François Bordier, avant sa pendaison... Acteur, parisien, émeutier, buveur ? |
La Grande Peur arrive en Normandie.
Nous avons constaté ensemble ces derniers
jours (voir mes précédents articles), que parallèlement à la diffusion à
travers tout le royaume de la nouvelle des événements révolutionnaires
parisiens, se diffuse une vague de peur. Les historiens ont appelé ce phénomène
la « Grande Peur ».
Comment se diffuse-t-elle ? Des rumeurs, colportée parfois par de mystérieux courriers, prétendent que des
hordes de brigands vont venir dévaster les champs et tuer tout le monde. En
Aquitaine les gens craignent un débarquement des Anglais ! En quelques jours ce vent de panique traverse tout le pays et arrive le 1er août dans le Sud à la frontière avec les États Sardes ! Des paysans affolés
prennent les armes, avertissent les villages voisins, demandent des secours aux
villes et la plupart du temps, aucune troupe armée ne pointe son nez !
Au milieu de cette folie, ne nous y trompons pas, il y a bien des attaques. Mais celles-ci ne sont pas menées par des hordes constituées de vrais brigands et encore moins par des soldats anglais ! Ce sont plutôt de vrais paysans en colère et bien souvent affamés, qui eux aussi veulent faire tomber leurs Bastilles, c’est-à-dire les châteaux de leurs seigneurs locaux !
Dans mon article concernant la journée du 29 juillet 1789, j’ai partagé avec vous un document précieux, issu des archives de la Saône-et-Loire, qui nous donne nombre d'informations, images et même de copies de dépositions de témoins concernant la révolte en Mâconnais. En lisant ce cahier passionnant, j'ai découvert qu'une rumeur, qui plus est accréditée par des billets qui circulaient, semblait être à l'origine du déclenchement des troubles dans le Mâconnais. La rumeur prétendait que le roi et l'Assemblée toléraient la destruction de ce régime féodal qui oppressait les paysans !
Cette assertion donne du crédit à l’hypothèse faite par l’historien Adolf Thiers que j’évoquais dans mon article du 23 juillet 1789. En effet, dans son histoire de la Révolution française, l’historien Adolphe Thiers avait émis l’hypothèse étonnante que les courriers envoyés partout en France pour annoncer l’arrivée des brigands, relevaient d’une initiative de la cour. Eux seuls étaient en effet capables de franchir aisément tous les postes de contrôles. L’idée aurait été d’armer les provinces pour les opposer à Paris, car la cour ne croyait pas à une révolution générale du royaume. Étonnant, non ?
Mais les historiens n’aiment pas les rumeurs de complots. Ils préfèrent les
déclarations, certifiées ou non, des grands personnages « historiques ».
Raison pour laquelle l’historien américain Timothy Tackett
contesta l’hypothèse de la
croyance en un complot aristocratique et qu’il mit l’origine de la
Grande Peur
sur le compte de l’inquiétude face au vide du pouvoir et au désordre,
après la
crise de juillet 1789. Pour appuyer sa thèse, Tackett évoque des
témoignages de "solidarité verticale" entre nobles et paysans au cours
des troubles de l’été
1789.
Ne saura-t-on jamais ?
Carte de la Grande Peur Source : Atlas de la Révolution française édité "par Autrement" |
Grande Peur ou agitation sociale ?...
« Un sieur Jourdain venu de Paris avec quelques-uns de ses consorts s’est adroitement introduit parmi la jeunesse de Rouen », dénonce ledit journal. Il pousse les troupes à la sédition, veut que Rouen devienne aussi révolutionnaire que Paris. Plus tard, c’est Bordier, « acteur de variétés se disant député », qui arrive dans la capitale. « Vers minuit une troupe de bandits ayant à leur tête Bordier, qu’ils appelaient le général, se porte chez M. l’Intendant, brise les portes de son hôtel et performe les plus horribles imprécations ».
Les émeutiers pillent les caves et s’enivrent (bien sûr) et dès le lendemain ils menacent de décapiter l’Intendant et ils brûlent des maisons. Le régiment de Navarre, stationné dans la ville, globalement resté légitimiste, interviendra et arrêtera les deux meneurs le 5 août.
Les deux révolutionnaires seront condamnés par le Tribunal de la Seine-Inférieure (Aujourd'hui la Seine-Maritime), à être pendu le 21 août 1789, pour fait de sédition.
La Seine inférieure en 1790. |
François Bordier, né en 1758, fils d'un tailleur de pierre parisien, était devenu acteur, d’abord dans la troupe d'enfants de Nicolas-Médard Audinot au théâtre de l'ambibu-comique, puis aux Variétés amusantes dirigées par Louis Lécluze. Le théâtre des Variétés-Amusantes, inauguré le 12 avril 1779, avait été rebaptisé "Variétés du Palais-Royal" à l’occasion de son déménagement audit Palais Royal, où il avait ouvert son premier spectacle le 1er janvier 1785.
Sachez également que ce théâtre deviendra la Comédie Française, en 1799.
Une représentation au théâtre des variétés amusantes |
Émeutes sociales
Je vous invite à lire le texte passionnant du professeur émérite en Histoire du Droit Jean-Pierre Alline que j'ai reproduit dans mon article relatant les émeutes "luddistes" du 17 octobre 1789. Dans son analyse détaillée de la crise du textile résultant de l'implantation des machines à filer anglaises, il évoque les émeutes qui ont eu lieu les 3 et 4 août dans le quartier ouvrier de Saint-Sever. Il rapporte combien la troupe assistée de la milice bourgeoise ont réprimé sévèrement ces émeutes. "Près de cent personnes sont arrêtées, y compris à titre préventif dans les cabarets. Six émeutiers sont pendus entre le 6 et le 21 sur le pont enjambant la Seine face au quartier ouvrier de Saint-Sever, tandis que les canons de la milice et des troupes royales sont braqués sur cette rive du fleuve en présence de tous les Corps constitués de la ville."
Réhabilitation républicaine du malheureux Bordier.
L’histoire n’a retenu comme image de ce malheureux fauteur de trouble (qui plus est parisien et ivrogne), que l’estampe que j'ai affichée en tête de l'article. On voit Bordier en costume d’Arlequin, portant un masque de la Commedia Del Arte, à côté de sa potence. La légende de cette sinistre gravure est la suivante : « Avis aux perturbateurs du bon ordre ». Le message était clair, non ?
Bordier sera malgré tout réhabilité le 22 novembre 1793 par
le Conseil général de la commune de Rouen (sous la 1ère République).
De nos jours, le site WEB de la ville de Rouen nous rappelle
tout de même que le début de révolution à Rouen s’est déroulé sur un fond de
crise économique et sociale, que la faim a connu son paroxysme pendant l'été et
que cela a entraîné des émeutes.
Toujours ces deux images qui se chevauchent et que l’on
retrouvera si souvent, celle de bandits ivrognes et assassins (voire parisiens) et celle de malheureux affamés.
Le site de la ville de Rouen, nous précise également que les
cahiers de doléances pour les Etats Généraux de Mai 1789, rédigés par Thouret,
faisaient « peu de place aux aspirations des plus pauvres et représentaient
essentiellement les souhaits de la grande bourgeoisie de la ville. La noblesse
et le clergé campaient sur la défense de leurs privilèges, seule une minorité
de la noblesse, représentée par le marquis d'Herbouville, était ouverte aux
idées nouvelles issues de la philosophie des Lumières. »
(Lire ici : https://rouen.fr/revolution-empire).
Guerre des pauvres contre les riches ?
Pendant ce temps-là, à l’Assemblée nationale, on travaille
toujours autant, les beaux discours s’enchaînent et l’on commence à évoquer une
déclaration des droits.
Un orateur propose un arrêté, en disant "qu’il faut se
hâter de remédier aux maux actuels ; que bientôt la France sera dans le plus
grand désordre ; que c’est la guerre des pauvres contre les riches ; et que si
l’on n’apporte aucun remède à la suspension du payement des impôts, le déficit
sera de plus de 200 millions ; que Monsieur le contrôleur général se plaint du
vide de ses caisses… ".
« La guerre des pauvres contre les riches » Vraiment ?
N’était-ce pas plutôt une guerre entre anciens riches et nouveaux riches ? Les pauvres, comme d’habitude, n’étant que des pions ?
Merci pour votre lecture
Bertrand Tièche
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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand