Nous parlons des 12.000 indigents évoqués par Necker dans
son discours du 7 août, auxquels le roi, dans sa grande générosité (je suis
sérieux, vous aurez plus de détail à la fin de l’article), avait procuré un
travail payé 20 sous la journée, mais que les bourgeois de Paris voyaient d’un
mauvais œil.
Dans sa lettre du 25 Août, notre ami l’avocat Adrien Joseph
Colson avait en effet évoqué durement ces vagabonds, appelés selon lui à
devenir des brigands. Outre un éventuel problème de sécurité, cette main
d’œuvre payée par le roi, faisait une concurrence déloyale aux honnêtes
entrepreneurs de travaux publics de la ville.
Occuper les sans-abris à travailler, reste toujours pour certains une bonne idée. Néanmoins, dans une économie de marché, cela constitue toujours un problème de concurrence déloyale. La concurrence comme chacun le sait devant être libre et non-faussée (Sans commentaire, je ne parlerai pas de mon expérience professionnelle).
J’ai trouvé, pour vous donner une idée de la situation, ce
passage intéressant extrait d’un recueil de conférences de l’historien Henri
Guillemin. Tombé dans l’oubli, ce sympathique bonhomme est devenu populaire
grâce aux vidéos de ces conférences dans les années 70, stockées sur le site
internet de la télévision suisse. Soyons honnête, Guillemin est "un peu" de parti-pris. Disons qu’il
a la dent dure contre la bourgeoisie (Ce qui nous change un peu, des versions classiques). Mais indépendamment de cela, il donne
des informations que l’on ne retrouve pas souvent chez les historiens connus.
Lisez plutôt : (page 63) :
« Maintenant que la bourgeoisie est tranquille, maintenant que le roi s’est rallié, maintenant qu’il a parlé de son amour pour le peuple, on va se débarrasser de ces 10.000 hommes que la bourgeoisie appelle volontiers des brigands, les brigands de Montmartre. On va leur envoyer du canon, pour les faire partir de Montmartre et c’est Hulin, l’homme de main du banquier suisse Perrégaux qui va se charger de conduire les canonniers pour déloger ces 10,000 malheureux prolétaires. On va leur remettre à chacun 24 sous (un pain nourrissant une famille pour une journée coûtait 14 sous) et un passeport pour qu’ils aillent se faire pendre ailleurs. »
Voilà, c’est dit, à la façon Guillemin.
Mais j’ai voulu en savoir plus sur ces ateliers de charité et j’ai déniché un livre bien intéressant dont je vous donne le lien si vous voulez compléter les quelques informations que je vous donne. Il s’agit du rapport de Monsieur Plaisant sur l’administration des ateliers de charité de 1789 à 1799. Il est stocké dans la bibliothèque numérique de notre ami Google.
Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder
Rapport de M. Plaisant sur l'administration des Ateliers de Charité 1789-1790 |
En voici un extrait :
« Monsieur Plaisant qui prit possession de ses fonctions d’administrateur du département des Travaux Publics de la ville de Paris le 19 octobre 1789, évoque l’existence de ces ateliers « établis sans règles, sans principes et presque sans destination, puisque le seul travail auquel furent employés les ouvriers consista dans la construction d’un nouveau chemin de la barrière blanche au sommet de Montmartre ».
L’ouvrage précise en page XII, que : « L’Assemblée des électeurs, ayant reconnu l’immoralité de ces ateliers, dont les frais étaient immenses et le travail presque nul, eut l’énergie d’en ordonner la suppression totale à partir de la fin août et le renvoi des ouvriers dans leurs pays d’origine. ».
Ces ouvriers mal payés, aussi appelés des brigands par les
bourgeois de Paris, étaient estimés à environ 12.000 au début de la révolution
et avaient atteint le nombre de 32.000.
De nouveaux ateliers furent créés ensuite à destination
d’ouvriers parisiens "choisis dans les districts" qui ouvrirent le 22 septembre
1789, dont le sieur Plaisant reçut la surveillance. Ils comptaient 3237
ouvriers le 19 octobre, et 4922 au 1er décembre.
« En janvier 1790, la misère extrême régnant à Paris, par suite du manque de travail, au point qu’une quarantaine d’ouvriers était réduits au désespoir, obligea d’admettre dans les ateliers 2000 ouvriers supplémentaires, dont 600 pris dans le Faubourg Saint-Antoine, 500 dans celui de Saint Marceau et les 900 autres dans les districts les plus pauvres, pour arriver à occuper 8000 ouvriers, chiffre maximum indiqué par Monsieur Bailly. A la même époque, la suppression des moulins à bras de l’Ecole militaire mit sur le pavé 1800 ouvriers. »
Petit résumé :
Vous avez compris que les ateliers de charité furent réouverts à la seule destination des ouvriers parisiens, après que les étrangers, c’est-à-dire les Français ayant fui leurs provinces pour échapper à la misère, eurent-été chassés manu-militari, hors de Paris.
Vous aurez
également remarqué que le dénommé Augustin Hulin était encore de la partie pour
chasser les « fainéants ». Souvenez-vous, c’est bien celui qui déjà commandait
la petite troupe de militaires qui attaqua la Bastille le 14 Juillet, "en
renfort du peuple". C’était également un homme de main du banquier suisse
Perrégaux, celui qui contribua à armer le peuple de Paris lors des journées des
12 et 13 juillet. (A vous de tenter des rapprochements).
Pourquoi tant de misère ?
Peut-être vous demandez-vous comment un pays aussi
prétendument riche comme la France du 18ème siècle, pouvait avoir autant de
miséreux parcourant ainsi ses chemins, ou comment ses terres aussi riches ne
suffisaient-elles pas à produire le blé, au point qu’il fallait en importer
d’Algérie pour nourrir Paris ? (Voir discours de Necker du 7 août).
Certains vous parleront de la croissance démographique,
d’autres de la disparité des productions entre les régions qui nécessitait que
soit imposée la libre circulation des blés, chère aux économistes physiocrates.
Fidèle à mon habitude, je vous vous suggérer une autre explication, qui n’invalide d’ailleurs pas les deux précédentes. Je l’ai trouvée en lisant les voyages en France d’Arthur Young, cet agronome anglais dont je vous ai déjà parlé et qui a visité notre beau pays de long en large et en détail durant ces années-là.
Plusieurs fois, au cours de ses pérégrinations, cet agronome anglais, amis du Duc de Liancourt (lui aussi agronome et entre autres meilleur ami du roi), se lamente de voir les vastes forêts inexploitées entourant les châteaux. Les nobles ne se préoccupant que de chasse, peu leur importait de cultiver ou plutôt faire cultiver ces vastes terres en friches.
Lisez cet extrait du journal de notre
ami anglais (traduction et commentaire de l'époque) :
« — Barbezieux, au milieu d’une belle campagne variée d’aspect et boisée ; le marquisat, ainsi que le château, appartient au duc de La Rochefoucauld, que nous y avons rencontré ; il le tient du fameux Louvois, le ministre de Louis XIV. Dans les trente-sept milles compris entre la Garonne, la Dordogne et la Charente, par conséquent ait milieu des marchés les plus importants de la France, il est incroyable que l’on rencontre autant de terres incultes ; c’est ce qui m’a frappé le plus dans cette excursion. Beaucoup de ces terrains appartenaient au prince de Soubise, qui n’en voulait rien céder. Il en est de même chaque fois que vous tombez sur un grand seigneur ; eût-il des millions de revenus, vous êtes sûr de trouver sa propriété déserte. Celles du prince et celles du duc de Bouillon sont des plus grandes de France, et tous les signes que j’ai aperçus de leur grandeur sont des bruyères, des landes, des déserts, des fougeraies. Visitez leur résidence où qu’elle soit, et vous les verrez probablement au milieu des forêts très peuplées de cerfs, de sangliers et de loups. Ah ! Si pour un jour j’étais le législateur de la France, comme je ferais sauter les grands seigneurs ! [Je puis assurer le lecteur que tels étaient alors mes sentiments. ] »
La misère, la grande oubliée de l’histoire de la Révolution.
J’ai déjà évoqué la misère en France au 18ème siècle, dans
un article publié le 17 Août. Je vous parlerai une prochaine fois de Louis Pierre Dufourny de Villiers, architecte né à Paris, qui publiera entre autres
le 25 avril 1789, au moment des États généraux de la France, les " Cahiers du
quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents,
etc., l'ordre sacré des infortunés ; ou correspondance philanthropique entre
les Infortunés, les Hommes sensibles, et les Etats-généraux : pour suppléer au
droit de députer directement aux Etats, qui appartient à tout français, mais
dont cet Ordre ne jouit pas encore ".
J’ai trouvé il y a peu un livre intitulé : « Paris capitale
des pauvres : quelques réflexions sur le paupérisme parisien entre XVIIe et
XVIIIe siècle. »
En voici un premier extrait, il s’agit du témoignage d’un
étranger :
« L'auteur anonyme des "Letters on the French nation by a Sicilian gentleman residing at Paris17", éditées à Londres en 1749 remarque : « Je doute qu'il puisse exister sur terre un enfer plus terrible que d'être pauvre à Paris, que de se voir continuellement au centre de tous les plaisirs sans jamais pouvoir en goûter aucun. Parmi cette profusion d'abondance, on peut voir un nombre infini de pauvres hères qui mendient sur un ton de mélopée comme s'ils chantonnaient ; ils semblent en hiver figés par le froid, et au printemps ils vous proposent des fleurs pour solliciter votre compassion »
Source : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1987_num_99_2_2934
Je vous conseille vivement la lecture de cet ouvrage
librement accessible dans lequel vous trouverez des informations qui je le
pense, vous étonneront.
Voici le lien y accédant : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1987_num_99_2_2934
Je vous propose, pour conclure, de lire ce paragraphe
décrivant la situation de la ville en 1789 :
« La crise de 1788-1789, le chômage généralisé, les difficultés de tous ordres frappant alors l'économie parisienne arrivent au terme d'une période de difficultés et de précarité. Ernest Labrousse en a démontré les effets sociaux. On parle de 200.000 ouvriers sans travail, et déjà la géographie d'une misère à la fois structurelle et conjoncturelle est installée, il faut le souligner, au centre, dans les vieux quartiers, et à la périphérie dans les faubourgs. En dépit de la difficulté certaine pour évaluer les masses parisiennes paupérisables et paupérisées, en dépit de la sagesse des Parisiens qui ne s'émotionnent guère aux moments difficiles par suite de la politique royale résolument protectionniste en matière de subsistances, on peut être assuré de l'importance relative et absolue du paupérisme : Paris est la capitale des pauvres. »
Vous y aurez reconnu au passage la mention relative à la politique protectionniste de Louis XVI en matière de subsistances.
Lisez sur ce sujet relatif à la politique des subsistances les articles suivants :
"La pénurie de pain et le manque de farine sont-ils organisés".
Post Scriptum :
C'est toujours aussi difficile de trouver des images
d'époque pour illustrer de tels sujets. Raison pour laquelle j'ai illustré cet article de quelques images de
Montmartre, célèbre à l'époque pour ses carrières.
Carrières à l'Est de Montmartre |
Plan de Montmartre au 18ème siècle |
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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand