Messieurs, lorsqu'on est appelé à se présenter et à se faire
entendre au milieu d'une Assemblée si auguste et si imposante, une timide
émotion, une juste défiance de ses forces sont les premiers sentiments qu'on
éprouve, et l'on ne peut être rassuré qu'en se livrant à l'espoir d'obtenir un
peu d'indulgence et de mériter au moins l'intérêt que l'on ne saurait refuser à
des intentions sans reproche ; peut-être encore a-t-on besoin d'être soutenu
par la grandeur de là circonstance et par l'ascendant d'un sujet qui, en
attirant toutes nos pensées, en s'emparant de nous en entier, ne nous laisse
pas le temps de nous replier sur nous-mêmes, et ne nous permet pas d'examiner
s'il y a quelque proportion entre notre tâche et nos facultés.
Quel jour, Messieurs, que celui-ci ! quelle époque à jamais
mémorable pour la France ! les voilà donc, après un si long terme, les voilà
rappelés autour du trône, ces députés d'une nation célèbre à tant de titres,
d'une nation qui a rempli l'univers de sa renommée, et qui peut en appeler au
témoignage incorruptible de l'histoire, soit pour attester ses hauts faits et
sa valeur guerrière, soit pour se retracer à elle-même le tableau de ses
progrès et de ses triomphes dans tous les genres de gloire et de rivalité !
Elle a parcouru les diverses routes qui sont ouvertes au talent et au génie ;
elle s'est fait remarquer avec éclat dans toutes les carrières : les ans qui se
sont écoulés servent presque à compter ses succès, et ses regards ne peuvent se
tourner en arrière sans y contempler quelque monument de ses grandes destinées.
Découvertes majestueuses dans les sciences, brillant éclat dans les lettres,
ingénieuses inventions dans les arts, hardies entreprises dans le commerce ;
elle a tout fait, elle a tout obtenu, et souvent sans autre secours que ses
propres efforts, et souvent sans autre appui que les dons d'une heureuse
nature. Oui, les pénibles recherches d'une attention laborieuse et les aperçus
rapides du génie, la profondeur de la raison et les embellissements de
l'éloquence, les talents utiles et la perfection du goût : elle a tout su
réunir, cette noble et magnifique nation dont vous êtes aujourd'hui, Messieurs,
les dignes représentants.
Que lui fallait-il donc encore pour son bonheur et pour sa
gloire ? réussir dans le plus beau de tous les desseins, avancer, terminer,
s'il est possible, la plus grande et la plus importante de toutes les
entreprises, celle que vous êtes chargés de venir concerter sous les regards et
la protection de votre monarque.
Ce n'est pas au moment présent, ce n'est pas à une
régénération passagère que vous devez borner vos pensées et votre ambition ; il
faut qu'un ordre constant, durable et à jamais utile, devienne le résultat de
vos recherches et de vos travaux ; il faut que votre marche réponde à la
grandeur de votre mission ; il faut que la pureté, la noblesse et l'intégrité
de vos vues demeurent en accord avec l'importance et la gravité de la confiance
dont vous êtes dépositaires. Partout où vous découvrirez les moyens d'accroître
et d'affermir la félicité publique, partout où vous découvrirez les voies qui
peuvent conduire à la prospérité de l'État, vous aurez à vous arrêter. C'est
vous, Messieurs, qui en avant, pour ainsi dire, des générations futures, devez
marquer la route de leur bonheur, il faut qu'elles puissent dire un jour :
C'est à Louis, notre bienfaiteur, c'est à l'Assemblée nationale dont il s'est
environné, que nous devons les lois et les institutions propices qui
garantissent notre repos ; il faut qu'elles puissent dire : Ces rameaux qui
nous couvrent d'une ombre salutaire sont les branches de l'arbre dont Louis a
semé le premier germe. Il le soigna de ses mains généreuses, et les efforts
réunis de sa nation en ont hâté et assuré le précieux développement.
Mais arrêtons-nous ici, et ne nous abandonnons pas
encore à ces douces et bienheureuses espérances. Il est si triste de déchoir,
il est si pénible de retourner en arrière ! Ne nous livrons donc que doucement
aux images de bonheur et de prospérité que nous pourrions nous faire :
retardons notre confiance, afin de l'assurer ; et retenons notre imagination,
afin de n'avoir pas à nous plaindre de ses fausses lueurs et de ses vaines
promesses.
Je dois, Messieurs, selon les ordres du Roi, commencer par
vous rendre un compte fidèle de l'état des finances. Une guerre dispendieuse,
une suite de circonstances malheureuses avaient introduit une grande
disproportion entre les revenus et les dépenses. Vous examinerez, Messieurs,
les moyens que le Roi m'ordonne de vous proposer pour ramener un équilibre si
nécessaire ; vous en chercherez de meilleurs, vous les indiquerez, et vous
répondrez au vœu de la nation et à l'attente de l'Europe, en concourant de tous
vos soins à établir dans les finances du plus grand empire un ordre qui soit à
jamais assuré.
C'est à remplir un si grand but que la sagesse de votre
souverain vous appelle. Vous n'avez pas seulement à faire le bien, mais, ce qui
est important encore, à le rendre durable et à l'abri des injures du temps et
des fautes des hommes.
La confiance publique est ébranlée, et cependant cette
confiance est indispensable : elle honore une nation et constitue sa force
politique ; enfin elle est encore le principe de la modération de l'intérêt de
l'argent, et la source d'un grand nombre d'améliorations intérieures. Vous
devez contribuer au rétablissement de cette confiance, et vous vous livrerez à
cette idée avec d'autant moins de réserve, qu'après avoir travaillé à rendre
invariable l'ordre des finances, vous ne verrez plus rien de dangereux dans
l'usage du crédit.
Ces réflexions préliminaires vous indiqueront, Messieurs,
les deux principaux objets qui vont être d'abord traités dans ce mémoire :
L'ordre dans les finances,
La stabilité de cet ordre.
Les finances d'un État sont un centre où aboutissent une
multitude innombrable de canaux : tout part de ce centre et tout y revient ; et
quand le désordre s'en est emparé, la dangereuse influence de la confusion des
finances parcourt tout le royaume, et s'étend tellement au loin, qu'on perd
souvent cette cause de vue dans le temps même qu'elle produit les plus funestes
effets ; mais un observateur attentif retrouve aisément les rapports et la
filiation qui échappent à la plupart des hommes.
Vous me dispenserez sûrement, Messieurs, de jeter un regard
sur les temps qui ont précédé mon administration ; c'est de la situation
présente, c'est du mal à réparer que je dois vous instruire et vous occuper. Je
renonce également à vous faire connaître toutes les difficultés qu'il a fallu
vaincre pour soutenir l'édifice chancelant des finances depuis la fin d'août
jusqu'à présent. L'homme particulier n'est rien au milieu des affaires
générales, et c'est par de nouveaux, efforts, et non par le récit du passé,
qu'il doit rechercher l'estime publique. Il est des travaux d'ailleurs, il est
des peines dont un sentiment intérieur est le seul dédommagement et la vraie
récompense.
Le compte des finances de Sa Majesté, que l'on mettra
d'abord sous vos yeux, renferme les revenus et les dépenses fixes de l'État.
Les revenus et les dépenses n'appartiennent à aucune aimée
en particulier ; ils seront toujours les mêmes, à moins qu'on ne vienne à les
changer par de nouvelles dispositions.
Le Roi recevra la même somme de tributs, tant que les lois
constitutives de ces impôts ne seront point abrogées, et le Roi payera la même
somme d'intérêts, tant que les capitaux de la dette publique ne seront point
amortis. Ces deux exemples, applicables encore à beaucoup d'autres objets,
suffiront néanmoins pour donner l'idée du véritable sens qu'il faut attribuer à
la dénomination des revenus et des dépenses fixes.
On devra, Messieurs, vous présenter ensuite le prospectus
des revenus et des dépenses passagères ; c'est-à-dire des revenus et des
dépenses qui n'auront lieu que l'année prochaine ou pendant la suivante.
Le tableau des revenus et des dépenses fixes forme sans
doute l'objet le plus digne de votre attention ; il faut des impôts ou des
économies durables pour balancer la différence qui existe entre la somme des
revenus fixes et la somme des dépenses du même genre ; il ne faut que des
secours momentanés pour subvenir aux dépenses passagères.
TABLEAU DES REVENUS ET DES DÉPENSES FIXES.
Ce tableau a été composé de deux manières : L'une est
absolument conforme à la méthode observée l'année dernière pour le compte
imprimé par les ordres du Roi : ainsi cet état offre, d'une part, les sommes
versées au trésor royal par chaque caisse de recette, déduction faite des
charges assignées sur ces caisses ; et d'autre part, toutes les dépenses
acquittées par le trésor royal.
Le second compte, dont le résultat est absolument semblable,
présente en recette et en dépense tous les articles de même nature, quelles que
soient les caisses diverses où ces recettes et ces dépenses sont effectuées.
Ce genre de compte, hors de l'usage commun, et qui s'écarte
de la méthode réelle des recettes et des payements, serait plus facilement
susceptible d'erreur ; mais on est parvenu à le rendre parfaitement correct,
puisque son résultat, comme on vient de le dire, se trouve d'accord avec celui
du premier tableau, et vous pourrez juger de l'exactitude de ce rapprochement,
non-seulement par la balance commune, mais encore par tous les détails
indicatifs dont ces deux comptes seront accompagnés.
Enfin, Messieurs, l'intention du Roi est que, sans aucune
réserve et sans aucune exception, il vous soit remis tous les renseignements,
toutes les pièces justificatives que vous pourrez désirer.
On ne vous fera pas ici la lecture de ces comptes ; il
suffit de vous annoncer que la différence entre les revenus et les dépenses
fixes est d'environ 56 millions.
Vous désirerez peut-être, Messieurs, connaître le rapport
qui existe entre cette différence et le déficit indiqué dans le compte imprimé
par ordre du Roi au mois de mars 1788, et l’on vous donnera sur ce point toutes
les informations que vous souhaiterez ; mais comme une telle explication
exigerait trop de détails, on se bornera dans ce moment à vous montrer en peu
de mots l'accord général qui se trouve entre les deux comptes.
Le déficit, selon le compte de 1788, était de 160,827,492
livres.
Mais on avait compris dans cette somme tous les
remboursements montant à 76,502,367 livres et toutes les dépenses
extraordinaires et passagères, payables en 1788, et qui s'élevaient à
29,395,585 livres.
Ces deux articles mis à part, le déficit ordinaire,
c'est-à-dire la différence entre les revenus et les dépenses fixes, se
réduirait à 54 millions 929,540 livres.
A la vérité , l'on n'avait compris dans le compte de 1788,
et par conséquent dans le déficit ordinaire, ni les rentes à la chargé du Roi,
provenant de l'emprunt de novembre 1787, objet de 12 millions ni les fonds
destinés par le Roi au secours des réfugiés hollandais, article en ce moment de
8 à 900,000 livres. On n'avait pas non plus compris dans le déficit ordinaire
une somme applicable aux dépenses imprévues ; et, puisque ces dépenses
reviennent toutes les années, on a cru devoir les ranger dans le compte des
dépenses, et elles forment dans ce compte un article de 5 millions.
Ces trois articles, réunis à plusieurs autres différences
moins essentielles, auraient dû élever à plus de 75 millions le déficit du
compte dont il est question dans ce moment.
On doit donc vous expliquer d'une manière générale pourquoi
ce déficit n'est cependant que de 56 millions :
1° Les retenues imposées sur les pensions par l'arrêt du 18
octobre 1787 n'avaient pas été mises en compte dans l'état des finances imprimé
l'année dernière. Cet article se monte à environ 5 millions ;
2° Les économies et les dispositions nouvelles du
département de la guerre ont diminué son état de dépenses fixes de 8 à 9
millions ;
3° Le département de la marine, en conséquence des nouveaux
projets adoptés par le Roi, a fixé son état de dépenses à 40,500,000 livres, ce
qui forme une réduction, sur le compte de 1788, de 4,500,000 livres.
4° Le département des affaires étrangères a fixé son état
ordinaire de dépenses à 7,300,000 livres, ce qui procure une réduction, sur le
compte précédent, de 1,800,000 livres.
Ces divers articles, choisis entre plusieurs autres,
suffiront pour indiquer pourquoi dans ce moment le déficit du compte des
revenus et des dépenses fixes n'est plus de 75 millions, mais de 56 millions.
Tous les détails se trouveront expliqués dans le
rapprochement exact du compte de 1788, et du compte qui vous est présenté,
rapprochement dont on vous donnera le tableau.
Ne me serait-il pas permis, Messieurs, de vous faire
observer que le déficit antérieur à l'époque de l'administration actuelle des
finances, bien loin d'avoir diminué, aurait pris un grand accroissement si le
trésor royal n'avait été gouverné avec la plus sévère exactitude, si l'on
n'avait défendu particulièrement ses intérêts, si l'on n'avait obtenu des
délais pour tous les payements qui pouvaient être retardés sans éclat, si l'on
ne s'était ainsi préservé de la nécessité de recourir à des emprunts considérables,
si l'on ne s'était mis en état de refuser tout espèce de secours à des
conditions onéreuses, et si l'on n'avait réussi dans ce projet, nonobstant
toutes les alarmes qui s'étaient répandues sur l'état des finances et sur le
sort de la dette publique en général ?
On revient à la différence qui existe entre les revenus
fixes et les dépenses fixes, et qui se trouve réduite à ce moment à 56
millions. Il faut s'occuper des moyens de couvrir cette différence, et voici
les premiers aperçus que le Roi m'a ordonné de soumettre à vos considérations :
1° Il résulte de l'examen attentifs-que j’ai fait des
conditions du dernier bail passé avec les fermiers généraux, de la rentrée dans
certains droits suspendus pour un temps, et de l'accroissement successif des
produits, qu'en mettant à part 2,400,000 livres pour le traitement fixe des
fermiers généraux en sus de l'intérêt de leurs fonds à 5 0/0, le produit des
droits à recouvrer par la ferme générale peut être estimé à 18 millions de plus
qu'il n’a été compté dans le compte de 1788.
J'observerai seulement que cette augmentation exigerait un
changement dans les conditions du bail passé avec les fermiers généraux ; et
qu'elle ne serait réalisée en son entier que d'ici un ou deux ans, à l'époque
où la ferme générale aurait écoulé un approvisionnement de tabac .qu'elle a
fait à trop haut prix. On vous donnera, Messieurs, les explications détaillées
qui peuvent justifier une si bonne espérance»
2° J'évalue à 5 ou 6 millions l'accroissement de revenu
qu'on peut raisonnablement attendre de la ferme des postes, de l'administration
des domaines, de la régie des aides, de la régie des revenus casuels et de la
ferme de Sceaux et de Poissy en revoyant aussi les conditions des traités
passés avec ces compagnies, et en évaluant, sans exagération, le produit de
cette partie des revenus du Roi d'ici à un ou deux ans.
Voilà donc, Messieurs, en deux articles, près de 24 millions
de bonifications que vous considérerez, je crois, comme très assurés.
Examinons maintenant une suite d'autres indications qui,
réunies, présenteraient également une ressource considérable ; elles ne
tiennent à aucun impôt, mais elles dépendent de plusieurs dispositions d'ordre
ou d'administration, et vous jugerez de leur convenance :
1° Il y a plusieurs droits d'aides connus Sous le nom de
droits rétablis, de droits réservés, etc., qui ont été abonnés dans une partie
des provinces du royaume, tandis que dans d'autres la perception s'en fait
réellement aux termes des lois qui ont établi Ces impôts. Ces abonnements sont
tellement désavantageux que, d'après des calculs faits avec soin, on présumé
qu'ils devaient se monter à près de 7 millions de plus. Vous considérerez,
Messieurs, s'il est juste d'établir une égalité parfaite entre toutes les
provinces, ou si l'habitude ancienne d'une faveur particulière doit être
respectée.
2° Le clergé reçoit de la fermé générale, en vertu de
stipulations expresses, 2,500,000 livres par an, et il emploie cette sommé au
remboursement des dettes qu'il a contractées pour fournir au Roi des dons
gratuits ; il y joint, de ses propres revenus, 2 millions, en sorte que ses
remboursements se montent en tout à 4,500,000 livres. Cette dernière somme
pourrait devenir un revenu de l'État, si le Roi se chargeait des dettes du
clergé, en destinant à leur remboursement une partie des fonds qui seraient
appliqués à une caisse d'amortissement.
Les propriétaires des rentes sur le clergé ne perdraient
rien à cet échange, du moment que leurs créances seraient garanties par la plus
solide des cautions, celle du roi et des États généraux.
3° Vous verrez, Messieurs, dans le compte des finances, que
le Roi paye annuellement à des hôpitaux, à des communautés religieuses ou pour
d'autres objets de ce genre, une somme de 5 millions.
Vous aurez à considérer, Messieurs, si une partie de cette
dépense ne pourrait pas être assignée sur des revenus ecclésiastiques, soit par
des réunions, soit par la voie des économies, soit de toute autre manière.
4° Le Roi a affranchi la compagnie des Indes du droit
d'induit sur les marchandises importées de l'Inde et de la Chine, et Sa Majesté
lui abandonne de plus la moitié du produit des saisies et des droits relatifs à
quelques branches de son commerce, ces deux sacrifices peuvent être évalués de
15 à 1,800,000 livres, et le Roi rentrerait en possession de ce revenu si la
liberté du commerce des Indes était rétablie. Il serait encore possible que la
compagnie elle-même s'en désistât si le privilège dont elle jouit lui était
conservé d'une manière stable.
5° Les primes que le Roi accorde pour l'encouragement du
commerce s'élèvent aujourd'hui à 3,800,000 livres ; et celle accordée sur la
traite des noirs forme seule un objet de 2,400,000 livres.
Il y a lieu de croire que cette dernière dépense pourra être
diminuée de près de moitié en adoptant une disposition que l'humanité seule
aurait dû conseiller. Sa Majesté a déjà fait connaître ses intentions a cet
égard, et il vous en sera rendu compte plus particulièrement.
6° Le tabac se vend aujourd'hui râpé dans presque toute la
France, et cette méthode a beaucoup. augmenté la ferme du tabac. Quelques
négligences particulières commises en Bretagne donnèrent lieu à des plaintes en
1784, et les réclamations qui s'en suivirent ont obligé la ferme générale à vendre
le tabac dans cette province selon l'ancienne méthode. On croit qu'en y
ramenant l'usage devenu général dans tout le royaume, le produit de la ferme du
tabac augmenterait de 1,200,000 livres.
7° Les villes et les hôpitaux perçoivent à leur profit
différents droits sur les consommations ; le roi en lève de semblables dans les
mêmes lieux, et ces diverses administrations, gênantes pour les peuples,
occasionnent de doubles frais de gestion ; il arrive aussi que plusieurs
municipalités, entraînées par différents égards, favorisent ou tolèrent des
faveurs et des exceptions. On avait souvent pensé que, si l'administration
royale se chargeait de l'ensemble de ces recouvrements et assignait aux villes
et aux hôpitaux une somme fixe proportionnée à leur recette habituelle, il en
résulterait un bénéfice évalué à 2 ou 3 millions (1) ; mais un tel arrangement
aurait éprouvé avec raison de grandes contradictions ; on pourrait le prendre
en considération à une époque où les dispositions d'ordre sanctionnées par la
nation écarteraient tout motif d'inquiétude et rendraient parfaitement assurés
les engagements qui seraient pris avec les villes.
8° Il existait en 1785 un droit à l'entrée des toiles
peintes et des mousselines. On a cru s'opposer avec plus d'efficacité à
l'admission de ces marchandises dans Je royaume, en la prohibant absolument ;
mais l'expérience a prouvé que l'introduction était à peu près la même, et que
le droit aboli avait tourné au profit des contrebandiers ou des assureurs de
leurs entreprises : tout semble donc inviter à rétablir le droit; cette
disposition procurerait au Roi un revenu de 8 à 900,000 livres.
9° L’intérêt de l’emprunt nécessaire pour balancer les
besoins de cette année se trouvant compris dans l’état des dépenses fixes, et
cet intérêt ne pouvant être exigible que dans l’année prochaine, on est fondé à
compter au nombre des ressources qui doivent y correspondre les extinctions de
rentes viagères qui auront lieu cette année, objet d’environ 1,500,000 livres.
10° Monsieur vient d’offrir une diminution de 500,000 livres
sur les fonds destinés par le Roi aux dépenses de sa maison, et Sa Majesté a
accepté cette proposition.
11° Mgr le comte d’Artois n’avait pu encore terminer les
dispositions dont il s’occupait, lorsqu’il annonça, l’année dernière, l’abandon
de 400,000 livres sur la somme destinée à sa maison. Monseigneur vient de faire
connaître qu’à compter du 1er de ce mois cette réduction serait ponctuellement
effectuée à la décharge annuelle du trésor royal.
12° L’abolition du privilège des bourgeois de Paris pour
l’entrée franche des produits de leurs terres et de leur chasse, si on la
jugeait convenable, procurerait un bénéfice de 4 à 500,000 livres.
13° L’abolition des francs salés qui ne sont pas adjugés par
des arrêts vaudrait 3 à 400,000 livres.
14° L’établissement de deux ports francs, l’un à Bayonne,
l’autre à Lorient, n’a pas rempli l’objet d’utilité qu’on en attendait, et
celui de Bayonne est devenu un entrepôt qui favorise le commerce des étrangers
aux dépens du nôtre. On se borne en ce moment à vous faire observer que deux
dispositions nouvelles, tant par une diminution dans le débit du tabac que par
les indemnités demandées et d’autres considérations, ont fait perdre au Roi
600,000 livres de rentes.
15° Les quatre deniers pour livre sur la vente des immeubles
sont perçus par les huissiers-priseurs, et au moyen d’une finance qu’ils ont
fournie ils n’en comptent point au Roi. Il paraît que cette finance n’est pas
proportionnée au produit actuel de ces droits, et l’on fait des offres à cet
égard qui produiront vraisemblablement une augmentation de revenu de 600,000
livres.
16° On n’a rien mis en compte pour les dons gratuits du
clergé; ce revenu, à compter des temps passés, équivaudrait à 3,200,000 livres,
en raison de 16 millions tous les cinq ans.
Les seize articles, Messieurs, dont on vient de vous donner
l’énumération, réunis aux 24 millions relatifs à l’accroissement certain du
produit des fermes et des régies, ne s’éloigneront pas, comme vous le verrez,
de la somme du déficit.
Quel pays, Messieurs, que celui où sans impôts et avec de
simples objets inaperçus on peut faire disparaître un déficit qui a fait tant
de bruit en Europe !
Supposant néanmoins que dans le nombre des dispositions
propres à établir la balance entre les revenus et les dépenses fixes, une
partie ne vous parût pas convenable, ce serait le moment de faire observer,
Messieurs, que si les deux ordres privilégiés, renonçant à leurs privilèges,
concouraient au payement des charges de l’État de la même manière que les
autres sujets du Roi, et si les princes eux-mêmes offraient de résilier les
abonnements consentis avec eux pour les vingtièmes, on pourrait
vraisemblablement élever les impositions de 10 à 12 millions, et il n’en
résulterait point d'augmentation pour les contribuables.
On prévoit encore plusieurs dispositions économiques, dont
les unes exigeraient un remboursement, d'autres le choix d'un moment favorable,
d'autres le loisir nécessaire pour s'en occuper particulièrement ; mais il
existe aussi quelques sacrifices convenables à faire : on doit deviner que MM.
les députés du tiers-état désireront vraisemblablement l'abolition du franc
fief ; il est payé par les particuliers qui achètent des biens seigneuriaux,
sans être en possession des prérogatives de la noblesse. Quel intérêt auraient
les ordres privilégiés à s'opposer à l'abolition d'une distinction pécuniaire
qui semble devoir être anéantie avec celles du même genre dont ils paraissent
disposés à faire un généreux abandon ? Le revenu du franc fief ne se monte qu'à
1,600,000 livres.
Enfin, Messieurs, il est peut-être des réductions, il est
peut-être des économies qui ont besoin, pour acquérir un caractère parfait de
justice ou de raison , d'être provoquées au nom.de l'Assemblée même de la
nation.
La recherche, l'examen de celles-ci, vous sont remis par un
effet de l'entière confiance de Sa Majesté dans votre sagesse et dans votre
circonspection.
On ne fait aucune mention ici, Messieurs, des réductions
dont les frais de recouvrement des impôts pourraient être susceptibles, parce
qu'elles dépendraient d'un nouveau système dans l'organisation de ces mêmes
impôts, et qu'elles serviraient alors à rendre ces changements plus avantageux
à la nation.
Le Roi aurait-il besoin, Messieurs, d'exposer les motifs qui
l'ont engagé à ne pas mettre la réduction des intérêts de la dette publique au
nombre des moyens propres à rétablir l'ordre dans les finances ? Le Roi
aurait-il besoin de justifier cette résolution au milieu des États généraux et
dans le sein delà nation la plus renommée par ses sentiments d'honneur ? Non,
sans doute. Tout engagement porte avec lui un caractère sacré ; et quand cet
engagement a été pris par le souverain, par le chef et le gardien des droits
d'une grande nation ; quand il a été pris, en grande partie, pour subvenir aux
besoins extraordinaires d'une guerre nationale ; quand il a été pris pour
garantir les propriétaires de fournir des subsides qu'ils eussent été dans
l'impossibilité de payer ; enfin, quand cet engagement a été pris, n'importe
pour quel sujet, il doit être tenu.
Le souverain ne peut, d'une main, faire exécuter les
engagements des particuliers, et de l'autre briser les liens qu'il a contractés
avec ceux qui se sont fiés à sa parole, et à sa parole consacrée du sceau légal
connu et respecté jusqu'à présent.
Que de plus grandes précautions soient prises pour l'avenir,
le Roi le désire, le Roi le veut : mais à une époque si solennelle, où la
nation est appelée par son souverain à s'unir à lui, non pour un moment, mais
pour toujours ; à une époque où cette nation est appelée à s'associer en
quelque manière aux pensées et aux volontés de son Roi, ce qu'elle désirera
seconder avec le plus d'empressement, ce sont les sentiments d'honneur et de fidélité
qui animent Sa Majesté ; ce sont les sentiments sans lesquels il n'y a plus
d'harmonie entre les hommes que par la violence et par la contrainte.
Il ne faut donc pas qu'un manquement de foi vienne souiller
les prémices de la restauration de la France ; il ne faut pas que les
délibérations de la plus auguste des Assemblées soient marquées à d'autres
empreintes que celles de la justice et de la plus parfaite raison. Voilà le
sceau perpétuel des empires : tout peut y changer, tout peut y essuyer des
révolutions ; mais tant que les hommes viendront se rallier autour de ces
granits principes, il n'y aura jamais rien de perdu.
Ce sera un jour, Messieurs, un grand monument du caractère
moral de Sa Majesté, que cette protection accordée aux créanciers de l'État,
que cette longue et constante fidélité ; car en y renonçant, le Roi n'aurait eu
besoin d'aucun secours extraordinaire, et il n'aurait pas été soumis aux
diverses conséquences qui en sont résultées. C'est là peut-être un des premiers
conseils que les aveugles amis de l'autorité , que les Machiavels modernes
n'auraient pas manqué de lui donner.
Sa Majesté trouve bien plus de grandeur et de satisfaction à
s'unir à vous, Messieurs, pour consacrer les principes immuables de la justice
et de la probité : elle trouve plus de satisfaction à les respecter, qu'elle ne
pourrait en recueillir dans toutes les jouissances de la pompe du trône, et
dans l'exercice illimité d'une autorité qui perdrait de son prix, si elle
n'était destinée à maintenir la justice et à la défendre contre toutes les
sortes d'atteintes.
Enfin, Messieurs, la puissance politique de la France est
étroitement unie à la conservation de ces principes. Les dépenses d'une guerre
sont devenues immenses , depuis qu'il faut couvrir toutes les mers pour se
tenir sur la défensive, et depuis que des armées prodigieuses en nombre doivent
être mises en campagne pour se trouver en égalité avec les forces militaires
des autres nations de l'Europe.
Dans cet état de choses, il est absolument impossible de
soutenir de si grands efforts par des impôts extraordinaires : l'on doit
nécessairement se ménager les moyens d'obtenir des capitaux considérables en
échange d'un sacrifice annuel et modéré de la part des contribuables ; mais
cette ressource dépend essentiellement de la confiance, et la confiance dépend
de la fidélité du souverain.
Ainsi, Messieurs, la bonne foi, la politique, le -bonheur et
la puissance, tous les principes, tous les mobiles, tous les intérêts qui
touchent également le Roi et ses peuples , viennent plaider la cause des créanciers
de l’État et leur servir de défense.
Qu'il me soit permis encore de joindre aux motifs qui
embrassent le bonheur général d'une nation considérée collectivement et dans
toute sa durée, le motif plus touchant peut-être encore du bonheur des
individus dont l'existence passagère n'est que plus digue de soin et de
compassion : je parle surtout de ces hommes du peuple que la crainte de
l'indigence a rendus laborieux, et qui, dans l'abandon d'une douce confiance,
ont déposé entre les mains de leur Roi, à l'abri de sa probité et de son amour,
le fruit des travaux pénibles de toute leur vie, et l'espoir longtemps acheté
de quelque repos dans les jours de la vieillesse et des infirmités qui
l'accompagnent ; car tel est un grand nombre de créanciers de l'État.
Je n'essayerai pas de peindre le désordre et la douleur qui
résulteraient de leur attente si cruellement trompée ; il est des maux assez
grands, même en perspective, pour qu'on n'ose les fixer par la pensée, et la
crainte qu'ils inspirent semble être le garant de leur impossibilité.
Il reste encore une question à examiner. Ne pourrait-on
faire une distinction entre les divers titres de créance, et réduire ensuite
les emprunts dont les conditions auraient été favorables aux prêteurs ?
Vous verrez , Messieurs, que l'utilité de cette opération
n'aurait aucune proportion avec les inconvénients qui résulteraient d'une
atteinte donnée aux principes universels de bonne foi nationale et aux bases si
importantes de la confiance publique. On ne sait où l'on peut s'arrêter quand
on se permet de discuter les circonstances d'un engagement simple ; et comme
tout ce qui est soumis à une opinion arbitraire ne présente à l'esprit aucune
circonscription positive, on forcerait les prêteurs à mettre à l'avenir, au
rang de leurs calculs, le risque d'une pareille inquisition ; l'intérêt de
l'argent se ressentirait de ce nouveau genre de danger , et l'État rachèterait
longtemps le bénéfice d'un jour, bénéfice même très-modéré, si l'on voulait
dans l'examen observer les principes d'une raisonnable équité.
On ne peut se former à l'avance une juste idée des avantages
que l'État pourra tirer non-seulement de la hausse excessive du prix des fonds
publics, mais encore de la tranquillité, de l'assiette, s'il est permis de
s'expliquer ainsi, de toutes les imaginations relativement à la dette publique.
Cette dette est si immense que la disproportion entre la
valeur numéraire des fonds publics et la rente annuelle qui s'y trouve attachée
influe d'une manière immédiate et décisive sur le prix général de l'intérêt de
l'argent, et il résulte de cet objet de comparaison que l'agriculture et le
commerce ne trouvent point de secours , ou sont obligés de les acheter à des
conditions que les bénéfices ordinaires de ces exploitations ne permettent pas
d'accepter.
Enfin, les inquiétudes, les incertitudes au moins des
propriétaires de fonds publics sur les facultés du trésor royal et sur la
constance des principes du gouvernement, entretiennent une vacillation
continuelle dans le prix des fonds, et cette vacillation est augmentée par
l'influence de tous les bruits, de toutes les fausses nouvelles, de toutes les
insinuations insidieuses et de toutes les manœuvres de l'agiotage. Mais cet
ascendant, ce pouvoir qu'on obtient si facilement sur l'imagination, quand elle
erre au hasard et ne sait à quoi se fixer, ce pouvoir s'affaiblira
successivement si les propriétaires des fonds publics acquièrent enfin une
opinion certaine sur le sort de leurs créances, et si les principes de fidélité
consacrés dans une Assemblée nationale leur servent à jamais de garants.
Il résultera encore un grand avantage de cette stabilité
dans les opinions, c'est que le commerce des fonds publics cessant
graduellement de présenter un spectacle de révolutions, tout l'argent qui
environne cette table de jeu cherchera quelque autre emploi ; le commerce et
l'agriculture y gagneront, et l'esprit immoral qui est l'effet inévitable d'une
cupidité active et journalière perdra peu à peu de sa force.
C'est ainsi, Messieurs, qu'une grande suite, qu'une grande
diversité d'avantages résulteront nécessairement du premier principe de
fidélité que vous consacrerez. Bel et superbe apanage de la vertu publique et
particulière ; c'est la tige primitive et féconde d'où naissent une multitude
innombrable de ramifications qui produisent avec le temps des fruits
salutaires.
Oui, Messieurs, et vous l'entendrez avec intérêt dans un
discours commandé par votre souverain et qui a reçu la sanction de son autorité
: il n'y a qu'une seule grande politique nationale , qu'un seul principe
d'ordre, de force et de bonheur, et ce principe est la plus parfaite morale ;
c'est en s'en écartant qu'on est obligé de changer de guide à chaque instant,
et qu'on prend pour de l'habileté l'art de se tirer d'une difficulté que
soi-même on a fait naître, et le talent d'en créer de nouvelles qui exigeront
encore de nouveaux ressorts et de nouveaux expédients, tandis que dans
l'exercice d'une honnêteté et d'une fidélité parfaites, tout s'enchaîne
aisément, tout se tient, tout se lie, tout annonce que ce beau système moral
est l'ouvrage chéri de l'Être suprême ; il ressemble au mouvement régulier de
tous les corps physiques, qui s'élève, s'accroît, se fortifie sans effort et
sans confusion, et ne s'arrête ou ne s'interrompt que lorsque les vents ou les
orages viennent détruire ses lois et s'opposer avec violence à sa marche simple
et réglée.
On ne pourrait défendre la cause des pensionnaires d'une
manière aussi générale que celle des créanciers de l'État, puisque la
distribution des grâces et des récompenses, n'ayant pas été constamment
assujettie à des principes fixes, est plus susceptible d'erreur et de critique.
Cependant, Messieurs, vous penserez au moins que le Roi ayant fait, il y a un
an, une réduction de 5 millions sur cette partie des dépenses, ce n'est pas
d'une manière rapide ni générale qu'on peut y chercher une nouvelle ressource. Le
Roi écoutera vos observations à cet égard, et vous fera donner les
éclaircissements que vous pourrez désirer ; vous verrez, et avec peine
peut-être, en vous occupant uniquement d'économie, que la plus grande partie de
la dépense des pensions est. répartie en portions modiques au soulagement des
militaires ou d'autres serviteurs de l'État, et que les titres de ces pensions
pour les uns, l'ancienne habitude pour les autres, exigent du respect ou du
ménagement.
Les considérations qui viennent au nom de l'humanité appuyer
les droits d'une ancienne possession ne sont pas applicables à l'avenir ; aussi
Sa Majesté avait-elle ordonné aux divers départements d'observer, pour les
nouvelles demandes de grâces pécuniaires, une mesure proportionnée à la moitié
des extinctions ; cette mesure serait peut-être moins susceptible d'erreur ou
de contestation, en déterminant la somme numéraire des pensions qui seraient
accordées-chaque année. Le roi , Messieurs, a toujours adopté avec goût et avec
estime les dispositions d'ordre qui lui étaient proposées, et Sa Majesté désire
ardemment que vous puissiez, en relevant les idées d'honneur patriotique,
augmenter les prix des récompenses qui ne coûtent rien au trésor royal, qui ne
font point verser de larmes au peuple, et qui n'ont reçu d'atteinte dans
l'opinion que par ces mésalliances de sentiments qui ont réuni trop souvent le
désir public des distinctions et l'amour secret de l'argent.
C'est un grand point sans doute que de pouvoir considérer la
possibilité de couvrir le déficit annuel, le déficit dont on se formait une
idée effrayante, sans avoir besoin de recourir à aucun moyen injuste ou sévère,
à aucun moyen surtout qui dérange le sort du peuple ; mais la tâche dont il est
nécessaire de s'occuper n'est pas encore remplie. L'établissement d'un juste
équilibre entre les revenus et les dépenses fixes est sans contredit l'objet le
plus essentiel, puisque, de cette manière, non seulement on remédie à un grand,
mal, mais on arrête encore ses progrès. En effet, la nécessité de suppléer par
des emprunts au déficit habituel augmente annuellement es déficit ; et ce
progrès devient considérable lorsque la mesure du crédit oblige de souscrire à
des intérêts onéreux. Ce sera un grand moment de repos ; ce sera un beau jour
d'espérance que celui où les revenus et les dépenses fixes de l'État se
trouveront au niveau : c'est d'une base ainsi posée, c'est d'un sol ainsi
raffermi, que l'on pourra contempler avec calme tout ce qu'il reste encore à
faire pour achever de donner aux finances de l'État leur entière activité, et
pour établir dans toutes les parties un ordre parfait et durable.
Supposons maintenant qu'au moyen d'un choix quelconque
d'économies et de ressources nouvelles, les revenus et les dépenses fixes de l'État
soient mis dans un juste équilibre, vous aurez encore à fixer votre attention
sur trois questions très-importantes, et qui ont aussi leur difficulté :
Premièrement, comment doit-on remplir les besoins de cette
année, et suppléer aux dépenses extraordinaires de 1790 et 1791 ?
Secondement, quelle est l'étendue des anticipations ?
Troisièmement, quels moyens devront être adoptés pour avoir
une somme applicable à des remboursements ?
Examinons d'abord la première de ces questions.
ANNÉE COURANTE.
On mettra sous vos yeux, Messieurs, l'état spéculatif des
dépenses et des revenus libres de cette année. Vous verrez qu'en comptant sur
le renouvellement d'anticipations le plus vraisemblable, il faudrait un secours
extraordinaire de 80 millions. On vous proposera les emprunts ou les ressources
qui vous paraîtront le plus convenables, et cependant, Messieurs, vous
remarquerez avec satisfaction que l'intérêt de l'emprunt nécessaire pour
balancer les besoins de l'année est compris à l'avance dans le compte des
revenus et des dépenses fixes dont on vous a déjà donné connaissance, en sorte
que cet intérêt n'augmentera point le déficit.
On doit vous faire observer que le secours nécessaire pour
cette année ne se monterait pas si haut, si jusqu'au 31 décembre l'on réduisait
chaque semaine les fonds destinés aux payements de l'Hôtel-de-ville à la même
somme qui y a été destinée depuis quelque temps ; mais on ne peut équitablement
exiger des rentiers une plus longue indulgence, et vous trouverez sûrement
juste, Messieurs, que les six derniers mois de 1788, dont le payement s'ouvrira
dans le cours de ce mois, soient acquittés en entier à la fin de cette année,
et que les rentes soient payées désormais avec la plus parfaite exactitude.
Vous remarquerez, cependant, Messieurs, que si le Roi se
borne à faire acquitter d'ici à la fin de l'année le dernier semestre de
l'année 1788, et s'il ne paye ensuite que six mois tous les six mois, il y aura
constamment un semestre en arrière. L'État aurait donc obtenu de la part des
rentiers un sacrifice ou du moins une facilité d'environ 75 millions, puisque
la totalité des intérêts payables à l'Hôtel-de-ville se monte aujourd'hui à
environ 150 millions.
Ces six mois de retard pour les rentes viagères seront dus
et payés à la mort des rentiers, ce qui réduira le bénéfice réel des
extinctions à environ moitié pour l'année seulement où ces extinctions
surviendront ; et enfin si le temps augmente la richesse de l'État, vous aurez
à examiner, Messieurs, s'il convient de faire un emprunt extraordinaire pour
acquitter plus tôt le semestre en arrière. Mais à en juger par l'esprit de
douceur et de conciliation avec lequel les rentiers se sont prêtés depuis près
d'un an aux circonstances pénibles de la finance, il est à présumer qu'à
l'époque où la nation entière assurera le payement de leurs intérêts de la
manière la plus exacte et, la plus invariable, ils ne regretteront pas d'avoir
concouru dans quelque chose à la diminution des embarras présents : ils ne
sauraient calculer ce qu'ils auraient perdu, si le désordre s'était mis dans
les affaires, et si le progrès du discrédit avait affaibli sensiblement la
valeur de leurs capitaux.
Je crois même qu'ils ne seront pas jaloux d'un sacrifice que
le Roi voudrait faire en même temps au soulagement des contribuables, et qu'il
est nécessaire de vous expliquer :
Il est dû par les peuples de grands arrérages sur la taille,
les vingtièmes et la capitation ; et vous en jugerez, -Messieurs, si vous
faites attention que la recette annuelle des recouvrements est composée en
général de trois cinquièmes à peu près appartenant à l'année courante, et de
deux cinquièmes provenant des impositions relatives à l'année antécédente,
disposition qui jette beaucoup d'embarras et d'obscurité dans les comptes ; ces
deux cinquièmes, quoique légitimement dus au Roi, sont constamment en arrière,
et servent seulement de motif pour resserrer de temps à autre le payement des
contributions et procurer ainsi un secours extraordinaire au trésor royal de 3
ou 4 millions : vous en avez vu. l'exemple, Messieurs, dans le compte des
recettes extraordinaires de l'année dernière.
Le Roi, Messieurs, avec votre avis, voudrait faire remise
entière à son peuple de tous ces arrérages qui se montent à environ 80
millions, sous la condition néanmoins qu'à l'avenir chaque année d'imposition
serait payée dans le cours des douze mois qui la composent, en sorte que le
sacrifice du trésor royal consisterait dans une renonciation à la faculté
légitime qu'aurait le souverain d'user de ses droits à la rigueur, en faisant
payer, avec l'année courante, une portion quelconque des arrérages.
Vous examinerez, Messieurs, cette idée ; et si vous la
trouviez susceptible d'inconvénients, vous n'en rendriez pas moins hommage aux
intentions bienfaisantes de Sa Majesté.
Les besoins extraordinaires pour les années 1790 et 1791 ne
sont connus qu'imparfaitement, parce qu'ils dépendent en partie de liquidations
encore incertaines ; on vous en donnera l'indice général, et il y a lieu de
présumer que les extinctions viagères de l'année 1790 suffiront pour obtenir un
capital équivalant à ces dépenses passagères.
On doit cependant faire observer ici que la mesure des
besoins extraordinaires ne doit jamais être annoncée d'une manière positive,
puisque diverses circonstances imprévues peuvent accroître ces sortes de
dépenses.
On étendrait trop loin, Messieurs, ce premier discours, si
l'on vous présentait toutes les explications que chaque partie séparée pourrait
exiger ; elles vous seront données dans le cours de vos travaux. Ce qui importe
le plus dans ce moment, c'est de vous présenter un enchaînement qui facilite
votre marche, et vous empêche de perdre du temps en cherchant une route dans un
pays encore nouveau pour le plus grand nombre des membres de cette Assemblée.
À l'avenir, et lorsque les comptes de finance auront été
soumis à une forme simple et très-intelligible, à une forme surtout rendue
constante et invariable, vous n'aurez besoin d'aucun secours de la part de
l'administration des finances, et ce sont les États généraux eux-mêmes,
Messieurs, qui conserveront la filiation de toutes les connaissances, de toutes
les instructions qui pourront répandre une parfaite clarté sur les finances en
général et sur toutes les parties qui en dépendent.
Cette clarté, ce grand jour, seront le plus sûr appui de la
confiance publique ; et l'intention du Roi est que ses ministres secondent sans
réserve le désir que vous aurez, Messieurs, de tout connaître et de tout
entendre, car un esprit de critique ne sera point votre guide, et vous ne
chercherez point la perfection pour le plaisir de rabaisser les soins de
l'administration, mais pour faire jouir la France de l'avantage incommensurable
qui peut naître de la réunion de vos lumières.
Il est bien aisé de trouver quelque erreur ou quelque
omission dans le vaste ensemble dont on mettra sous vos yeux toutes les parties
; ni l'ordre, ni la méthode, ni les recherches préalables absolument
nécessaires n'ont coûté de peines à ceux qui en deviennent les juges ; et leur
esprit en repos, pendant qu'ils parcourent tout ce qui est bien, a d'autant
plus de moyens pour saisir avec activité les fautes qui ont pu échapper à
l'attention de l'ouvrier général. Mais peu importe après tout ; vous irez en avant
vers le but qui intéresse le bonheur public, de telle manière qu'il vous plaira
; et pourvu que vous approchiez de ce terme, toutes les autres considérations,
toutes les particularités deviennent indifférentes.
On a fixé votre attention sur les moyens propres à établir
le niveau entre les revenus et les dépenses fixes et sur les ressources qu'on
peut employer pour subvenir aux besoins extraordinaires dont on vous a donné
connaissance. Il reste encore deux parties importantes dans la gestion des
finances : l'une concerne les anticipations ; l'autre les remboursements.
ANTICIPATIONS.
L'on entend par anticipations la partie des revenus du Roi
qui s'y consomme à l'avance. Cette disposition s'effectue au moyen de
rescriptions et d'assignations qui sont tirées communément à un an de terme sur
les impositions payables à cette distance, et l'on négocie ces différents
papiers en accordant le bénéfice d'un intérêt et d'une commission ; c'est là ce
qui constitue la dépense annuelle des anticipations, dépense proportionnée à
l'étendue de la somme empruntée sous cette forme. Une telle dépense subsistera
tant que les anticipations seront renouvelées : il faudrait donc, pour la faire
cesser, destiner un fonds extraordinaire à l'amortissement du capital.
La facilité de négocier et de renouveler ces anticipations
dépend absolument de la continuation du crédit, et quand ce crédit s'affaiblit,
on est obligé de chercher d'autres ressources : ainsi le grand inconvénient des
anticipations, entre plusieurs autres, c'est de ne laisser jamais une entière
sécurité.
Les anticipations qui portent sur l'année 1790 se montent à
90 millions, mais il y a 172 millions consommés à l'avance sur les revenus des
huit derniers mois de cette année. On se propose, et par prudence et par
nécessité, de réduire le renouvellement de cette partie des anticipations à 100
millions, et c'est essentiellement par ce motif qu'un nouveau secours de 80
millions est nécessaire, ainsi qu'on vous l'a expliqué, Messieurs, en vous
entretenant des besoins particuliers à l'année courante.
On n'est jamais sûr, Messieurs, du renouvellement des
anticipations ; ainsi, tant qu'elles ne seront pas bornées à une somme qui
rende leur négociation à l'abri d'incertitude, on pourrait se trouver dans
l'obligation de recourir à un emprunt inattendu. Cet emprunt, à la vérité, ne
diminuerait pas les revenus du Roi, puisqu'il remplacerait une somme
d'anticipation dont l'intérêt et les frais font partie des charges de l'État,
ainsi que vous aurez pu le remarquer dans le tableau des dépenses fixes.
On dira peut-être que le moyen le plus simple serait de
convertir toutes les rescriptions et toutes les assignations à terme en des
effets portant 5 % d'intérêt, jusqu'à l'époque éloignée où l'on pourrait en
faire le remboursement, et cette, opération s'appelle, en langage de finance,
suspendre les rescriptions.
Une telle disposition sans doute affranchirait de tous les
embarras, et entre toutes les manières de déroger à ses engagements, ce serait
peut-être la plus tolérable. Mais pourquoi manquer à aucun, si l'on peut éviter
cette faute, ce malheur, cette honte, et si on le peut sans blesser même les
intérêts communs de l'État ! Ah ! sans doute, une si honorable Assemblée
préférera toujours les moyens les plus exempts de reproche, et l'exercice d'une
bonne foi sans tache, à des expédients dont le principe est infiniment
dangereux.
On ne doit pas douter que, si les anticipations étaient une
fois réduites à 100 millions, elles se négocieraient avec une extrême facilité
et à un intérêt très-modéré ; car ces sortes de placements sont fort
recherchés, et ils conviennent même à l'activité de la circulation ; c'est un
moyen de ne pas laisser oisifs, pendant un long intervalle, les capitaux dont
le propriétaire veut disposer à un terme fixe.
REMBOURSEMENTS.
Les remboursements ne sont portés dans aucun des tableaux
qu'on vous a présentés ; ils ont été suspendus par l'arrêt du conseil du 16
août dernier ; ainsi on ne les a compris ni dans la classe des dépenses fixes,
ni dans celle des dépenses extraordinaires de cette année.
Cependant il est juste, il est utile de revenir sur cette
suspension dans une mesure quelconque.
Les remboursements, tels qu'ils existaient avant la
suspension ordonnée par le Roi, se montaient à 76,502,367 livres, et ils
devaient s'élever un peu plus haut cette année, suivant l'accroissement indiqué
par les arrêts ou les édits de création de plusieurs emprunts.
Il est manifeste que, dans la situation présente des
affaires, l'État ne pourrait exécuter des remboursements si considérables, sans
recourir à des contributions au-dessus des facultés du peuple.
On ne proposerait pas sans doute de balancer ces
remboursements par de nouveaux emprunts ; il faudrait, pour employer cette
ressource, se soumettre à des négociations très-onéreuses, et dont l'intérêt
accroîtrait graduellement l'embarras des finances et la charge des peuples.
Les capitalistes ont eux-mêmes un grand intérêt au
ménagement des contribuables, car toutes les fois que les ressorts d'un
gouvernement sont trop tendus, toutes les fois que les tributs se payent avec
peine, il règne dans toutes les affaires une gêne qui répand une inquiétude
générale, et qui altère le prix des fonds publics ; cependant c'est par la
vente de ces fonds à des conditions convenables, que les propriétaires trouvent
à chaque instant l'argent dont ils ont besoin, et ce genre de remboursements,
auquel chacun a recours selon sa volonté, est pour les particuliers le plus
commode de tous.
Il est important néanmoins, et pour diminuer insensiblement
la dette publique, et surtout pour accroître le crédit si nécessaire à un grand
empire, de destiner annuellement une somme quelconque à des extinctions ; et Sa
Majesté vous consulte, Messieurs, sur la fixation de cette somme et sur le choix
des moyens les plus propres à l'assurer invariablement.
Les extinctions graduelles des pensions et des rentes
viagères, les augmentations qui arrivent naturellement dans le produit de tous les
droits sur les consommations et les économies dont les dépenses fixes seraient
graduellement susceptibles, pourraient être versées dans la caisse
d'amortissement, et de cette manière le registre de cette caisse servirait à
indiquer distinctement les améliorations qui surviendraient dans l'état
ordinaire des finances.
Les divers moyens, Messieurs, qui vous ont été indiqués pour
couvrir la différence entre les revenus et les dépenses fixes excédant la
mesure de ce déficit, il faut attendre le résultat de vos examens pour
apprécier la quotité de superflu qui serait applicable à des remboursements. Il
est nécessaire aussi de savoir l'étendue de la somme que vous jugeriez
convenable de destiner à l'amortissement de la dette publique, avant de mettre
sous vos yeux une notice des ressources extraordinaires que de nouveaux impôts
pourraient procurer. Ou vous en indiquera, Messieurs, qui ne seraient point à
charge au peuple ; et quand vous le désirerez, on vous les fera connaître.
Il n'est pas douteux que plus on veut élever haut la somme
des remboursements, et plus on hâte la libération de l'État ; mais il ne faut
pas désunir cette considération importante des ménagements dus aux
contribuables et de l'appréciation des circonstances actuelles. L'objet le plus
instant, c'est de subvenir aux dépenses fixes, afin de prévoir avec certitude
l'époque rapprochée où l'on n'aurait plus besoin de faire aucun emprunt ; car
rembourser et emprunter en même temps sont deux dispositions qui se contrarient,
à moins que les emprunts ne soient faits à un intérêt inférieur à celui des
capitaux qu'on éteint. Ce temps arrivera, et peut-être bien vite, si les États
généraux adoptent les mesures qu'on peut attendre de leur sagesse, et si la
confiance publique est excitée par cette harmonie, par cet ensemble qui
rassurent les esprits et pour le moment présent et pour l'avenir.
La caisse d'amortissement une fois constituée et ses fonds
assurés, il resterait encore à déterminer ses opérations et à fixer l'ordre des
remboursements ; mais vous approuverez sûrement, Messieurs, que ces questions
ne soient pas traitées dans ce moment, car on vous détournerait ainsi du cours
des idées qui doivent fixer principalement votre attention.
DETTES EN ARRIÈRE.
Ces dettes doivent être divisées en deux classes, celles
dont le payement est indispensable et celles dont le payement peut être
différé. Nous rangerons dans la première tous les remboursements auxquels le
Roi s'est engagé envers des étrangers, pour des emprunts faits dans leur pays ;
c'est un contrat d'un genre particulier, qui ne peut être soumis aux
conventions nationales. Ces emprunts sont peu considérables ; on en a porté
l'intérêt dans le compte des dépenses fixes, et leur remboursement dans les
dépenses extraordinaires de cette année et des suivantes.
Une seconde partie des dettes en arrière concerne quelques
arrérages dus par les départements actifs de la guerre et de la marine. La
portion de ces arrérages dont le payement ne peut être retardé sans injustice,
ou sans nuire au service du Roi, sera pareillement portée dans le compte des
besoins extraordinaires pour les années 1789 et 1790.
Enfin, il y a eu de tout temps quelquefois un et deux ans en
arrière sur les gages, les appointements et les intérêts dus par le Roi ; et
selon le degré d'aisance du trésor royal, ces payements ont été avancés ou
retardés. Les arrérages de ce genre ne coûtent aucun intérêt, et l'on se borne
généralement à désirer de toucher exactement une année chaque année. Ainsi, il
suffit de comprendre dans les dépenses fixes la partie de ces arrérages que la
mort des propriétaires rend nécessairement exigible.
C'est ici l'occasion de rappeler qu'il existe aussi des
créances à recouvrer par le Roi, lesquelles, à cause de l'incertitude de leur
rentrée, n'ont été portées dans aucun compte. On a formé l'état des objets les
plus liquides, et les recouvrements que l'on pourra faire sur ces créances
serviront à diminuer la somme des besoins extraordinaires pour cette année et
les suivantes.
Permettez maintenant, Messieurs, qu'on vous présente une
récapitulation abrégée des points successifs qui doivent fixer votre attention,
en vous livrant à l'examen de l'état des finances. C'est par de l'ordre et de
la méthode que le gouvernement doit principalement vous seconder, afin de vous
mettre ainsi plus promptement à portée d'appliquer au bien de l'État vos idées
et vos réflexions. Cet ordre, cette méthode, si utiles et si secourables dans
toutes les affaires, paraissent surtout nécessaires à une époque où pour la
première fois depuis longtemps on vient de toutes les parties du royaume
s'occuper des finances du plus grand empire de l'Europe.
Voici donc, Messieurs, un résumé précis des divers examens
que vous aurez à faire :
1° Examen de l'état des revenus et des dépenses fixes ;
2° Examen des moyens les plus propres à rendre facile et
distincte en tous les temps la connaissance de l'état des finances ;
3° Examen des économies et des améliorations qui peuvent
servir à rapprocher la somme des revenus fixes de celle des dépenses fixes ;
4° Examen des ressources nouvelles qui peuvent mettre au
niveau les revenus et les dépenses fixes ;
5° Examen des besoins extraordinaires de cette année et des
ressources qui peuvent y correspondre ;
6° Examen des besoins extraordinaires et prévus pour l'année
prochaine ou la suivante, et des moyens qui peuvent y subvenir facilement ;
7° Examen particulier de l'étendue des anticipations, de
leur nature, de leur dépense, et des dispositions les plus propres à rendre ce
genre d'emprunt économique et à délivrer des inquiétudes qu'il occasionne ;
8° Examen de la constitution d'une caisse d'amortissement et
de ses rapports avec la netteté et la clarté des comptes de finance ;
9° Examen des améliorations successives, soit en
augmentation des revenus annuels, soit en diminution des dépenses annuelles,
qui peuvent composer naturellement le fonds d'amortissement ;
10° Examen des fonds extraordinaires qui peuvent être
destinés à la caisse d'amortissement ;
11° Examen et choix des portions de la dette publique dont
l'extinction serait la plus utile, et à laquelle il faudrait destiner les
premiers fonds d'amortissement ;
12° Examen des dettes en arrière et de leurs différentes
natures.
Il est temps , Messieurs, de fixer votre attention sur un
objet de la plus haute importance. Je suppose l'ordre rétabli dans les finances
d'une ou d'autre manière ; il faut que cet ordre soit maintenu ; il faut,
autant qu'il est possible, le mettre à l'abri des erreurs et des fautes de tous
les ministres, de tous les agents auquel le souverain d'un grand empire est
dans la nécessité de se confier.
Tel est expressément le désir, le vœu personnel de Sa
Majesté. Et, me sera-t-il permis de le dire en sa présence, jamais prince ne
fut porté davantage par son caractère, ses mœurs et ses vertus, au maintien de
l'ordre et d'une sage économie ; et cependant il a vu son repos et son bonheur
troublés par la dégradation de ses finances. Sans doute, la guerre dans
laquelle il a été entraîné par des circonstances particulières et par le vœu
national a contribué principalement aux embarras des affaires ; mais ce vœu
national lui-même eût été plus éclairé, si l'on avait eu une connaissance qu'on
aura dorénavant, celle de la mesure et de la nature des ressources, celle des
inconvénients attachés aux grands besoins d'argent.
Que de maux seront prévenus, que de biens pourront naître
d'une instruction générale et constante sur l'état des finances, d'un intérêt
intime et commun à leur prospérité, et des soins que vous prendrez de concert
avec Sa Majesté, pour donner à l'ordre et à l'accord de toutes les précautions
une stabilité durable ! L'affectation particulière de certains revenus à
certaines dépenses, la distinction des dépenses extraordinaires, la publicité
annuelle des comptes, leur révision dans une forme convenue, la netteté de ces
comptes, les précautions, les réserves qui pourront s'accorder avec la dignité
royale et l'action nécessaire du service public, enfin tout ce qui pourra
constituer d'une manière sage et durable la ; confiance publique et le bien de
l'État , Sa Majesté vous invite à en faire l'étude et la recherche, et elle
écoutera favorablement les représentations qui lui seront faites et les
indications qui lui seront données sur cette grave et importante matière.
Réunissons-nous, Messieurs, le Roi le permet,
réunissons-nous pour arranger les choses de telle manière que l'homme le plus
ordinaire soit en état à l'avenir de gouverner les affaires du trésor royal, et
que l'homme le plus habile ne soit jamais dangereux.
Lorsque vous aurez examiné , Messieurs, la situation des
finances dans son ensemble et dans ses divisions principales, et ensuite, si
vous le voulez, dans ses plus petits détails, vous vous hâterez sûrement de
concourir aux moyens qui peuvent introduire un parfait équilibre entre les
revenus et les dépenses fixes ; car, ainsi que nous l'avons déjà montré, plus
cet équilibre sera retardé et plus le mal fera de progrès ; car le déficit
exige des emprunts, les intérêts augmentent le déficit, et le prix de ces intérêts
s'accroît avec la multiplication des emprunts.
Vous verriez d'une manière évidente la preuve de ces
vérités, si l'on formait le recueil de tous les moyens dont on a fait usage
pour subvenir en divers temps aux besoins de l'État.
Je ne puis m'empêcher de m'arrête run moment sur un principe
consacré, dit-on, dans les instructions de plusieurs bailliages. Les
arrangements de finance, le consentement aux dispositions nécessaires pour y
rétablir l'ordre, sont indiqués comme un objet secondaire, et qui doit être
précédé de toutes les concessions et de toutes les assurances de la part du
Roi, qui peuvent satisfaire le vœu de la nation. De telles conditions
n'arrêteront point le cours des affaires, puisque vous ne demanderez rien sans
doute qui ne soit conforme à la raison, et que personne dans l'État ne veut
plus le bonheur des Français que notre auguste monarque ; mais vous n'oublierez
pas en même temps que les besoins des finances ne sont pas distincts des
vôtres, que c'est proprement une , seule et même chose, puisque les dépenses
qui ; servent à la défense et à la police du royaume, celles qu'exige la
justice due aux créanciers de l'État, celles qu'entraînent les récompenses
décernées à des services réels, celles même que demande l'éclat du premier
trône de l'Europe, toutes ces dépenses et d'autres encore concernent la nation
comme le monarque.
Enfin, Messieurs, et il est bon de vous le faire observer,
afin que vous aimiez encore davantage votre auguste monarque, ce n'est pas à !a
nécessité absolue d'un secours d'argent que vous devez le précieux avantage
d'être rassemblés par Sa Majesté en États généraux. En effet, le plus grand
nombre des moyens qui vous ont été présentés comme propres "à combler le
déficit a toujours été dans la main du souverain. Il est vrai que plusieurs des
impôts actuels exigent depuis longtemps un renouvellement à de certaines
époques ; mais si l'embarras des finances se fût borné à ce renouvellement,
personne ne l'eût compté au nombre des difficultés réelles ; et en supposant,
si l'on veut, des contrariétés invraisemblables, combien de ressources ne
seraient pas restées à l'autorité, si le Roi, uniquement inquiet de la
situation de ses finances, eût voulu suivre la route que plusieurs de ses
prédécesseurs lui avaient tracée, et s'affranchir en tout ou partie des
différentes charges dont la libération eût augmenté considérablement la
richesse du trésor royal ? vous en jugerez de même, Messieurs, si vous faites
attention que dans le compte des dépenses fixes il reste encore :
1° Vingt-neuf millions en pensions ;
2° Huit à dix millions en traitements militaires et civils,
tous susceptibles de diminution, ne fut-ce qu'en se laissant aller jusqu'à
cette extrême rigidité où ceux qui ont des emplois préfèrent la réduction la
plus rigoureuse à la perte-de leur état ;
3° Sept millions environ eu remises accordées aux provinces
et aux contribuables, remises nécessaires au soulagement des peuples, mais qui sont
toujours, aux termes des lois, un don libre du souverain.
4° Je ne parle pas de la faculté que le Roi aurait eue d'assujettir
à une retenue quelconque la totalité dos rentes ou des intérêts dont l'État est
grevé ; mais je fais observer seulement qu'on a imposé autrefois un dixième sur
tous ces payements sans éprouver aucun obstacle, sans exciter aucun trouble ;
et une pareille opération eût soulagé les finances du Roi de près de 20
millions par an.
5° Je ne fais pas entrer dans cet aperçu les sommes
destinées volontairement à des actes de bienfaisance, puisqu'un Roi qui
renoncerait au pouvoir de secourir les malheureux perdrait le plus bel apanage
et la plus grande jouissance de la souveraineté.
Enfin, si le crédit s'était rétabli, le Roi aurait trouvé
dans l'extinction annuelle de 1,500,000 livres de rentes viagères le moyen
d'emprunter et de dépenser 20 ou 30 millions tous les ans, sans altérer les
rapports entre les revenus et les dépenses ordinaires.
Ainsi, tandis que la France, tandis que l'Europe entière
attribue la convocation des États généraux à la nécessité absolue, au besoin
inévitable d'augmenter les impositions, l'on voit par ce résumé précis qu'un
Roi jaloux uniquement de son autorité aurait trouvé dans les retranchements
soumis à sa puissance ou à sa volonté un moyen de suffire aux circonstances et
de se passer de nouveaux tributs.
C'est uniquement en temps de guerre que les embarras des
finances surpassent l'étendue des ressources ou des expédients de tout genre
dont on pourrait faire usage, et dont les règnes précédents ont donné
l'exemple. Il faut pendant la guerre un crédit immense, et ce crédit ne se
commande point ; mais au milieu de la paix un Roi de France qui se permettrait
d'exécuter tous les retranchements de rentes, d'intérêts, de pensions,
d'appointements, d'encouragements, de secours, de remises, et d'autres dépenses
de ce genre, dont le tableau de ses finances lui donnerait l'indication, ne se
trouverait jamais environné de difficultés d'argent qu'il n'eût la puissance de
franchir.
C'est donc, Messieurs, aux vertus de Sa Majesté que vous
devez sa longue persistance dans le dessein et la volonté de convoquer les États
généraux du royaume. Elle se fût tirée sans leur secours de l'embarras de ses
finances, si elle n'eût mis un grand intérêt à maintenir les droits de la
propriété, à conserver les récompenses méritées par des services, à respecter
les titres que donne l'infortune, et à consacrer enfin tous les engagements
émanés des souverains d'une nation fidèle à l'honneur et à ses promesses.
Mais Sa Majesté, constamment animée par un esprit de
sagesse, de justice et de bienfaisance, a considéré dans son ensemble et sous
le point de vue le plus étendu l'état actuel des affaires publiques ; elle a vu
que les peuples, alarmés de l'embarras des finances et de la situation du
crédit, aspiraient à un rétablissement de l'ordre et de la confiance qui ne fût
pas momentané, qui ne fût pas dépendant' des diverses vicissitudes dont on
avait t'ait l'épreuve. Sa Majesté a cru que ce vœu de la nation était parfaitement
juste ; et désirant y satisfaire, elle a pensé que, pour atteindre un but si
intéressant, il fallait appeler de nouveaux garants de la sécurité publique, et
placer, pour ainsi dire, l'ordre des finances sous la garde de la nation
entière. C'est alors en effet qu'on cessera de rapporter le crédit à des
circonstances passagères, c'est alors que les inquiétudes sur l'avenir ne
troubleront plus le calme et la tranquillité du présent ; c'est alors que
chacun s'estimera riche de tout ce qu'il possède en créances sur le Roi et sur
l'État ; c'est alors que les propriétaires innombrables de toutes les portions
de la dette publique seront en repos sur leur fortune, et se trouveront
disposés à venir au secours de la France quand ses dangers pourront le
demander.
Ainsi, Messieurs, la connaissance positive et indispensable
de la véritable situation des finances, l'établissement de l'ordre, la
certitude de sa permanence auront des effets incalculables. Qui serait assez
inconsidéré pour se priver de l'intérêt de ses fonds, quand cet avantage ne
serait acheté par aucune certitude ? Cependant cette simple détermination, si
elle avait lieu dans un royaume tel que la France, dans un royaume propriétaire
bientôt de 2 milliards et demi d'argent monnayé, produirait le mouvement le
plus prospère. Des capitaux immenses soigneusement renfermés, des capitaux
semblables en ce moment aux murs et à l'airain qui les environnent, ces
capitaux viendraient par un heureux retour enrichir la circulation et grossir
au milieu de nous ce flot de la richesse publique. Et qu'on se ligure l'époque
peut-être peu éloignée où l'exactitude des payements, la rareté des emprunts,
leur cessation absolue et l'action salutaire d'une caisse d'amortissement
réduiraient l'intérêt à 4 %, et forceraient à considérer ce prix comme le seul
auquel on doit aspirer. Alors, non-seulement les finances de l'État
s'amélioreraient par la réduction libre des intérêts les plus onéreux , mais un
effet plus important , c'est qu'une diminution générale dans le produit des
fonds publics rendrait des sommes considérables au commerce et à l'agriculture,
et leur procurerait sans efforts les secours les plus nécessaires,
l'encouragement le plus efficace.
Que l'on compare à tant d'effets salutaires, que l'on
compare à tant d'avantages le bénéfice qui résulterait d'un rabais injuste sur
les rentes légitimement dues, et l'on verra promptement laquelle des deux
politiques mérite la préférence.
C'est ainsi, je dois le dire encore, c'est ainsi que la
fidélité des engagements, c'est ainsi que la justice des rois entraînent une
multitude de dépendances qui toutes ont une intime relation avec la durée et la
prospérité des empires. Et sans ce principe de droiture qui doit servir de
guide dans toutes les déterminations, un prince, une nation même ne pourrait
suffire à l'administration des affaires publiques ; alors à chaque instant on
chercherait sa route, on irait en avant, on retournerait sur ses pas, on
s'égarerait en circuits et l'on se trouverait insensiblement dans un labyrinthe
de doutes et d'incertitudes. Oui, tout est personnel, tout est séparé, tout est
exception quand on abandonne ces deux grandes généralités, la morale publique
et la morale particulière.
Cependant, Messieurs, ce serait sans doute considérer les États
généraux d'une manière bien limitée, que de les voir seulement sous le rapport
de la finance, du crédit, de l'intérêt de l'argent et de toutes les
combinaisons qui tiennent immédiatement aux revenus et aux dépenses.
On aime à le dire, on aime à le penser, ils doivent servir à
tout, ces États généraux ; ils doivent appartenir au temps présent et aux temps
à venir ; ils doivent pour ainsi dire observer et suivre les principes et les
traces du bonheur national dans toutes ses ramifications ; ils doivent, après
avoir bien connu les principes de ce bonheur, s'appliquer à la recherche des
moyens qui peuvent l'effectuer et le rendre solide. Un vaste champ est encore
en friche, mais partout il promet des fruits salutaires.
Quel pays offrit jamais plus de moyens de prospérité ! quel
pays fit jamais naître plus d'encouragements et plus d'espérances ! La douce et
bienfaisante température du climat, un sol fécond et varié dans ses bienfaits,
des rivières navigables qui facilitent toutes les communications, des ports qui
dominent les deux mers, des colonies plus riches et plus fertiles que celles de
toutes les autres nations, des manufactures particulières, des établissements
de diverses natures dans l'intérieur du royaume ; des Français enfin,
c'est-à-dire des hommes exercés à tous les genres de travaux et propres à
toutes les tâches que le génie et la gloire peuvent imposer : aux arts polis de
la paix et aux fatigues de la guerre, au commerce et à la navigation, aux
pénibles labeurs de l'agriculture et aux studieuses recherches des sciences. Que
de matériaux, que d'instruments réunis pour élever un royaume au plus haut
degré de prospérité ! et quel moment encore est choisi dans la route des
siècles pour appeler la nation entière à construire, à affermir le majestueux
édifice du bonheur public ! C'est à une époque où les lumières générales
paraissent s'être approchées du dernier terme de leur perfection ; c'est à une
époque où les préjugés, où les restes d'une ancienne barbarie ne tiennent plus
que par des liens usés, affaiblis et tout prêts à se rompre ; c'est à une
époque où l'univers entier semble demander à la France, pour l'honneur et la
gloire de l'humanité, un noble et grand emploi des rares et singuliers
avantages dont elle est l'unique dépositaire ; c'est à une époque enfin où, par
un bonheur inappréciable, l'on voit assis sur le trône antique et révéré des
monarques français un prince que le ciel paraît avoir désigné pour favoriser
les efforts du génie national et de l'esprit de patrie. Il peut appeler les
représentants de ses sujets à venir le seconder dans ses augustes desseins,
parce qu'il a une idée juste de la véritable grandeur, parce qu'il sait, parce
qu'il sent que la gloire du monarque et le bonheur de ses peuples sont
inséparables, et que l'éclat d'un règne s'accroît par la splendeur du siècle où
il se trouve placé.
Enfin, les ministres du souverain se trouvent en ce moment
d'un caractère sage et tempéré ; ils ne sont égarés par aucun système, ils ne
sont emportés par aucune idée prédominante et ils s'estiment heureux de servir
sous un Roi qui ne sépare pas ses intérêts de ceux de la nation.
Que leur fallait-il donc de plus, diraient un jour les races
futures, si nous perdions de si favorables circonstances, que leur fallait-il
donc de plus pour fonder les bases du bonheur public et d'une inébranlable
prospérité ? Ah ! pensez-y bien, Messieurs, il est un concours d'événements qui
ne se retrouve jamais ; mais, pour en profiter, adoptez un esprit de mesure et
de sagesse, voyez un grand but et n'en détournez jamais vos regards ;
réunissez-vous autour de l'autel du bien public, afin de vous écarter de ce
dangereux loyer de prétentions rivales qui vous détourneraient d'un culte plus digne
de vous.
Échangez les petits intérêts particuliers contre cette
grande et majestueuse part à l'intérêt universel ; faites que le titre de
Français vous vaille plus de gloire et plus de profit que celui d'habitant de
telle province, de tel bailliage ou de tel ressort. Enfin, Messieurs, j'oserai
vous le dire (car des hauteurs de la raison l'on n'est étonné par aucun
spectacle, on n'est affaibli par aucun ascendant, on n'est subjugué par aucun
empire), j'oserai donc vous le dire, vous serez responsables envers le Roi, vous
le serez envers la nation, vous le serez envers la postérité, vous le serez
peut-être envers le monde entier si vous ne vous livrez sans réserve à la
recherche impartiale du bonheur public, si vous ne déposez pour quelque temps
les particularités qui vous séparent, pour vous livrer sans partage à ces
grands intérêts qui vous
appellent.
Vous les retrouverez de reste quand vous le voudrez, ces
distinctions ou ces séparations qui mettent les citoyens en opposition les uns
avec les autres en raison de leur état et de leur naissance , on n'a garde de
vous inviter à les oublier entièrement ; elles entrent même dans la composition
de l'ordre civil ; elles forment cette chaîne si nécessaire pour la règle et la
subordination de tous les mouvements de la société ; mais on doit suspendre
pour un temps ces considérations rivales, et si quelque chose peut en adoucir
l'aspérité, c'est de n'y revenir qu'après s'être occupé longtemps en commun de
la chose publique.
Mais, Messieurs, quelle diversité d'objets s'offriront de
toutes parts à votre considération ! l'esprit en est effrayé, même en se
bornant aux branches d'administration qui ont une connexion avec les finances.
Peut-être, a cette tenue, ne voudrez-vous en prendre qu'une
idée générale, en vous réservant d'y revenir lorsque d'une ou d'autre manière
vous aurez réuni tous les renseignements qui vous sont nécessaires, et que, du
sein même de votre Assemblée, vous aurez préparé les voies aux instructions et
aux examens les plus propres à capter votre confiance.
Le Roi, vous considérant, Messieurs, comme associés dès ce
moment à ses conseils, écoutera non-seulement avec attention et intérêt toutes
les ouvertures et les propositions qui lui viendront de votre part, mais Sa
Majesté vous fera communiquer encore toutes les idées qui lui paraîtront
mériter votre examen ; c'est par un concert absolu entre le gouvernement et
cette auguste Assemblée que les affaires du Roi et de la nation seront mieux
traitées et mieux entendues, et que l'on approchera plus sûrement de l'heureux
terme auquel il faut tendre.
Assez de difficultés prises dans les choses même viendront
éprouver votre courage et lo rendre nécessaire , il faut au moins que vous
receviez des ministres du roi toute l'aide que vous pourrez désirer, et que
vous trouviez en eux le concours dont vous croirez avoir besoin.
Et puisque dans un grand ensemble et dans une complication
d'affaires infiniment variées, c'est par la méthode que l'on fait route plus
promptement, il ne sera pas inutile de vous rendre compte de l'idée que Sa
Majesté a conçue de l'ordre de vos examens et de vos recherches.
Le gouvernement est bien loin de vouloir vous tracer aucune
marche, mais il a eu besoin lui-même de s'en former une idée, afin de faire recueillir
les divers renseignements que vous pourrez demander.
Il semble, Messieurs, qu'en allant en avant dans la
recherche du bien de l'État, vous devez, pour hâter vos travaux et perdre le
moins de temps possible en vaines tentatives, diviser les objets de votre
réflexion en deux classes.
L'une rassemblerait les améliorations qui dépendent
nécessairement des délibérations de .la nation entière représentée par des
députés aux États généraux ; l'autre comprendrait les bonifications qui doivent
être exécutées par l'administration particulière de chaque province. — Le Roi,
dans le seul dessein de rendre votre travail plus facile, m'a commandé de vous
donner un premier indice de ces deux divisions.
PREMIÈRE CLASSE.
Améliorations qui appartiennent aux délibérations des États
généraux.
1
On eût indiqué d'abord les dispositions relatives à l'ordre
des finances, si cette matière ne venait pas d'être traitée avec étendue.
Quel objet peut en effet intéresser davantage la nation
entière que cet ordre et ce juste rapport -entre les besoins et les ressources
de l'État ? C'est d'un pareil accord que naissent la tranquillité générale et
la certitude de n'être pas appelé sans nécessité à faire le sacrifice d'une
portion de sa fortune ; c'est d'un pareil accord aussi que naissent la
confiance intérieure et le ménagement des moyens qui étendent au dehors la
force et la puissance de l'État.
2
On doit mettre encore au premier rang, parmi les
améliorations qui intéressent tous les habitants du royaume, l'établissement
des principes qui doivent assurer une égale répartition des impôts, et je
distingue ici les principes de leur application.
Les principes appartiennent à la délibération des États
généraux, et l'application de ces principes regarde l'administration
particulière de chaque province.
II faut le concours de la nation, il faut toute la force
législative pour déterminer qu'il n'y aura désormais aucunes distinctions
pécuniaires entre les divers ordres de l'État, et qu'on abolira pour .toujours
jusqu'au nom des impôts qui conserveraient les vestiges d'une désunion dont il
est si pressant d'effacer la mémoire.
Mais le principe une fois admis, c'est à l'administration de
chaque province qu'il faut s'en rapporter pour apprécier l'étendue, diverse en
chaque lieu, de la taille personnelle et de la capitation taillable, et pour
faire choix des moyens les plus convenables de convertir ces impôts en un autre
genre de contribution .
On a fait des recherches pour arriver à connaître
distinctement l'étendue respective de la taille purement territoriale et de la
taille personnelle ; mais ces informations sont difficiles à acquérir, parce
que dans plusieurs provinces la portion de taille que supporte un colon en
raison de sa propriété territoriale se trouve confondue dans le même article
avec celle qui lui est imposée en raison de son industrie ou de sa fortune
mobilière .
Il est des détails dont une Assemblée nationale peut
difficilement prendre connaissance avec certitude et précision ; ainsi, comme
on vient de le dire, lorsque vous aurez consacré le principe général, vous
penserez sans doute que l'application exacte de ce principe doit appartenir à
l'administration particulière de chaque province.
Les différences d'impôts dans les pays de droit écrit
n'entraînent aucune distinction humiliante. Le noble, propriétaire d'un bien
roturier, paye toutes les taxes affectées à ce genre de possession, et le
bourgeois propriétaire d'un fief jouit de toutes les exemptions attachées à ce
sol privilégié. L'inconvénient de ces distinctions n'est donc que dans
l'inégalité du fardeau supporté par les divers fonds de terre, et la difficulté
de rétablir la parité dérive du préjudice réel que souffriraient les
possesseurs de biens nobles, ces biens ayant été acquis et comptés dans le
partage des familles pour un capital proportionné aux prérogatives qui leur
étaient assurées. L'on ne pourra donc détruire entièrement ces distinctions à
l'égard des propriétaires laïques, sans admettre, sans chercher du moins en
même temps un système de compensation ou d'indemnité.
Ces règlements dissemblables sont vicieux dans l'ordre
politique, puisqu'ils jettent sur une seule partie des terres tout le poids des
impositions ; mais cette réflexion doit être balancée avec les égards dus aux
droits de propriété. Les lois de la justice sont aussi un patrimoine commun, et
chacun a droit de réclamer leur appui.
Ce n'est donc pas sous de simples rapports d'administration
qu'une si grande question peut être jugée ; il semblerait môme qu'elle devrait
appartenir aux délibérations particulières de chaque province, si l'on ne
prévoyait pas que les États généraux seraient appelés à intervenir dans cette
importante question, et si l'État pris collectivement n'était pas intéressé à
maintenir dans toutes les provinces le plus d'égalité possible dans la répartition
des impôts, afin que chaque partie du grand ensemble jouisse de toutes ses
forces et puisse ainsi concourir dans une même proportion aux divers besoins du
royaume.
3
Une répartition plus équitable des impôts entre toutes les
provinces ne peut être soumise qu'à l'examen et aux délibérations delà nation
entière assemblée en États généraux. Il faut, pour se former une juste idée des
disproportions qui existent aujourd'hui, acquérir une connaissance exacte de la
somme contributive de chaque province, et s'instruire des exceptions et des
franchises dont quelques-unes d'entre elles sont en possession. Il faut ensuite,
pour juger sainement du degré de justice ou de convenance de ces différentes
inégalités, avoir une notion certaine de l'étendue et de la population de
chaque province, et il faut examiner les diverses circonstances qui augmentent
ou qui restreignent leurs ressources.
On mettra sous vos yeux, Messieurs, un tableau général de la
population, de l'étendue et des contributions de chaque généralité ; on vous
fera connaître aussi les immunités dont jouissent plusieurs provinces ; mais la
réunion de vos lumières formera, sans contredit, la meilleure des instructions
relativement aux avantages et aux désavantages respectifs de toutes les parties
du royaume.
Vous considérerez, Messieurs, si c'est à une première tenue
des États généraux qu'il convient de chercher à établir plus d'égalité entre
les contributions de chaque province. Vous observerez, sans doute, que
plusieurs de ces inégalités dérivent d'anciens titres constitutifs, et vous
vous trouveriez nécessairement engagés dans plusieurs contestations difficiles
et délicates, si vous vouliez, dès cette première Assemblée, adopter une règle
de proportion plus conforme aux principes généraux de l'équité ; ainsi vous
croirez peut-être plus sage de vous en tenir aujourd'hui à l'examen des
circonstances élémentaires qui pourront servir à remplir, dans un autre temps,
le but auquel vous désirerez de parvenir. Ce qu'il faut, avant tout, pour
élever le grand édifice du bonheur public, c'est de la paix et de la concorde ;
ainsi les amis de ce bonheur doivent renvoyer à d'autres époques les idées de
perfection et même de justice dont l'application ne pourrait se faire sans
exciter de vives réclamations. Assez d'autres sujets d'ombrage et de défiance
séparent aujourd'hui les esprits, il ne faut pas, pour se hâter de mettre la
dernière main à un système général, ouvrir des discussions dangereuses. Les
améliorations de tout genre arriveront d'elles-mêmes à l'aide du temps ; et il
faut, avant tout, consolider le terrain sur lequel on veut bâtir.
Les mêmes observations sans doute ne sont pas applicables à
l'établissement de l'égalité des répartitions entre les particuliers
contribuables ; cette égalité est sollicitée depuis longtemps par la plus
nombreuse partie de la nation. Les deux ordres privilégiés ont déjà fait
éclater de toutes parts les sentiments de justice et d'équité qui les animent,
et le projet qu'ils ont formé de renoncer volontairement aux avantages
pécuniaires dont ils jouissent.
J'ajouterai qu'une décision sur l'égalité de la répartition
entre les contribuables, bien loin d'être à craindre dans ce moment, comme le
serait peut-être une discussion sur les charges respectives de chaque province,
deviendrait sûrement une source précieuse d'harmonie. La parité une fois
établie entre les sacrifices pécuniaires des différents ordres, combien de
difficultés s'aplaniraient ! Il ne faut qu'une seule cause d'ombrage et de
rivalité pour fortifier et rassembler tous les prétextes d'opposition ; mais
aussitôt que le principal motif d'éloignement est détruit, on n'aperçoit, on ne
sent plus que les raisons diverses qui doivent porter à se rapprocher et à
s'unir.
4
Il est des impôts qui peuvent être modifiés différemment
dans chaque province sans qu'il en résulte aucun préjudice pour le reste du
royaume ; tels sont les aides et tous les droits purement locaux, et l'on peut
s'en remettre aux délibérations de chaque province sur la manière de réformer
ou de changer ces sortes de contributions, sous la seule condition importante
pour l'État de faire verser la même somme au trésor royal. Mais il est des
impôts dont le produit s'évanouirait ou s'affaiblirait considérablement, si on
dérangeait partiellement les lois auxquelles leur recouvrement est assujetti.
Que dans une des provinces assujetties aujourd'hui à la gabelle ou à la vente
exclusive du tabac, on voulut se soustraire à ces impôts en les remplaçant par
quelque autre, une telle disposition ne pourrait avoir lieu d'une manière isolée,
sans blesser l'intérêt général. En effet, la faculté qu'aurait une nouvelle
province de vendre à bas prix les denrées dont la vente privilégiée constitue
une des ressources de l'État, nuirait essentiellement aux revenus du Roi, à
moins qu'avec beaucoup de dépenses, et à force de gardes et de lois fiscales,
on ne parvînt à séparer cette même province du reste du royaume. C'est du
mélange des pays francs et des localités soumises à l'impôt que naît une source
intarissable de fraudes et de contrebandes ; et il résulte de ces observations
que les changements et les modifications applicables à certains droits généraux
doivent être préparés et convenus dans l'Assemblée nationale.
J'ai cité parmi ces droits les impôts établis sur le sel et
le tabac ; mais ceux qui se perçoivent aux frontières du royaume sont soumis au
même principe. Les obstacles apportés à l'entrée et à la sortie de quelques
marchandises deviennent nuls quand ils ne sont pas généraux, ou bien l'on se
trouve obligé d'établir des barrières entre les provinces intérieures et celle
qui trafique librement avec l'étranger.
Les droits imposés sur certaines fabrications doivent encore
être soumis à des règles uniformes, puisque toute exemption accordée à une
province en particulier lui donnerait sur les autres un avantage qui écarterait
leur concurrence.
La diversité des droits sur les actes n'est pas aussi
préjudiciable au revenu du Roi que les autres disparités dont on vient de
parler ; car on ne peut jouir de la modération de ces droits dans un lieu
particulier, sans s'y transporter personnellement. Cependant la communication
de proche en proche rendrait toujours préjudiciable au revenu du fisc la
disparité des droits sur les transactions, et sous ce rapport leur uniformité
devient intéressante pour l'État.
Ces divers exemples suffisent pour faire connaître qu'il est
des impôts dont la réforme ou les changements doivent appartenir à la
délibération d'une Assemblée nationale, tandis que la modification de certaines
contributions peut être soumise sans aucun inconvénient à l'administration
particulière de chaque province.
On a préparé, messieurs, des renseignements et des mémoires
sur toutes les parties d'impôt qui pourront occuper l'intérêt et l'attention
des États généraux ; ainsi l'on n'entrera pas ici dans des explications plus
étendues.
5
Le plus grand nombre des questions et des règlements de
commerce sont du ressort de l'Assemblée commune de la nation, car les même ?
principes doivent fixer les relations et les connexions de la France avec les
pays étrangers, favoriser également l'industrie dans toutes les provinces, et
affranchir le génie national des entraves qui peuvent arrêter ses efforts.
Il est une grande délibération relative au commerce
français, qui pourra fixer plus particulièrement votre attention, c'est
l'examen des avantages d'une compagnie exclusive pour exercer le commerce au-delà
du cap de Bonne-Espérance.
On a tellement varié d'opinion et de principes sur cette
question, et il est résulté tant d'inconvénients de ces vacillations, que Sa
Majesté a cru devoir différer de donner une dernière décision jusqu'à ce
qu'elle eût été éclairée par les avis des représentants de la nation. Une détermination
prise à la suite d'une consultation si authentique aura du moins l'avantage de
fixer pour toujours la marche du commerce, et de prévenir les doutes et les
incertitudes qui rendent ; cette marche craintive ; et en arrêtent les progrès
Le Roi a donc ordonné, Messieurs, qu'on recueillît les
mémoires propres à vous éclairer sur cette importante question, et qu'on vous
les remît au moment où vous pourrez vous en occuper. Mais dans toutes les
suppositions vous penserez sûrement, Messieurs, que la plus exacte justice doit
être observée envers les actionnaires.
Il est un autre établissement public très important et
très-connu, dont le Roi désire que vous preniez connaissance, afin que votre
sanction donne à cet établissement un nouveau degré de force et de solidité ;
je veux parler de la caisse d'escompte. Cet établissement n'existe encore que
sous l'autorité des arrêts du conseil ; mais son utilité généralement avouée
l'a soutenu, l'a agrandi et l'a mis en état de résister aux divers chocs
occasionnés par les révolutions successives du crédit public.
La caisse d'escompte est une fondation particulière, et qui,
pour remplir son objet, a besoin d'être indépendante ; mais comme sa faveur et
sa consistance dépendent de l'opinion publique, les administrateurs de cet
établissement désirent eux-mêmes d'en faire connaître toutes les particularités
aux États généraux, et de trouver dans l'approbation et la sanction de cette
Assemblée un nouvel encouragement et un nouvel appui. Ils s'empresseront donc
de mettre sous vos yeux tous les éclaircissements et toutes les connaissances
que vous désirerez, et il n'est pas douteux qu'un examen attentif de votre part
n'augmente la confiance due à un pareil établissement ; mais comme ses
relations directes ou indirectes avec les opérations publiques sont
inévitables, sa grande force résultera de l'ordre général et indestructible qui
sera introduit et maintenu dans les finances du Roi.
Les causes de l'agiotage dont ou a senti pendant quelque
temps les dangereux effets fixeront peut-être aussi votre attention. Cet
agiotage est très-peu remarquable en ce moment, et vous observerez facilement
que son action se développe surtout lorsqu'on n'aperçoit aucune stabilité dans
les principes de l'administration, et lorsque le public, tenu dans l'ignorance
et incertain dans ses jugements, devient plus aisément susceptible d'espérances
ou d'alarmes exagérées. Aucune de ces causes d'agiotage ou de vacillations
fréquentes dans le prix des fonds publics ne subsistera, lorsque les rapports
entre les revenus et les dépenses de l'État seront universellement et
constamment connus ; et lorsque ces rapports seront devenus invariables, chacun
pourra se faire une idée juste de la valeur et de la sûreté de la dette
publique. C'est alors qu'insensiblement il s'établira une opinion inébranlable,
contre laquelle les fausses insinuations des agioteurs deviendront
impuissantes.
Vous verrez encore, Messieurs, en étudiant la question des
fonds publics, qu'ils sont divisés en un trop grand nombre de dénominations et
que la somme de ceux payables au porteur est trop considérable : il y aurait de
la convenance à en réunir une grande partie sous un seul titre, et à les
convertir dans un papier facilement négociable, mais qui ne fût pas au porteur.
Cependant, comme les changements de ce genre peuvent, pendant un temps, influer
désavantageusement sur le prix des fonds, vous croirez peut-être plus
convenable de renvoyer cette disposition à l'époque où les fonds publics
portant 5 % d'intérêt se vendraient au pair ; et il dépend de la sagesse de vos
mesures qu'une telle époque ne soit pas éloignée.
6
L'examen du parti que l'on peut tirer des domaines de la
couronne ; et le choix des dispositions qu'il serait juste d'adopter à l'égard
des domaines engagés, seront encore un objet digne de la plus sérieuse
considération. Les domaines réels qui existent entre les mains du Roi, si l'on
en excepte les forêts, se montent aujourd'hui à une somme très modique : leur
produit annuel se réduit à environ 1,600,000 livres, et la majeure partie est
située en Lorraine.
On vous fera connaître ces domaines en détail, et l'on
mettra sous vos yeux les divers moyens qu'on propose pour les rendre plus
utiles.
Vous voyez, Messieurs, que le Roi, en s'occupant des
intérêts de l'État, ne distingue point les revenus particuliers de ses domaines
de ceux qui dérivent des contributions publiques. Le Roi ne veut connaître, le
Roi ne veut aimer qu'un seul de ses titres, celui de père et de protecteur de
ses peuples.
Vous étendrez, Messieurs, vos réflexions sur le produit et
l'administration des forêts ; et si vous pensez que cette partie des revenus du
Roi doit être soignée partiellement, vous approuverez probablement l'intention
où est Sa Majesté de se concerter avec les états particuliers de chaque province,
pour s'aider de leurs lumières et de leur surveillance, et pour lier de quelque
manière l'intérêt de ces provinces à l'accroissement des produits de la partie
des forêts du Roi située dans leur arrondissement.
La question générale des domaines engagés, la détermination
des principes qu'il est nécessaire d'adopter à cet égard, présentera peut-être
le sujet de discussions plus difficiles.
On vous remettra, Messieurs, les divers arrêts du conseil
rendus sur cette matière ; on vous instruira des dispositions qui ont été
faites en conséquence : les unes ont eu un commencement de succès ; les autres
ont été contrariées dès l'origine. Vous examinerez cette importante affaire, et
votre opinion aura du moins le grand avantage d'affermir une fois pour toutes
la marche de l'administration, ou de l'engager à cesser des recherches dont les
résultats ont été si souvent et si vainement présentés comme une ressource indéfinie.
On reproche au gouvernement d'y renoncer quand il ne fait pas valoir les
principes rigoureux du domaine ; on lui reproche sa sévérité quand il exerce
ces mêmes droits ; et au milieu de beaucoup d'exagérations, de beaucoup de
critiques injustes, la marche de l'administration devient incertaine et timide.
Vous pourriez, Messieurs, fixer pour toujours ces doutes, le
Roi écoutera vos conseils avec la confiance due à la réunion de vos lumières,
et à la garantie du vœu national que vous seuls pouvez donner légitimement.
7
La grande question du commerce des grains attirera sûrement
vos plus sérieuses réflexions. Fut-il jamais de circonstances où cette question
se soit présentée sous un aspect plus grave et plus important ! Nous avons vu,
dans le cours de cette année, la liberté la plus indéfinie rendue légale ; nous
avons vu cette liberté encensée de toutes parts, et peu de temps après la
prévoyance de Sa Majesté l'a déterminée à défendre l'exportation ; prévoyance
salutaire et sans laquelle on ne peut déterminer quel eût été l'excès de nos
malheurs. Elle n'a pas suffi sans doute pour prévenir la cherté des grains,
pour calmer les alarmes, pour arrêter les murmures du peuple, et pour le défendre
en beaucoup d'endroits des angoisses inséparables de la disette. Cependant Sa
Majesté ne s'en est pas fiée aux efforts des négociants et à la protection
incertaine de l'intérêt particulier : chacun malheureusement fuit le commerce
des grains, lorsque les hauts prix amènent le trouble et la défiance. Le Roi a
donné des primes d'encouragement ; le Roi a obtenu des permissions pour extraire
des blés de Sardaigne, de Sicile et des États du pape ; le Roi a fait venir à
ses frais et à ses risques une quantité considérable de grains et de farine ;
et si à force de soins et de secours, Sa Majesté a pu suffire jusqu'à présent
aux besoins les plus pressants, besoins généraux cette année dans son royaume,
elle n'a pu se préserver des plus grandes inquiétudes. Ces inquiétudes se sont
mêlées aux difficultés sans nombre de la convocation des États généraux ; elles
se sont mêlées aux embarras journaliers du trésor royal ; enfin, elles se sont
réunies aux ménagements sans fin qu'exigeaient les circonstances. Jamais année
n'a multiplié tant de traverses et n'a semé tant d'obstacles sur la route de l'administration.
On parle d'honneur, on parle de gloire pour vous encourager et vous soutenir :
ah ! dans de certaines crises et au milieu de ses travaux et de ses peines, le
sentiment de la part des autres dont un ministre a le plus besoin, c'est de
compassion et de pitié. Cependant, Messieurs, ce sont les blés, ce sont les
craintes sur la mesure des approvisionnements nécessaires à la subsistance de
ses peuples, qui préoccupent impérieusement la pensée du souverain.
L'expérience semble avoir démontré qu'une loi générale et constante, soit en
faveur d'une liberté parfaite, soit en opposition à ce système, expose à de
grands inconvénients et à de sévères conséquences. Mais les combinaisons, la
prudence de l'administration doivent-elles être votre seul garant ? c'est au
gouvernement à désirer avec ardeur que vous puissiez trouver une autre caution,
et c'est à lui de vous inviter à chercher un règlement, une instruction, une
association au moins à ses peines et à ses inquiétudes, qui allège le fardeau
dont il est oppressé, lorsqu'il se voit dans la dure obligation de lutter contre
des circonstances souvent invincibles, et de répondre néanmoins à l'attente de
tous ceux qui considèrent les soins de l'administration comme une sauvegarde
indéfinie.
8
Le tirage de la milice, cette loterie de malheur qui a lieu
toutes les années, fixera sûrement votre attention. Il faut que l'État ait des
défenseurs, il faut qu'il soit sûr d'en trouver dans le temps où le royaume est
en danger ; mais si des sacrifices d'argent supportés par l'universalité des habitants
de la France pouvaient obvier aux inconvénients des enrôlements forcés ou en
tempérer du moins les sévères effets, vous dirigerez sûrement votre attention
vers la recherche d'un point de conciliation si désirable.
Le peuple des campagnes vous a remis ses intérêts,
l'humanité seule vous eût engagés à les prendre sous votre garde, et le tendre
père de tous ses sujets, le protecteur le plus sensible des malheureux, votre
auguste monarque vous invite particulièrement à rechercher, à lui indiquer
toutes les dispositions qui peuvent adoucir le sort de la classe la plus
infortunée et la plus délaissée des citoyens de l'État.
Déjà, par les ordres exprès du Roi, le département de la
guerre s'est occupé de l'important objet d'administration dont on vient de vous
parier. Sa Majesté vous fera communiquer les observations et les idées qui ont
été recueillies, et elle verra avec satisfaction que vous puissiez concourir
par vos lumières à l'adoption d'un plan raisonnable et propre à concilier les
vues de sagesse et de bonté dont Sa Majesté est constamment animée.
9
C'est à l'honneur du Roi, c'est en souvenir, c'est en
hommage pur et sensible de ses bienfaits, que nous vous rappellerons les maux
de la corvée. puisque les chemins, dans presque tout le royaume, sont
aujourd'hui entretenus et construits à prix d'argent.
Vous aimerez sans doute, Messieurs, à consacrer l'abolition
d'un asservissement qui a fait verser tant de larmes. Vous ne voyez plus sur
les routes des hommes distraits par force de leurs occupations journalières,
pour venir sans salaire et sans récompense frayer et préparer les chemins qui
facilitent le transport du commerce, le débit des moissons du propriétaire et
la communication des richesses. Le travail qui doit servir à tous est
maintenant payé par tous dans une exacte pro¬ portion des différentes facultés.
Il n'est pas douteux qu'en raison de cette règle, tel homme
de peine à qui l'on demandait gratuitement chaque année sept ou huit jours de
son temps, se trouve affranchi de cette dure obligation par une contribution
pécuniaire qui représente à peine la dixième partie de son ancien sacrifice.
Vous êtes encore à temps, Messieurs, d'être associés pour une part aux
dispositions bienfaisantes de Sa Majesté, puisque vous pouvez l'aider à
détruire les dernières traces de la corvée dans une grande province où elle est
conservée ; vous réunirez vos vœux au désir déjà manifesté par Sa Majesté pour
délivrer le peuple breton d'un joug auquel il est encore assujetti, et si ces
deux mots effrayants, la taille et la corvée , sont rayés pour toujours des
registres de l'administration des finances et du code français, cette seule
délibération suffirait pour signaler honorablement les États généraux de 1789.
Un jour viendra peut-être, Messieurs, où vous étendrez plus
loin votre intérêt ; un jour viendra peut-être où, associant à vos
délibérations les députés des colonies, vous jetterez un regard de compassion
sur ce malheureux peuple dont on a fait tranquillement un barbare objet de
trafic ; sur ces hommes semblables à nous par la pensée et surtout par la
triste faculté de souffrir ; sut ces hommes cependant que, sans pitié pour
leurs douloureuses plaintes, nous accumulons, nous entassons au fond d'un vaisseau
pour aller ensuite à pleines voiles les présenter aux chaînes qui les
attendent.
Quel peuple aurait plus de droits que les Français à adoucir
un esclavage considéré comme nécessaire, en faisant succéder aux maux inséparables
de la traite d'Afrique, aux maux qui dévastent deux mondes, ces soins féconds
et prospères qui multiplieraient dans les colonies même les hommes destinés à
nous seconder dans nos utiles travaux ! Déjà une nation distinguée a donné le
signal d'une compassion éclairée ; déjà l'humanité est défendue au nom même de
l'intérêt personnel et des calculs politiques, et cette superbe cause ne
tardera pas à paraître devant le tribunal de toutes les nations. Ah ! combien
de sortes de satisfactions, combien d'espèces de gloire sont réservées à cette
suite d'États généraux qui vont reprendre naissance au milieu d'un siècle
éclairé ! Malheur, malheur et honte à la nation française si elle méconnaissait
le prix d'une telle position, si elle ne cherchait pas à s'en montrer digne, et
si une telle ambition était trop forte pour elle !
SECONDE CLASSE.
Améliorations qui peuvent être remises à l'administration
particulière de chaque province.
Celle d'entre vos délibérations, Messieurs, qui est la plus
pressante, celle dont l'utilité aura le plus d'influence sur l'avenir,
concernera l'établissement des États provinciaux. Ces États bien constitués
s'acquitteront de toute la partie du bien public qui ne doit pas être soumise à
des principes uniformes ; et il serait superflu, Messieurs, de fixer votre
attention sur la grande diversité de poses bonnes et utiles qui peuvent être
faites dans chaque province par le seul concours du zèle et des lumières de
leur administration particulière.
On l'a déjà dit, la conversion des aides et de tous les
droits locaux dans d'autres moins onéreux et d'une perception moins
dispendieuse, ou la simple modification de ces mêmes droits, sont des
dispositions qui appartiennent à l'administration de chaque province, puisque
ces changements peuvent être exécutés dans un lieu et rejetés dans un autre,
sans qu'il en résulte aucun inconvénient.
On doit ranger encore dans la même classe la juste et sage
répartition des impositions territoriales et personnelles ; la distribution
éclairée des soulagements dus à la misère d'une paroisse ou à la détresse d'un
contribuable ; l'entretien économique des chemins et la confection des nouvelles
routes ; la bonne dispensation des travaux qui assurent la subsistance du
peuple dans les maisons malheureuses ou dans les temps de calamité ; les
encouragements que peut exiger un nouveau genre d'industrie, de commerce ou de
culture ; enfin tant d'autres détails dont la connaissance est aujourd'hui
universellement répandue. Ce n'est pas tout cependant, car si les États
provinciaux acquièrent des droits à la confiance publique , Sa Majesté leur
déléguera plusieurs soins dont ses ministres et celui de la finance en
particulier ont été chargés jusqu'à présent. On peut mettre dans ce nombre la
surveillance des hôpitaux, des enfants trouvés, des prisons et des dépôts de
mendicité, ou plutôt les changements qui paraissent indispensables dans ces
différentes parties de l'administration. Les renseignements généraux ne
suffisent point, et chaque province semble exiger des exceptions particulières
; car le naturel des habitants , leur degré d'intelligence et d'activité, le
climat, le genre de culture, influent beaucoup sur la manière de soulager les
indigents ou d'en diminuer le nombre. Protéger le pauvre, prévenir sa misère,
détruire les penchants vicieux qui la produisent communément, voilà sans doute
les caractères distinctifs d'une excellente institution sociale ; mais quand
l'administration première doit appliquer ces principes aux circonstances
particulières, quand du centre où elle se trouve placée elle doit étendre ses
regards à une prodigieuse circonférence, son attention est trop partagée pour
ne pas devenir superficielle ; et cependant il est une multitude de biens,
comme nous venons de le dire, dont l'exécution dépend d'une discussion
approfondie et d'une application continuelle à lever les moindres difficultés.
Le plus petit administrateur d'hôpital au fond d'une province a plus de
ressources pour défendre un abus qu'un premier ministre du roi de France
n'aurait de moyens pour l'extirper. Tout échappe, tout fuit par les détails,
quand on n'est pas à la distance nécessaire pour les atteindre. Quels biens ne
pourront donc pas faire les États provinciaux ! quel service ne pourront-ils
pas rendre à l'humanité souffrante, s'ils inspirent au Roi de la confiance dans
leur zèle et leur activité, et s'ils encouragent Sa Majesté à les associer à la
plus précieuse et à la plus douce des fonctions de l'autorité souveraine, la
défense et la protection des malheureux ! — Le Roi pourrait également se reposer
sur eux de l'inspection sur les dépenses des communautés et des villes.
Combien de municipalités ne se sont-elles pas endettées,
parce que l'administration première n'a pu suivre exactement leur gestion ? On
aperçoit à chaque instant de quelle utilité pourraient être une action et une
censure plus rapprochées de celte multitude d'abus inséparables de l'humanité.
Ce n'est pas ici le moment de se livrer à de plus grands
développements ; il est aisé d'apercevoir que, pour les biens partiels et
relatifs à une localité particulière, les meilleurs intermédiaires que le Roi
pourrait choisir ce seraient des administrations dont l'organisation serait
sage et bien ordonnée.
Il s'était élevé depuis un temps fort reculé une sorte
d'ombrage et de défiance entre l'administration ministérielle et celle des
anciens États : on considérait ces deux administrations comme rivales ; et
chacune, occupée essentiellement de son autorité, était souvent moins occupée
du bien réel des peuples que du privilège de les commander ; et malheureusement
ce privilège paraissait également maintenu, soit qu'on étendît sa propre
action, soit qu'on mît obstacle à celle des autres.
Aucune de ces difficultés, aucune de ces contradictions ne
subsistera dans un plan bien ordonné. Le Roi, en assemblant autour de lui les
députés de la nation entière, atteste à tous ses sujets par ce grand acte de
confiance, qu'uniquement occupé du bien public, c'est avec la nation même qu'il
veut l'entreprendre et le réaliser.
Ainsi, soit universellement aux États généraux, soit
partiellement dans chaque province , les citoyens zélés qui pourront aider Sa
Majesté à parvenir au but qu'elle se propose deviendront comme autant de
ministres de ses volontés ; et nous autres, Messieurs, nous seconderons, non
pas de notre pouvoir, puisque ce pouvoir ne consiste que dans notre obéissance
aux volontés du Roi, mais de notre ardente affection et de notre extrême
volonté, l'établissement d'un ordre bienfaisant et salutaire, propre également
à glorifier le règne de Sa Majesté, et à consolider le bonheur de la nation.
Cependant, Messieurs, si ce bonheur peut appartenir en
grande part à l'effet des soins dévolus aux États particuliers de chaque
province, et si vos réflexions vous amenaient encore à penser que, librement
élus, ils pourraient fournir un jour une partie des députés des États du
royaume, ou une Assemblée générale intermédiaire, la composition des États
provinciaux vous paraîtrait alors une des plus grandes choses dont vous auriez
à vous occuper. Et comme on doit être persuadé, Messieurs, que bientôt un même
sentiment vous réunira, comme on ne peut douter que mille ou douze cents
députés de la nation française ne se sépareront pas sans avoir fait sortir de
terre les fondements de la prospérité publique, je me représente à l'avance ce
jour éclatant et magnifique, où le Roi, du haut de son trône, écoulerait, au
milieu d'une Assemblée auguste et solennelle, le rapport que viendraient faire
les députés de chaque province. Je les vois ces députés, impatients de mériter
l'approbation de leur souverain et les louanges de la nation, je les vois
s'arrêter avec orgueil et à l'envi sur les moyens que leurs États auraient
employés pour ajouter au bonheur du peuple, ou pour alléger le poids de son
infortune ; je les vois attentifs à recevoir les uns des autres quelque lumière
nouvelle ou quelque notion bienfaisante, afin de les rapporter soigneusement à
l'administration dont ils font partie.
Je vois Sa Majesté remarquer ceux dont le zèle et les connaissances
auraient le plus d'éclat, et se servir, pour exciter l'amour du bien public,
des -divers moyens d'émulation qui sont déposés entre les mains du monarque.
Ah ! qu'il serait beau ce moment où, par le concours des
lumières de tout un peuple, on découvrirait avec certitude le bien qu'on peut
faire dans un royaume tel que la France ! Ah ! qu'il serait beau ce moment où,
par une rivalité généreuse, après avoir connu ce bien, on s'empresserait de le
faire !
Ce n'est pas seulement pour former et constituer sagement
des États particuliers dans les provinces où il n'y en a point encore, que le
Roi aura besoin de vos conseils et de vos réflexions ; Sa Majesté attend de
vous que vous l'aidiez à régler plusieurs contestations qui se sont élevées sur
la constitution des anciens États de quelques provinces ; Sa Majesté désire que
sa justice soit éclairée ; elle désire faire le bonheur de ses peuples sans
exciter de réclamation légitime ; elle désire tenir une exacte balance entre
les prétentions des divers ordres de son royaume ; enfin, au milieu des
intérêts contraires qui agitent les esprits , elle est inquiète lorsque la
route la meilleure et la plus sûre n'est pas évidemment tracée. Vous fixerez
ses doutes, vous viendrez assurer sa marche et vous l'aiderez à rendre à tous
ses sujets une parfaite justice.
Je ne dois point retracer ici, Messieurs, les grands objets
de bien public sur lesquels M. le garde des sceaux vient d'arrêter votre
attention ; il n'en est aucun qui ne soit de la plus grande importance, et
l'énumération seule de leurs titres suffit pour en imposer aux imaginations les
plus hardies. Qui pourrait en effet entendre sans émotion la simple
dénomination de tant de travaux si dignes d'occuper successivement l'intérêt
d'une nation ? L'amélioration des lois civiles et des lois criminelles ; la
douce modification des peines ; la réduction des frais de justice ;
l'accélération des procédures ; la détermination des degrés de distances
convenables entre la résidence des tribunaux et le domicile de ceux qui ont
recours à la justice souveraine ; la détermination des degrés de restriction ou
de facilité qu'il faut accorder à la publicité de toutes les opinions et de
tous les écrits ; la connaissance des temps où la sauvegarde des lois suffit au
maintien de l'ordre public, et l'examen aussi des circonstances où cet ordre
dépend des actes rapides de l'autorité ; la recherche de tous les soins propres
à établir une parfaite harmonie entre l'exercice des nouvelles fonctions qui
seront attribuées aux tribunaux et la célérité indispensable dans cette multitude
de circonstances où le gouvernement seul était appelé à intervenir ; la
recherche plus délicate encore des moyens de concilier l'austère, l'inflexible
et surtout l'uniforme application des lois avec ces habitudes de ménagements et
d'égards dont quelques-unes tiennent de si près aux mœurs nationales ; l'étude
encore des difficultés auxquelles on s'exposerait si l'on abandonnait trop
rapidement les usages assortis aux préjugés de l'honneur, pour adopter en
entier ces principes de justice abstraite qui assujettissent à leur domination
tous les rangs indistinctement, tous les état ?, toutes les personnes. Oui,
Messieurs, vous apercevrez sûrement qu'il est des abus, qu'il est des erreurs
de gouvernement dont les racines s'entremêlent invisiblement avec les premières
tiges de plusieurs opinions qui appartiennent essentiellement aux grandes
monarchies ; et telle loi dont l'exécution absolue fait le bonheur d'une
république parce qu'elle s'y trouve environnée de tous les usages, de tous les
principes, de tous les sentiments qui composent sa force, n'aurait pas le môme
succès, et surtout ne conserverait pas longtemps son empire si on la
transplantait dans un pays où elle se trouverait comme isolée au milieu des
opinions et des habitudes qui toutes n'auraient aucune connexion avec elle. Ces
réflexions et beaucoup d'autres, Messieurs, n'échapperont pas à vos lumières,
et une sage circonspection vous servira de guide , sans vous faire perdre de
vue le but où vous devez atteindre.
Les cahiers qui ont été composés dans les diverses parties
du royaume, et dont vous êtes dépositaires, comprennent sans doute un grand
nombre d'idées utiles et plusieurs projets d'améliorations susceptibles d'être
réalisés. Ce serait donc inutilement qu'en vous retracerait les dispositions
particulières qui seraient dignes de votre attention et de votre intérêt : vous
choisirez Messieurs, dans cette collection de souhaits et de plaintes que la
condition humaine rend malheureusement inépuisable ; vous y choisirez les
demandes les plus instantes et les plus pressées, et vous rendrez heureux votre
souverain quand vous lui présenterez des vœux que la justice lui permettra de
satisfaire.
Ah ! quelle immense tâche en tous les genres va se déployer
devant vous ! vous ne pourrez la remplir, vous pourrez à peine la découvrir à cette
première époque de votre réunion ; car dans un vaste empire comme dans les
grands travaux de la nature, le temps seul achève notre œuvre. Chaque jour,
chaque année, amène de nouvelles idées et fait découvrir des vérités longtemps
inconnues ; mais si vous posez les grandes bases, si vous élevez les colonnes
de l'édifice, vous vous associerez d'avance à toute la gloire du monument et
aux divers avantages qui en résulteront.
On peut se former une idée confuse de ces avantages, on peut
en indiquer les premiers degrés ; mais l'opinion, les présages même d'un seul
homme, fût-il aussi éclairé qu'on pourrait le désirer, ne sauraient annoncer
les effets de cette masse de lumières que le temps et l'agitation générale des
esprits peuvent apporter au milieu des Assemblées nationales dont celle-ci
n'est que la première en rang. Que rien, pour notre bonheur, que rien ne vienne
arrêter ce cours successif de connaissances, de pensées et de réflexions ; et
ce mouvement, semblable à, celui d'un fleuve majestueux qui arrose et fertilise
les campagnes, multipliera dans ce beau royaume tous les genres de prospérités.
C'est alors "que la France présentera le plus magnifique des spectacles,
celui du concours de toute l'action du génie de la nation la plus industrieuse
et la plus animée, avec l'essor de la nature physique la plus variée et la plus
féconde dans ses bienfaits. Quel accord ! quelle union ! et que ne peut-on pas
en attendre !
C'est dans les États généraux que le bonheur public doit se
renouveler, et c'est par eux qu'il doit se maintenir et s'accroître. Ainsi,
vous serez appelés sans doute à examiner les avantages et les inconvénients des
formes qu'on a cru devoir observer pour la convocation de cette première
Assemblée ; vous prendrez connaissance des longueurs et des difficultés qui en
sont résultées ; vous examinerez toutes les disparités qui sont une conséquence
des anciennes sections d'arrondissements ; enfin l'expérience venant de rendre
sensibles diverses imperfections inséparables du plan qu'on a suivi pour se
rapprocher des anciens usages, vous penserez, Messieurs, qu'un de vos plus
grands intérêts est de présenter au Roi de nouvelles idées, et de former des
plans qui soient médités avec assez de sagesse pour obtenir l'approbation de Sa
Majesté et pour répondre au vœu commun de la nation. Toutes les dispositions,
Messieurs, qui ont servi à vous rassembler, se trouvent entées pour ainsi dire
sur le tronc antique et respecté de la constitution française ; mais les
changements survenus dans nos mœurs et dans nos opinions, l'agrandissement du
royaume, l'accroissement des richesses nationales, l'abolition surtout des
privilèges pécuniaires, si celte abolition a lieu, toutes ces circonstances et
beaucoup d'autres exigent peut-être un ordre nouveau ; et si le gouvernement se
borne en ce moment à fixer votre attention sur cette pensée, ce n'est pas qu'il
demeure étranger à une si importante délibération ; mais les égards dus aux
lumières de cette auguste Assemblée doivent détourner de lui proposer d'autre
guide que ses propres réflexions. On a recueilli pour cette fois les débris
d'un vieux temple ; c'est à vous, Messieurs, à en faire la révision et à
proposer les moyens de les mieux ordonner. Vous remarquerez peut-être, à cette
occasion, l'inconséquence ou la légèreté de l'esprit du jour, qui se plaît à
juger des arrangements momentanés avec la même sévérité qu'il devrait employer
pour apprécier des institutions immuables. Encore si c'était toujours de
perfection qu'on lût avide ; mais l'ardeur avec laquelle on épie les erreurs ou
les fautes de ceux qui agissent, donne souvent à penser qu'on en fait la
découverte avec plaisir.
Enfin, Messieurs, et pour revenir à des idées plus douces,
lorsque de concert avec votre auguste souverain vous aurez posé les bases premières
du bonheur et de la prospérité de la France, et lorsque vous aurez encore
marqué les pierres numéraires qui doivent vous conduire dans la vaste route du
bien public, vous ne négligerez pas d'apercevoir que plus un gouvernement se
met dans la nécessité d'être juste, et plus il faut affermir son action. Une
nation sourdement mécontente des fautes ou des abus de l'administration ne
tarde pas à se complaire dans toutes les oppositions et les résistances ; mais
un tel esprit doit changer, lorsque par de sages précautions la marche au
gouvernement se trouve unie pour toujours aux principes qui doivent assurer la
félicité publique. Le Roi désire avec passion que tout ce qui est juste en
administration soit connu, soit déterminé, soit invariable ; mais il désire,
mais il veut absolument que l'autorité souveraine puisse maintenir l'exécution
des dispositions conformes aux lois, et défendre l'ordre public contre toute
espèce d'atteinte. Le meilleur des gouvernements ne serait qu'une belle
abstraction, si le moment où la puissance royale doit déployer toute son action
restait encore incertain, et si cette puissance, une fois eu accord avec le vœu
général, avait des résistances à ménager et des obstacles à vaincre. Il ne faut
pas, Messieurs, que les ennemis de la tranquillité publique et de la prospérité
nationale puissent placer leur espoir dans une confusion, suite inévitable d'un
défaut d'harmonie entre les forces protectrices des destins de la France.
Vous considérerez la situation du royaume, vous verrez ce
qu'il est, et ce qu'il a besoin d'être dans l'ordre politique de l'Europe ; et
en arrêtant votre attention sur l'ancien état de la plus respectable des
monarchies, vous étendrez au loin vos réflexions, et non contents des premières
acclamations du peuple français, vous aspirerez encore au suffrage réfléchi de
toutes les nations étrangères, de ces nations dont le jugement ; à l'abri de
nos passions du moment, représente celui de la postérité, de ces nations qui,
vous considérant dans le tableau de l'histoire, ne croiront à la durée d'aucune
de vos dispositions si vous perdez de vue ce qu'exigent impérativement les
grandes circonstances de ce vaste empire, sa position, ses relations
extérieures, la diversité de ses usages, dont les uns sont constitutifs, les
autres affermis par le temps, l'effet inévitable de ses richesses et plus
encore peut-être le génie et le caractère de ses habitants, les anciens
préjugés, les vieilles habitudes, enfin tous ces liens qu'on ne peut jamais
rompre avec violence, et que la prudence d'un grand corps politique doit
sagement apprécier.
Le Roi, Messieurs, en considérant par la pensée cet
important édifice de bonheur et de puissance que vous pouvez l'aider à élever,
désire véritablement qu'il puisse être fondé sur les bases les plus assurées :
cherchez-les, indiquez-les à votre souverain, et vous trouverez de sa part la
plus généreuse assistance.
Le Roi, Messieurs, éclairé par de longues traverses, par ces
événements précipités qui doublent en quelque manière les années de l'expérience,
aime plus que jamais la raison, et en est un bon juge. Ainsi, lorsque les
premières fluctuations inséparables d'une réunion nombreuse seront arrêtées,
lorsque l'esprit dominant de cette Assemblée sera dégagé des nuages qui
pourraient d'abord l'obscurcir, enfin lorsqu'il en sera temps, Sa Majesté
appréciera justement le caractère de vos délibérations ; et, s'il est tel
qu'elle l'espère, s'il est tel qu'elle a droit de l'attendre, s'il est tel
enfin que la plus saine partie de la nation le souhaite et le demande, le Roi
secondera vos vœux et vos travaux ; il mettra sa gloire à les couronner ; et
l'esprit du meilleur des princes se mêlant pour ainsi dire à celui qui
inspirera la plus fidèle des nations, on verra naître de cet accord le plus
grand des biens et la plus solide des puissances.
C'est à vous, Messieurs, à préparer une si belle alliance,
c'est à vous à former un semblable nœud ; et pour y parvenir vous écarterez
tous les systèmes exagérés vous réprimerez tous les abus de l'imagination, vous
vous défierez de toutes les opinions trop nouvelles ; vous ne croirez pas que
l'avenir puisse être sans connexion avec le passé, vous ne préférerez pas les
projets et les discours qui vous transporteraient dans un monde idéal, à ces
pensées et à ces conseils qui, moins éclatants, mais plus praticables, exposent
à moins dé combats et donnent au bien qu'on opère un caractère de stabilité et
de durée.
Enfin, Messieurs, vous ne serez pas envieux des succès du
temps, et vous lui laisserez quelque chose à faire ; car si vous entrepreniez à
la fois la réforme de tout ce qui vous paraîtrait imparfait, votre ouvrage le
deviendrait lui-même. Il est aisé d'apercevoir que, dans une vaste
administration, la juste proportion de ces diverses parties échappe aux
meilleurs observateurs, lorsque toutes sont mises en mouvement d'un seul jet,
et que de simples abstractions en garantissent l'harmonie.
Que serait-ce, Messieurs, si dès vos premiers pas une
désunion éclatante venait à se manifester ? que deviendrait le bien public au
milieu de ces divisions où les intérêts d'ordre, d'état et de personnes
occuperaient toutes vos pensées ? Ils sont si agissants ces intérêts, et leur
domination va tellement en croissant que la sagesse de Sa Majesté, que son
attachement au bien de l'État, ont dû fixer son attention sur des passions
d'une si grande influence. C'est par ce motif si digne d'hommage, c'est par ce
motif qui atteste si distinctement le vœu de Sa Majesté pour le succès de vos
travaux, que le Roi est inquiet de vos premières délibérations. La manière dont
les États généraux en dirigeront la forme est une des grandes questions qui se
sont élevées dans le royaume, et les avis sur la délibération en commun ou par
tête semblent s'être partagés avec une ardeur qui deviendrait alarmante, si
l'amour du bien public ne formait entre vous, Messieurs, un point de réunion
plus fort et plus puissant que les opinions et les sentiments propres à vous diviser.
Le Roi, Messieurs, connaît toute l'étendue de la liberté qui doit vous être
laissée ; mais sans accord, votre force s'évanouirait et les espérances de la
nation seraient perdues. Sa Majesté a donc fixé son attention sur des
préliminaires dont les conséquences peuvent être si grandes ; et ce n'est pas
encore cependant comme votre souverain, c'est comme le premier tuteur des
intérêts de la nation, c'est comme le plus fidèle protecteur delà félicité
publique, que le Roi m'a ordonné de vous présenter un petit nombre de
réflexions. J'aurais aimé peut-être à en être dispensé, car on ne s'approche
jamais sans danger de ces questions délicates dont l'esprit de parti s'est déjà
rendu maître, mais il faut rejeter avec dédain toutes les considérations
personnelles qui font toujours embarras dans la route du bien public.
Ce sera vous , Messieurs, qui chercherez d'abord à connaître
l'importance ou le danger dont il peut être pour l'État que vos délibérations
soient prises en commun ou par ordre, et les lumières qui sortiront de votre
Assemblée influeront sans doute sur l'opinion de Sa Majesté : mais le choix du
moment où cette question doit être traitée, si ce choix est fait sagement,
suffira pour prévenir les risques ou les inconvénients d'une semblable
discussion, et c'est principalement sur ce point que je vais m'arrêter.
Tout annonce, Messieurs, que si une partie de cette
Assemblée demandait que la première de vos déterminations fût un vœu pour
délibérer par tête sur tous les objets qui seront soumis à votre examen, il
résulterait de celle tentative, si elle était obstinée, une scission telle que
la marche des États généraux serait arrêtée ou longtemps suspendue, et l'on ne
peut prévoir quelle serait la suite d'une semblable division.
Tout prendrait au contraire une forme différente, tout se
terminerait peut-être par une conciliation agréable aux partis opposés, si les
trois ordres commençant par se séparer, les deux premiers examinaient d'abord
l'importante question de leurs privilèges pécuniaires, et si, confirmant des
vœux déjà manifestés dans plusieurs provinces, ils se déterminaient d'un commun
accord au noble abandon de ces avantages. Personne d'entre vous, Messieurs, ne
pourrait avec justice essayer de ravir aux deux premiers ordres le mérite d'un
généreux sacrifice ; et ce serait cependant les en priver, ce serait du moins
en obscurcir l'éclat, que de soumettre cette décision à la délibération des
trois ordres réunis : une possession qui remonte aux temps les plus reculés de
la monarchie est un titre qui devient encore plus digne de respect au moment où
ceux qui en puissent sont disposés à y renoncer. Il est donc juste, il est
raisonnable que les députés des communes laissent aux représentants des deux
premiers ordres tout l'honneur d'un tel sacrifice. C'est en vain que pour en
diminuer le prix, c'est en vain que pour le ternir on voudrait y donner le nom
d'obligation simple et naturelle ; certes de pareils actes de justice ne sont
pas communs, et l'histoire n'en présente pas d'exemples.
Supposons maintenant que cette délibération soit prise par
la noblesse et par le clergé, qu'elle le soit promptement et de la seule
manière dont on peut l'attendre, par un noble sentiment, par un mouvement digne
de l'élévation d'âme qui caractérise les principaux membres des deux ordres de
l'État ; dès ce moment ils recevront de la part des représentants des communes
cet hommage de reconnaissance et de sensibilité auquel aucun Français ne fut
jamais réfractaire. Ils seront invités à s'unir souvent aux représentants du
peuple, pour faire en commun le bien de l'État ; et sûrement ce ne sera pas
d'une manière générale ni absolue qu'ils résisteront à cette avance. Cependant
une première union entre les ordres une fois formée, et les ombrages des uns
dissipés, les plaintes et les jalousies des autres apaisées, c'est alors
qu'avec calme et par des commissaires nommés dans les trois ordres, on
examinera les avantages et les inconvénients de toutes les formes des
délibérations ; c'est alors qu'on désignera peut-être les questions qu'il
importe au souverain et à l'État de soumettre à une discussion séparée, et les
objets qu'il est convenable de rapporter à une délibération commune ; c'est
alors enfin qu'on jugera plus sainement une question qui présente tant
d'aspects différents.
Vous verrez facilement que pour maintenir un ordre établi,
pour ralentir le goût des innovations, les délibérations confiées à deux ou
trois ordres ont un grand avantage, et que dans les temps et pour les affaires
où la célérité des résolutions et l'unité d'action et d'intérêt deviennent
nécessaires, la consultation en commun mérite la préférence. Vous examinerez
ces principes et bien d'autres avec une impartialité inconnue jusqu'à présent,
du moment que l'abolition des privilèges pécuniaires aura rendu vos intérêts
égaux et parallèles. Enfin, Messieurs, vous découvrirez sans peine toute la
pureté des motifs qui engagent Sa Majesté à vous avertir de procéder avec
sagesse à ces différents examens. En effet, s'il était possible qu'elle fût
uniquement occupée d'assurer son influence sur vos déterminations, elle saurait
bien apercevoir que l'ascendant du souverain serait un jour ou l'autre favorisé
par l'établissement général et constant des délibérations en commun ; car dans
un temps où les esprits ne seraient pas soutenus, comme aujourd'hui, par une
circonstance éclatante, peut-on douter qu'un roi de France n'eût des moyens
pour captiver ceux qui, par leur éloquence et leurs talents, paraîtraient
devoir entraîner un grand nombre de suffrages ! La marche des délibérations
confiées à deux ou trois ordres est donc, par sa lenteur et sa circonspection,
la moins favorable aux grandes résolutions ; et quand votre monarque,
Messieurs, vous ramène à ces réflexions, il vous donne une nouvelle preuve de
son amour sincère du bien de l'État.
Ah ! si dans le cours de ce mémoire, si en parcourant
rapidement les objets les plus importants, je ne vous ai pas fait connaître les
sentiments généreux et les intentions pures qui dirigent toutes les
déterminations de notre auguste monarque, n'en accusez, Messieurs, que
l'interprète dont il a fait choix. Sa Majesté veut le bien, et le veut dans
toute son étendue ; et après avoir été souvent contrarié dans ses désirs et
dans ses tentatives, elle vient chercher en vous une consolation et un appui.
Non, son espoir ne sera point trompé , vous voudrez lui
marquer de la reconnaissance, vous voudrez lui donner le prix qu'elle attend de
vous ; et ce prix, ce prix inestimable, sera l'avancement du bonheur de ses
peuples.
Soyez unis, Messieurs, pour une si grande entreprise, soyez
unis-pour répondre aux vœux de la nation, soyez unis pour soutenir avec honneur
les regards de l'Europe, soyez unis pour transmettre sans crainte vos noms à la
postérité, et pour contempler à l'avance le tribunal rigoureux des générations
futures. Elles auront un compte à vous demander, ces générations innombrables
dont vous allez peut-être fixer la destinée.
Vos rivalités, vos prétentions, vos débats personnels
passeront comme l'éclair au milieu de l'immensité de l'espace, et ne laisseront
aucune trace dans la roule des siècles , mais les principes d'union et de
bonheur que vous aurez affermis deviendront le témoignage et comme le trophée
perpétuel de vos travaux et de votre patriotisme.
Oui, ce que vous aurez fait pour l'avantage de l'État et
pour sa gloire, ce que vous aurez fait pour en assurer la durée, se trouvant
inséparablement lié à la plus grande et à la plus éclatante de toutes les
circonstances, confiera votre souvenir à la reconnaissance des hommes. Eh ! qui
ne sait que leur reconnaissance s'accroît à mesure que le temps éloigne d'eux
leurs bienfaiteurs et les obscurcit de son ombre !
Mais ne vous le dissimulez point, Messieurs, il faut qu'une
constitution bienfaisante et salutaire soit cimentée par la puissance de
l'esprit public, et cet esprit public, ce patriotisme, ne consiste point dans
une ferveur passagère, ou dans un aveugle désir d'une nouvelle situation ; un
tel désir, une telle agitation, subsisteront toujours, car il est dans l'ordre
inviolable des choses que le plus grand nombre des habitants d'un empire
découvrent autour d'eux de meilleures places, et aspirent vaguement à un
mouvement qui leur présente de nouvelles chances.
Une pareille inquiétude n'est qu'un sentiment personnel, et
on ne l'abolit qu'en apparence et passagèrement, quand on le dirige vers les
intérêts généraux dont la société parait le plus occupée. Mais le véritable
esprit public, le seul qui puisse suppléer à l'imperfection de toutes les lois
politiques, est d'une toute autre nature ; vaste dans ses vues, réfléchi dans
sa marche, il transporte, non pour un moment, mais pour toujours, nos intérêts
personnels à quelque distance de nous, afin de les réunir, afin de les
soumettre à l'intérêt commun. Il faut de la force, il faut du temps pour
s'élever à cet esprit public ; et dans les commencements un pareil effort est
pénible ; il doit l'être surtout au milieu d'une nation qui n'a jamais pris
soin de ses propres affaires, et qui, accoutumée depuis des siècles à
s'abandonner uniquement aux prétentions individuelles, ou à celles qui dépendent
d'une association circonscrite, n'est nullement préparée à la grande scène qui
s'ouvre aujourd'hui devant elle.
Je ne fais point ces réflexions, Messieurs, pour affaiblir
votre courage, mais pour vous engager à n'être point étonnés des contrariétés
dont vous ferez l'épreuve tant que l'esprit national ne sera point encore en
harmonie avec la grandeur des circonstances présentes. Et pourquoi seriez-vous
abattu par des obstacles, tandis que le gouverne¬ ment, vers lequel se sont
portées, comme à flot, toutes les passions, toutes les intrigues et toutes les
calomnies, a maintenu néanmoins son courage et sa persévérance ?
Il eût connu, comme d'autres, le prix du repos ; il eût
franchi bien ou mal les difficultés de finance ; et en mettant tous ses soins à
rendre à l'autorité son ancienne influence, il eût traversé ces temps d'orage,
comme on l'a fait tant de fois sans éclat, mais sans inquiétude. Au lieu de
suivre cette marche obscure, il s'est avancé au milieu des dangers ; il s'est
exposé à tous les combats de l'intérêt personnel , il s'est soumis à tous les
faux soupçons, à toutes les interprétations injustes ; et au milieu d'une année
désastreuse, au milieu d'une année où Je défaut des récoltes, les rigueurs de
la saison, les ravages des tempêtes et des fléaux de toute espèce ont assailli
la France, enfin, au milieu de la pénurie du trésor royal et des embarras
inextricables de la finance, il a mis en mouvement les habitants de tout un
royaume ; et gêné par des formes bizarres en elles-mêmes, et dont souvent on
avait perdu la trace, il est enfin parvenu, à force de soins et de peines, à
rassembler ces États généraux que la nation a demandés avec tant d'instance,
ces États généraux de la France, ces États généraux du premier empire du monde,
ces États généraux enfin qu'aucun de nous ne peut contempler en ce moment sans
une respectueuse émotion. C'est à eux, c'est à vous, Messieurs, qu'il
appartient d'achever le plus grand des ouvrages, et de répondre aux espérances
du meilleur des rois ; c'est à vous à combler les vœux de tout un peuple. Qu'un
jour, qu'un seul jour ne soit pas perdu, afin que vous arriviez plus tôt à
votre terme, afin que vous alliez recueillir dans vos provinces les tributs de
reconnaissance qui vous seront dus, afin que vous entendiez de toutes parts
dans votre route les cris de vive le Roi , vive le bienfaiteur de son peuple ,
et que vous mêliez à ces paroles l'ardente et touchante expression de votre
admiration et de votre amour.
O France ! heureuse France ! c'est entre les mains de tes
citoyens, c'est entre les mains de tes enfants, c'est entre les mains de tes
représentants dont toi-même tu as fait le choix, que repose aujourd'hui ta
destinée !
Oui, Messieurs, le Roi, en rassemblant les États généraux,
le Roi, en réunissant autour de lui les représentants de la nation, le Roi, en
appelant à son aide un si grand concours de lumières, a déjà satisfait à sa
gloire ; mais il a besoin de vous pour obtenir les jouissances les plus chères
à son cœur, il a besoin de vous pour assurer le bonheur de ses peuples, pour
accroître et pour affermir la puissance de l'État ; il a besoin de vous pour répandre
partout dans son royaume l'influence de ses volontés bienfaisantes ; il a
besoin de vous, enfin, pour multiplier les trésors de la France, par le
contentement, la paix, la confiance et la liberté.
Ah ! puisse le ciel accorder à notre auguste monarque une
assez longue suite de jours pour voir encore, non-seulement l'aurore, mais le
jour éblouissant de tant de prospérités ; puisse-t-il recevoir ainsi une juste
récompense de son bienfait ; puisse-t-il voir les premières moissons de cette
terre chérie ; puisse-t-il présager enfin, avec une heureuse confiance, tout ce
que lui devront les races futures !
Et nous, par notre amour, acquittons à l'avance cette dette
de la postérité ; soyons justes, soyons reconnaissants, et que le tribut de nos
cœurs,' que l'hommage de nos sentiments, portés aux pieds de notre souverain,
soient la première de toutes les redevances que nous nous engageons pour
toujours à lui payer.