jeudi 13 août 2020

Rendons hommage et justice à Louise Félicité de Keralio !

Louise Félicité Guinement de Keralio

Injustement oubliée

    Voici une femme étonnante, qui malgré son histoire incroyable et ses multiples talents, est tombée dans les oubliettes de l'histoire ! Louise Félicité de Keralio mérite grandement d’être redécouverte.

    Elle fut la première femme journaliste et la première femme à fondatrice et rédactrice d'un journal. 

    Elle fut la première historienne reconnue comme telle par ses pairs. 

    De plus, nombre de ses idées ont ensemencé joliment la révolution !

Vivre libre ou mourir (ça vous dit quelque chose ?)

    Louise Keralio a fondé à Paris, le 13 août 1789, "le Journal d'État et du citoyen" dont l'épigraphe était "Vivre libre ou mourir". Cette devise deviendra célèbre sous la première République née de l'abolition de la monarchie le 21 septembre 1792 (le lendemain de la victoire de Valmy).

Voici l'extrait du numéro du 15 novembre 1789 :


Voici un prospectus de ce journal sauvegardé par la bibliothèque de Chicago :



Une carrière étonnante

    Louise Félicité dirigera ensuite "Le Mercure national, ou Journal d'État et du citoyen", puis "Le Mercure national et Révolutions de l’Europe" et enfin "Le Mercure national et étranger, ou Journal politique de l’Europe".

    Elle avait déjà créé en 1786, avec Jean Lagrange, une société "pour exploiter un commerce de librairie" qu'elle avait installé chez elle au 17 rue de Grammont à Paris.

    Le 3 février 1787 elle avait été élue à l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras, dont Robespierre était alors le président.

    En juin 1787, Jacques Mallet du Pan avait écrit dans le Mercure de France pour commenter "l'Histoire d'Élisabeth, reine d’Angleterre", rédigée par l’étonnante Louise : "Il existe une foule accablante d'histoires, d'historiographes et très peu d'historiens. Jusqu'ici nous n'avions pas vu en France d'historienne ; Mlle de Kéralio est je pense la première."

    En décembre 1790, elle publiera dans son journal un article intitulé "Sur l'influence des mots et le pouvoir du langage"elle proposera d'introduire le tutoiement en signe de fraternité.

    Par la suite elle sera également à l'origine de la disparition de Monsieur ou Madame au profit de citoyen et citoyenne !

    Elle animera des "Sociétés de femmes", comme la Société fraternelle de l'un et l'autre sexe.

    Elle se battra également contre l'esclavage colonial ! (Au contraire de la fameuse Olympe de Gouge).

Trop républicaine...

    Elle animera, d'abord chez ses parents dans leur appartement du deuxième étage de l'immeuble situé au 17 rue de Grammont, puis au 2 rue des Marais Saint-Germain, et enfin au 10 rue de Condé, un club dans lequel naîtront l'idée du républicanisme adapté à la France et le parti républicain.

    Mariée par contrat le 14 mai 1792 avec Pierre-François-Joseph Robert, membre du club des Cordeliers, son républicanisme fut certainement enrichi par les idées diffusées par ce club très populaire et très engagé dans la Révolution. Les Cordeliers demanderont le 21 juin 1791 la déchéance de Louis XVI qui venait de s'enfuir, ils organiseront la manifestations du Champs de Mars le 17 juillet suivant (à laquelle Louise participera), et ils seront très actifs dans l'insurrection du 10 août 1792 qui conduira à l'emprisonnement de Louis XVI puis à l'abolition de la monarchie le 21 septembre 1792.

Louise Félicité de Keralio

Pas assez féministe !

    Louise Félicité n'avait rien à envier en qualités à Olympe de Gouge dont la célébrité tient beaucoup à une récupération politique très contemporaine, même si très honorable puisque défendant la cause des femmes (Voir mon article du 9 juillet dernier). 

    Hélas, malgré tous ses engagements, sa participation à des sociétés fraternelles mixtes, et même sa proximité durant un temps avec la féministe Etta Palm d'Aelders, Louise Félicité de Keralio avait une vision plutôt conservatrice de la position de la femme dans la société (position qui sera d'ailleurs cause de sa rupture intellectuelle avec Etta Palm qu'elle accusera d'être une espionne et une mauvaise fille.).

    À titre d’exemple, dans un numéro de son journal, dans lequel un homme appelait les femmes à participer aux assemblées primaires pour voter aux élections municipales, elle avait répondu que « le plus grand bien que la constitution puisse faire, c’est d’écarter à jamais les femmes [du gouvernement] » pour ensuite assigner aux femmes leur place : le foyer, et leur rôle, l’éducation des enfants. Hum, hum... 😕

    En cette période de relecture féministe de l'histoire, ce genre d'opinion ne peut guère aider à la redécouverte de cette étrange républicaine (à la solde du patriarcat) 😉


Pourquoi cet oubli ?

    Son manque de féminisme n'explique pas tout. J'ai remarqué que les historiens avaient retenu plus volontiers dans leurs ouvrages, les belles dames qui tenaient des salons comme Madame Roland ou les très belles dames qui avaient eu l'honneur d'être portraiturée par Elisabeth Vigée Lebrun, plutôt que les femmes vraiment engagées dans la Révolution, les femmes trop révolutionnaires, voire pire, trop républicaines...


Les autres oubliées...

    Beaucoup de femmes s'engagèrent activement dans la Révolution, prenant bien volontiers les armes. La colère des femmes fut même à l'origine de nombreuses émeutes révolutionnaires, comme celles des journées des 5 et 6 octobre 1789, qui constituèrent un tournant majeur de la révolution. Certaines s'engagèrent même dans l'armée en dissimulant leur sexe et combattirent vaillamment.

    L'émancipation des femmes figure indiscutablement parmi les idées novatrices qui germèrent durant la Révolution. Comme nombre d'autres, celle-ci fut combattue, puis vaincue pour un temps; pour un temps seulement car la graine était plantée et elle finirait par fleurir un jour et porter ses fruits.

  Si je dispose de suffisament de temps, je vous parlerai de Louise Reine Audu, Pauline Léon, Claire Lacombe, Marie Charpentier, Reine Chapuis, les citoyennes Lavarenne et Tournée, la citoyenne lieutenant Lecuyer, l'amazone Théroigne de Méricourt, la canonière Catherine Pochetat, la citoyenne Montorcier, Anne Quatresols, Angélique Duchemin, la lieutenant Ursule Aby, Marie Schellinck, Pélagie Dulière, Thérèse Figueur (dite Sangène), les sœurs guérrières Félicité et Théophile Fernig, Rose Barreau (dite Liberté), Madame de Moulin, Rose Bouillon, Thérèse Touay dit le Diable, Clémence Alibert, Chamoton épouse Legelée, Françoise Drouet, Marie-Cécile Fiteau (de Nevers), la vendéenne Elisabeth Bourgé, Marie Saulnier...


Plus d'infos sur Louise Félicité ?

Je vous propose de lire ces articles :

Louise de keralio-robert, pionnière du républicanisme sexiste

Chez la journaliste Louise de Keralio

Cercles politiques et « salons » du début de la Révolution


Voici également quelques-uns de ses écrits :

    Un texte court, son "Adresse aux femmes de Montauban", publiée en 1790.







    Cette page de Gallica liste tous ses écrits disponibles : "Robert Louise-Félicité Guinement de Keralio


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Bertrand