jeudi 15 février 2024

Hommage au visionnaire Marquis d'Argenson

 


Pourquoi un article sur le Marquis d’Argenson ?

    René Louis de Voyer de Paulmy d'Argenson, né à Paris le  et mort à Paris le , fut un ministre de Louis XV. Le roi l’avait nommé secrétaire d’état aux affaires étrangères en novembre 1774, plusieurs mois après que la France fut officiellement entrée dans la guerre de Succession d'Autriche (1740-1748), aux côtés de la Prusse. Eh oui, à cette époque la Prusse était l’alliée de la France contre l’Autriche ! C’est même la raison pour laquelle le mariage de Louis XVI avec l’Autrichienne Marie Antoinette fut très mal vu par une grande partie de la Cour et que celle-ci fut à l’origine de toutes les rumeurs salissant la reine, rumeurs reprises plus tard par le peuple sous la Révolution. Mais ce n'est pas là le sujet de cet article...

Marie Antoinette, luxueusement parée,
lors des Etats Généraux de 1789.
(Grosse erreur de com. vu que ceux-ci avaient été
 convoqués pour traiter du déficit des compte du royaume.)

    C’est au travers de quelques témoignages évoquant ses écrits que j’ai découvert ce grand homme. Et quels écrits ! On y retrouve bien sûr le grand style du 18ème siècle, avec son esprit et sa vivacité. Mais le plaisir ne s’arrête pas là. Comment ne pas être sensible à l’intelligence et à l’humanité de cet homme ? Ses descriptions de l’effroyable misère du peuple français dans les années 1739 et 1740 sont saisissantes. J’ai rapporté plusieurs extraits de ses mémoires dans mon article sur la misère avant la Révolution

La famille pauvre, de JB Greuze.

    Dans l’introduction du tome 1 des Révolutions de Paris, journal né durant l'été 1789 (Introduction écrite le 30 janvier 1790 pour les numéros reliés du tome 1), le rédacteur (probablement Elysée Loustallot) rendit hommage au Marquis d’Argenson qui « avait eu le courage de dire la vérité dans ses Considérations sur les gouvernements. » (p.35).

Un visionnaire prédisant la Révolution à venir.

    Ce ministre exceptionnel, au contraire de la plupart de ses pairs, connaissait particulièrement bien l'état de la France, et il s’en alarmait. Ce que l’on peut lire dans le chapitre « Misère des provinces (Février 1739 – fin 1740) » (Accessible en bas de page) ressemble à une prédiction de la Révolution qui bouleversera la France 50 ans plus tard ! (page 23 du tome 2) :

« Le mal véritable, celui qui mine ce royaume et ne peut manquer d’entrainer sa ruine, c’est que l’on s’aveugle trop à Paris sur le dépérissement de nos provinces. »

    S’en suit une effrayante description de la misère qui frappe de nombreuses provinces du royaume. Voici quelques extraits :

« Les hommes meurent autour de nous, dru comme des mouches, de pauvreté, et broutant l’herbe. » (p.24)

« Il est positif qu’il est mort plus de Français de misère depuis deux ans que n’en ont tué toutes les guerres de Louis XIV » (p.34)

19 mai 1739 :

« Le Duc d’Orléans porta dernièrement au conseil un morceau de pain de fougère. À l’ouverture de la séance, il le posa sur la table du roi, disant : Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent. » (p.27)

D’Argenson est lucide sur l’aveuglement et la cruauté des puissants.

« On répond à tous ces récits que la saison est belle, que la récolte promet beaucoup. Mais je demande ce que la récolte donnera aux pauvres. Les blés sont-ils à eux ? La récolte appartient aux riches fermiers, qui eux-mêmes, dès qu’ils la recueillent, sont accablés de demandes de leurs maîtres, de leurs créanciers, des receveurs des deniers royaux, qui n’ont suspendu leurs poursuites que pour les reprendre avec plus de dureté. » (p.28)

L’éternelle rengaine des riches sur la fainéantise des pauvres...

Août 1739 :

« Il (Le conseiller d’État Fagon) a persuadé tout de bon au ministère que c’est une habitude de paresse qui corrompt les meurs des provinces. C’est ainsi que j’ai entendu accuser de pauvres enfants sur lesquels opérait un chirurgien d’avoir la mauvaise habitude d’être criards. » (p.29)

« Tels sont ceux qui ont part à la direction des affaires : durs, tyranniques, heureux de leur sort, jugeant celui des autres par le leur propre ; juges de Tournelle, habitués à voir de sang-froid disloquer les membres des suppliciés.

Toute misère provient de la fainéantise, et les impôts tels qu’ils sont ne sont pas suffisants. Ces bourreaux de ministres pensent aiguillonner l’industrie et corriger les mœurs par la nécessité de payer de gros subsides. » (p.30)

    D’Argenson a raison, on voit le monde à l’image de ce que l’on est. Un voleur n’y voit que des voleurs, un envieux ne reconnait autour de lui que d’autres envieux, un corrompu est persuadé que toutes et tous sont à vendre, etc.

Le triste constat

    Quand on lit ce terrible chapitre, on comprend que la Révolution était inévitable. La description qui y est faite de la France est bien loin de l’image idyllique que les nostalgiques de l’Ancien régime continuent de nous représenter inlassablement.

    Hélas, mille fois hélas ! Tout le monde est convaincu par les histrions qui font de l’histoire de contes de fées : L’Ancien régime était idyllique et la Révolution qui y mis fin fut une horreur  absolue ! 

    Quand donc une série télé nous montera-t-elle l’odieuse misère de cette époque plutôt que les simagrées de marquises et marquis d’opérettes ?


Digression...

    Je ne suis pas un grand cinéphile, mais je n'ai pas vu la misère et la colère du peuple aussi bien représentée en ce début de 18ème siècle que dans le film de Bertrand Tavernier sorti en 1975 : "Que la fête commence". L'histoire se situe sous la régence de Philippe d'Orléans, tuteur de l'enfant qui deviendra Louis XV. À la fin du film le carrosse du Régent lancé à toute allure sur la route de Versailles, renverse un enfant. Philippe d’Orléans propose de dédommager la mère par une somme d’argent. Des paysans accourent et incendient le carrosse. La mère dit alors à son enfant mutilé : « Regarde comme ça brûle bien » dit la mère a son enfant. On va en brûler d’autres… beaucoup d’autres. » 

 

Source :

    Le chapitre sur la misère des provinces est accessible sur la site de la BNF via la fenêtre ci-dessous :