vendredi 1 mai 2020

Si les Etats Généraux avaient eu lieu à Soisson, comme le voulait M. Barentin...

 

Avec des Si.

     "Avec des Si, on mettrait Paris en bouteille." disait ma grand-mère ! Et si les Etats Généraux de 1789 s'étaient tenus en Province, loin de l'agitation parisienne ?

    En histoire, on appelle cela une "uchronie" ! Que ce serait-il passé si l'Allemagne avait gagné la guerre de 1914-1918 ? Peut-être que ni le nazisme ni l'holocauste n'auraient jamais existé et qu'Hitler serait devenu un peintre célèbre ? Peut-être que l'Europe serait devenue plus puissante que les USA ? Si, si, si, etc...

    Sans tomber dans l'historicisme mystique, on a parfois une sensation d'inévitable en histoire : l'impression que tout concourt à ce que se produise un événement important. Peut-être est-ce dû au fait que nous savons ce qui va arriver, ou que notre esprit confond une fois de plus corrélation et causalité

    Comment ne pas avoir cette drôle d'impression avec la Révolution Française ? Tout semble en effet concourir à ce que ces Etats Généraux convoqués par Louis XVI ne se passent pas comme espéré.

Barentin, le ministre avisé..

M. de Barentin

    Certains proches du roi, sentait venir le danger, comme son garde des sceaux, Charles Louis François de Paule de Barentin, âgé de 51 ans en 1789. Barentin était également Chancelier de l'Ordre du Saint-Esprit, ce qui en faisait un personnage très important. Il avait été auparavant conseiller, puis avocat général au Parlement de Paris de 1757 à 1775, et président de la Cour des Aides de 1775 à 1788. 

    De par sa fonction de Garde des Sceaux, M. de Barentin était également ministre de la Justice et à ce titre il contrôlait également la "Librairie", c'est-à-dire, la censure. Raison pour laquelle Il ne voulait pas que les États Généraux se déroulassent à Paris, une ville trop agitée, irriguée par les idées nouvelles ; et qu’il avait suggéré au roi de les organiser plutôt dans la paisible ville de Soisson. Barentin redoutait en effet l’atmosphère parisienne, très agitée depuis quelques mois.

Vue de Soisson au 17ème siècle

    Contrairement à cet avisé ministre, Jacques Necker le ministre des Finances tenait à ce que les États Généraux se tinssent à Paris. Vous découvrirez ses raisons en lisant ci-après, l'extrait des mémoires de M. de Barentin. Bien sûr, Barentin n’appréciait guère Necker, ce banquier Suisse et Protestant et vous pourrez également lire dans son mémoire ses critiques à l'égard de Necker. Je vous assure que c'est très intéressant.

    Barentin sera d’ailleurs plus tard accusé d’être le principal responsable du renvoi de Necker. Plus grave, en novembre 1789, il sera accusé de crime de lèse-nation, c'est-à-dire, d'avoir ourdi un complot contre la capitale. Mais le complaisant tribunal du Châtelet l'acquittera, ce qui fera dire aux Parisiens que cette juridiction était «la buanderie de la reine».

    Barentin émigrera peu après en Italie. Lors de la fuite du roi le 20 Juin 1791, il attendra Louis XVI à Montmédy, mais le roi ne dépassera pas Varennes où il sera arrêté le 21 Juin. Charles Louis François de Paule de Barentin décédera à Paris le 30 Mai 1818 à l’âge de 80 ans.

    Lors de l’ouverture des États Généraux, le 5 mai 1789, M. de Barentin fera un discours, après celui du roi et avant celui de Necker. Il dressera un tableau presqu’idyllique du royaume, (Pas un mot sur les 900 émeutes de la faim qui ont eu lieu depuis 1986). Par deux fois, il incitera même les députés à refuser «les innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec les changements heureux nécessaires qui doivent amener la régénération, le premier vœu de Sa Majesté». Mais la mécanique de l’histoire était lancée…


Lisons M. de Barentin :

    Je vous invite à lire cet extrait de ses mémoires, dans lequel il explique les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas que les États Généraux se tinssent à Paris ni même à Versailles, ainsi que les arguments de Necker pour qu’au contraire, ils aient lieu précisément à Paris. Les arguments de Necker sont très intéressants...

"Le choix de Versailles, selon M. Necker, « obtint l’approbation de tout le monde. » Me voila encore forcé de nier cette prétendue approbation universelle. Tous les vrais serviteurs du roi et toutes les personnes sensées souhaitaient que les États Généraux se passassent sans convulsions, et ne déguisaient pas, en conséquences, leur éloignement pour qu’ils se tinssent à Paris ou à Versailles.

La foule d’oisifs, de frondeurs, de philosophes modernes, de mécontents, d’étrangers qui habitaient la capitale, y rendait très redoutables une assemblée du genre de celle qui allait s’ouvrir. Tout faisait craindre que les opinions des députés ne se ressentissent de l’esprit réformateur dont cette ville était infectée, et qu’on ne se portât à adopter les innovations et les idées antimonarchiques répandues dans les écrits qui circulaient depuis plusieurs mois, et devenues, dans tous les cercles, l’objet des conversations.

Versailles, à de sa proximité et de ses relations continuelles avec Paris, offrait les mêmes dangers : les effets n’en avaient point échappé aux yeux clairvoyants pendant le cours des deux assemblées des notables. Ainsi, dans le fait, cette approbation supposée générale ne comprenait que le sentiment des fauteurs des systèmes éversifs de l’état ancien, et des partisans de la liberté plutôt que de la licence. On conçoit dès lors combien il devenait précieux pour eux d’avoir les États Généraux à Paris, du moins à Versailles. Une population immense prompte à agiter, aisée à mettre en mouvement, facilitait les moyens d’influencer les membres  des États, de les capter quelquefois sans qu’ils s’en aperçussent ; enfin, de substituer à des discussions, naturellement froides et raisonnables, des délibérations fougueuses et hors de toutes mesures.

Frappé de ces réflexions, plus frappé encore de la classe d’hommes qui commençaient à former des rassemblements dans le jardin du Palais-Royal ; ne me dissimulant point que ce lieu privilégié, exempt de l’exercice habituel de la police, deviendrait le foyer des motions incendiaires, le théâtre des factieux, le point central d’où partiraient les insurrections, d’où se commanderaient les émotions populaires, je proposai de j’insistait pour que les États-Généraux se tinssent à Soisson, et le roi, pendant leur durée, à Compiègne ; où dans toute autre ville près de laquelle le roi pût résider.

 

M. Necker ne goût nullement cet avis, et, pour mieux l’écarter, se retrancha sur la dépense qu’occasionnerait un pareil déplacement ; dépense inconsidérée, lorsque le trésor royal en était aux expédients. Il apercevait d’ailleurs, dans cette translation, l’annonce d’une méfiance mortifiante pour la capitale, et qu’elle ne méritait pas. Au lieu d’appréhender son influence sur les travaux des États Généraux, elle lui paraissait utile et surtout avantageuse aux créanciers de l’État. « Si vous reléguez dans une province, ajoutait-il, les représentants de la nation, ils ne porteront sur Paris qu’un regard indifférent ; ils ne songeront qu’à soulager du poids des impositions les propriétés territoriales ; excepté les députés de cette grande ville, tous les autres sont étrangers aux effets sur le roi ; ils n’en possèdent aucuns ; le sort des rentiers les touchera peu ; ils ne redouteront point, pour libérer l’État, de proposer une banqueroute sinon totale, au moins partielle ; ils n’y verront aucune injustice. Selon eux, une réduction de revenus éprouvée par les capitalistes ne fera que les assimiler aux possesseurs d’immeubles, dont les terres ou autres espèces de biens leur rapportent bien au-dessous de cinq pour cent. Cependant cette opération ruinera les citoyens de Paris ; leur rentes, la plupart les ont acquises à la sueur de leur front ; elles sont le produit de leur industrie, de leurs épargnes, la ressources et la consolation de leur vieillesse : les supprimer ou seulement les détruire, c’est les plonger dans la misère, les condamner au désespoir ; c’est, en outre, faire manquer le roi à ses engagements envers une portion intéressante de ses sujets. Réunissez, au contraire, les députés à Paris ; tenez-y les États Généraux ; ces députés formeront des liaisons avec les citadins, s’éclaireront sur la nature de leurs biens, et finiront par les regarder avec moins de défaveur. Les habitants de toutes les contrées du royaume s’habitueront à ne se considérer que comme une même famille ; un malheur particulier à une seule classe d’individus prendra à leurs yeux les caractères d’une calamité publique, et le projet désastreux de banqueroute, ou simplement de réduction des rentes, sera proscrit."

 

Vous pouvez lire ci-dessous les mémoires de M. de Barentin, et même les télécharger (sur le site de la BNF) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k46891k

"Mémoire autographe de M. de Barentin, chancelier et garde des sceaux, sur les derniers conseils du roi Louis XVI, précédé d'une notice biographique sur M. de Barentin par M. Maurice Champion."



Ouvrage également disponible sur Google : (Voir ci-dessous)

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Bien cordialement
Bertrand