Un Necker fatigué
Nous reparlerons souvent de Necker ces prochains mois, du moins jusqu'au 3 Septembre 1790, date à
laquelle il démissionnera et prendra la route de la Suisse, échappant de peu à son
arrestation. Mais c'est un Necker fatigué et ayant perdu ses illusions que le
roi a rappelé auprès de lui le 16 Juillet dernier. Necker est un homme du passé. Il ne sait
faire qu'une chose, c'est emprunter de (préférence à ses amis banquiers suisses
et même à sa propre banque). Mais si l'on y réfléchit bien que pouvait faire
d'autre un banquier au service d'un souverain incapable (ou empêché) de
réaliser la moindre réforme ?
Necker tentera donc vaille que vaille de jouer son rôle
jusqu'en septembre 1790, assistant, impuissant, à l'écroulement de l'Ancien
Régime, se battant en vain contre l'anarchie des finances publiques. Mais il ne
sera plus le grand Necker adulé des foules. Il se heurtera à l'attitude de plus
en plus trouble du roi, qui jouera un moment la carte de l'ambitieux Mirabeau,
dans l'espoir que lui fait miroiter celui-ci de recouvrer son pouvoir, ainsi
qu'à l'hostilité grandissante des députés, lassés de sa politique d'emprunts.
Lassés, oui, car certains savent bien que si les finances sont vides, le pays,
lui, est riche
Mots d'excuses pour ses absences
La veille, 26 Août, le Ministre Necker avait fait parvenir la
lettre suivante pour informer l'Assemblée qu'il serait absent lors de la séance du 26
aout 1789 :
"On attendait à l'Assemblée M.
le directeur-général des finances ; sa santé ne lui ayant pas permis de remplir
sa promesse, il envoie la lettre suivante ; M. le Président en fait lecture :
«M. le Président, j'ai trop présumé de mes forces et de ma santé en
annonçant que j'irais aujourd'hui à l'Assemblée nationale : je suis obligé de
vous adresser ce que j'avais dessein de dire ; et malgré tous mes efforts je ne
puis vous l'adresser que demain à l'ouverture de l'Assemblée. Je vous prie, M.
le président, de faire agréer à l'Assemblée nationale mes très humbles excuses
et de vouloir bien être l'interprète de mes regrets.
«Je suis avec respect, M. le président, votre très-humble et
très-obéissant serviteur.
«Signé NECKER. »
Source : : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_6341_t2_0489_0000_21
Mais ce 27 Août, jour où il s'était engagé à présenter son
rapport, il adresse celui-ci à l'Assemblée mais il demande au Président que l'on excuse de
nouveau son absence.
Necker demande un emprunt de 80 millions de Livres, alors que celui de 30 millions, voté le 9 Août dernier a échoué auprès des banquiers !
Mémoire de M. Necker pour un emprunt de
quatre-vingts millions
Mise à l'ordre du jour du 27 aout 1789
de la lecture d'un mémoire de M. Necker sur l'emprunt
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4906_t2_0493_0000_3
M. le Président reçoit une lettre et un mémoire de M. le directeur
général des finances. Il demande que la discussion soit interrompue pour en
entendre la lecture.
Un membre demande qu'elle soit renvoyée après la décision de
l'objet mis en discussion.
M. le Président observe qu'il a annoncé hier que le mémoire serait
lu dans la séance de ce jour.
Lettre de M. Necker à M. le président de
l'Assemblée, datée du 27 aout 1789 et accompagnant un mémoire
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4906_t2_0493_0000_4
Lettre de M. Necker à M, le président.
«Monsieur, j'ai l'honneur de vous envoyer le rapport que j'avais
cru pouvoir porter moi-même à l'Assemblée. Je lui présente l'hommage de mes
respects, et je réclame son indulgente bonté. »
«Je suis avec respect, etc.
«Signé : NECKER. »
Mémoire de M. Necker pour un emprunt de
quatre-vingts millions, lors de la séance du 27 aout 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4906_t2_0493_0000_5
Les sous-titre en noir sont des ajouts de ma part.
MÉMOIRE envoyé à l'Assemblée nationale par
M. Necker, directeur général des finances (1).
(1) Le Moniteur ne donne qu'une analyse de ce mémoire.
Messieurs, j'aurais pu, depuis quelques jours, vous annoncer
l'issue vraisemblable de l'emprunt que vous avez décrété, si l'état de ma santé
me l'avait permis. Je profite d'un premier moment de convalescence pour vous
rendre le compte qui vous est dû.
Il n'a été porté au trésor royal, depuis l'époque de l'ouverture
de cet emprunt jusqu'à présent, qu'une somme de deux millions six-cent mille
livres (2) ; et la recette des derniers jours a été si modique, qu'on peut
considérer le succès de cet emprunt comme entièrement manqué. J'ai craint ce
malheureux événement, du moment que je fus informé de votre délibération du 9 août (Un emprunt de 30 millions de Livres avait été voté) ; mais je cachai soigneusement mon sentiment, afin de ne pas contrarier
par une opinion anticipée, la chance d'un mouvement favorable à l'emprunt.
(2) La généreuse souscription faite à Bordeaux, non encore
réalisée, n'est pas comprise dans cette somme.
L'expérience est toujours en aide à l'esprit naturel et aux
calculs du jugement : ainsi, pour vous guider dans vos délibérations futures,
vous désirerez sûrement de connaître pourquoi votre emprunt n'a point eu de
succès.
La faute de L'Assemblée
J'avais été aussi loin qu'il était possible pour l'honneur du
crédit national, en vous proposant d'ouvrir un emprunt à 5 %, dans le temps
qu'au prix des effets publics sur la place, les capitalistes pourraient trouver
des placements à plus de 6 1/2 % ; cependant, cet intérêt de 5 % avec les
petits encouragements de détail qui y étaient joints, avec l'assurance du
remboursement, avec l'honorable publicité promise au témoignage de zèle et de confiance
que donneraient les prêteurs ; toutes ces conditions réunies avaient fait
une impression telle, que le jour même où mon plan fut connu à Paris, je reçus
une souscription d'un million de la part d'une seule personne ; et il n'est pas
un notaire, pas un banquier, pas un agent, dans ces sortes d'affaires, qui ne
fût prêt à donner à l'emprunt un mouvement tel, qu'en voyant trente millions
portés au trésor royal en peu de jours, on eût pu croire que le crédit de la
nation avait dès ce moment une limite inconnue. 1/2 % retranché sur l'intérêt
semble peu de chose abstraitement ; mais, dans les affaires de finance, et dans
beaucoup d'autres, toutes les fois que l'on passe la dernière ligne, on change,
on altère tout. Cependant, Messieurs, vous ne vous étiez pas bornés à
retrancher ce 1/2 % : excités par le juste sentiment de la confiance due à
l'Assemblée nationale, vous avez retranché jusqu'aux plus petits détails
propres à servir de véhicule au succès de l'emprunt ; vous n'avez pas même cru
nécessaire d'indiquer le terme du remboursement : enfin, vous n'avez pas voulu
faire honneur aux prêteurs de leur confiance ; et ce refus de votre part a
donné lieu à un raisonnement bien simple. L'Assemblée nationale, a-t-on dit, a
promis d'être fidèle à tous les engagements de l’État ; les fonds qui
proviennent de ces engagements offrent des placements d'argent de 6 à 7 % ; et
cependant c'est par le simple calcul de notre intérêt qu'elle veut que nous
portions notre argent dans un emprunt à 4 1/2 %. A-t-elle donc changé d'opinion
sur la protection due aux anciens engagements de l’État ? Et si elle n'a point
changé, pourquoi paraît-elle certaine qu'entre deux intérêts également solides
nous quitterons, par simple calcul, le 6 ou 7 pour le 4 1/2 ? Que si, au
contraire, elle avait changé d'opinion, notre confiance dans ses principes,
notre confiance dans tout ce qui émanerait d'elle, serait justement altérée ;
et nous n'avons plus qu'à attendre ses dernières résolutions, et nous tenir
jusque-là dans la réserve générale qu'inspire une défiance confuse et une
inquiétude sans guide.
On ne l'a pas écouté !
Enfin, Messieurs, il faut bien le dire, quoique j'y sois pour quelque chose
; mais je me regarde comme tellement confondu dans la classe publique, par mes
sentiments et par mes sacrifices, que je puis parler aujourd'hui de moi comme
d'un simple étranger : je vous dirai donc, Messieurs, en répétant les discours
du public, que la confiance s'est altérée, lorsqu'on a vu dans une affaire de finance,
dans une affaire de celles que j'ai longtemps administrées avec un peu de
réussite, vous vous êtes séparés de mon opinion, et que vous l'avez fait sans
avoir cru seulement utile de débattre un moment avec moi les motifs de votre
résolution. Je vous donne ma parole d'honneur, Messieurs, que je n'en ai
ressenti personnellement aucune peine ; je juge de vos sentiments par les
miens, et mon respect m'assure votre bienveillance. Spectateur de plus près du
cours de vos délibérations, je sais que les raisonnements auxquels le public
s'est livré, ne sont pas fondés ; mais on ne peut se dissimuler qu'à une
certaine distance ces raisonnements étaient dirigés par des vraisemblances.
Les prêteur n'ont plus confiance
Mais laissons là le passé. Que faut-il faire à présent ? J'avouerai que des
difficultés sans nombre se présentent à moi. Il n'y a qu'à reprendre, dira-t-on
peut-être, le projet d'emprunt tel qu'il avait été adopté au conseil du Roi ;
mais revenir de l'intérêt de 4 1/2 à celui de 5 n'est pas la même chose que si
l'on eût saisi tout de suite le point susceptible de réussite. La confiance de
tous les prêteurs est composée de calculs positifs et d'espérance ; et cette
espérance n'est plus la même, lorsqu'avant d'arriver à l'intérêt de 5 %, on a
vu clairement qu'un intérêt inférieur n'attirerait pas l'argent. Il rejaillit
d'ailleurs, il faut en convenir, un peu de défaveur sur les opérations
publiques, lorsqu'une première erreur est commise. Il n'est aucun sentiment qui
n'entre dans le crédit. Il est simple dans ses effets, mais il est très composé
dans ses éléments. Enfin, le moment d'une première impression, le moment de
l'ouverture du crédit national, ce moment dont on pouvait beaucoup attendre, ce
moment est perdu, et ce n'est plus qu'avec la froide et tranquille réflexion
qu'il faut traiter. Il est donc arrivé malheureusement que, pour avoir voulu
trop bien faire, vous avez manqué de remplir votre premier emprunt avec cette
célérité dont les effets sont incalculables, avec cette célérité et cette
surabondance qui cachent le dernier terme du crédit, et qui maintiennent ce
vague d'imagination si nécessaire au ménagement de toutes les forces morales.
Un jour viendra, Messieurs, où toutes ces observations ne paraîtront que
des idées subtiles ; tout sera réel, tout sera démontré, tout sera soumis aux
calculs les plus simples, quand l'ordre sera parfaitement établi, quand cet
ordre sera connu de toute la nation, quand la Constitution, gardienne de ces
arrangements salutaires, sera posée et affermie. Mais dans ce moment-ci, il
faut encore, on ne peut se le dissimuler, il faut encore pour tout, le secours
de l'espérance.
Necker exprime son chagrin et sa peur
Je me flatte, Messieurs, que vous me pardonnerez toutes ces réflexions,
relatives à la non-réussite de votre emprunt. Je ressens de cette contrariété
un chagrin inexprimable, et ce sentiment m'arrête plus longtemps que je ne
devrais sur une circonstance irrémédiable. Il faut que nous cherchions tous
ensemble à préserver les finances du désordre dans lequel elles sont près
d'être plongées. Il faut que nous écartions, s'il est possible, le danger qui
menace les fortunes ; danger pressant, puisque l'instance des besoins s'accroît
chaque jour et que le dernier terme des ressources s'avance à pas précipités.
Je connais parfaitement les inconvénients et les risques attachés à présenter
des projets, à faire aucune espèce de propositions dans de pareilles circonstances
; mais si des motifs personnels avaient pu me guider, je n'aurais pas cédé à
vos bontés ; je n'aurais pas renoncé à ma retraite ; je ne serais pas revenu me
placer au milieu de la tempête. Je regarde ma vie ministérielle, pendant sa durée,
comme un vrai sacrifice ; et dans ce sacrifice, je dois comprendre et je
comprends santé, repos, réputation, bienveillance publique même, le plus cher
de mes biens ; car, au milieu des malheurs, on ne peut plus calculer l'opinion
des hommes. Quelquefois ils s'en prennent au dernier qui a agi, au dernier qui
a parlé ; et mus impérieusement par le présent l'égide du passé ne sert plus à
personne. Mais je laisse à l'écart toutes ces considérations et sans aucune
combinaison personnelle, obéissant aux lois du devoir, je me mettrai en avant
toutes les fois que j'apercevrai dans cette conduite le plus léger avantage
public.
Le succès de toute espèce d'emprunt dans ce moment-ci, Messieurs, est
très incertain : cependant, il n'est aucune circonstance où il fut plus de
l'intérêt de tous les particuliers de chercher à sauver l'Etat par un acte
universel de zèle et de confiance ; mais, soit par un défaut de lumières, soit
par un manque d'esprit public, soit plutôt par ce sentiment qui fait que
personne ne veut agir pour lu chose commune, que dans les mêmes proportions où
les autres agissent, il devient, je crois, nécessaire, après avoir perdu le
moment de l'abandon, d'exciter davantage l'esprit de calcul.
Je vous proposerai donc, Messieurs, d'examiner s'il ne conviendrait pas
d'ouvrir un emprunt, non-seulement à 5 % d'intérêt, mais en y ajoutant encore,
pour encouragement, la faculté de fournir pour moitié de la mise les effets publics
portant 5 % d'intérêts, exempts de toute retenue.
Je proposerais que l'emprunt fût de 80 millions, remboursables en dix années,
à raison d'un dixième chaque année ; mais vous observerez que la moitié étant
payable en effets publics, il n'en résulterait qu'un secours de 40 millions
pour le trésor royal. Cette addition au premier projet d'emprunt est nécessaire
à mesure que nous approchons du mois de septembre, puisqu'il devient alors raisonnable
de porter ses vues un peu plus loin.
II résulterait des dispositions qu'on vient de vous proposer, en assignant
un remboursement successif au nouvel emprunt, que cette faveur se trouverait
applicable non-seulement aux capitaux effectifs qu'on y aurait destinés, mais
encore aux effets publics qui auraient été donnés en paiement pour une moitié,
mais ces effets publics font essentiellement partie de ceux dont le remboursement
n'a été que suspendu ; ainsi ce serait un commencement de justice envers les
personnes qui en sont les propriétaires. D'ailleurs, il résultera sûrement de
vos dispositions la détermination d'un fonds quelconque applicable à une caisse
d'amortissement : ainsi votre disposition présente ne serait qu'une
anticipation sur vos arrangements prochains.
Redonner confiance aux prêteurs
Les effets qui seraient reçus pour moitié dans la mise du nouvel emprunt
éprouvent une grande perte à la Bourse, et cette perte formerait un avantage
pour les prêteurs, puisqu'ils seraient bien certains que votre emprunt, sous le
titre d'Emprunt national, que votre emprunt, remboursable à des époques fixes,
se maintiendrait à peu près au pair, et qu'il vaudrait au-delà lorsque les
dispositions générales qui établiront bientôt un ordre constant dans les
finances, seront assurées pour toujours.
Ceux qui ont déjà fourni le peu de fonds portés au trésor royal pour
l'emprunt à 4 1/2 %, auraient à se plaindre s'ils n'avaient pas la faculté de
jouir de la faveur plus grande attachée à votre second emprunt. Vous trouverez
sûrement juste de les autoriser à faire la conversion qu'ils désireront.
Je m'empresse maintenant de faire connaître à l'Assemblée nationale que,
dans l'état présent des choses, dans le cours actuel des opinions, ni
l'emprunt dont je viens de donner l'idée, ni aucun autre ne pourra pleinement
réussir, si vous ne déterminez pas la confiance par une suite de délibérations
et par une marche soutenue qui relève les esprits de leur abattement ; et je
crois de mon devoir de m'expliquer en cette occasion avec la plus parfaite
franchise.
Vous avez mis la dette publique sous la sauvegarde de l'honneur et de la
loyauté française. Ces belles paroles ont retenti jusqu'aux extrémités de
l'Europe ; et quand les représentants d'une nation ont pris un engagement si
solennel, ce serait leur faire un outrage que de vouloir les y confirmer au nom
même de la sagesse, de la raison et de la politique. Mais ce qu'il est
indispensable de dire, Messieurs, c'est qu'aujourd'hui votre noble et vertueuse
déclaration ne suffît plus pour assurer le crédit public. La première condition
nécessaire pour fonder la confiance, c'est la certitude d'un accord entre les
revenus et les dépenses de l’État ; et le dépérissement de plusieurs revenus,
joint à l'existence d'un ancien déficit, répandent une alarme raisonnable. On
vous demande avec instance, au nom de la tranquillité publique, de faire
l'examen et le choix le plus diligent des moyens propres à mettre l'équilibre
entre les revenus et les besoins de l’État. Il n'est pas nécessaire que votre
travail soit porté à sa dernière perfection ; il est encore moins nécessaire
que vous l'arrêtiez définitivement ; mais il est indispensable que la nation
puisse juger incessamment de la solidité de vos projets, et que les esprits
sortent d'une incertitude qui entretient la plus funeste défiance. Le temps qui
se passera entre la publicité de vos plans et l'époque où vous les arrêteriez
définitivement, vous procurera le supplément des lumières qui naît de la contradiction,
et cette marche aura toutes sortes d'avantages. Je crois, Messieurs, qu'en vous
livrant sans cesse aux recherches et aux discussions qu'une affaire si
importante exige, et en divisant vos travaux avec méthode, vous pourriez en
très-peu de temps asseoir les premières bases de la confiance ; et dès ce
moment, le grand et pressant intérêt que vous paraitriez y mettre, aurait beaucoup
d'influence sur le crédit.
Où l'on parle encore des achats considérables de grains.
Il ne vous échappera pas, Messieurs, qu'en vous occupant de l'équilibre
entre les recettes et les dépenses fixes de l’État, il est indispensable que
vous apportiez la même activité à la recherche et au choix des ressources
nécessaires pour arriver sans trouble et sans malheurs à l'époque de la
régénération constante de l'ordre. Il s'est joint à l'embarras provenant d'un
déficit qui n'est pas encore réparé, celui qui est occasionné par la diminution
sensible des revenus, et par les achats considérables de grains faits pour le
compte du Roi dans l'étranger. Il devient bien nécessaire que l'étendue des
besoins extraordinaires pour cette année et pour la suivante, vous soit
parfaitement connue, et que vous voyiez à l'avance quelles dispositions il
conviendrait d'adopter, si l'emprunt ne réussissait pas, et quelles ressources
il faudrait y joindre, s'il avait le succès qu'on doit espérer ; car il ne faut
plus rien projeter à demi, et il importe de ne plus laisser de prise aux
erreurs et aux tristes conjectures.
On reparlera bientôt de cette Caisse d'escompte
La caisse d'escompte, dans d'autres temps, aurait beaucoup aidé le Trésor
royal, en lui faisant des avances sur l'emprunt que vous déterminerez ; mais
elle a déjà secouru les finances autant qu'il était en son pouvoir ; et la
rareté inouïe de l'argent effectif, suite, inséparable du discrédit, épuisant
sa caisse, elle ne peut plus offrir que des ressources bornées. Il serait de la
plus grande importance que l'Assemblée nationale prît incessamment une
connaissance approfondie de cet établissement, et qu'elle appelât dans un
comité quelques-uns des administrateurs de cette caisse : remplis de zèle pour
la chose publique, ils sont en état par leurs lumières d'indiquer à l'Assemblée
nationale, par quels moyens on pourrait augmenter le crédit et la circulation
de leurs billets. L'on examinerait dans ce même comité, les divers projets qui
ont été donnés pour l'établissement d'une banque nationale, et certainement il
naîtrait de cette réunion d'opinions et d'idées des résultats salutaires et
favorables au crédit.
On pourrait encore discuter dans ce comité des finances, ou dans tout
autre, les moyens qui ont été employés en Hollande pour se procurer un grand
secours d'argent momentané, tantôt par un prêt proportionné à l'étendue de chaque
fortune, tantôt par un simple don réglé dans les mêmes rapports. Ce genre de
secours, celui de l'emprunt, celui de la caisse d'escompte ou de tout autre
établissement pareil, offrent une perspective de ressources infiniment
supérieures à celles dont on aurait besoin pour arriver paisiblement jusqu'à
l'époque du rétablissement de l'ordre. Je demande donc en grâce qu'on ne
désespère encore de rien : une grande nation peut dominer toutes les
difficultés, toutes les fois qu'elle est unie avec son Roi, pour défendre la
justice, la tranquillité et le bonheur.
Combien d'idées de tout genre ne vous seront pas apportées du moment qu'on
vous verra occupés des finances avec cette énergie qui donne du courage à tout
le monde. On verra naître une émulation générale, et cette émulation
patriotique deviendra peut-être le premier signal de la renaissance du crédit.
Je conçois facilement, Messieurs, ce que la réunion de vos lumières peut
opérer pour le salut des finances, du moment que vous vous livrerez sans
réserve à cette importante entreprise.
Mais tous vos efforts deviendraient inutiles, si, de concert avec Sa
Majesté, vous n'arrêtiez pas le dépérissement des revenus. Vous le savez,
Messieurs, l'on emploie avec trop de succès la fraude et la violence pour se
refuser au payement des impôts, et il est plusieurs droits d'une ressource
majeure, qui semblent menacés d'une ruine totale.
Rétablir l'ordre et surtout les rentrées d'argent
Il est donc indispensable pour le crédit, pour la tranquillité publique,
pour le maintien d'un ordre sans lequel tout tombe en dissolution ; il est
indispensable, dis-je, que vous réunissiez tous vos moyens et toutes vos forces
pour assurer le recouvrement des impôts, et pour le mettre à l'abri des
atteintes injustes et des résistances illégales. L'activité du pouvoir exécutif
devient de plus en plus nécessaire, et il ne faut compter sur aucune espèce de
confiance, si les mesures les plus sages et les plus fermes ne sont pas
adoptées pour sauver l’État des horreurs de l'anarchie. Réfléchissez,
Messieurs, qu'au milieu de ces craintes, tous les biens, tous les avantages,
ceux même de la liberté, ne sont plus estimés comme ils méritent de l'être.
Je dois, en rappelant les désordres multipliés dont vous avez connaissance,
fixer votre principale attention sur l'impôt du sel ; il n'y a pas un moment à
perdre pour prendre à cet égard une délibération provisoire. La contrebande,dans plusieurs provinces, se fait à main armée, et les défenseurs des revenus
du fisc, hors d'état d'y opposer une résistance suffisante, se sont la plupart
dispersés. Le peuple, dans d'autres endroits, a contraint les gardiens des
greniers publics à lui distribuer le sel au prix qu'il a fixé lui-même. Il faut
s'étonner que dans la plus grande partie du royaume, l'ordre établi par les
lois n'ait pas encore été renversé ; mais chaque jour l'exemple gagne ; et vous
savez, Messieurs, ce qui vient de se passer à Versailles autour de vous et sous
les yeux du Roi ; il importe que vous considériez sans retard, sans aucun
délai, ce qu'il convient de faire dans de pareilles circonstances, et je vais
vous soumettre en abrégé les réflexions que la situation présente des affaires
m'a suggérée.
Rétablir l'impôt du sel ou baisser son prix
Je doute, Messieurs, qu'un décret de l'Assemblée nationale, soutenu du
pouvoir exécutif dans l'état de balancement et de contradiction où ce pouvoir
se trouve aujourd'hui, fût suffisant pour rétablir partout l'impôt du sel tel
qu'il existait avant la subversion de l'ordre ; et quand il serait possible d'y
parvenir, trouveriez-vous conforme aux lois de la justice et de la bonté, que
Sa Majesté déployât contre ses sujets toute la puissance des armes, dans un
moment où vous n'avez pas l'intention de maintenir à l'avenir l'impôt du sel
selon son ancienne constitution ? Le peuple qui ignore vos intentions, et qui
doit respecter les lois établies, s'est rendu coupable sans doute par ses
insurrections ; mais le Roi, Messieurs, qui a connaissance de vos dispositions
futures, répugne, avec raison, à faire usage des moyens rigoureux pour le
rétablissement d'un ordre de choses qui ne doit être que passager.
En même temps, d'autres grandes difficultés se présentent : il ne serait
pas de votre prudence de supprimer en entier l'impôt du sel, sans avoir eu le
temps d'examiner mûrement de quelle manière un revenu de 60 millions peut être
remplacé convenablement, et sans avoir la connaissance des ressources
auxquelles il faudra recourir pour suppléer aux besoins de l’État ; et vous
aurez à prendre en considération l'effet que pourront faire cette année sur les
revenus territoriaux les mouvements populaires, qui tendront encore pendant
longtemps à baisser le prix du pain et le prix des grains. Une multitude de
circonstances, qui n'échapperont pas à votre sagacité, semblent inviter, en
beaucoup de choses, à une marche très prudente et très circonspecte. Cependant
il faut prendre un parti et promptement, car le pire de tout serait le
dépérissement graduel d'un revenu par le seul effet du désordre et de
l'impunité. Le Roi fixant son attention sur toutes ces difficultés, vous
invite, Messieurs, à considérer s'il ne conviendrait pas, s'il ne serait pas
nécessaire de fixer, dès à présent, la vente du sel à six sols la livre dans
tous les greniers de gabelle-où il se distribue à plus haut prix : cette
disposition occasionnerait une diminution de revenus de 30 millions ; mais
l'accroissement de la consommation, effet de la réduction du prix, atténuerait
cette perte. L'on trouverait encore un dédommagement dans la diminution de la
contrebande, qui serait infiniment moins excitée si le prix du sel était réduit
à six sols. Une partie de celte même contrebande, à la vérité la moindre de
toute, celle entre les pays de grandes et de petites gabelles n'existerait plus
du tout, et il résulterait de ces dispositions une économie importante sur les
frais de garde. Le prix du sel une fois réduit à six sols par un décret de
l'Assemblée nationale sanctionné par Sa Majesté, les réclamations qui
pourraient s'élever même contre ce prix seraient si peu nombreuses et si peu
révoltantes, qu'il deviendrait facile de les réprimer. Enfin le prix du sel
sensiblement diminué, le prix du sel rendu uniforme dans tous les pays de
gabelle, une telle disposition procurerait aux peuples un si grand avantage,
qu'avant de porter plus loin vos vues, vous pourriez attendre sans inconvénient
jusqu'au résultat de l'étude approfondie que vous ferez, sans doute, des
diverses ressources et des différents besoins de l’État.
Les autres droits qui composent les revenus du Roi n'étant pas attaqués
d'une manière aussi générale que les droits de gabelle, il suffira probablement
d'une manifestation positive des intentions de l'Assemblée nationale pour en
maintenir le recouvrement, jusques à l'époque où vous aurez pris une
détermination éclairée sur toutes les branches du revenu public.
Rétablir l'ordre !
Il est impossible, Messieurs, que ce crédit fleurisse, dans un pays exposé
à des insurrections continuelles ; et comme il n'est point d'acte plus libre
que celui de la confiance, elle ne peut naître, elle ne peut s'affermir qu'au
milieu de la paix et de la tranquillité intérieure : ainsi, tout ce que vous
ferez, Messieurs, pour rétablir ce bonheur, facilitera les emprunts, en rendant
à la circulation son activité. Vous vous rapprocherez donc beaucoup de ce but
si désirable, lorsque, par des impositions sages, vous mettrez le recouvrement
des impôts à l'abri de l'agitation dangereuse qui se fait sentir partout
aujourd'hui.
Je me résume, Messieurs : le besoin instant de l’État, la condition
nécessaire de toute espèce de crédit, c'est, je crois, que vous réunissiez
toutes vos forces, pour assurer le recouvrement des impôts ; c'est que vous
tranquillisiez les prêteurs et les créanciers de l’État, en vous occupant publiquement
et sans aucun délai des moyens qui pourront établir un accord parfait entre les
revenus et les dépenses ; c'est que vous preniez en même temps connaissance de
l'étendue des ressources dont il sera nécessaire de faire usage, pour arriver
sans malheur et sans trouble au moment du rétablissement général de l'ordre. De
grandes difficultés se présentent au milieu du discrédit actuel, et du
resserrement inouï de l'argent ; mais il faut les attaquer dans leur ensemble,
faut les saisir, il faut s'en emparer, il faut les vaincre. Si un premier moyen
ne suffit pas, s'il manque même, il faut, sans découragement, en chercher un
autre ; car dans les affaires intérieures d'un royaume, une nation qui agit
comme en entier par ses représentants a des ressources incalculables ; elle a
le grand avantage de pouvoir déterminer d'une manière certaine ce qui est juste
; elle a le grand avantage d'être soumise aux seules contradictions qui
naissent des choses mêmes. L'essentiel est donc que l'on soit persuadé par
l'effet invincible de la vérité, que l'Assemblée nationale est pénétrée de la
nécessité de régler sans délai les finances, et d'y appliquer tous ses moyens
et toutes ses forces.
Alors, Messieurs, tous les bons citoyens, et il en est beaucoup, animés du
même zèle, viendront vous seconder, et l'espérance renaîtra de toute part. Le
système rigoureux d'économie que vous avez dessein d'adopter, de concert avec
le Roi, sera seul un grand effet, quand vos idées à cet égard seront fixées, et
quand vous les aurez fait connaître.
"Les hommes inquiets de leurs fortune sont des juges sévères"
Je ne crois pas, Messieurs, que les recherches et les travaux auxquels vous
aurez à vous livrer en adoptant les considérations que je vous présente
retardent la marche grande et importante que suit aujourd'hui l'Assemblée
nationale ; mais si votre attention se trouvait un moment partagé par les
nouveaux objets dont un danger pressant vous invite à vous occuper, l'intérêt
que vous auriez pris à la situation actuelle des affaires accroîtrait auprès de
la nation le mérite de vos travaux. Les hommes inquiets de leur fortune sont
des juges sévères, et il faut les rassurer sur leur existence présente, pour
les disposer à mettre du prix aux biens qu'on leur promet pour l'avenir. Ainsi,
dans le temps même où vous ne paraîtriez occupés que des finances, vous
seconderiez d'avance toutes les vues générales qui sont aujourd'hui le
principal objet de vos délibérations. Les ministres du Roi, sûrs des intentions
de Sa Majesté, prennent au succès de vos travaux, le plus juste et le plus
véritable intérêt ; ainsi, lorsque vous croirez utile de vous concerter avec
eux, lorsque vous trouverez de la convenance à vous concerter en particulier
avec le ministre des Finances, vous trouverez de leur part l'empressement le
plus grand pour correspondre à vos vues. Ce n'est pas trop aujourd'hui de la
plus forte ligne en faveur du bien public : ne rejetez donc, Messieurs, ne rejetez
aucun secours ; mais surtout soyez unis, pour atteindre au rétablissement de
l'ordre dans les finances ; ce que vous voudrez, animés par un même sentiment,
par un même intérêt, par un même esprit, vous l'obtiendrez. Le public, témoin
de l'accord et de la sincérité de vos efforts dès ce moment, en prévoira le
succès ; l'on y croira d'avance, et la tranquillité prendra la place de la
défiance et de' l'inquiétude.
Je prie l'Assemblée nationale de me pardonner, si pressé par l'instance des
affaires, et affaibli par une maladie dont je suis à peine convalescent, je
n'ai pu lui exprimer qu'imparfaitement mes idées : je les soumets à ses
lumières, et j'aspire principalement à lui présenter un hommage constant et
respectueux de mon dévouement sans réserve au bien de l’État et au service du
Roi.
A Versailles, ce 27 août 1789.
Signé : NECKER.
Discussion sur l'emprunt
Discussion sur l'emprunt, suite au
mémoire de M. Necker, lors de la séance du 27 aout 1789
Sources :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4907_t2_0497_0000_10
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4907_t2_0499_0000_2
Plusieurs membres demandent le renvoi de ce mémoire dans les bureaux ;
d'autres qu'il soit nommé une commission de douze membres pour l'examiner et en
faire le rapport à l'Assemblée.
M. Duport fait une très-longue motion sur les gabelles ; il demande qu'on
les supprime tout à fait, en les remplaçant par un impôt de 58 mil¬ lions sur
les provinces affectées à la gabelle.
Voici son projet d'arrêté :
« L'Assemblée nationale, considérant qu'elle ne peut trop hâter le
soulagement du peuple, croit que de s'occuper des impôts pour en allégorie
fardeau, ce n'est pas manquer aux mandats ; qu'il est plus facile de payer 58
millions que 76 millions ; de sorte que toutes les gabelles seront supprimées,
et qu'il sera fait un rôle pour le remboursement, etc.
Ce projet n'a pas de suite.
M. le vicomte de Mirabeau. La perception des impôts est presque nulle : les
troupes sont sans frein, l’État sans argent, le peuple sans subsistance, et
l'effervescence continue.
Nous ne pouvons-nous dissimuler que nos connaissances en finances sont fort
bornées. Cette Assemblée n'est composée que de cultivateurs, de magistrats, de
militaires ; s'il y a parmi nous des hommes de finance, le nombre en est petit.
Je pense donc que nous devrions nous en rapporter au ministre.
Quant à nous, nous ne pouvons l'aider qu'en hâtant la Constitution ; c'est
alors que le calme renaîtra ; que les propriétaires fonciers sauront ce qu'ils
doivent payer ; que les propriétaires fictifs payeront également, et que la
capitale se repeuplera ; car je ne dois pas oublier une maxime d'un auteur que
je dois respecter, c'est que : L'homme suit le métal comme le poisson suit le
cours de l'eau.
On ne peut se dissimuler que les causes de la détresse soient la publicité
restreinte de nos arrêtés. Mille et un pamphlets inondent la capitale.
Nous avons supprimé les impôts, et vous les avez rétablis, la première
partie a été exécutée, la dernière rejetée.
Vous avez supprimé la chasse ; elle n'est permise qu'aux propriétaires, et
tout le monde ravage les moissons.
Vous avez supprimé les dîmes, mais provisoirement elles sont continuées, et
provisoirement on a commencé par ne pas les payer ; je demande donc
l'impression des trois arrêtés et leur envoi dans toutes les provinces.
M. de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun. Nous venons d'entendre les
détails les plus alarmants sur la détresse du moment ; il est indispensable d'y
apporter un prompt remède ; M. le directeur général des finances vient de
soumettre à l'Assemblée les opérations et les divers moyens qu'il a conçus ;
l'Assemblée les prendra sans doute en considération.
La demande la plus intéressante sur laquelle nous devons prononcer est
celle d'un emprunt de 80 millions, moitié en contrats, moitié en argent :
peut-être y aurait-il quelques observations à faire sur cette forme ; mais les
besoins du royaume demandent des mesures extraordinaires, et "je pense que
tout ce qui appartient au mode de l'emprunt doit être abandonné aux lumières et
à la sage expérience du ministre des finances, et qu'il est, sous tous les
rapports, beaucoup plus convenable que l'Assemblée se borne à l'autoriser et à
le garantir.
La nécessité de l'emprunt n'est que trop évidente ; s'il est nécessaire, il
faut donc l'autoriser : la conséquence est rigoureuse. Nous ne serons pas
arrêtés sans doute par la crainte de contrevenir à nos mandats ; cette
difficulté a été déjà victorieusement résolue : bien loin d'en être effrayé, je
pense, au contraire, qu'on ne peut leur obéir avec plus d'exactitude, et que ce
serait les enfreindre de les suivre littéralement ; car nos commettants, en
voulant que toute opération d'impôt ou d'emprunt ne pût être consommée qu'après
la Constitution, ont voulu évidemment assurer par-là cette constitution ; or,
tel est l'état actuel des choses, que non-seule-ment la Constitution ne court
aucun danger par cet emprunt, mais que même elle ne peut exister que par lui.
Mais un emprunt peut-il être proposé, s'il n'existe pas de crédit ? Deux
vérités me frappent en ce moment.
Jamais le crédit n'a été plus nécessaire à la France ; le crédit est pour
le moment anéanti.
Le crédit est nécessaire quand le produit des impositions se trouve
tellement réduit ; qu'il ne peut suffire à l'acquit des dépenses même les plus
pressantes.
Le crédit est nécessaire quand tout conduit à croire que les perceptions ne
procurent plus dans ce moment les fonds nécessaires au soutien de la force
publique.
Le crédit est anéanti lorsqu'au milieu de la paix, et sous les yeux de
l'Assemblée nationale, les fonds publics éprouvent une perte de dix pour cent
de leur valeur primitive.
Le crédit est anéanti lorsqu'un emprunt modique, garanti par l’Assemblée
nationale, ne peut être rempli.
Le crédit est anéanti lorsque le taux des changes prouve une exportation
incalculable de capitaux chez l’étranger, et le retrait presque général de tous
ses fonds.
Il est aisé de conclure qu’il est urgent de rétablir le crédit ; on ne peut
travailler à le rétablir qu’en cherchant les causes qui l’ont perdu, et en les détruisant ; en conséquence je propose :
1° Que l’Assemblée décrète aujourd’hui un emprunt de 80 millions en
laissant le mode de l’emprunt au pouvoir exécutif ;
2° Qu’il soit fait une déclaration solennelle, qui, confirmant celles des
17 juin et 13 juillet, rassure tous les créanciers de l’État contre la crainte
d’une réduction quelconque d’aucune des parties de la dette publique ;
3° Qu’il soit nommé un comité extraordinaire de douze personnes, pour, de
concert avec le ministre des Finances, examiner les diverses opérations soumises
à l’Assemblée, s’occuper particulièrement des moyens d’établir le niveau entre
les dépenses et les recettes, et rendre compte, deux fois par semaine, à
l’Assemblée générale, de son travail ;
4° Qu’il soit décrété que les Assemblées provinciales seront établies
incessamment et pendant la tenue de l’assemblée actuelle, comme étant le
meilleur moyen de calmer les provinces, de créer de promptes ressources, de
pourvoir sans secousses aux conversions nécessaires d’impôts, et d'affermir les
opérations de l’Assemblée nationale, et, en conséquence, qu’il soit donné ordre
au comité de constitution de présenter promptement son travail sur
l'organisation des assemblées provinciales.
Les propositions de M. d’Autun excitent des applaudissements et des
murmures.
Plusieurs personnes invoquent l’article du règlement qui veut une
discussion préalable de trois jours avant de prononcer sur les questions importantes.
M. le comte de Mirabeau. Si j’avais eu l’honneur de parler le premier à
cette assemblée, peut-être me serais-je borné à une approbation pure et simple
de la proposition de M. le directeur général des finances ; mais les additions
que M. l’évêque d’Autun y a faites sont de telle nature, la première du moins,
qu’une fois proposée, il y aurait les plus grands dangers à l’en séparer. On
nous parle de renvoyer ta discussion à un autre jour. Ceux qui nous font cette
proposition en ont-ils bien pesé les conséquences ? Voudraient-ils, par un
simple attachement à une forme rigoureuse, exposer l’Assemblée à perdre les
fruits d’une discussion aussi lumineuse que celle que nous venons d’entendre ?
Après avoir manqué notre premier emprunt par un malheureux attachement à
des formes, par un désir bien ou mal entendu de perfection, voudrons-nous
exposer le royaume à tous les maux que pourrait entraîner le mauvais succès de
celui qui nous est aujourd’hui proposé ?
Je ne suis pas de ceux qui sont prêts à se rendre l’écho de tout ce qui
sort d’une bouche ministérielle. Je ne dis pas que ce qui vient de nous être lu
de la part du ministre soit au-dessus de toute exception ; mais le besoin d’une
ressource momentanée est évident ; mais l’importance d’assurer le crédit public
sur la base sacrée de la fidélité de la nation à remplir ses engagements,
voilà ce qui me paraît également juste et pressant ; voilà ce qui ne saurait,
dans le moment actuel, plus admettre de retard.
Je n'insisterai pas, Messieurs, pour que vous passiez en une seule
délibération les quatre propositions de M. l'évêque d'Autun ; mais les deux
premières sont tellement liées, tellement connexes, que leur séparation, même
momentanée, pourrait avoir sur le crédit public les conséquences les plus
funestes : approuver l'emprunt sans consacrer la dette, sans la mettre à l'abri
de toute réduction, de toute atteinte, c'est semer la défiance et l'effroi
parmi les capitalistes ; c'est leur annoncer des intentions sinistres ; c'est,
en un mot, proclamer la banqueroute dans le moment où nous demandons du crédit.
Et dans quel temps, à quelle époque pensez-vous à annoncer des
vues aussi malheureuses ? Quand vous êtes prêts à recevoir le grand,
l'inestimable bien d'une constitution libre, quand cette constitution est à
l'enchère ! (Quelques murmures se font entendre.)
Oui, Messieurs, je ne crains point de le répéter par un heureux
effet des fautes et déprédations ministérielles, la Constitution est
aujourd'hui à l'enchère ; c'est le déficit qui est le trésor de l’État ; c'est
la dette publique qui a été le germe de notre liberté. Voudrez-vous recevoir le
bienfait et vous refuser à en acquitter le prix ?
M. de Lally-Tollendal se réfère aux observations de M. de Mirabeau
sur les premiers articles de la motion, et propose de destiner deux séances par
semaine aux rapports des comités à établir.
M. Gleizen s'élève contre la motion de M. d'Autun : il dit qu'elle
n'est pas dans les vues de M. le contrôleur général.
M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, et M. le duc de Liancourt
parlent pour les premiers articles de la motion ; et M. de Liancourt se récrie
contre ceux qui ont annoncé, lors de la discussion sur le premier emprunt,
qu'ils se chargeaient de le faire remplir.
M. Rewbell propose de décréter que l'Assemblée se concertera avec
M. Necker sur le mode de l'emprunt.
M. le comte de Mirabeau objecte à cet amendement que ce serait un
moyen d'éluder la responsabilité des ministres.
L'amendement est rejeté, et les premiers articles de la motion de
M. d'Autun sont admis.
Arrêté relatif à l'emprunt
Décret du 27 aout 1789 relatif à
l'emprunt
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4908_t2_0499_0000_4
« L'Assemblée nationale, délibérant sur les propositions qui lui
ont été faites, au nom du Roi, par le premier ministre des finances, déclare
l'emprunt de 30 millions fermé ; décrète l'emprunt de 80 millions moitié en
argent, moitié en effets publics, tel qu'il a été proposé par le premier
ministre des finances, et elle en laisse le mode au pouvoir exécutif.
« L'Assemblée nationale renouvelle et confirme les arrêtés des 17
juin et 13 juillet, par lesquels elle a mis les créanciers de l'Etat sous la
sauvegarde de l'honneur et de la loyauté française. En conséquence, elle
déclare que dans aucun cas, et sous aucun prétexte, il ne pourra être fait
aucune nouvelle retenue ni réduction quelconque sur aucune des parties de la
dette publique. »
La
séance est continuée à ce soir.