Préambule indispensable.
Je vous renvoie à la fin de cet article à une remarque très judicieuse que fait Philippe Landeux sur cette invraisemblable guerre.
OPINION SUR LE DROIT DE DÉCLARER LA GUERRE
ET CONTRE LA GUERRE DE CONQUÊTE
Ou
Sur l’attribution au roi du droit de paix et de guerre
Intervention à l’Assemblée nationale, le 15 mai 1790
Le 14 mai 1790, Montmorin, ministre des Affaires étrangères,
informe l’Assemblée de la prise de possession, au début du mois, de la baie de
Nootka (Colombie) par les Anglais sur les Espagnols, et des préparatifs que le
roi, lié aux Bourbons espagnols par un pacte de famille, a ordonné pour
soutenir l’Espagne contre l’Angleterre. Le lendemain, cette nouvelle provoque
le débat (lancé par Alexandre Lameth) autour de la question de la guerre : À
qui appartient le droit de la déclarer ? au roi ou à la Nation ? Robespierre,
craignant que toute cette affaire ne soit un nouveau piège tendu à la
Révolution, intervient pour que la question soit débattue. Finalement,
l’Assemblée, sur proposition de Mirabeau, vote des remerciements au roi pour
avoir pris les mesures pour maintenir la paix et ajourne au lendemain la
question du droit de paix et de guerre. La discussion se poursuivra du 16 au 22
mai.
Le Point du Jour, n° 303 :
« M. Robespierre s’est élevé à des considérations plus
importantes en disant : — Il est évident que s’il est un moment pour
l’Assemblée nationale de décider à qui appartient le droit de faire la paix ou
la guerre, c’est celui où il peut être question de délibérer sur l’exercice de
ce droit, et où le ministère semble nous annoncer que nous devons prendre part
aux différends de deux nations voisines. [...] Si vous la décidez conformément
aux prétentions de la cour ou si vous la laissez indécise, (ce qui laisserait
ce redoutable pouvoir entre les mains du ministre) vous devez craindre, avec
beaucoup de raison, qu’une guerre étrangère soit une machination formée par les
cours ou par les cabinets ministériels contre les nations, dans le moment où la
nôtre a reconquis sa liberté, et où les autres sont peut-être déjà tentées
d’imiter ce grand exemple ; et il est évident que les mesures du ministère
français devraient être naturellement conformes à ce but, si vous lui
abandonnez l’exercice du droit de la guerre et de la paix.
» Cependant n’est-il
pas possible qu’après avoir pris une connaissance certaine et particulière des
faits et des circonstances des prétendus démêlés de l’Espagne et de
l’Angleterre, dont la lettre ministérielle vous parle si obscurément et si
vaguement, n’est-il pas possible, dis- je, qu’au lieu de mesures hostiles et
précipitées qui ébranleraient infailliblement l’édifice de votre constitution
naissante, vous adoptiez des mesures de paix et de médiation, dignes de la
justice et de la dignité d’une nation qui vient de reconquérir sa liberté, et
cette dernière espèce de mesures, qui pourra la prendre, si ce n’est la nation
ou ses représentants ?
» Je suppose, par exemple, que vous élevant à la hauteur de
votre rôle et des circonstances, vous jugiez qu’il pourrait être de votre
sagesse de déconcerter les projets des cours, en déclarant aux nations, et
particulièrement à celles que l’on vous présente comme prêtes à faire la guerre
: que, réprouvant les principes de la fausse et coupable politique, qui
jusqu’ici a fait le malheur des peuples, pour satisfaire l’ambition ou les
caprices de quelques hommes, vous renoncez à tout avantage injuste, à tout
esprit de conquête et d’ambition ; je suppose que vous ne désespériez pas de
voir les nations, averties par cette noble et éclatant démarche de vos droits
et de leurs intérêts, comprendre ce qu’elles ont peut-être déjà senti, qu’il
leur importe de ne plus entreprendre d’autres guerres que celles qui seront
fondées sur leur véritable avantage et sur la nécessité, de ne plus être les
victimes et les jouets de leurs maîtres ; qu’il leur importe de laisser en paix
et de protéger la nation française qui défend la cause de l’humanité, et à qui
elles devront leur bonheur et leur liberté… Je suppose, dis-je, qu’il fût utile
ou nécessaire de prendre dans les circonstances actuelles, les mesures que je
viens d’indiquer ou d’autres semblables. Est-ce la cour, sont-ce les ministres
qui les prendront ? Non, ce ne peut-être que la nation même ou ses
représentants. Il faut donc, avant tout, et dès à présent décider si le droit
de la guerre et de la paix appartient à la nation ou au roi. [...] »
Observation de Philippe Landreux, auteur de cet indispensable ouvrage :
"Cette défiance de Robespierre vis-à-vis de la guerre et son opposition aux guerres de conquête ne contribua pas peu à le perdre. C’est elle qui, fin 1791, début 1792, le dressa en premier lieu contre les Girondins qui voulaient à toute force déclarer la guerre à l’empereur d’Autriche et qui parvinrent en effet à plonger la France dans un conflit qui dura près de 20 ans. C’est elle encore qui, au printemps 1794, l’amena à s’opposer à Carnot, son collègue au Comité de salut public, spécialisé dans le domaine militaire, lequel, une fois le territoire national libéré, voulait continuer une guerre de conquêtes et de rapines au lieu d’envisager la paix. Or, si Fouché passe à juste titre pour le principal artisan du complot du 9 thermidor, les robespierristes, eux, regardaient Carnot comme leur pire ennemi."
Post Scriptum :
Voici la liste des discours de Robespierre que l'on peut lire sur l'indispensable ouvrage de Philippe Landeux :
Robespierre & la guerre
- Premières interventions sur la guerre (28 nov., 11, 12, 14 déc.)
- La guerre qui convient (28 novembre 1791)
- Pas de guerre (11 décembre 1791)
- Le mieux est d’attendre (12 décembre 1791)
- Sur le droit de discuter de la guerre (14 décembre 1791)
- Premiers discours contre la guerre (18 décembre 1791)
- Deuxième discours contre la guerre (2 janvier 1792)
- Troisième discours contre la guerre (11 janvier 1792)
- Quatrième discours contre la guerre (25 janvier 1792)
- Discours sur les moyens de sauver la patrie (10 février 1792)
- En attendant la guerre
- Sur Dumouriez (19 mars 1792)
- Sur le bonnet rouge (19 mars 1792)