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lundi 31 août 2020

31 Août 1789 : Expulsion des fainéants selon les uns, ou malheureux selon les autres, des ateliers de charité de Montmartre.

 

Vue de Montmartre en 1804

    "Expulsion des fainéants, selon les uns, ou des malheureux selon les autres, des ateliers de charité de Montmartre."

    Nous parlons des 12.000 indigents évoqués par Necker dans son discours du 7 août, auxquels le roi, dans sa grande générosité (je suis sérieux, vous aurez plus de détail à la fin de l’article), avait procuré un travail payé 20 sous la journée, mais que les bourgeois de Paris voyaient d’un mauvais œil.

    Dans sa lettre du 25 Août, notre ami l’avocat Adrien Joseph Colson avait en effet évoqué durement ces vagabonds, appelés selon lui à devenir des brigands. Outre un éventuel problème de sécurité, cette main d’œuvre payée par le roi, faisait une concurrence déloyale aux honnêtes entrepreneurs de travaux publics de la ville.

    Occuper les sans-abris à travailler, reste toujours pour certains une bonne idée. Néanmoins, dans une économie de marché, cela constitue toujours un problème de concurrence déloyale. La concurrence comme chacun le sait devant être libre et non-faussée (Sans commentaire, je ne parlerai pas de mon expérience professionnelle).

    J’ai trouvé, pour vous donner une idée de la situation, ce passage intéressant extrait d’un recueil de conférences de l’historien Henri Guillemin. Tombé dans l’oubli, ce sympathique bonhomme est devenu populaire grâce aux vidéos de ces conférences dans les années 70, stockées sur le site internet de la télévision suisse. Soyons honnête, Guillemin est "un peu" de parti-pris. Disons qu’il a la dent dure contre la bourgeoisie (Ce qui nous change un peu, des versions classiques). Mais indépendamment de cela, il donne des informations que l’on ne retrouve pas souvent chez les historiens connus.

Lisez plutôt : (page 63) : 

« Maintenant que la bourgeoisie est tranquille, maintenant que le roi s’est rallié, maintenant qu’il a parlé de son amour pour le peuple, on va se débarrasser de ces 10.000 hommes que la bourgeoisie appelle volontiers des brigands, les brigands de Montmartre. On va leur envoyer du canon, pour les faire partir de Montmartre et c’est Hulin, l’homme de main du banquier suisse Perrégaux qui va se charger de conduire les canonniers pour déloger ces 10,000 malheureux prolétaires. On va leur remettre à chacun 24 sous (un pain nourrissant une famille pour une journée coûtait 14 sous) et un passeport pour qu’ils aillent se faire pendre ailleurs. »

Voilà, c’est dit, à la façon Guillemin.

    Mais j’ai voulu en savoir plus sur ces ateliers de charité et j’ai déniché un livre bien intéressant dont je vous donne le lien si vous voulez compléter les quelques informations que je vous donne. Il s’agit du rapport de Monsieur Plaisant sur l’administration des ateliers de charité de 1789 à 1799. Il est stocké dans la bibliothèque numérique de notre ami Google.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder

Rapport de M. Plaisant
sur l'administration des
Ateliers de Charité
1789-1790

En voici un extrait :

« Monsieur Plaisant qui prit possession de ses fonctions d’administrateur du département des Travaux Publics de la ville de Paris le 19 octobre 1789, évoque l’existence de ces ateliers « établis sans règles, sans principes et presque sans destination, puisque le seul travail auquel furent employés les ouvriers consista dans la construction d’un nouveau chemin de la barrière blanche au sommet de Montmartre ».

L’ouvrage précise en page XII, que : « L’Assemblée des électeurs, ayant reconnu l’immoralité de ces ateliers, dont les frais étaient immenses et le travail presque nul, eut l’énergie d’en ordonner la suppression totale à partir de la fin août et le renvoi des ouvriers dans leurs pays d’origine. ».

    Ces ouvriers mal payés, aussi appelés des brigands par les bourgeois de Paris, étaient estimés à environ 12.000 au début de la révolution et avaient atteint le nombre de 32.000.

    De nouveaux ateliers furent créés ensuite à destination d’ouvriers parisiens "choisis dans les districts" qui ouvrirent le 22 septembre 1789, dont le sieur Plaisant reçut la surveillance. Ils comptaient 3237 ouvriers le 19 octobre, et 4922 au 1er décembre.

« En janvier 1790, la misère extrême régnant à Paris, par suite du manque de travail, au point qu’une quarantaine d’ouvriers était réduits au désespoir, obligea d’admettre dans les ateliers 2000 ouvriers supplémentaires, dont 600 pris dans le Faubourg Saint-Antoine, 500 dans celui de Saint Marceau et les 900 autres dans les districts les plus pauvres, pour arriver à occuper 8000 ouvriers, chiffre maximum indiqué par Monsieur Bailly. A la même époque, la suppression des moulins à bras de l’Ecole militaire mit sur le pavé 1800 ouvriers. »


Petit résumé :

    Vous avez compris que les ateliers de charité furent réouverts à la seule destination des ouvriers parisiens, après que les étrangers, c’est-à-dire les Français ayant fui leurs provinces pour échapper à la misère, eurent-été chassés manu-militari, hors de Paris.

    Vous aurez également remarqué que le dénommé Augustin Hulin était encore de la partie pour chasser les « fainéants ». Souvenez-vous, c’est bien celui qui déjà commandait la petite troupe de militaires qui attaqua la Bastille le 14 Juillet, "en renfort du peuple". C’était également un homme de main du banquier suisse Perrégaux, celui qui contribua à armer le peuple de Paris lors des journées des 12 et 13 juillet. (A vous de tenter des rapprochements).

Pourquoi tant de misère ?

    Peut-être vous demandez-vous comment un pays aussi prétendument riche comme la France du 18ème siècle, pouvait avoir autant de miséreux parcourant ainsi ses chemins, ou comment ses terres aussi riches ne suffisaient-elles pas à produire le blé, au point qu’il fallait en importer d’Algérie pour nourrir Paris ? (Voir discours de Necker du 7 août).

    Certains vous parleront de la croissance démographique, d’autres de la disparité des productions entre les régions qui nécessitait que soit imposée la libre circulation des blés, chère aux économistes physiocrates.

    Fidèle à mon habitude, je vous vous suggérer une autre explication, qui n’invalide d’ailleurs pas les deux précédentes. Je l’ai trouvée en lisant les voyages en France d’Arthur Young, cet agronome anglais dont je vous ai déjà parlé et qui a visité notre beau pays de long en large et en détail durant ces années-là.

    Plusieurs fois, au cours de ses pérégrinations, cet agronome anglais, amis du Duc de Liancourt (lui aussi agronome et entre autres meilleur ami du roi), se lamente de voir les vastes forêts inexploitées entourant les châteaux. Les nobles ne se préoccupant que de chasse, peu leur importait de cultiver ou plutôt faire cultiver ces vastes terres en friches.

Lisez cet extrait du journal de notre ami anglais (traduction et commentaire de l'époque) :

« — Barbezieux, au milieu d’une belle campagne variée d’aspect et boisée ; le marquisat, ainsi que le château, appartient au duc de La Rochefoucauld, que nous y avons rencontré ; il le tient du fameux Louvois, le ministre de Louis XIV. Dans les trente-sept milles compris entre la Garonne, la Dordogne et la Charente, par conséquent ait milieu des marchés les plus importants de la France, il est incroyable que l’on rencontre autant de terres incultes ; c’est ce qui m’a frappé le plus dans cette excursion. Beaucoup de ces terrains appartenaient au prince de Soubise, qui n’en voulait rien céder. Il en est de même chaque fois que vous tombez sur un grand seigneur ; eût-il des millions de revenus, vous êtes sûr de trouver sa propriété déserte. Celles du prince et celles du duc de Bouillon sont des plus grandes de France, et tous les signes que j’ai aperçus de leur grandeur sont des bruyères, des landes, des déserts, des fougeraies. Visitez leur résidence où qu’elle soit, et vous les verrez probablement au milieu des forêts très peuplées de cerfs, de sangliers et de loups. Ah ! Si pour un jour j’étais le législateur de la France, comme je ferais sauter les grands seigneurs ! [Je puis assurer le lecteur que tels étaient alors mes sentiments. ] »

La misère, la grande oubliée de l’histoire de la Révolution.

    J’ai déjà évoqué la misère en France au 18ème siècle, dans un article publié le 17 Août. Je vous parlerai une prochaine fois de Louis Pierre Dufourny de Villiers, architecte né à Paris, qui publiera entre autres le 25 avril 1789, au moment des États généraux de la France, les " Cahiers du quatrième Ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigents, etc., l'ordre sacré des infortunés ; ou correspondance philanthropique entre les Infortunés, les Hommes sensibles, et les Etats-généraux : pour suppléer au droit de députer directement aux Etats, qui appartient à tout français, mais dont cet Ordre ne jouit pas encore ".

    J’ai trouvé il y a peu un livre intitulé : « Paris capitale des pauvres : quelques réflexions sur le paupérisme parisien entre XVIIe et XVIIIe siècle. »

En voici un premier extrait, il s’agit du témoignage d’un étranger :

« L'auteur anonyme des "Letters on the French nation by a Sicilian gentleman residing at Paris17", éditées à Londres en 1749 remarque :  « Je doute qu'il puisse exister sur terre un enfer plus terrible que d'être pauvre à Paris, que de se voir continuellement au centre de tous les plaisirs sans jamais pouvoir en goûter aucun. Parmi cette profusion d'abondance, on peut voir un nombre infini de pauvres hères qui mendient sur un ton de mélopée comme s'ils chantonnaient ; ils semblent en hiver figés par le froid, et au printemps ils vous proposent des fleurs pour solliciter votre compassion »

Source : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1987_num_99_2_2934

    Je vous conseille vivement la lecture de cet ouvrage librement accessible dans lequel vous trouverez des informations qui je le pense, vous étonneront.

Voici le lien y accédant : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1987_num_99_2_2934

    Je vous propose, pour conclure, de lire ce paragraphe décrivant la situation de la ville en 1789 :

« La crise de 1788-1789, le chômage généralisé, les difficultés de tous ordres frappant alors l'économie parisienne arrivent au terme d'une période de difficultés et de précarité. Ernest Labrousse en a démontré les effets sociaux. On parle de 200.000 ouvriers sans travail, et déjà la géographie d'une misère à la fois structurelle et conjoncturelle est installée, il faut le souligner, au centre, dans les vieux quartiers, et à la périphérie dans les faubourgs. En dépit de la difficulté certaine pour évaluer les masses parisiennes paupérisables et paupérisées, en dépit de la sagesse des Parisiens qui ne s'émotionnent guère aux moments difficiles par suite de la politique royale résolument protectionniste en matière de subsistances, on peut être assuré de l'importance relative et absolue du paupérisme : Paris est la capitale des pauvres. »

    Vous y aurez reconnu au passage la mention relative à la politique protectionniste de Louis XVI en matière de subsistances.

Lisez sur ce sujet relatif à la politique des subsistances les articles suivants : 

"La pénurie de pain et le manque de farine sont-ils organisés".

"L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789 et le pourquoi de son origine, l'Algérie."


Post Scriptum : 

    C'est toujours aussi difficile de trouver des images d'époque pour illustrer de tels sujets. Raison pour laquelle j'ai illustré cet article de quelques images de Montmartre, célèbre à l'époque pour ses carrières.


Carrières à l'Est de Montmartre

Plan de Montmartre au 18ème siècle



samedi 29 août 2020

29 Août 1789 : Fondation d'une "Assemblée des citoyens de couleur des îles et colonies françaises"

Femmes libres de couleur avec leurs enfants et leurs serviteurs dans un paysage
Tableau du peintre Agostino Brunias
 

Petit rappel à propos des esclavagistes.  

    Souvenez-vous du 20 Août dernier, lorsque des esclavagistes ont créé le Club Massiac à Paris. Ce club avait pour but de défendre et préserver leurs privilèges auprès de l'Assemblée nationale. Ce groupe de pression a semble-t-il été efficace puisque la Déclaration des Droits de l'Homme proclamée le 26 août, à fait l'impasse sur les droits des gens de couleur...

Contre-pouvoir.

    Aujourd'hui 29 Août 1789, est fondée "L'Assemblée des citoyens de couleur des îles et colonies françaises". Elle deviendra le 12 septembre suivant "la Société des colons américains". Une trentaine de "libres de couleur" résidant à Paris se sont réunis ce jour pour la première fois, dans le cabinet de l’avocat Étienne-Louis-Hector de Joly. Ils sont alors plusieurs centaines à résider dans la capitale.

Étienne-Louis-Hector de Joly

Cahier de doléances.

    Lors de la rédaction du Cahier de Plaintes, Doléances et Réclamations, le groupe est formé de 59 libres originaires de Saint-Domingue, de 14 de la Martinique et de 4 de la Guadeloupe. Ce cahier demande qu’il n’existe plus que deux classes d’individus, les citoyens quelle que soit leur couleur et les esclaves. Ils réclament l’affranchissement de tous les métissés pour que le soupçon d’esclavage disparaisse complètement de cette catégorie de la population. (Source : https://journals.openedition.org/lrf/1403#tocto1n2)

    Ces hommes et femmes de couleur d’outre-mer, ont élu six députés, dont cinq de couleur, qui porteront leurs revendications à l’Assemblée nationale. Le but de cette association basée à Paris sera de tenter de faire contre-poids au fort pouvoir dont disposent les colons blancs au sein de l’Assemblée nationale.

Quelques précisions utiles...

    Ne nous méprenons pas sur la situation de ces citoyens de couleur. Il s’agissait de propriétaires, possédant eux aussi des esclaves !

    Même s’ils étaient placés dans une situation juridique inférieure à celle des "blancs", ils appartenaient à une classe sociale très dynamique économiquement en cette fin du XVIIIème siècle à Saint-Domingue, en Martinique et dans une moindre mesure en Guadeloupe et en Guyane. Il y avait un transfert croissant de propriétés de terres et d’esclaves des "blancs" vers les gens de couleur.

    Dans trois quartiers du Sud de Saint-Domingue, dans les années 1780, les libres de couleur participaient à 44 % des transactions foncières à la campagne. Les libres de couleur possédaient environ 20 % des esclaves de Saint-Domingue et 5 % en Guadeloupe, à la fin du XVIIIe siècle. Ceux de la Martinique étaient dans une situation intermédiaire entre la Guadeloupe et Saint-Domingue. A Saint-Denis de la Réunion, 61 % des chefs de familles libres de couleur recensés possédaient des esclaves.

Source : https://journals.openedition.org/lrf/1403

    C’était d’ailleurs pour ces raisons que le 26 août 1789, Julien Raymond, un quarteron (individu ayant trois grands parents blancs et un noir) libre de Saint-Domingue, avait été est reçu au Club Massiac, pour leur proposer un accord qui préserverait la traite et l’esclavage en accordant l’égalité des droits civiques aux libres de couleur.

    Les libres de couleurs demandaient qu’il n’existât plus que deux classes d’individus, les citoyens quelle que soit leur couleur et les esclaves. Ils réclamaient également l’affranchissement de tous les métissés.

Étonnant, non ? 


Quelques portraits

    Je ne manquerai pas de vous parler de nouveau, en temps voulu, de ces honorables citoyens, dont je vous propose ce jour quelques portraits.

    Le premier est celui de Narcisse. Il était serviteur de de la Duchesse de Chartres, qui n'était autre que l'épouse du révolutionnaire Duc d'Orléans.

    Narcisse fut l'un des signataires de la pétition pour les droits des gens de couleurs. Sur ce portrait gravé par Glairon Mondet d'après Delorme (Eau forte et burin, vers 1775), on le voit porter un collier d'esclave en or. La page Facebook sur laquelle je l'ai trouvé, rappelle qu'il n'y avait pas d'esclaves en France et que cet ornement n'est là que pour faire joli. Certains commentaires précisent qu'il est habillé comme un Prince et qu'il a dû recevoir une bonne éducation qu'il n'aurait pu recevoir autrement (on s'en doute).

J'éprouve beaucoup de respect pour ce malheureux garçon.

Narcisse


Portrait d'un Gentilhomme, par Joseph Ducreux


Vincent Ogé, mourra roué vif en 1791 pour avoir mené une révolte de mulâtres




jeudi 27 août 2020

27 Août 1789 : Necker, fatigué, demande un nouvel emprunt de 80 millions.

Un Necker fatigué

    Nous reparlerons souvent de Necker ces prochains mois, du moins jusqu'au 3 Septembre 1790, date à laquelle il démissionnera et prendra la route de la Suisse, échappant de peu à son arrestation. Mais c'est un Necker fatigué et ayant perdu ses illusions que le roi a rappelé auprès de lui le 16 Juillet dernier. Necker est un homme du passé. Il ne sait faire qu'une chose, c'est emprunter de (préférence à ses amis banquiers suisses et même à sa propre banque). Mais si l'on y réfléchit bien que pouvait faire d'autre un banquier au service d'un souverain incapable (ou empêché) de réaliser la moindre réforme ?

    Necker tentera donc vaille que vaille de jouer son rôle jusqu'en septembre 1790, assistant, impuissant, à l'écroulement de l'Ancien Régime, se battant en vain contre l'anarchie des finances publiques. Mais il ne sera plus le grand Necker adulé des foules. Il se heurtera à l'attitude de plus en plus trouble du roi, qui jouera un moment la carte de l'ambitieux Mirabeau, dans l'espoir que lui fait miroiter celui-ci de recouvrer son pouvoir, ainsi qu'à l'hostilité grandissante des députés, lassés de sa politique d'emprunts. Lassés, oui, car certains savent bien que si les finances sont vides, le pays, lui, est riche

Mots d'excuses pour ses absences

La veille, 26 Août, le Ministre Necker avait fait parvenir la lettre suivante pour informer l'Assemblée qu'il serait absent lors de la séance du 26 aout 1789 :

"On attendait à l'Assemblée M. le directeur-général des finances ; sa santé ne lui ayant pas permis de remplir sa promesse, il envoie la lettre suivante ; M. le Président en fait lecture :

«M. le Président, j'ai trop présumé de mes forces et de ma santé en annonçant que j'irais aujourd'hui à l'Assemblée nationale : je suis obligé de vous adresser ce que j'avais dessein de dire ; et malgré tous mes efforts je ne puis vous l'adresser que demain à l'ouverture de l'Assemblée. Je vous prie, M. le président, de faire agréer à l'Assemblée nationale mes très humbles excuses et de vouloir bien être l'interprète de mes regrets.

«Je suis avec respect, M. le président, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

«Signé NECKER. »

Source : : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_6341_t2_0489_0000_21

    Mais ce 27 Août, jour où il s'était engagé à présenter son rapport, il adresse celui-ci à l'Assemblée mais il demande au Président que l'on excuse de nouveau son absence.

Necker demande un emprunt de 80 millions de Livres, alors que celui de 30 millions, voté le 9 Août dernier a échoué auprès des banquiers !

Mémoire de M. Necker pour un emprunt de quatre-vingts millions

Mise à l'ordre du jour du 27 aout 1789 de la lecture d'un mémoire de M. Necker sur l'emprunt

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4906_t2_0493_0000_3


M. le Président reçoit une lettre et un mémoire de M. le directeur général des finances. Il demande que la discussion soit interrompue pour en entendre la lecture.

Un membre demande qu'elle soit renvoyée après la décision de l'objet mis en discussion.

M. le Président observe qu'il a annoncé hier que le mémoire serait lu dans la séance de ce jour.

Lettre de M. Necker à M. le président de l'Assemblée, datée du 27 aout 1789 et accompagnant un mémoire

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4906_t2_0493_0000_4

 

Lettre de M. Necker à M, le président.

«Monsieur, j'ai l'honneur de vous envoyer le rapport que j'avais cru pouvoir porter moi-même à l'Assemblée. Je lui présente l'hommage de mes respects, et je réclame son indulgente bonté. »

«Je suis avec respect, etc.

«Signé : NECKER. »

Mémoire de M. Necker pour un emprunt de quatre-vingts millions, lors de la séance du 27 aout 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4906_t2_0493_0000_5

 Les sous-titre en noir sont des ajouts de ma part.


MÉMOIRE envoyé à l'Assemblée nationale par

M. Necker, directeur général des finances (1).

(1) Le Moniteur ne donne qu'une analyse de ce mémoire.

Messieurs, j'aurais pu, depuis quelques jours, vous annoncer l'issue vraisemblable de l'emprunt que vous avez décrété, si l'état de ma santé me l'avait permis. Je profite d'un premier moment de convalescence pour vous rendre le compte qui vous est dû.

Il n'a été porté au trésor royal, depuis l'époque de l'ouverture de cet emprunt jusqu'à présent, qu'une somme de deux millions six-cent mille livres (2) ; et la recette des derniers jours a été si modique, qu'on peut considérer le succès de cet emprunt comme entièrement manqué. J'ai craint ce malheureux événement, du moment que je fus informé de votre délibération du 9 août (Un emprunt de 30 millions de Livres avait été voté) ; mais je cachai soigneusement mon sentiment, afin de ne pas contrarier par une opinion anticipée, la chance d'un mouvement favorable à l'emprunt.

(2) La généreuse souscription faite à Bordeaux, non encore réalisée, n'est pas comprise dans cette somme.

L'expérience est toujours en aide à l'esprit naturel et aux calculs du jugement : ainsi, pour vous guider dans vos délibérations futures, vous désirerez sûrement de connaître pourquoi votre emprunt n'a point eu de succès.

La faute de L'Assemblée

J'avais été aussi loin qu'il était possible pour l'honneur du crédit national, en vous proposant d'ouvrir un emprunt à 5 %, dans le temps qu'au prix des effets publics sur la place, les capitalistes pourraient trouver des placements à plus de 6 1/2 % ; cependant, cet intérêt de 5 % avec les petits encouragements de détail qui y étaient joints, avec l'assurance du remboursement, avec l'honorable publicité promise au témoignage de zèle et de confiance que donneraient les prêteurs ; toutes ces conditions réunies avaient fait une impression telle, que le jour même où mon plan fut connu à Paris, je reçus une souscription d'un million de la part d'une seule personne ; et il n'est pas un notaire, pas un banquier, pas un agent, dans ces sortes d'affaires, qui ne fût prêt à donner à l'emprunt un mouvement tel, qu'en voyant trente millions portés au trésor royal en peu de jours, on eût pu croire que le crédit de la nation avait dès ce moment une limite inconnue. 1/2 % retranché sur l'intérêt semble peu de chose abstraitement ; mais, dans les affaires de finance, et dans beaucoup d'autres, toutes les fois que l'on passe la dernière ligne, on change, on altère tout. Cependant, Messieurs, vous ne vous étiez pas bornés à retrancher ce 1/2 % : excités par le juste sentiment de la confiance due à l'Assemblée nationale, vous avez retranché jusqu'aux plus petits détails propres à servir de véhicule au succès de l'emprunt ; vous n'avez pas même cru nécessaire d'indiquer le terme du remboursement : enfin, vous n'avez pas voulu faire honneur aux prêteurs de leur confiance ; et ce refus de votre part a donné lieu à un raisonnement bien simple. L'Assemblée nationale, a-t-on dit, a promis d'être fidèle à tous les engagements de l’État ; les fonds qui proviennent de ces engagements offrent des placements d'argent de 6 à 7 % ; et cependant c'est par le simple calcul de notre intérêt qu'elle veut que nous portions notre argent dans un emprunt à 4 1/2 %. A-t-elle donc changé d'opinion sur la protection due aux anciens engagements de l’État ? Et si elle n'a point changé, pourquoi paraît-elle certaine qu'entre deux intérêts également solides nous quitterons, par simple calcul, le 6 ou 7 pour le 4 1/2 ? Que si, au contraire, elle avait changé d'opinion, notre confiance dans ses principes, notre confiance dans tout ce qui émanerait d'elle, serait justement altérée ; et nous n'avons plus qu'à attendre ses dernières résolutions, et nous tenir jusque-là dans la réserve générale qu'inspire une défiance confuse et une inquiétude sans guide.

         On ne l'a pas écouté !

Enfin, Messieurs, il faut bien le dire, quoique j'y sois pour quelque chose ; mais je me regarde comme tellement confondu dans la classe publique, par mes sentiments et par mes sacrifices, que je puis parler aujourd'hui de moi comme d'un simple étranger : je vous dirai donc, Messieurs, en répétant les discours du public, que la confiance s'est altérée, lorsqu'on a vu dans une affaire de finance, dans une affaire de celles que j'ai longtemps administrées avec un peu de réussite, vous vous êtes séparés de mon opinion, et que vous l'avez fait sans avoir cru seulement utile de débattre un moment avec moi les motifs de votre résolution. Je vous donne ma parole d'honneur, Messieurs, que je n'en ai ressenti personnellement aucune peine ; je juge de vos sentiments par les miens, et mon respect m'assure votre bienveillance. Spectateur de plus près du cours de vos délibérations, je sais que les raisonnements auxquels le public s'est livré, ne sont pas fondés ; mais on ne peut se dissimuler qu'à une certaine distance ces raisonnements étaient dirigés par des vraisemblances.

        Les prêteur n'ont plus confiance 

Mais laissons là le passé. Que faut-il faire à présent ? J'avouerai que des difficultés sans nombre se présentent à moi. Il n'y a qu'à reprendre, dira-t-on peut-être, le projet d'emprunt tel qu'il avait été adopté au conseil du Roi ; mais revenir de l'intérêt de 4 1/2 à celui de 5 n'est pas la même chose que si l'on eût saisi tout de suite le point susceptible de réussite. La confiance de tous les prêteurs est composée de calculs positifs et d'espérance ; et cette espérance n'est plus la même, lorsqu'avant d'arriver à l'intérêt de 5 %, on a vu clairement qu'un intérêt inférieur n'attirerait pas l'argent. Il rejaillit d'ailleurs, il faut en convenir, un peu de défaveur sur les opérations publiques, lorsqu'une première erreur est commise. Il n'est aucun sentiment qui n'entre dans le crédit. Il est simple dans ses effets, mais il est très composé dans ses éléments. Enfin, le moment d'une première impression, le moment de l'ouverture du crédit national, ce moment dont on pouvait beaucoup attendre, ce moment est perdu, et ce n'est plus qu'avec la froide et tranquille réflexion qu'il faut traiter. Il est donc arrivé malheureusement que, pour avoir voulu trop bien faire, vous avez manqué de remplir votre premier emprunt avec cette célérité dont les effets sont incalculables, avec cette célérité et cette surabondance qui cachent le dernier terme du crédit, et qui maintiennent ce vague d'imagination si nécessaire au ménagement de toutes les forces morales.

Un jour viendra, Messieurs, où toutes ces observations ne paraîtront que des idées subtiles ; tout sera réel, tout sera démontré, tout sera soumis aux calculs les plus simples, quand l'ordre sera parfaitement établi, quand cet ordre sera connu de toute la nation, quand la Constitution, gardienne de ces arrangements salutaires, sera posée et affermie. Mais dans ce moment-ci, il faut encore, on ne peut se le dissimuler, il faut encore pour tout, le secours de l'espérance.

        Necker exprime son chagrin et sa peur 

Je me flatte, Messieurs, que vous me pardonnerez toutes ces réflexions, relatives à la non-réussite de votre emprunt. Je ressens de cette contrariété un chagrin inexprimable, et ce sentiment m'arrête plus longtemps que je ne devrais sur une circonstance irrémédiable. Il faut que nous cherchions tous ensemble à préserver les finances du désordre dans lequel elles sont près d'être plongées. Il faut que nous écartions, s'il est possible, le danger qui menace les fortunes ; danger pressant, puisque l'instance des besoins s'accroît chaque jour et que le dernier terme des ressources s'avance à pas précipités. Je connais parfaitement les inconvénients et les risques attachés à présenter des projets, à faire aucune espèce de propositions dans de pareilles circonstances ; mais si des motifs personnels avaient pu me guider, je n'aurais pas cédé à vos bontés ; je n'aurais pas renoncé à ma retraite ; je ne serais pas revenu me placer au milieu de la tempête. Je regarde ma vie ministérielle, pendant sa durée, comme un vrai sacrifice ; et dans ce sacrifice, je dois comprendre et je comprends santé, repos, réputation, bienveillance publique même, le plus cher de mes biens ; car, au milieu des malheurs, on ne peut plus calculer l'opinion des hommes. Quelquefois ils s'en prennent au dernier qui a agi, au dernier qui a parlé ; et mus impérieusement par le présent l'égide du passé ne sert plus à personne. Mais je laisse à l'écart toutes ces considérations et sans aucune combinaison personnelle, obéissant aux lois du devoir, je me mettrai en avant toutes les fois que j'apercevrai dans cette conduite le plus léger avantage public.

Le succès de toute espèce d'emprunt dans ce moment-ci, Messieurs, est très incertain : cependant, il n'est aucune circonstance où il fut plus de l'intérêt de tous les particuliers de chercher à sauver l'Etat par un acte universel de zèle et de confiance ; mais, soit par un défaut de lumières, soit par un manque d'esprit public, soit plutôt par ce sentiment qui fait que personne ne veut agir pour lu chose commune, que dans les mêmes proportions où les autres agissent, il devient, je crois, nécessaire, après avoir perdu le moment de l'abandon, d'exciter davantage l'esprit de calcul.

Je vous proposerai donc, Messieurs, d'examiner s'il ne conviendrait pas d'ouvrir un emprunt, non-seulement à 5 % d'intérêt, mais en y ajoutant encore, pour encouragement, la faculté de fournir pour moitié de la mise les effets publics portant 5 % d'intérêts, exempts de toute retenue.

Je proposerais que l'emprunt fût de 80 millions, remboursables en dix années, à raison d'un dixième chaque année ; mais vous observerez que la moitié étant payable en effets publics, il n'en résulterait qu'un secours de 40 millions pour le trésor royal. Cette addition au premier projet d'emprunt est nécessaire à mesure que nous approchons du mois de septembre, puisqu'il devient alors raisonnable de porter ses vues un peu plus loin.

II résulterait des dispositions qu'on vient de vous proposer, en assignant un remboursement successif au nouvel emprunt, que cette faveur se trouverait applicable non-seulement aux capitaux effectifs qu'on y aurait destinés, mais encore aux effets publics qui auraient été donnés en paiement pour une moitié, mais ces effets publics font essentiellement partie de ceux dont le remboursement n'a été que suspendu ; ainsi ce serait un commencement de justice envers les personnes qui en sont les propriétaires. D'ailleurs, il résultera sûrement de vos dispositions la détermination d'un fonds quelconque applicable à une caisse d'amortissement : ainsi votre disposition présente ne serait qu'une anticipation sur vos arrangements prochains.

        Redonner confiance aux prêteurs 

Les effets qui seraient reçus pour moitié dans la mise du nouvel emprunt éprouvent une grande perte à la Bourse, et cette perte formerait un avantage pour les prêteurs, puisqu'ils seraient bien certains que votre emprunt, sous le titre d'Emprunt national, que votre emprunt, remboursable à des époques fixes, se maintiendrait à peu près au pair, et qu'il vaudrait au-delà lorsque les dispositions générales qui établiront bientôt un ordre constant dans les finances, seront assurées pour toujours.

Ceux qui ont déjà fourni le peu de fonds portés au trésor royal pour l'emprunt à 4 1/2 %, auraient à se plaindre s'ils n'avaient pas la faculté de jouir de la faveur plus grande attachée à votre second emprunt. Vous trouverez sûrement juste de les autoriser à faire la conversion qu'ils désireront.

Je m'empresse maintenant de faire connaître à l'Assemblée nationale que, dans l'état présent des choses, dans le cours actuel des opinions, ni l'emprunt dont je viens de donner l'idée, ni aucun autre ne pourra pleinement réussir, si vous ne déterminez pas la confiance par une suite de délibérations et par une marche soutenue qui relève les esprits de leur abattement ; et je crois de mon devoir de m'expliquer en cette occasion avec la plus parfaite franchise.

Vous avez mis la dette publique sous la sauvegarde de l'honneur et de la loyauté française. Ces belles paroles ont retenti jusqu'aux extrémités de l'Europe ; et quand les représentants d'une nation ont pris un engagement si solennel, ce serait leur faire un outrage que de vouloir les y confirmer au nom même de la sagesse, de la raison et de la politique. Mais ce qu'il est indispensable de dire, Messieurs, c'est qu'aujourd'hui votre noble et vertueuse déclaration ne suffît plus pour assurer le crédit public. La première condition nécessaire pour fonder la confiance, c'est la certitude d'un accord entre les revenus et les dépenses de l’État ; et le dépérissement de plusieurs revenus, joint à l'existence d'un ancien déficit, répandent une alarme raisonnable. On vous demande avec instance, au nom de la tranquillité publique, de faire l'examen et le choix le plus diligent des moyens propres à mettre l'équilibre entre les revenus et les besoins de l’État. Il n'est pas nécessaire que votre travail soit porté à sa dernière perfection ; il est encore moins nécessaire que vous l'arrêtiez définitivement ; mais il est indispensable que la nation puisse juger incessamment de la solidité de vos projets, et que les esprits sortent d'une incertitude qui entretient la plus funeste défiance. Le temps qui se passera entre la publicité de vos plans et l'époque où vous les arrêteriez définitivement, vous procurera le supplément des lumières qui naît de la contradiction, et cette marche aura toutes sortes d'avantages. Je crois, Messieurs, qu'en vous livrant sans cesse aux recherches et aux discussions qu'une affaire si importante exige, et en divisant vos travaux avec méthode, vous pourriez en très-peu de temps asseoir les premières bases de la confiance ; et dès ce moment, le grand et pressant intérêt que vous paraitriez y mettre, aurait beaucoup d'influence sur le crédit.

Où l'on parle encore des achats considérables de grains. 

Il ne vous échappera pas, Messieurs, qu'en vous occupant de l'équilibre entre les recettes et les dépenses fixes de l’État, il est indispensable que vous apportiez la même activité à la recherche et au choix des ressources nécessaires pour arriver sans trouble et sans malheurs à l'époque de la régénération constante de l'ordre. Il s'est joint à l'embarras provenant d'un déficit qui n'est pas encore réparé, celui qui est occasionné par la diminution sensible des revenus, et par les achats considérables de grains faits pour le compte du Roi dans l'étranger. Il devient bien nécessaire que l'étendue des besoins extraordinaires pour cette année et pour la suivante, vous soit parfaitement connue, et que vous voyiez à l'avance quelles dispositions il conviendrait d'adopter, si l'emprunt ne réussissait pas, et quelles ressources il faudrait y joindre, s'il avait le succès qu'on doit espérer ; car il ne faut plus rien projeter à demi, et il importe de ne plus laisser de prise aux erreurs et aux tristes conjectures.

        On reparlera bientôt de cette Caisse d'escompte 

La caisse d'escompte, dans d'autres temps, aurait beaucoup aidé le Trésor royal, en lui faisant des avances sur l'emprunt que vous déterminerez ; mais elle a déjà secouru les finances autant qu'il était en son pouvoir ; et la rareté inouïe de l'argent effectif, suite, inséparable du discrédit, épuisant sa caisse, elle ne peut plus offrir que des ressources bornées. Il serait de la plus grande importance que l'Assemblée nationale prît incessamment une connaissance approfondie de cet établissement, et qu'elle appelât dans un comité quelques-uns des administrateurs de cette caisse : remplis de zèle pour la chose publique, ils sont en état par leurs lumières d'indiquer à l'Assemblée nationale, par quels moyens on pourrait augmenter le crédit et la circulation de leurs billets. L'on examinerait dans ce même comité, les divers projets qui ont été donnés pour l'établissement d'une banque nationale, et certainement il naîtrait de cette réunion d'opinions et d'idées des résultats salutaires et favorables au crédit.

On pourrait encore discuter dans ce comité des finances, ou dans tout autre, les moyens qui ont été employés en Hollande pour se procurer un grand secours d'argent momentané, tantôt par un prêt proportionné à l'étendue de chaque fortune, tantôt par un simple don réglé dans les mêmes rapports. Ce genre de secours, celui de l'emprunt, celui de la caisse d'escompte ou de tout autre établissement pareil, offrent une perspective de ressources infiniment supérieures à celles dont on aurait besoin pour arriver paisiblement jusqu'à l'époque du rétablissement de l'ordre. Je demande donc en grâce qu'on ne désespère encore de rien : une grande nation peut dominer toutes les difficultés, toutes les fois qu'elle est unie avec son Roi, pour défendre la justice, la tranquillité et le bonheur.

Combien d'idées de tout genre ne vous seront pas apportées du moment qu'on vous verra occupés des finances avec cette énergie qui donne du courage à tout le monde. On verra naître une émulation générale, et cette émulation patriotique deviendra peut-être le premier signal de la renaissance du crédit.

Je conçois facilement, Messieurs, ce que la réunion de vos lumières peut opérer pour le salut des finances, du moment que vous vous livrerez sans réserve à cette importante entreprise.

Mais tous vos efforts deviendraient inutiles, si, de concert avec Sa Majesté, vous n'arrêtiez pas le dépérissement des revenus. Vous le savez, Messieurs, l'on emploie avec trop de succès la fraude et la violence pour se refuser au payement des impôts, et il est plusieurs droits d'une ressource majeure, qui semblent menacés d'une ruine totale.

        Rétablir l'ordre et surtout les rentrées d'argent 

Il est donc indispensable pour le crédit, pour la tranquillité publique, pour le maintien d'un ordre sans lequel tout tombe en dissolution ; il est indispensable, dis-je, que vous réunissiez tous vos moyens et toutes vos forces pour assurer le recouvrement des impôts, et pour le mettre à l'abri des atteintes injustes et des résistances illégales. L'activité du pouvoir exécutif devient de plus en plus nécessaire, et il ne faut compter sur aucune espèce de confiance, si les mesures les plus sages et les plus fermes ne sont pas adoptées pour sauver l’État des horreurs de l'anarchie. Réfléchissez, Messieurs, qu'au milieu de ces craintes, tous les biens, tous les avantages, ceux même de la liberté, ne sont plus estimés comme ils méritent de l'être.

Je dois, en rappelant les désordres multipliés dont vous avez connaissance, fixer votre principale attention sur l'impôt du sel ; il n'y a pas un moment à perdre pour prendre à cet égard une délibération provisoire. La contrebande,dans plusieurs provinces, se fait à main armée, et les défenseurs des revenus du fisc, hors d'état d'y opposer une résistance suffisante, se sont la plupart dispersés. Le peuple, dans d'autres endroits, a contraint les gardiens des greniers publics à lui distribuer le sel au prix qu'il a fixé lui-même. Il faut s'étonner que dans la plus grande partie du royaume, l'ordre établi par les lois n'ait pas encore été renversé ; mais chaque jour l'exemple gagne ; et vous savez, Messieurs, ce qui vient de se passer à Versailles autour de vous et sous les yeux du Roi ; il importe que vous considériez sans retard, sans aucun délai, ce qu'il convient de faire dans de pareilles circonstances, et je vais vous soumettre en abrégé les réflexions que la situation présente des affaires m'a suggérée.

        Rétablir l'impôt du sel ou baisser son prix

Je doute, Messieurs, qu'un décret de l'Assemblée nationale, soutenu du pouvoir exécutif dans l'état de balancement et de contradiction où ce pouvoir se trouve aujourd'hui, fût suffisant pour rétablir partout l'impôt du sel tel qu'il existait avant la subversion de l'ordre ; et quand il serait possible d'y parvenir, trouveriez-vous conforme aux lois de la justice et de la bonté, que Sa Majesté déployât contre ses sujets toute la puissance des armes, dans un moment où vous n'avez pas l'intention de maintenir à l'avenir l'impôt du sel selon son ancienne constitution ? Le peuple qui ignore vos intentions, et qui doit respecter les lois établies, s'est rendu coupable sans doute par ses insurrections ; mais le Roi, Messieurs, qui a connaissance de vos dispositions futures, répugne, avec raison, à faire usage des moyens rigoureux pour le rétablissement d'un ordre de choses qui ne doit être que passager.

En même temps, d'autres grandes difficultés se présentent : il ne serait pas de votre prudence de supprimer en entier l'impôt du sel, sans avoir eu le temps d'examiner mûrement de quelle manière un revenu de 60 millions peut être remplacé convenablement, et sans avoir la connaissance des ressources auxquelles il faudra recourir pour suppléer aux besoins de l’État ; et vous aurez à prendre en considération l'effet que pourront faire cette année sur les revenus territoriaux les mouvements populaires, qui tendront encore pendant longtemps à baisser le prix du pain et le prix des grains. Une multitude de circonstances, qui n'échapperont pas à votre sagacité, semblent inviter, en beaucoup de choses, à une marche très prudente et très circonspecte. Cependant il faut prendre un parti et promptement, car le pire de tout serait le dépérissement graduel d'un revenu par le seul effet du désordre et de l'impunité. Le Roi fixant son attention sur toutes ces difficultés, vous invite, Messieurs, à considérer s'il ne conviendrait pas, s'il ne serait pas nécessaire de fixer, dès à présent, la vente du sel à six sols la livre dans tous les greniers de gabelle-où il se distribue à plus haut prix : cette disposition occasionnerait une diminution de revenus de 30 millions ; mais l'accroissement de la consommation, effet de la réduction du prix, atténuerait cette perte. L'on trouverait encore un dédommagement dans la diminution de la contrebande, qui serait infiniment moins excitée si le prix du sel était réduit à six sols. Une partie de celte même contrebande, à la vérité la moindre de toute, celle entre les pays de grandes et de petites gabelles n'existerait plus du tout, et il résulterait de ces dispositions une économie importante sur les frais de garde. Le prix du sel une fois réduit à six sols par un décret de l'Assemblée nationale sanctionné par Sa Majesté, les réclamations qui pourraient s'élever même contre ce prix seraient si peu nombreuses et si peu révoltantes, qu'il deviendrait facile de les réprimer. Enfin le prix du sel sensiblement diminué, le prix du sel rendu uniforme dans tous les pays de gabelle, une telle disposition procurerait aux peuples un si grand avantage, qu'avant de porter plus loin vos vues, vous pourriez attendre sans inconvénient jusqu'au résultat de l'étude approfondie que vous ferez, sans doute, des diverses ressources et des différents besoins de l’État.

Les autres droits qui composent les revenus du Roi n'étant pas attaqués d'une manière aussi générale que les droits de gabelle, il suffira probablement d'une manifestation positive des intentions de l'Assemblée nationale pour en maintenir le recouvrement, jusques à l'époque où vous aurez pris une détermination éclairée sur toutes les branches du revenu public.

        Rétablir l'ordre ! 

Il est impossible, Messieurs, que ce crédit fleurisse, dans un pays exposé à des insurrections continuelles ; et comme il n'est point d'acte plus libre que celui de la confiance, elle ne peut naître, elle ne peut s'affermir qu'au milieu de la paix et de la tranquillité intérieure : ainsi, tout ce que vous ferez, Messieurs, pour rétablir ce bonheur, facilitera les emprunts, en rendant à la circulation son activité. Vous vous rapprocherez donc beaucoup de ce but si désirable, lorsque, par des impositions sages, vous mettrez le recouvrement des impôts à l'abri de l'agitation dangereuse qui se fait sentir partout aujourd'hui.

Je me résume, Messieurs : le besoin instant de l’État, la condition nécessaire de toute espèce de crédit, c'est, je crois, que vous réunissiez toutes vos forces, pour assurer le recouvrement des impôts ; c'est que vous tranquillisiez les prêteurs et les créanciers de l’État, en vous occupant publiquement et sans aucun délai des moyens qui pourront établir un accord parfait entre les revenus et les dépenses ; c'est que vous preniez en même temps connaissance de l'étendue des ressources dont il sera nécessaire de faire usage, pour arriver sans malheur et sans trouble au moment du rétablissement général de l'ordre. De grandes difficultés se présentent au milieu du discrédit actuel, et du resserrement inouï de l'argent ; mais il faut les attaquer dans leur ensemble, faut les saisir, il faut s'en emparer, il faut les vaincre. Si un premier moyen ne suffit pas, s'il manque même, il faut, sans découragement, en chercher un autre ; car dans les affaires intérieures d'un royaume, une nation qui agit comme en entier par ses représentants a des ressources incalculables ; elle a le grand avantage de pouvoir déterminer d'une manière certaine ce qui est juste ; elle a le grand avantage d'être soumise aux seules contradictions qui naissent des choses mêmes. L'essentiel est donc que l'on soit persuadé par l'effet invincible de la vérité, que l'Assemblée nationale est pénétrée de la nécessité de régler sans délai les finances, et d'y appliquer tous ses moyens et toutes ses forces.

Alors, Messieurs, tous les bons citoyens, et il en est beaucoup, animés du même zèle, viendront vous seconder, et l'espérance renaîtra de toute part. Le système rigoureux d'économie que vous avez dessein d'adopter, de concert avec le Roi, sera seul un grand effet, quand vos idées à cet égard seront fixées, et quand vous les aurez fait connaître.

"Les hommes inquiets de leurs fortune sont des juges sévères" 

Je ne crois pas, Messieurs, que les recherches et les travaux auxquels vous aurez à vous livrer en adoptant les considérations que je vous présente retardent la marche grande et importante que suit aujourd'hui l'Assemblée nationale ; mais si votre attention se trouvait un moment partagé par les nouveaux objets dont un danger pressant vous invite à vous occuper, l'intérêt que vous auriez pris à la situation actuelle des affaires accroîtrait auprès de la nation le mérite de vos travaux. Les hommes inquiets de leur fortune sont des juges sévères, et il faut les rassurer sur leur existence présente, pour les disposer à mettre du prix aux biens qu'on leur promet pour l'avenir. Ainsi, dans le temps même où vous ne paraîtriez occupés que des finances, vous seconderiez d'avance toutes les vues générales qui sont aujourd'hui le principal objet de vos délibérations. Les ministres du Roi, sûrs des intentions de Sa Majesté, prennent au succès de vos travaux, le plus juste et le plus véritable intérêt ; ainsi, lorsque vous croirez utile de vous concerter avec eux, lorsque vous trouverez de la convenance à vous concerter en particulier avec le ministre des Finances, vous trouverez de leur part l'empressement le plus grand pour correspondre à vos vues. Ce n'est pas trop aujourd'hui de la plus forte ligne en faveur du bien public : ne rejetez donc, Messieurs, ne rejetez aucun secours ; mais surtout soyez unis, pour atteindre au rétablissement de l'ordre dans les finances ; ce que vous voudrez, animés par un même sentiment, par un même intérêt, par un même esprit, vous l'obtiendrez. Le public, témoin de l'accord et de la sincérité de vos efforts dès ce moment, en prévoira le succès ; l'on y croira d'avance, et la tranquillité prendra la place de la défiance et de' l'inquiétude.

Je prie l'Assemblée nationale de me pardonner, si pressé par l'instance des affaires, et affaibli par une maladie dont je suis à peine convalescent, je n'ai pu lui exprimer qu'imparfaitement mes idées : je les soumets à ses lumières, et j'aspire principalement à lui présenter un hommage constant et respectueux de mon dévouement sans réserve au bien de l’État et au service du Roi.

A Versailles, ce 27 août 1789.

Signé : NECKER.

Discussion sur l'emprunt

Discussion sur l'emprunt, suite au mémoire de M. Necker, lors de la séance du 27 aout 1789

Sources :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4907_t2_0497_0000_10

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4907_t2_0499_0000_2

Plusieurs membres demandent le renvoi de ce mémoire dans les bureaux ; d'autres qu'il soit nommé une commission de douze membres pour l'examiner et en faire le rapport à l'Assemblée.

M. Duport fait une très-longue motion sur les gabelles ; il demande qu'on les supprime tout à fait, en les remplaçant par un impôt de 58 mil¬ lions sur les provinces affectées à la gabelle.

Voici son projet d'arrêté :

« L'Assemblée nationale, considérant qu'elle ne peut trop hâter le soulagement du peuple, croit que de s'occuper des impôts pour en allégorie fardeau, ce n'est pas manquer aux mandats ; qu'il est plus facile de payer 58 millions que 76 millions ; de sorte que toutes les gabelles seront supprimées, et qu'il sera fait un rôle pour le remboursement, etc.

Ce projet n'a pas de suite.

M. le vicomte de Mirabeau. La perception des impôts est presque nulle : les troupes sont sans frein, l’État sans argent, le peuple sans subsistance, et l'effervescence continue.

Nous ne pouvons-nous dissimuler que nos connaissances en finances sont fort bornées. Cette Assemblée n'est composée que de cultivateurs, de magistrats, de militaires ; s'il y a parmi nous des hommes de finance, le nombre en est petit. Je pense donc que nous devrions nous en rapporter au ministre.

Quant à nous, nous ne pouvons l'aider qu'en hâtant la Constitution ; c'est alors que le calme renaîtra ; que les propriétaires fonciers sauront ce qu'ils doivent payer ; que les propriétaires fictifs payeront également, et que la capitale se repeuplera ; car je ne dois pas oublier une maxime d'un auteur que je dois respecter, c'est que : L'homme suit le métal comme le poisson suit le cours de l'eau.

On ne peut se dissimuler que les causes de la détresse soient la publicité restreinte de nos arrêtés. Mille et un pamphlets inondent la capitale.

Nous avons supprimé les impôts, et vous les avez rétablis, la première partie a été exécutée, la dernière rejetée.

Vous avez supprimé la chasse ; elle n'est permise qu'aux propriétaires, et tout le monde ravage les moissons.

Vous avez supprimé les dîmes, mais provisoirement elles sont continuées, et provisoirement on a commencé par ne pas les payer ; je demande donc l'impression des trois arrêtés et leur envoi dans toutes les provinces.

M. de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun. Nous venons d'entendre les détails les plus alarmants sur la détresse du moment ; il est indispensable d'y apporter un prompt remède ; M. le directeur général des finances vient de soumettre à l'Assemblée les opérations et les divers moyens qu'il a conçus ; l'Assemblée les prendra sans doute en considération.

La demande la plus intéressante sur laquelle nous devons prononcer est celle d'un emprunt de 80 millions, moitié en contrats, moitié en argent : peut-être y aurait-il quelques observations à faire sur cette forme ; mais les besoins du royaume demandent des mesures extraordinaires, et "je pense que tout ce qui appartient au mode de l'emprunt doit être abandonné aux lumières et à la sage expérience du ministre des finances, et qu'il est, sous tous les rapports, beaucoup plus convenable que l'Assemblée se borne à l'autoriser et à le garantir.

La nécessité de l'emprunt n'est que trop évidente ; s'il est nécessaire, il faut donc l'autoriser : la conséquence est rigoureuse. Nous ne serons pas arrêtés sans doute par la crainte de contrevenir à nos mandats ; cette difficulté a été déjà victorieusement résolue : bien loin d'en être effrayé, je pense, au contraire, qu'on ne peut leur obéir avec plus d'exactitude, et que ce serait les enfreindre de les suivre littéralement ; car nos commettants, en voulant que toute opération d'impôt ou d'emprunt ne pût être consommée qu'après la Constitution, ont voulu évidemment assurer par-là cette constitution ; or, tel est l'état actuel des choses, que non-seule-ment la Constitution ne court aucun danger par cet emprunt, mais que même elle ne peut exister que par lui.

Mais un emprunt peut-il être proposé, s'il n'existe pas de crédit ? Deux vérités me frappent en ce moment.

Jamais le crédit n'a été plus nécessaire à la France ; le crédit est pour le moment anéanti.

Le crédit est nécessaire quand le produit des impositions se trouve tellement réduit ; qu'il ne peut suffire à l'acquit des dépenses même les plus pressantes.

Le crédit est nécessaire quand tout conduit à croire que les perceptions ne procurent plus dans ce moment les fonds nécessaires au soutien de la force publique.

Le crédit est anéanti lorsqu'au milieu de la paix, et sous les yeux de l'Assemblée nationale, les fonds publics éprouvent une perte de dix pour cent de leur valeur primitive.

Le crédit est anéanti lorsqu'un emprunt modique, garanti par l’Assemblée nationale, ne peut être rempli.

Le crédit est anéanti lorsque le taux des changes prouve une exportation incalculable de capitaux chez l’étranger, et le retrait presque général de tous ses fonds.

Il est aisé de conclure qu’il est urgent de rétablir le crédit ; on ne peut travailler à le rétablir qu’en cherchant les causes qui l’ont perdu, et en les détruisant ; en conséquence je propose :

1° Que l’Assemblée décrète aujourd’hui un emprunt de 80 millions en laissant le mode de l’emprunt au pouvoir exécutif ;

2° Qu’il soit fait une déclaration solennelle, qui, confirmant celles des 17 juin et 13 juillet, rassure tous les créanciers de l’État contre la crainte d’une réduction quelconque d’aucune des parties de la dette publique ;

3° Qu’il soit nommé un comité extraordinaire de douze personnes, pour, de concert avec le ministre des Finances, examiner les diverses opérations soumises à l’Assemblée, s’occuper particulièrement des moyens d’établir le niveau entre les dépenses et les recettes, et rendre compte, deux fois par semaine, à l’Assemblée générale, de son travail ;

4° Qu’il soit décrété que les Assemblées provinciales seront établies incessamment et pendant la tenue de l’assemblée actuelle, comme étant le meilleur moyen de calmer les provinces, de créer de promptes ressources, de pourvoir sans secousses aux conversions nécessaires d’impôts, et d'affermir les opérations de l’Assemblée nationale, et, en conséquence, qu’il soit donné ordre au comité de constitution de présenter promptement son travail sur l'organisation des assemblées provinciales.

Les propositions de M. d’Autun excitent des applaudissements et des murmures.

Plusieurs personnes invoquent l’article du règlement qui veut une discussion préalable de trois jours avant de prononcer sur les questions importantes.

M. le comte de Mirabeau. Si j’avais eu l’honneur de parler le premier à cette assemblée, peut-être me serais-je borné à une approbation pure et simple de la proposition de M. le directeur général des finances ; mais les additions que M. l’évêque d’Autun y a faites sont de telle nature, la première du moins, qu’une fois proposée, il y aurait les plus grands dangers à l’en séparer. On nous parle de renvoyer ta discussion à un autre jour. Ceux qui nous font cette proposition en ont-ils bien pesé les conséquences ? Voudraient-ils, par un simple attachement à une forme rigoureuse, exposer l’Assemblée à perdre les fruits d’une discussion aussi lumineuse que celle que nous venons d’entendre ?

Après avoir manqué notre premier emprunt par un malheureux attachement à des formes, par un désir bien ou mal entendu de perfection, voudrons-nous exposer le royaume à tous les maux que pourrait entraîner le mauvais succès de celui qui nous est aujourd’hui proposé ?

Je ne suis pas de ceux qui sont prêts à se rendre l’écho de tout ce qui sort d’une bouche ministérielle. Je ne dis pas que ce qui vient de nous être lu de la part du ministre soit au-dessus de toute exception ; mais le besoin d’une ressource momentanée est évident ; mais l’importance d’assurer le crédit public sur la base sacrée de la fidélité de la nation à remplir ses engagements, voilà ce qui me paraît également juste et pressant ; voilà ce qui ne saurait, dans le moment actuel, plus admettre de retard.

Je n'insisterai pas, Messieurs, pour que vous passiez en une seule délibération les quatre propositions de M. l'évêque d'Autun ; mais les deux premières sont tellement liées, tellement connexes, que leur séparation, même momentanée, pourrait avoir sur le crédit public les conséquences les plus funestes : approuver l'emprunt sans consacrer la dette, sans la mettre à l'abri de toute réduction, de toute atteinte, c'est semer la défiance et l'effroi parmi les capitalistes ; c'est leur annoncer des intentions sinistres ; c'est, en un mot, proclamer la banqueroute dans le moment où nous demandons du crédit.

Et dans quel temps, à quelle époque pensez-vous à annoncer des vues aussi malheureuses ? Quand vous êtes prêts à recevoir le grand, l'inestimable bien d'une constitution libre, quand cette constitution est à l'enchère ! (Quelques murmures se font entendre.)

Oui, Messieurs, je ne crains point de le répéter par un heureux effet des fautes et déprédations ministérielles, la Constitution est aujourd'hui à l'enchère ; c'est le déficit qui est le trésor de l’État ; c'est la dette publique qui a été le germe de notre liberté. Voudrez-vous recevoir le bienfait et vous refuser à en acquitter le prix ?

M. de Lally-Tollendal se réfère aux observations de M. de Mirabeau sur les premiers articles de la motion, et propose de destiner deux séances par semaine aux rapports des comités à établir.

M. Gleizen s'élève contre la motion de M. d'Autun : il dit qu'elle n'est pas dans les vues de M. le contrôleur général.

M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, et M. le duc de Liancourt parlent pour les premiers articles de la motion ; et M. de Liancourt se récrie contre ceux qui ont annoncé, lors de la discussion sur le premier emprunt, qu'ils se chargeaient de le faire remplir.

M. Rewbell propose de décréter que l'Assemblée se concertera avec M. Necker sur le mode de l'emprunt.

M. le comte de Mirabeau objecte à cet amendement que ce serait un moyen d'éluder la responsabilité des ministres.

L'amendement est rejeté, et les premiers articles de la motion de M. d'Autun sont admis.

Arrêté relatif à l'emprunt

Décret du 27 aout 1789 relatif à l'emprunt 

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4908_t2_0499_0000_4

 

« L'Assemblée nationale, délibérant sur les propositions qui lui ont été faites, au nom du Roi, par le premier ministre des finances, déclare l'emprunt de 30 millions fermé ; décrète l'emprunt de 80 millions moitié en argent, moitié en effets publics, tel qu'il a été proposé par le premier ministre des finances, et elle en laisse le mode au pouvoir exécutif.

« L'Assemblée nationale renouvelle et confirme les arrêtés des 17 juin et 13 juillet, par lesquels elle a mis les créanciers de l'Etat sous la sauvegarde de l'honneur et de la loyauté française. En conséquence, elle déclare que dans aucun cas, et sous aucun prétexte, il ne pourra être fait aucune nouvelle retenue ni réduction quelconque sur aucune des parties de la dette publique. »

La séance est continuée à ce soir.