est trop important, trop mêlé aux intérêts de l’humanité, et d’une influence trop vaste sur toutes les parties du monde pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l’occasion de certaines circonstances favorables et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre. " (…) "Dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français."

(Emmanuel Kant - Le Conflit des Facultés et autres textes sur la révolution)

    Kant, le solitaire de Königsberg, (petite enclave prussienne rebaptisé Kaliningrad par les Russes en 1946), avait hélas vu juste. Oui, la Révolution allait échouer. Oui, tout allait retomber dans l’ornière précédente. Et oui, la Révolution française reviendrait plusieurs fois en mémoire, « à l’occasion de certaines circonstances favorables », çà et là dans le futur, aussi bien en France que dans le monde.


Comment bâtir l’avenir lorsque l’on est fait du passé ?

    Les révolutionnaires ont lancé quelques graines vers l’avenir, quelques idées : l’école gratuite pour tous, l’assistance aux démunis (au lieu de la charité ou l'emprisonnement), la liberté de la presse comme celle des théâtres, l’abolition de l’esclavage, l’abolition de la torture, la même justice pour tous, le même système d’impôts partout, et les mêmes unités de poids et mesures partout, jusqu’à Robespierre qui voulut abroger la peine de mort ! (Discours de Robespierre du 30 mai 1791). Autant d’idées qui, si elles finissaient par être appliquées, ne manqueraient pas de changer incroyablement la société. 

    Les partisans du suffrage universel, par exemple, n’étaient pas tous naïfs. Ces démocrates savaient bien que la plupart des citoyens voteraient encore longtemps comme le leur ordonneraient, leurs curés, leurs seigneurs ou leurs patrons. Il faut du temps pour devenir un vrai citoyen, du temps et surtout de l’instruction. Ce fut même l’une des raisons pour lesquelles le droit de vote fut longtemps refusées aux femmes, suspectées d'être trop sous l’influence de l’Eglise, une institution en lutte perpétuelle contre la République. Robespierre pensait que d’années en années, tout de même, il finirait par y avoir de moins en moins d'analphabètes, et qu’avec le suffrage universel, les gens ouvriraient leurs yeux sur leur condition, puis comprenant les causes de leur misère, arriveraient peut‐être à faire une république d'équité (Lire son discours de Robespierre du 11 août 1791).

    La lutte était donc perdue d’avance. Les révolutionnaires combattaient ce qu’ils étaient eux-mêmes en grande partie, et la plupart se comportaient comme ceux qu’ils combattaient ! Il allait falloir encore beaucoup de révolutions, de républiques, d’écoles et de pain pour que les hommes et les femmes commencent à changer et qu’ils se contentent de brûler des pneus sur des ronds-points plutôt que de pendre des banquiers aux réverbères. Et il faudra encore beaucoup plus de temps pour qu’ils cessent d’élire des banquiers…

 

Ces enfants de l'Ancien régime...

    Je dois vous avouer que ma sympathie envers certains grands noms de la Révolution a commencé de faiblir lorsque j’ai commencé à les étudier de plus près. Je ne vais pas les passer tous en revue ici car j'ai déjà parlé de certains dans quelques articles. Je vais juste évoquer quelques cas "révélateurs".

 

Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau, le lion !

    Celui qui comprenait tout et plus vite que les autres à l’Assemblée nationale ! Comment ne pas s’attrister de voir un homme aussi brillant, ne cesser de se vendre au plus offrant pour payer les dettes de sa vie de débauché ? Je vous ai déjà parler de lui au sujet de son plan secret qu’il avait voulu exposer au roi le 15 octobre 1789. Premier des grands hommes accueillis sous les voutes du Panthéon le 5 avril 1791, il sera le premier à en sortir le 21 septembre 1794, après que l'on eut découvert l'étendue de sa corruption dans les carnets secrets de l’armoire de fer que Louis XVI avait laissée derrière lui lors de sa fuite le 20 juin 1791. (L’existence de cette armoire sera dénoncée par le serrurier François Gamain qui l’avait réalisée pour Louis XVI, et révélée publiquement le 20 novembre 1792).

    La mort de Mirabeau le 2 avril 1791 fut d’ailleurs l’un des deux facteurs déclencheurs de la fuite du roi. Le second ayant été l’émeute du 18 avril 1791, qui avait empêché le roi de célébrer Pâques à Saint-Cloud. (La Fayette nous dira, dans ses mémoires, que l'émeute fut fomentée par Danton qui fut payé par le roi pour fournir à Louis XVI cette preuve manifeste qu'il n'était plus libre de ses mouvements, mais retenu prisonnier dans son palais.)

    Mirabeau avait, depuis son installation définitive à Paris, instauré des relations secrètes avec la Cour. À la suite de la mort de Mirabeau, le Baron de Fersen « grand ami de la Reine » écrira : « C'est une grande perte car il travaillait pour eux [la famille royale] et commençait à leur être utile, et leur aurait été d'un secours pour l'exécution de leur projet. » (ledit projet étant la fuite).

    Mirabeau fut d'ailleurs probablement empoisonné par les aristocrates qu’il avait aidés. Il tomba mystérieusement malade le 1er avril, s'alita, fit son testament et mourut le lendemain.  Agonisant, il organisa une rencontre « fortuite » entre Lafayette et Danton. Il tenta en vain de les allier, pour sauver la monarchie. Mais Lafayette traita Danton de corrompu et Danton traita Lafayette de militariste...

    Mirabeau apparait dans nombre de mes articles de l’année 1789 et c’est normal car il fut omniprésent. J’en parle également dans le long article que je consacre à Danton : "Danton, ou l'étrange réhabilitation".


Antoine Barnave, le tigre des propriétaires !


    
J’aime bien évoquer Barnave, ce brillant avocat de la Province du Dauphiné, parce qu’il a parfaitement résumé la raison de la Révolution dans une phrase de son livre écrit en prison en 1793 « De la Révolution et de la Constitution », qui paraîtra en 1843 sous le titre Introduction à la Révolution française ; la voici :« Une nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle répartition des pouvoirs ». Une nouvelle classe sociale, riche, travailleuse et instruite, prenait le pouvoir à une classe sociale obsolète et décadente, la noblesse. La Révolution ne fut ne fut donc que cela. Du moins celle que j’appelle la Révolution en dentelles. (L’autre Révolution, celle des miséreux et des affamés, n'a guère de place dans les livres d’histoire et curieusement tous ses défenseurs sont copieusement diffamés.)

    Barnave fut un des révolutionnaires parmi les plus enthousiastes dès les débuts de la Révolution. C'est lui qui lança à l'Assemblée, pour excuser les meurtres de Foulon et de Bertier, cette apostrophe fameuse : « Messieurs, on veut vous attendrir en faveur du sang versé hier à Paris. Ce sang était-il donc si pur, qu'on n'osât le répandre ? », phrase qui passa à la postérité, et à laquelle quelqu'un, dans l'assemblée, répliqua : « Oh ! le tigre ! », surnom féroce qui resta au fougueux Barnave, qui se fit pourtant chaton plus tard devant les beaux yeux de Marie-Antoinette.

    Barnave symbolisait à lui seul cette haute bourgeoisie qui venait de s’emparer enfin du pouvoir. Mais la liberté pour laquelle ces gens prétendaient se battre, c’était avant tout la liberté de commercer (comme la prétendue liberté de la jeune Amérique). Raison pour laquelle Barnave fut un partisan du suffrage censitaire, c’est-à-dire le vote réservé aux riches, et qu’il fut un ardent défenseur du droit sacré de propriété. Il s’opposa donc avec virulence à ce que l’on donne la citoyenneté aux gens de couleurs des colonies.

    Une grande question se posait en effet : « Fallait-il fixer une limite à la propriété ? ». Le 24 avril 1793, Robespierre (encore lui) avait présenté un projet de déclaration des droits subordonnant la propriété à l'utilité sociale. Robespierre pensait que « de même que la limite de la liberté, c’est la liberté d’autrui, la limite de la propriété, c’est la vie ou la dignité d’autrui ». Raison pour laquelle Robespierre se moqua de la prétendue déclaration des droits de l’homme de 1789 qui faisait abstraction des gens de couleurs réduits en esclavage.

    Mais pour ces gens-là, représentés plus tard en grande partie par les Girondins, la propriété était sacrée. Le Girondin Maximin Isnard déclarera même le 25 mai 1793 à la tribune : « Si la population de Paris se mêle du moindre attentat à l'égard de la propriété, Paris sera détruit par les forces provinciales. » Les Girondins souhaitaient d’ailleurs que la devise de la France soit : « Liberté, égalité, propriété »

    Vous aurez donc compris que le peuple n’était pas vraiment le souci de Barnave, De qui l’était-il d’ailleurs vraiment parmi tous ces révolutionnaires en dentelles ? Barnave lui aussi aimait l’argent ! Apprenez qu’il perdit en une seule journée 30 000 Livres à une table de jeu ! (Une livre équivalant à 24 sols, soit une journée de travail d’un artisan (bien payé)). Concernant la vision du peuple par cette haute bourgeoisie, je dois reconnaitre que celle-ci sut reconnaitre en lui autre chose qu'un instrument facile à manipuler pour prendre le pouvoir. (Relisez mes articles des 11, 12,13 et 14 juillet 1789). Jusqu'à la Révolution, la misère grandissante avait constitué un énorme problème pour le régime, famines à répétions, émeutes, brigandage, etc. Nous l'avons vu dans mon article consacré à ce sujet, les miséreux étaient pourchassés et enfermés. Mais la bourgeoisie eut l'idée géniale de considérer les pauvres comme une ressource, tout comme le charbon où le fer, et de mettre ceux-ci au travail, grâce à la révolution industrielle qui commençait également.

    Mais revenons à notre "tigre" révolutionnaire. Barnave s'opposa à maintes reprises à La Fayette et à Mirabeau, surtout lorsque Mirabeau défendit les prérogatives royales. Barnave était même l’un des rares orateurs à pouvoir rivaliser avec Mirabeau.

    Toutefois, après la fuite manquée du roi et l'affaire du Champs de Mars (17 juillet 1791), il se rallia à La Fayette et aux monarchistes constitutionnels du Club des Feuillants et, se rapprochant de la cour, tenta de jouer le rôle de conseiller secret.

    Hélas pour lui, Barnave, tout comme Mirabeau, fut mis en cause par les papiers trouvés dans la fameuse armoire de fer. Le malheureux était tombé sous le charme de Marie-Antoinette, lorsqu’il avait voyagé avec la famille royale lors du retour de Varenne. Il avait eu ensuite des entrevues secrètes avec elle et lui avait adressé des lettres. Toutefois, après la fuite manquée du roi et l'affaire du Champs de Mars (17 juillet 1791), Barnave finit par se rallier à Lafayette et rejoignit alors les monarchistes constitutionnels du club des Feuillants, ce qui lui valut la haine du peuple parisien à qui le pouvoir en place s’acharnait à expliquer que le roi et la reine avait été enlevés ! (Dommage que je ne me sente plus le courage de vous raconter tout cela dans le détail sur mon modeste site).

Le livre d'Antoine Barnave est très difficile à trouver sur le WEB, mais je l'ai découvert tout de même, dans la bibliothèque numérique du Fabuleux site THE INTERNET ARCHIVE !

Le voici !

.


Georges Danton, le mastodonte de la Révolution !


    Le tonitruant Danton est pour moi un vrai sujet d’étonnement. Au niveau de la corruption, jusqu’à présent je n’ai pas trouvé mieux (ou pire). Le personnage est tellement énorme par ses excès que je lui ai concentré un article spécial en m’appuyant sur deux historiens qui présentaient l’avantage d’apporter une multitude de preuves accablantes. L’article s’intitule « Danton, ou l'étrange réhabilitation ». Etrange, en effet, car le quidam est honoré de rues à son nom et même de statues à son effigie. Une légende dorée a fait de lui une sorte d’Obélix gouailleur et jouisseur, honorable défenseur de la République ; Danton à qui l’idée de République faisait horreur !

Je vous renvoie à l’article le concernant : "Georges Danton ou l'étrange réhabilitation".

 

Jean-Frédéric Perrégaux, le banquier suisse...


    
Pourquoi parler du banquier suisse Perrégaux ? Mais parce qu’il fait partie de ces révolutionnaires un peu « particuliers » qui reposent dans le Panthéon des grands hommes ! Perrégaux, celui-là même qui faisait distribuer des fusils aux parisiens le soir du 13 juillet 1789, mais qui s’avéra plus tard être un espion à la solde des Anglais qui, entre autres, finança ceux que l’on appelait « les enragés » en 1793, afin de créer des conditions de désordre et d'instabilité politique pour nuire au courant politique d'essence populaire, incarné par un certain Robespierre (le monstrueux Robespierre (excusez-moi, j’avais oublié de préciser)). Mirabeau a quitté le Panthéon, le banquier Perrégaux y est resté...

 

Jean-Paul Marat, le colérique.


    
Marat vivait en-dessous du plafond de verre qui empêchait, et ce quelques-soient leurs talents, toute ascension sociale aux gens du peuple. Ce fut le cas également de Babeuf, qui malgré son instruction et son intelligence, sera toute sa vie condamnée à l’indigence.

    Marat vivait au milieu du peuple et il le connaissait bien. Un rapport de police lu par l’historien Henri Guillemin disait ceci : « La popularité de Marat tient à son intégrité et l’intégrité, c’est un des dieux du peuple. » Marat vivait à la frontière de sa classe sociale et de ce poste dangereux, il observait, analysait et comprenait les agissements et manœuvres diverses de la nouvelle classe dirigeante.

    Marat voyait bien que ces nouveaux riches faisaient très vite la paix avec les anciens riches et que déjà les affaires reprenaient. De véritables fortunes se sont constituées pendant et grâce à la révolution. Marat dénonçait les "accapareurs", les affairistes, qui spéculaient sur le blé. Marat critiquait la politique de Necker, en mettant en évidence ses méfaits directs et indirects.

    Marat était lucide et il comprenait que la Révolution n’allait pas s’arrêter en octobre 1789, sous le simple effet de la loi martiale et des emprisonnements. Lisons-le : "La liberté a coûté aux Anglais, vingt-cinq batailles rangées, et soixante ans de malheurs ; et nous prétendons la conquérir en un jour, les bras croisés, en bavardant sur les affaires de la Ville !"

    Marat avait déjà vécu lorsque la révolution arriva. Il avait 46 ans en 1789, Antoine Barnave n'en avait que 28, Camille Desmoulins 29, Danton 30 et Robespierre 31. Marat avait eu une vie bien remplie. Il avait exercé la médecine, humaine et vétérinaire, à Newcastle de 1770 à 1773, puis à Londres dans un quartier aristocratique. De retour en France il avait poursuivi cette vocation et il était même devenu le médecin du comte d’Artois, le propre frère du roi ! Marat, ce pourfendeur d'aristocrates, avait même prêté sa plume à ce grand prince du sang, en faisant parfois office de secrétaire ! Marat avait également été un savant qui avait fait des recherches sur le feu, sur la lumière et même sur l’électricité qu’il avait utilisée pour soigner. Ce Marat savant avait même eu une querelle avec le physicien Charles en 1783, qui avait failli se terminer par un duel.

Oserai-je vous dire que Marat s’était même inventé des armoiries dont il timbrait ses lettres ?

Publié en 1862 dans la Revue nobiliaire, héraldique et biographique (p.84-85)

Marat avait lui aussi sa part d’ombre

    Comment ne pas être agacé en lisant ses articles dans l’ami du Peuple par son style si violent ? Marat était un exalté, souvent en colère, très violent et trop violent dans ses écrits. Robespierre lui en fera le reproche lors de sa première rencontre avec lui en janvier 1792. Il lui dira que les patriotes, même les plus ardents, pensaient qu'il avait mis lui-même un obstacle au bien que pouvaient produire les vérités utiles développées dans ses écrits, en s'obstinant à revenir sur des propositions extraordinaires et violentes (telles que celle de faire tomber cinq à six cents têtes coupables), qui révoltaient les amis de la liberté autant que les partisans de l'aristocratie". (Source : https://books.openedition.org/irhis/1283?lang=fr#tocfrom1n2 )

    Marat était accablé d’une terrible maladie qui le faisait horriblement souffrir. Peut-on attribuer ses accès de rage à sa propre souffrance ?

 

Robespierre…


    
Que dire de Robespierre qui ne soit pas stupidement agressif, puisque son histoire a presque totalement été réécrite à charge. Il faut effectivement se donner beaucoup de peine pour étudier ce qu’il a dit et fait et commencer à y voir un peu plus clair. Quand j’ai découvert à 30 ans ses discours à la Convention, je les ai trouvés beaux comme les évangiles ! "Alors pourquoi tant de haine ?", me suis-je demandé à l'époque !

    Pourquoi mépriser un homme politique de son envergure ? Parce qu’il ne vivait que de ses appointements et qu'il se contenta de vivre dans une chambre louée par le menuisier Maurice Duplay qui l'accueillit chez lui au 366 rue Saint-Honoré (actuel 398), après la fusillade du Champs de Mars (Voir cet article sur la fusillade du Champs de Mars). Parce qu’il ne s'enrichit pas lors de son mandat et qu’il ne se consacra qu'à son travail, jusqu’à l’épuisement ? Malade et dépressif, il ne siégeait même plus au comité de salut publique, lorsque ses collègues multiplièrent les condamnations à mort pour lui en faire porter la responsabilité. Des rapports de police le décrivaient alors promenant son chien Brount dans la campagne environnante.

    Le comité de salut publique auquel il participa fut un gouvernement d’exception ? Oui, bien sûr, tout autant que le fut celui de la 3ème République en 1914 ! Rappelons que lors de la séance historique du 4 août 1914 à la Chambre des députés, le Parlement français s'ajourna sine die laissant au Président du Sénat et au Président de la Chambre des députés le soin de le convoquer, le cas échéant. L’état d’exception de 1793, avec ses 11 armées étrangères qui envahissaient la France, valait bien celui d’août 1914 !

    Ce qui lui valut tant de haine, ce fut principalement son souci obsessionnel du peuple que l’on peut constater dès ses premières interventions en 1789, avec son désir d’instaurer le suffrage universel, d’abroger la peine de mort, d'abolir l’esclavage, de limiter le prix du pain et tant d’autres choses en total décalage avec les motivations de nombre de révolutionnaires.

    Robespierre n’était pas un jouisseur. On ne lui connaissait pas de maitresses, pire, il respectait les femmes comme on put le constater lorsque le 3 février 1787, il soutint la candidature de Louise Félicité de Keralio à l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras. Il ne se saoulait pas à mort dans les jardins du Palais Royal et ne pelotait pas les fesses des femmes, ce qui ne pouvait pas le rendre aussi sympathique que Danton. Malgré tout, il avait des amis fidèles.

Robespierre, malade ?

    Des historiens ont déjà évoqué son été maladif, sa dépression, même une possible tuberculose. Mais ce n’est pas à cela que je pense. J’ai déjà évoqué mon hypothèse farfelue à propos de Robespierre dans mon article sur Danton. Peu m’importe de me ridiculiser en vous la soumettant de nouveau ici. Qui me lit ?

    Plus je me suis intéressé à Robespierre, plus il m’a fait penser à une sorte de Greta Thunberg. Je m’explique. Tout comme l'écologiste militante qui veut sincèrement sauver la planète et croit à tout ce qu'elle dit (ou ce qu'on lui a dit), Robespierre lui aussi croyait sincèrement tout ce qu'il disait (comme le fit remarquer Mirabeau).

    Il aimait vraiment le peuple et il voulait à tout point lui apporter le bien-être et la justice. Mais tout comme Greta, il lui manquait l'empathie...

    Je ne suis pas loin de me demander si tout comme Greta, il n'était pas atteint du syndrome d'Asperger, une forme d'autisme plus répandue qu'on ne le pense en politique (Thomas Jefferson, Vladimir Poutineetc). Peut-être auriez-vous préféré d'ailleurs que je le compare à Poutine ?

Le Syndrome d’Asperger est un handicap que l’on ne peut pas distinguer à l’œil nu. Sa différence se traduit par une difficulté à prévoir les attitudes et les intentions des autres. Les autistes Asperger ne perçoivent pas instinctivement le "langage invisible" (postures, silences, regards, etc.) qui fait partie des interactions sociales, ce qui provoque en eux des comportements surprenants et inattendus, qui heurtent les conventions sociales. Les autistes Asperger sont réputés directs et intègres… Vous voyez ce que je veux dire ? Un historien sérieux serait-il volontaire pour étudier cette piste ?


L'étude des personnages n'est pas suffisante.

    Laissons là en effet l'étude des personnages, ils sont trop nombreux et ils ne suffisent pas à expliquer la Révolution française. C'est une lubie bien commode des historiens que de croire que quelques grands hommes font l'histoire. L'histoire est comme un fleuve puissant parcouru de courants terribles qui vont parfois en s'accélérant. Une révolution, c'est un rapide sur ce fleuve, qui arrache tout sur son passage et qui ballotte de frêles esquifs désemparés ainsi que quelques canards qui, palmant à contre-courant, s'imaginent orienter le courant.     Tolstoï explique tout cela magistralement et avec une lucidité étonnante dans ses considérations sur l'histoire que l'on peut lire dans "Guerre et Paix"

Lisez cet extrait du Tome 3 de Guerre et Paix, chapitre 2 – 1.

"Les quinze premières années du dix-neuvième siècle présentent à l’observateur un mouvement inusité de millions d’hommes. Ils quittent leurs occupations, se portent d’un côté de l’Europe à l’autre, pillent, s’entretuent, triomphent, et sont battus tour à tour. Pendant cette période de temps la vie habituelle change de cours, et tout à coup cette effervescence, qui semblait devoir aller toujours en croissant, finit par s’affaiblir. Quelle est la cause de ce phénomène ? Quelles en sont les lois ? se demande l’esprit humain. Les historiens répondent à ces questions en nous racontant les actions et les discours de quelques dizaines d’hommes dans un des édifices de la ville de Paris, et ils donnent à ces actes et à ces discours le nom de Révolution ; puis ils nous font une biographie détaillée de Napoléon et de quelques personnages, qui lui sont bienveillants ou hostiles ; ils nous parlent de l’influence de ces mêmes personnages les uns sur les autres et nous disent : « Voilà la cause du mouvement ! Voilà ses lois ! » Mais l’esprit humain refuse d’accepter cette explication et il la déclare erronée, parce qu’évidemment la cause indiquée est trop faible pour l’effet produit. C’est la somme des volontés humaines qui a amené la Révolution et Napoléon, de même que c’est encore elle qui les a supportés et qui les a renversés. « Lorsqu’il y a des conquêtes, » nous dit l’historien, « il y a des conquérants, et à chaque bouleversement dans un empire il y a des grands hommes ! » C’est vrai, répond l’esprit humain, mais il ne m’est pas démontré que les conquérants soient la cause des guerres, et que l’on puisse prétendre que les lois de ces guerres résident dans l’action individuelle d’un seul homme. Chaque fois que je vois l’aiguille de ma montre indiquer le chiffre X, j’entends aussitôt le carillon de l’église voisine, et cependant je ne saurais conclure de là que la position de l’aiguille sur le cadran mette les cloches en branle."


Revenons au sujet de l'article, à savoir, l'échec inévitable de la Révolution française.

Allégorie de la Révolution peinte en 1796 par Jacque Wilbaut

Source image : Musée Carnavalet.


Comment ne pas céder au désespoir ?

    Comment ne pas céder au désespoir devant les errements de l’espèce humaine, avec ses échecs incessants dans sa marche vers le progrès ?

    De nos jours, on peut contempler l’héritage de 1789, comme on admire la beauté des ruines du forum de Rome. Les débris de 1789 enjolivent pauvrement le triste décor d’une république dirigée par des ploutocrates malades de l’argent. La devise républicaine inventée par Robespierre « Liberté, égalité, fraternité » n’a pas plus de sens à présent que le "SPQR" : Senatus PopulusQue Romanus", "(au nom du) sénat et du peuple romain", célèbre formule gravée sur les ruines romaines. 


    A présent, la liberté est sous contrôle. L’égalité des droits est redevenue un rêve. Quant à la fraternité…



    Les Lumières projetées par le 18ème siècle sont à présent trop éloignées pour pouvoir encore projeter une quelconque lueur sur notre époque ; Un peu comme ces étoiles que la dilatation de l’univers a trop éloigné de nous pour que nos télescopes puissent les apercevoir. Le ciel s’assombrit peu à peu, l’obscurantisme et la superstition font leur grand retour. Une population de plus en plus ignorante se détourne du progrès et de la science. Des maladies oubliées réapparaissent parce que des gens préfèrent se soigner avec des pierres magiques qu’avec des vaccins ! La nouvelle aristocratie régnante n’a plus rien à craindre du peuple. Les techniques de manipulation ont atteint des sommets de sophistication. L’ingénierie sociale sait fabriquer le consentement du troupeau sans avoir besoin comme autrefois de le malmener.


Fin de partie ou transition ?

    L’humanité a semble-t-il été victime de son succès. Notre espèce est parvenue en un siècle à peine, à saturer de sa présence son environnement, ne laissant plus de place pour les autres espèces, aussi bien animales que végétales. Nous n’avons pas fait cela par désire de nuire comme le prétendent ceux qui veulent nous manipuler en nous faisant culpabiliser. C’est plus simple et plus "naturel" que ça ! 

    Imaginez quelques couples de lapins abandonnés par une épave de navire sur une île déserte sans prédateurs. Au bout de quelques décennies, leurs descendants auront ravagé leur environnement et se seront même entredévorés vers la fin. C’est ce qui nous arrive actuellement. Entre 1900 et 2020, la population mondiale a augmenté de 370%, la consommation d’énergie a augmenté de 1160% et la production mondiale de CO2 a augmenté de 1755%. Nous avons saturé notre ile planétaire de notre présence.

    Alors la partie est-elle terminée, ou bien vivons-nous une période de prise de conscience amenant à une transition ?

Source : Transitio


Marc-Aurèle relativise

    Dans son recueil "Pensées pour moi-même", l’empereur philosophe Marc-Aurèle a écrit cette pensée pleine de sagesse : "N’espère pas la République de Platon, mais soit content si une petite chose progresse, et réfléchis au fait que ce qui résulte de cette petite chose n’est précisément pas une petite chose ! ". Marc Aurèle, empereur du monde romain, était l’homme le plus sage, le plus instruit et le plus puissant de son époque. Malgré cela il dû se rendre à cette évidence qu’il ne pourrait jamais créer une société parfaite et que sa contribution au progrès de l’humanité se résumerait à bien peu de choses. Il dû en effet passer la plus grande partie de sa vie à défendre les frontières de son vaste empire. Je pense que ce qu’il a légué de plus beau à l’humanité, c’est précisément son recueil de pensées « pour lui-même ».


Kant revient pour expliquer une fois de plus

    "L'homme est un "animal", qui, lorsqu'il vit parmi d'autres membres de son espèce, "a besoin d'un maître". Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables, et quoique en tant que créature raisonnable il souhaite une loi qui pose les limites de la liberté de tous, son inclination animale égoïste l'entraîne cependant à faire exception pour lui-même quand il le peut. Il lui faut donc un "maître" pour briser sa volonté particulière, et le forcer à obéir à une volonté universellement valable; par-là, chacun peut être libre. Mais où prendra-t-il ce maître ? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce sera lui aussi un animal qui et besoin d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne voit pas comment, pour établir la justice publique, il pourrait se trouver un chef qui soit lui-même juste, et cela qu'il le cherche dans une personne unique ou dans un groupe composé d'un certain nombre de personnes choisies à cet effet. Car chacune d'entre elles abusera toujours de sa liberté si elle n'a personne, au-dessus d'elle, qui exerce un pouvoir d'après les lois."

"Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique"

Merci Emmanuel pour l'explication. Tout à fait d'accord avec toi, j'ai même écrit un article qui parle de cela sur mon autre site : "En transition avec Darwin Nietzsche et Molière".

"Idée d'une histoire universelle" ? Cela me fait penser à Condorcet !

 

Condorcet, un message d’espoir ?


    
Jean de Salisbury
philosophe anglais du 12ème siècle, dans son ouvrage "le Metalogicon", prêtait la métaphore suivante à son maître Bernard de Chartres :

« Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux. »

    Le seul moyen de ne pas désespérer de l’humanité, c’est donc de la voir de plus haut, en montant par exemple sur les épaules de géants. Raison pour laquelle je vous propose de monter sur les épaules de Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, plus connu sous le nom de Condorcet. 

    Je ne vous ai pas parlé assez de Condorcet et je le regrette. Il me semble qu’il fut vraiment un des fils des Lumières parmi les plus illustres et surtout parmi les plus dignes d’estime.

    Lisez son dernier chef d'œuvre « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain ». 

    Lorsqu’il écrivit de 1793 à 1794, ce petit livre magnifique d’intelligence et d'optimisme, il se savait pourtant condamné par la Révolution dont il avait été l’un des initiateurs. Vous serez éberlués par sa lucidité et par sa brillante description du long cheminement de l’humanité sur la laborieuse voie du progrès.

    Il faut se dire qu’à l’échelle de l’histoire d’une espèce, l’humanité est jeune et que nous sortons à peine des cavernes. Un jour lointain, je l’espère, nous parviendront à maturité. J’espère que nous perdrons alors cette capacité horrible de nous haïr nous-même, une tare que n’accable aucune autre espèce animale. J’espère que l’humanité parviendra, un jour lointain, à la Liberté, à l’Egalité et à la Fraternité.

Remontez-vous le moral en lisant Condorcet :

 

Conclusion

    J’arrête cet article ici avec Condorcet et son message d’espoir. Je ne pense pas poursuivre mon travail sur la Révolution française. Du moins sûrement pas au rythme que j’ai mené depuis 3 ans. Peut-être encore quelques articles de-ci de-là, ne serait-ce que pour boucler la chronologie de 1789. Mais je ne poursuivrai pas mon projet initial qui était d’aller jusqu’à 1794.

    De toute façon, si on lit la chronologie de 1789 que j’ai déjà réalisée, on comprend que tout est joué ou presque et que cela va mal finir comme je l’ai expliqué au début de cet article.

    Lisez quand même Condorcet, Kant, Marc-Aurèle et Tolstoï ! Sinon comme Papageno dans la flûte enchantée de Mozart, on peut aussi être heureux en se détournant des secrets de l'univers et en se contentant de manger et boire. C'est à vous de voir...


Rappel : Cet article est toujours en cours de rédaction.



samedi 5 novembre 2022

Jacobins vs Girondins - L'historien Jean-Clément Martin vous explique ce mythe politique #lisezjeanclémentmartin

 

L'historien Jean-Clément Martin

Le Boss.

    Si l'histoire de la Révolution française vous intéresse, et c'est le cas puisque vous lisez cette page, vous devez connaître l'historien Jean-Clément Martin. C'est actuellement une référence. J'ai lu plusieurs de ses ouvrages. Sa réflexion est intelligente et claire, et surtout elle est exempte, autant faire se peut, d'esprit partisan. Il fait partie de cette nouvelle génération d'historiens qui semble attacher plus d'importances aux faits qu'aux idéologies. (Je rêve d'une époque où l'on parlera de la Révolution française aussi calmement que des guerres sociales romaines.)

    L'étude la Révolution française a tellement souffert de cette guerre de tranchées entre ceux qui la haïssent et ceux qui la vénèrent. Sa pensée ne pouvait donc que me convenir. De plus, il sait utiliser les nouveaux médias et l'on peut écouter nombre de ses conférences ou interviews sur YouTube.


Un mythe nuisible, celui des Girondins ;

    J'ai choisi ce court texte de Jean-Clément Martin à propos d'un mythe aussi pénible que nuisible. Nuisible parce qu'il sert encore d'outil pour penser, de grille de lecture, à nombre de personnes ignorant tout ou presque de la Révolution !

    Rendez-vous compte que Michel Onfray, le ravi de la crèche philosophique, ancien anarchiste hédoniste devenu poujadiste nationaliste grognon, a même publié en novembre 2017 dans le Figaro, un l'éloge de la révolution girondine intitulé "Dégageons les Robespierrots et lançons la révolution girondine !". Ce malheureux n'a pas échappé au piège dans lequel tombent tous les philosophes depuis Platon avec le tyran de Syracuse, celui de se mêler de la politique. 😊 Passons...

Petite minute d'autosatisfaction provinciale

Lisez plutôt des choses intelligentes.

    Ne boudez pas votre plaisir, lisez et écoutez Jean-Clément Martin !

À la suite de ce texte vous découvrirez des liens vers des podcasts et des vidéos du Boss, Jean-Clément Martin.

Un mythe politico-administratif, Girondins versus Jacobins ou Paris contre les provinces ?

 Administration & Education, Revue de l’AFAE., 2013, n° 3, p 137-140

    Parmi les querelles franco-françaises qui structurent notre pays, l’une des plus récurrentes tourne autour du rapport que la « province » entretient avec Paris ou, si on le dit autrement, à propos de l’opposition entre centralisation étatique et autonomie régionale. Car si personne – ou presque - ne se revendique plus « centralisateur » par peur de passer pour un « jacobin » archaïque, vaguement robespierriste, nul n’ose afficher des prétentions trop « décentralisatrices » pour éviter l’accusation de ruiner l’unité républicaine et passer pour un « girondin », voire un contre-révolutionnaire masqué. 

    Comment comprendre que dans un dédoublement proprement schizophrénique nous continuions à nous partager entre la dénonciation de l’hydre étatique et le rejet de l’éclatement provincial ? Le détour par la Révolution française, moment de cristallisation de nos passions, s’impose. 

    Dans l’imaginaire que nous prenons pour notre culture nationale, le couple « jacobins - montagnards » / « girondins », ou « centralisateurs » / « fédéralistes », est l’une des buttes témoins laissées par 1793. Depuis la Révolution française, le centralisme parisien est en effet identifié aux Montagnards confondus avec les Jacobins, notamment avec Robespierre, considéré comme leur meilleure incarnation, défenseur intransigeant de la République une et indivisible. 

    Autour d’eux et de la capitale, tout entière engagée dans la défense nationale, auraient rôdé Girondins et autres fédéralistes, rêvant de fractionner l’unité du pays en fédérations provinciales, quand ce ne serait pas en régions autonomes inspirées de l’Allemagne ou de l’Espagne. La traîtrise girondine aurait été aggravée par des liens plus ou moins affichés avec les royalistes, dont le meilleur exemple aurait été Charlotte Corday qui tua Marat la veille du 14 juillet 1793. 

    La force unificatrice de la France de l'an II, confondue avec celle des armées combattant aux frontières, aurait donc eu à affronter également les forces contrerévolutionnaires et destructrices de l'unité. 

    La dichotomie a l’avantage de la simplicité, mais l’inconvénient d’être une légende. Rappelons d’abord que Montagnards et Girondins furent deux composantes du club des Jacobins jusqu’à la fin 1792, quand les Girondins le quittèrent. A ce moment-là, ces derniers étaient au pouvoir, conduisant la guerre contre l’Autriche et la Prusse, pour laquelle ils mobilisaient toutes les énergies, ne supportant même pas que des municipalités puissent discuter les ordres de l’Assemblée. En parfaits centralisateurs, ils luttaient contre toutes les déviations possibles sur leur droite comme sur leur gauche. 

    En cela ils continuaient la politique centralisatrice, administrative et unificatrice menée depuis Paris (ou Versailles) par la monarchie dès Louis XIV, orientation que la Révolution, en 1792, plus qu’en 1789, reprit à son compte – comme Tocqueville le vit bien, plus tard.

    Ajoutons enfin que ces Girondins perdirent le pouvoir en mai 1793 parce qu’ils ne purent pas envoyer à l’échafaud les chefs sans-culottes, dont Marat. Ce furent eux qui y montèrent, obtenant le statut de victimes et faisant oublier qu’ils auraient pu entrer dans l’Histoire en tant que bourreaux. 

    A vrai dire, les « Girondins » n’ont jamais existé. Le mot « Girondins » rassemble en effet ceux qui, en 1792-1793, se qualifiaient éventuellement de Brissotins, de Rolandins ou de Buzotins et qui auraient été étonnés, alors qu’ils rivalisaient entre eux, qu’on puisse leur trouver une ligne commune, indulgente pour les ennemis de la Révolution et critique vis-à-vis de la prééminence de l’Assemblée nationale. « Girondin » est un mot inventé en 1847 par Lamartine, poète républicain modéré et historien occasionnel qui, pour faire carrière contre le roi Louis-Philippe 1er, écrivit une Histoire des Girondins avec laquelle il obtint un grand succès de librairie. Sous ce titre, il défendait une position républicaine, attachée au drapeau tricolore et hostile au drapeau rouge, récusant donc la révolution sociale et Robespierre. 

    En identifiant un groupe disparate à l’un de ses membres, Vergniaud, avocat à Bordeaux, Lamartine oppose une France provinciale et négociante à la Montagne, considérée comme typiquement parisienne. Si bien que les Girondins sont assimilés à un lobby proche de négociants cosmopolites mais soucieux de l’autonomie locale, contre les Montagnards aussi spartiates que centralisateurs. Les premiers sont donnés pour être partisans de la Révolution douce, ayant par exemple voté pour l’emprisonnement de Louis XVI alors que les seconds recourent à la violence et se prononcent pour la mort du roi. Reconnaissons que Lamartine réussit à faire passer cette vision personnelle comme réalité historique.

    Disons pourtant que ni les origines des députés, ni l’analyse de leurs votes en janvier 1793, ne confirment une distinction claire. Plus que deux groupes antagonistes, il y eut deux pôles cherchant à convaincre la majorité des députés de la justesse de leurs lignes. Au fil des conflits, les rattachements des députés à l’une ou l’autre orientation finirent par constituer des nébuleuses, consacrées parfois par des exclusions voire des condamnations à mort. Ainsi ce fut le plus souvent à titre posthume que les identifications entrèrent dans l’histoire. 

    C’est ainsi que le groupe girondin – gardons le mot puisque nous ne pourrons pas faire oublier l’invention de Lamartine – s’il n’eut pas de ligne unique, ne sut pas maîtriser le procès du roi et finit par être accusé de modérantisme voire de trahison par Robespierre. Si tous, Girondins et Montagnards, furent partisans du libéralisme économique et tous hostiles à un dirigisme d’État, les seconds nouèrent cependant une alliance tactique avec les sans-culottes. Ce mot, lui aussi indécis, recouvre en effet un rassemblement hétéroclite mais bien réel de militants urbains, armés, décidés à tout faire pour donner la victoire à une révolution plus ou moins égalisatrice, au moins communautaire. 

    Sans eux et la force armée dont ils disposent, la guerre, aux frontières et en Vendée, est perdue. Or les sans-culottes veulent que l’État exerce un contrôle économique tatillon sur les prix et les salaires, et ils entendent bien profiter de leur poids militaire pour mettre la main sur le ministère de la Guerre. Les Montagnards sauront s’allier avec eux, avant de s’en débarrasser une fois les victoires acquises. 

    En mai-juin 1793, les Girondins perdent le pouvoir, chassés par un coup d’état réalisé par les sans-culottes avec l’appui des Montagnards. Près d’une centaine de députés girondins sont emprisonnés, une vingtaine d’entre eux exécutée en octobre ; les autres réintégreront la Convention fin 1794 après la mort de Robespierre.

    La division interne aux Jacobins trouve ici son explication ; reste à comprendre l’accusation de fédéralisme. 

    Quelques-uns de ces Girondins battus sont partis qui à Bordeaux, qui à Caen, où des mouvements d’opposition au Paris des sans-culottes se développent. Au même moment, à Lyon, à Marseille ou à Toulon, dans des conditions très complexes, des révoltes anti-sans-culottes naissent également, amalgamant des royalistes heureux de jeter de l’huile sur le feu. 

    Dans l’Ouest en guerre ouverte contre les vendéens et les chouans, les Girondins ne veulent surtout pas affaiblir la République. Si bien qu’ils taisent leurs différends pour faire front commun contre le royalisme. Ce silence n’empêche pas les sans-culottes et les Montagnards de dénoncer comme « fédéralistes » tous ces mécontents bordelais, normands, lyonnais, ou marseillais…. au point de lancer des expéditions armées contre Lyon, Toulon et Marseille, tandis que Caen et Bordeaux font profil bas.

    Le mal était fait. Les Girondins furent assimilés aux fédéralistes, confondus avec la Contre-Révolution, donnant l’impression que le Paris montagnard et sans-culotte avait sauvé la Révolution et donc la République et la France. Quelques mois plus tard, les mêmes sans-culottes perdaient le pouvoir et parfois leur tête, avant que les Girondins ne ressortent des prisons pour revenir à la Convention.

    L’ultime renversement eut lieu en août 1794. Les Jacobins sont alors assimilés aux Montagnards et sont, avec Robespierre, rendus responsables de la Terreur. Tout trouve alors une cohérence autour de l’opposition Girondins/Jacobins, province/Paris, modération/violence, expliquant les conclusions de Lamartine et faisant définitivement oublier qu’il n’y eut jamais de lignes et de groupes clairement opposés l’un à l’autre, mais des arrangements liés aux circonstances et des alliances tactiques, et que tous les députés jacobins, Girondins et Montagnards ne voulaient pas dépendre d’autres forces politiques et défendaient le territoire national. 

    L’éviction des Girondins du pouvoir central au moment où la guerre menaçait le pays et leur lien, même ténu, avec les tentatives de résistance à Paris à l’été 1793, les rangent durablement du côté de la Contre-Révolution. Le succès littéraire de Lamartine interdit de revenir en arrière. La complexité des rivalités est irrémédiablement perdue alors que de grandes figures animent nos Panthéons : d’un côté, les Girondins banquettent la veille de leur exécution et vont à la mort, sereins, de l’autre, les sans-culottes sanguinaires emboîtent le pas à Robespierre, révolutionnaire exalté et sacrificiel. 

    Inutile de penser que les cadres de pensée changeront. S’il reste seulement le sentiment que les faits sont un peu plus compliqués que l’image qu’on en a, la partie ne sera pas perdue. 

Jean-Clément MARTIN

Références : Sur ces brouillages de lignes, Jean-Clément Martin, Contre-Révolution, Révolution et Nation. France 1789-1799, Paris, Le Seuil, Points, 1998 et pour une vision globale, Nouvelle Histoire de la Révolution française, Perrin, 2012.

 

Ci-dessous, quelques liens : 

Le podcast de France-Culture "Paris vs la France. Jacobins, Girondins, aux origines d’une défiance."


Les podcasts de Radio France :



Le Blog de Jean-Clément Martin sur le site de Médiapart :



Ses livres sur le site de la FNAC que l'on trouve partout ailleurs bien sûr !



Vidéo - Rencontre avec Jean-Clément Martin :



Vidéo - La Révolution française de 1789 un live Twitch sur la célèbre chaîne du Youtubeur Nota Bonus, preuve de l'aptitude de l'historien à aller vers les médias nouveaux.



Vidéo - Robespierre, la fabrique d'un monstre.



Vidéo - La Vendée de la mémoire.



mercredi 21 septembre 2022

Valmy ? Quelques précisions s'imposent.

 

Le Duc de Chartres, futur roi Louis-Philippe, et son frère, le Duc de Montpensier, rendent compte de la bataille de Valmy au Maréchal de Rochambeau, près du moulin de Saint-Sauve, le 20 septembre 1792.
Peinture d'Éloi Firmin Féron, ministère de la Défense.

La bataille de Valmy n'est pas vraiment finie.

    Chaque fois que je publie mon article sur Valmy, j'ai droit à un ou deux petits commentaires gentils ou pas, minimisant l'importance de cette première victoire de l'armée révolutionnaire le 20 septembre 1792.

    Cela n'a pas manqué hier, quand quelqu'un m'a dit que cela n'avait été qu'une petite canonnade et que l'issue de la bataille avait été arrangée entre Francs-maçons des deux camps.

"Petite canonnade"


La "petite canonnade, ou le mythe chevaleresque des belles morts.

    Effectivement, Valmy n'a été principalement "qu'une canonnade". Mais vous comprendrez mieux en lisant le texte ci-dessous, pourquoi une victoire par canonnade ne pouvait pas impressionner les contemporains de Valmy. Il est extrait d'un document rédigé par Élise Meyer, intitulé "Valmy, la victoire à contretemps", publié aux Annales historiques de la Révolution française. Le document est contemporain, documenté et critique, ce qui devrait plaire à ceux qui me reprochent parfois l'ancienneté de mes sources. 😉

Extrait du texte :

"Or Valmy n'a été qu'une canonnade. Malgré la modernité de cet affrontement à l'artillerie de plusieurs heures, l'utilisation de cette dernière est peu mise en valeur dans la rhétorique patriotique : la guerre doit être gagnée par des hommes qui ont vécu dans leur chair le combat, qui ont donné des coups et qui en ont reçu. Cela est confirmé par les parades de blessés, ainsi que par la célébration des martyrs ou perçus comme tels, comme Beaurepaire lors la campagne de l'Argonne. Outre la manière dont s'est déroulé l'affrontement, celui-ci n'a de plus occasionné que peu de morts, ce qui ne fait donc guère impression sur les contemporains. Néanmoins, cette mythologie guerrière du combat sanglant à l’arme blanche s’imbrique dans un système idéologique plus large, dont les racines remontent selon Hervé Drévillon aux valeurs issues des romans de chevalerie comme le goût de la prouesse et du coup d’éclat. Le rejet des armes à feu explique selon lui l’irrationnalité de certaines décisions militaires françaises jusqu’à la fin du XIXe siècle, comme le sacrifice inutile des cuirassiers à Reichshoffen en 1870. Au moment de Valmy, le décalage entre les valeurs militaires chevaleresques et le perfectionnement des armes à feu est donc particulièrement perceptible au sein de l’opinion, puisqu’elle ne peut considérer un combat à l’artillerie comme un événement décisif."

Source : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03628732/document

    Ce texte évoque la charge inutile de Reichshoffen du 6 août 1870. Cela m'a aussi fait penser à la bataille de Rossignol, le 22 août 1914, quand l'état-major envoya mourir inutilement 27.000 soldats français en les faisant archaïquement charger à la baïonnette, en pantalons rouges, devant les modernes mitrailleuses allemandes.

La charge des cuirassiers à Reichshoffen.


    L'armée française a souvent été en retard d'une guerre. A Valmy, ce fut le contraire grâce aux canons de l'ingénieur Gribeauval, les meilleurs canons de l'époque, qui firent souvent la différence sur les champs de batailles révolutionnaires et napoléoniennes.

Canon "Gribeauval"


La légende noire (ou la forgerie en histoire).

    Il faudra un jour prochain que je rédige un article dédié à la construction de la légende noire de la Révolution française. A noter que cette légende noire servit de terreau, ou plutôt de fumier, pour nombre de nos théories complotistes contemporaines, mettant régulièrement en accusation les Francs-Maçons et les Juifs. Mon article du 20 juillet 1789 en donne tout de même un bon aperçu.

    N'oublions pas que ce sont d'abord des historiens royalistes qui les premiers ont écrit sur la Révolution, et ce, dans un esprit de revanche, bien sûr. L'objectif principal était de salir le souvenir de la Révolution. Ils ont vraiment bien travaillé puisque la légende noire qu'ils ont forgée continue de subjuguer les héritiers ingrats de ladite Révolution. Quelques histrions en font même leurs choux gras en faisant pleurer le bon peuple sur les malheurs de l'aristocratie, grâce à de complaisantes émissions de télévisions et de livres mal écrits !

    Autant de raisons pour lesquelles, chaque fois que j'évoque Valmy, quelqu'un me parle soit de Francs-maçons, soit de l'achat de la victoire par Danton avec les bijoux volés de la couronne de France. Je m'attends à ce qu'un jour quelqu'un évoque aussi les Juifs, les Illuminati ou les Reptiliens !



Volontaires en route vers Valmy



Résistance nationale.

    Lorsqu'on lit le tome 2, "Valmy" de la série d'ouvrages concernant "Les guerres de la Révolution" de l'historien du 19ème siècle, Arthur Chuquet, on découvre avec surprise la résistance qu'opposèrent aux Prussiens, les paysans des Ardennes !
    Le jeune prince Charles de Ligne évoqua cette résistance imprévue dans une lettre inachevée que l'on trouva sur lui, après qu'il eut été tué en chargeant une batterie française le 14 septembre 1792.

Lisez l'extrait ci-dessous (page 121) :

(…) Ils laissaient au nombre des morts le prince Charles Joseph - Emmanuel de Ligne. Il avait reçu deux balles en chargeant, lui neuvième, une batterie française de trois canons qui s'était portée trop avant, sans être soutenue par l'infanterie. Il tomba de cheval et rendit l'âme presque aussitôt ". On le fouilla ; on trouva dans sa poche une lettre inachevée qui révélait la triste situation de l'armée des alliés ; elle fut publiée dans le Moniteur. « Nous commençons, disait le prince, à être assez las de cette guerre où Messieurs les émigrés nous promettaient plus de beurre que de pain. Mais nous avons à combattre les troupes de ligne dont aucune ne déserte, les troupes nationales qui restent, tous les paysans qui sont armés ou tirent contre nous ou nous assassinent quand ils trouvent un homme seul ou endormi dans une maison. Le temps, depuis que nous sommes en France, est si détestable que tous les jours il pleut à verse et les chemins sont si impraticables que dans ce moment nous ne pouvons retirer nos canons. De plus, la famine ; nous avons tout le mal imaginable pour que le soldat ait du pain, et la viande manque souvent. Bien des officiers sont cinq, six jours sans trouver à manger chaud ; nos souliers et capotes sont pourris, et nos gens commencent à être malades. Les villages sont déserts, et ne fournissent ni légumes, ni eau-de-vie, ni farines. Je ne sais comment nous ferons et ce que nous deviendrons, Quelquefois on se donne le petit plaisir, comme moi ......»

Source : Arthur Chuquet "Les guerres de la révolution" Tome 2, Valmy, page 121 : https://play.google.com/books/reader?id=aSpLAAAAMAAJ&pg=GBS.PA120&hl=fr

 

Le prince Charles de Ligne

L'attitude de la noblesse française.

    Le Prince Charles de Ligne était Belge, raison pour laquelle je n'accablerai pas ce jeune homme élevé par son père dans le plaisir de guerroyer. Apprenez que celui-ci s'adonnait également au plaisir de l'estampe. (Lire ce document et regarder ici ses eaux fortes).

    Quant à la noblesse française, tous ses représentants n'avaient pas trahi la France en rejoignant les quelques nobles réfugiés à Coblence. Beaucoup furent même dès le début, d'ardents participants de la Révolution.
Estampe caricaturant les nobles émigrés à Coblence

    Le roi Louis-Philippe, par exemple, garda toujours un souvenir ému de cette "affaire de Valmy" comme on l'appela à l'époque (avant de réaliser l'importance de celle-ci).
    Au cours de cette campagne révolutionnaire de septembre 1792, Louis-Philippe était alors Duc de Chartres et il commandait une brigade de cavalerie composée du 14e et du 47e régiment de dragons. Son jeune frère, le Duc de Montpensier lui servait d'aide de camp.


Le jeune Duc de Chartres, futur roi Louis Philippe

    "Le jeune Louis Philippe d'Orléans, duc de Chartres, calme et bien visible sur son cheval au milieu de la tourmente, prêta son concours aux officiers de ligne pour raffermir et reformer leurs bataillons. Âgé de seulement 19 ans, le rang élevé du duc en tant que commandant de division était dû à son statut de fils du duc d'Orléans, l'un des hommes les plus riches de France et le chef de la branche cadette de la famille royale. "Je n'ai jamais vu un général aussi jeune que vous", déclara Dumouriez lors de leur première rencontre. « Je suis le fils de celui qui vous a nommé colonel et je suis entièrement à votre service », répondit le duc."

Source : https://weaponsandwarfare.com/2018/05/18/louis-philippe-dorleans-duke-of-chartres-at-valmy/

Campement militaire au 18ème siècle



    Parmi tous les régiments présents à Valmy, seuls deux étaient des régiments de volontaires et tous les autres étaient des régiments de la vieille armée de ligne de l'ancien régime. Je vous invite à lire ci-dessous ce qu'expliqua le général Blaise Duval au général prussien Christian Karl August Ludwig von Massenbach, venu parlementer.

"Duval retint Massenbach auprès de lui, pendant qu'une ordonnance allait annoncer au quartier général de Grandpré l'arrivée d'un parlementaire. Il causait sur un ton à la fois digne et familier. « Les alliés, dit-il au major, font une folie en intervenant dans les affaires intérieures de la France. Ils n'en ont pas le droit et ils supporteront les conséquences de la lutte qu'ils ont imprudemment engagée sur la foi des présomptueux émigrés. Vous croyez, Monsieur, arriver à Paris : mais moi qui sers depuis quarante-cinq ans, moi qui ai médité sur la guerre, je sais que vous n'irez pas à Paris, tout comme Charles XII n'est pas allé à Moscou. Nous connaissons la force de vos armées et la faiblesse de vos ressources. Vous trouverez quelque part votre Pultava (Défaite du roi de Suède Charles XII devant Poltava en 1709). Alors vous penserez à moi... Comment le roi de Prusse a-t-il pu s'unir à cette perfide Autriche contre une nation dont il est l'allié naturel ? Vous ne pourrez faire en France la contre-révolution, vous rendrez seulement la révolution plus forte et plus puissante. Ne comptez pas que notre armée se range sous vos drapeaux. Nous autres, nous sommes de vrais Français et nous méprisons Lafayette. Ne vous fiez pas aux promesses des émigrés. Ils ont pour la plupart passé leur jeunesse dans les orgies de la cour et les voluptés de la capitale ; ils n'ont ni vertu ni énergie : ils ne connaissent ni l'armée ni le peuple. Si c'étaient des gens de cœur et d'esprit, ils seraient restés dans leur patrie, ils n'auraient pas abandonné au jour du danger et leur poste et leur roi. Je fais des exceptions ; il y a parmi les émigrés des hommes d'honneur, entraînés par la masse et qui rentreront bientôt dans leur pays... On vous a dit, ajoutait Duval, qu'il n'y avait plus de généraux en France, qu'on avait dû donner les commandements aux premiers venus ; mais, Monsieur, n'êtes-vous pas étonné de voir mes cheveux blancs ? Il y a dans notre armée beaucoup d'officiers qui en sont à leur troisième ou quatrième guerre et qui ont quitté leur famille pour défendre la liberté. Savez-vous que Dumouriez était maréchal de camp avant la Révolution ? » (Cette conversation est authentique ; cp . Massenbach, Mémoires, I ,64). Duval se doutait que ses paroles seraient fidèlement rapportées au camp prussien. Il voyait son interlocuteur très attentif, car, dit Massenbach (dans ses mémoires), je devais écouter et je n'étais pas venu pour m'engager dans une polémique et convertir mon homme. Duval parla donc des renforts considérables qu'on attendait, de Beurnonville qui devait arriver le jour suivant, de Kellermann qui n'était qu'à deux marches de Grandpré. La conversation se poursuivit jusqu'à dix heures du soir. Massenbach apprit alors que Dumouriez n'était pas à Grandpré et qu'il ne pourrait le voir ni ce jour-là ni le lendemain. Il prit congé de Duval. Lefort l'accompagna jusqu'au bord de l'Aire, et l'assura que Dumouriez n'imiterait pas Lafayette et qu'« il n'était pas question d'un second Coriolan ». Le major savait désormais qu'il existait une armée française digne de ce nom. Tous les officiers qu'il avait vus dans le camp de Duval, avaient bon air et belle tournure ; j'eus dès lors, écrit - il, une favorable opinion de ces troupes qu'on nous représentait si misérables".


Source : Arthur Chuquet "Les guerres de la révolution" Tome 2, Valmy, page 131 : https://play.google.com/books/reader?id=aSpLAAAAMAAJ&pg=GBS.PA130&hl=fr

    Apprenez pour info, que Dumouriez finit par trahir lui aussi, comme Lafayette.

    Ce texte donne une image différente de l'armée révolutionnaire, au sein de laquelle de vieux soldats de l'ancien régime, y compris des nobles, étaient avant tout fidèles à la France.


Conclusion (provisoire) 😉

    Valmy n'a pas fini de faire parler. Cet événement constitue presque en France une ligne de démarcation politique entre les républicains et leurs adversaires.

    Il y aurait donc encore beaucoup à dire sur Valmy. Je crois vous avoir donné quelques pistes de lectures.


Merci pour votre lecture

Bertrand Tièche, alias le Citoyen Basset.





Post Scriptum :

    Pour revenir, avec humour, sur les théories du complot, voici le diagramme ci-dessous, produit par les abrutis de Q-Anon. Il vous aidera à comprendre tout ce que l'on vous cache, y compris c'est certain, sur la "French revolution"
Plein d'autres diagrammes explicatifs débiles sur ce lien :
https://throughthelookingglassnews.wordpress.com/2017/11/24/q-anon-learn-to-read-the-map/