lundi 3 août 2020

3 Août 1789 : la Grande peur, vue de Rouen et de Paris...

Article mis à jour le 03/08/2023.
François Bordier, avant sa pendaison...
Acteur, parisien, émeutier, buveur ?

     Nous avons constaté ensemble ces derniers jours (voir mes précédents articles), que parallèlement à la diffusion à travers tout le royaume de la nouvelle des événements révolutionnaires parisiens, se diffuse une vague de peur. Les historiens ont appelé ce phénomène la « Grande Peur ».

    Comment se diffuse-t-elle ? Des rumeurs, colportée parfois par de mystérieux courriers, prétendent que des hordes de brigands vont venir dévaster les champs et tuer tout le monde. En Aquitaine les gens craignent un débarquement des Anglais ! En quelques jours ce vent de panique traverse tout le pays et arrive le 1er août dans le Sud à la frontière avec les Etats Sardes ! Des paysans affolés prennent les armes, avertissent les villages voisins, demandent des secours aux villes et la plupart du temps, aucune troupe armée ne pointe son nez !

    Au milieu de cette folie, ne nous y trompons pas, il y a bien des attaques. Mais celles-ci ne sont pas menées par des hordes constituées de vrais brigands et encore moins par des soldats anglais ! Ce sont plutôt de vrais paysans en colère et bien souvent affamés, qui eux aussi veulent faire tomber leurs Bastilles, c’est-à-dire les châteaux de leurs seigneurs locaux !


La Grande Peur arrive à Rouen

    Ce 3 août 1789, à Rouen, des émeutes ont éclaté ! Le journal local expliquera dans son numéro daté du 12 août 1789 que la cause de cette émeute revient à deux agitateurs, François Bordier et Thomas-Charles Jourdain. Ils sont tous deux accusés d’être parisiens, même si Jourdain était avocat à Lisieux.

« Un sieur Jourdain venu de Paris avec quelques-uns de ses consorts s’est adroitement introduit parmi la jeunesse de Rouen », dénonce ledit journal. Il pousse les troupes à la sédition, veut que Rouen devienne aussi révolutionnaire que Paris. Plus tard, c’est Bordier, « acteur de variétés se disant député », qui arrive dans la capitale. « Vers minuit une troupe de bandits ayant à leur tête Bordier, qu’ils appelaient le général, se porte chez M. l’Intendant, brise les portes de son hôtel et performe les plus horribles imprécations ».

        Les émeutiers pillent les caves et s’enivrent (bien sûr) et dès le lendemain ils menacent de décapiter l’Intendant et ils brûlent des maisons. Le régiment de Navarre, stationné dans la ville, globalement resté légitimiste, interviendra et arrêtera les deux meneurs le 5 août.

    Les deux révolutionnaires seront condamnés par le Tribunal de la Seine-Inférieure (Aujourd'hui la Seine-Maritime), à être pendu le 21 août 1789, pour fait de sédition.

La Seine inférieure en 1790.

    François Bordier, né en 1758, fils d'un tailleur de pierre parisien, était devenu acteur, d’abord dans la troupe d'enfants de Nicolas-Médard Audinot au théâtre de l'ambibu-comique, puis aux Variétés amusantes dirigées par Louis Lécluze. Le théâtre des Variétés-Amusantes, inauguré le 12 avril 1779, avait été rebaptisé "Variétés du Palais-Royal" à l’occasion de son déménagement audit Palais Royal, où il avait ouvert son premier spectacle le 1er janvier 1785.

Sachez également que ce théâtre deviendra la Comédie Française, en 1799.

Une représentation au théâtre des variétés amusantes

Bon dieu mais c'est bien sûr !

    Bon dieu mais c’est bien sûr ! (Comme disait un commissaire célèbre du temps jadis). Comment ne pas voir se profiler une fois de plus derrière ce forfait, l’ombre du Duc D’Orléans, déjà maintes fois soupçonné d’être derrière de nombreux troubles révolutionnaires ? Je vous en ai déjà parlé un peu à l'occasion de la journée du 22 juillet 1789 et je vous en reparlerai souvent...


Complot ? Rumeur ? Quelles sont les origines de cette grande peur ?

    Dans mon article concernant la journée du 29 juillet 1789, j’ai partagé avec vous un document précieux, issu des archives de la Saône-et-Loire, qui nous donne nombre d'informations, images et même de copies de dépositions de témoins concernant la révolte en Mâconnais. En lisant ce cahier passionnant, j'ai découvert qu'une rumeur, qui plus est accréditée par des billets qui circulaient, semblait semble être à l'origine du déclenchement des troubles dans le Maconnais. La rumeur prétendait que le roi et l'Assemblée toléraient la destruction de ce régime féodal qui oppressait les paysans. Cette assertion donnait du poids à l’hypothèse faite par l’historien Adolf Thiers que j’évoquais dans mon article du 23 juillet 1789. En effet, dans son histoire de la Révolution française, l’historien Adolph Thiers avait émis l’hypothèse étonnante que les courriers envoyés partout en France pour annoncer l’arrivée des brigands, relevaient d’une initiative de la cour. Eux seuls étaient en effet capables de franchir aisément tous les postes de contrôles. L’idée aurait été d’armer les provinces pour les opposer à Paris, car la cour ne croyait pas à une révolution générale du royaume. Étonnant, non ?

    Mais les historiens n’aiment pas les rumeurs de complots. Ils préfèrent les déclarations, certifiées ou non, des grands personnages « historiques ». Raison pour laquelle l’historien américain Timothy Tackett contesta l’hypothèse de la croyance en un complot aristocratique et qu’il mit l’origine de la Grande Peur sur le compte de l’inquiétude face au vide du pouvoir et au désordre, après la crise de juillet 1789. Pour appuyer sa thèse, Tackett évoque des témoignages de "solidarité verticale" entre nobles et paysans au cours des troubles de l’été 1789.

Ne saura-t-on jamais ?

Carte de la Grande Peur
Source : Atlas de la Révolution française édité "par Autrement"

Réhabilitation républicaine.

    L’histoire n’a retenu comme image de ce malheureux fauteur de trouble (qui plus est parisien et ivrogne), que l’estampe que je vous propose aujourd’hui. On le voit en costume d’Arlequin, portant un masque de la commedia Del Arte, à côté de sa potence. La légende de cette sinistre gravure est la suivante : « Avis aux perturbateurs du bon ordre ». Le message était clair, non ?

    Bordier sera malgré tout réhabilité le 22 novembre 1793 par le Conseil général de la commune de Rouen (sous la 1ère République).

    De nos jours, le site WEB de la ville de Rouen nous rappelle tout de même que le début de révolution à Rouen s’est déroulé sur un fond de crise économique et sociale, que la faim a connu son paroxysme pendant l'été et que cela a entraîné des émeutes.

    Toujours ces deux images qui se chevauchent et que l’on retrouvera si souvent, celle de bandits ivrognes et assassins (voire parisiens) et celle de malheureux affamés.

    Le site de la ville de Rouen, nous précise également que les cahiers de doléances pour les Etats Généraux de Mai 1789, rédigés par Thouret, faisaient « peu de place aux aspirations des plus pauvres et représentaient essentiellement les souhaits de la grande bourgeoisie de la ville. La noblesse et le clergé campaient sur la défense de leurs privilèges, seule une minorité de la noblesse, représentée par le marquis d'Herbouville, était ouverte aux idées nouvelles issues de la philosophie des Lumières. »

(Lire ici : https://rouen.fr/revolution-empire).

Charles Joseph Fortuné d'Herbouville,
Marquis aux idées libérales, dont la biographie
vaut la peine d'être lue sur Wikipedia...

Guerre des pauvres contre les riches ?

    Pendant ce temps-là, à l’Assemblée nationale, on travaille toujours autant, les beaux discours s’enchaînent et l’on commence à évoquer une déclaration des droits.

    Un orateur propose un arrêté, en disant "qu’il faut se hâter de remédier aux maux actuels ; que bientôt la France sera dans le plus grand désordre ; que c’est la guerre des pauvres contre les riches ; et que si l’on n’apporte aucun remède à la suspension du payement des impôts, le déficit sera de plus de 200 millions ; que Monsieur le contrôleur général se plaint du vide de ses caisses… ".

« La guerre des pauvres contre les riches » Vraiment ? 

    N’était-ce pas plutôt une guerre entre anciens riches et nouveaux riches ? Les pauvres, comme d’habitude, n’étant que des pions ? 

    Cela dit sans porter de jugement de valeur, bien sûr, car il ne s’agit après tout que de comportements bien humains, trop humains peut-être ?

Merci pour votre lecture

Bertrand Tièche

 

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Bien cordialement
Bertrand