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Carte de France divisée selon le projet du comité
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Monsieur Thouret présente ce jour à l’Assemblée le rapport
rédigé par son comité, concernant d’une part la nouvelle division territoriale
et administrative du royaume, et d’autre part les bases de la représentation
des citoyens, entre actifs et passifs selon leur degré de fortune.
Le comité chargé de cette tâche était constitué des membres suivants :
Thouret , l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun (Talleyrand), Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne
et Le Chapelier.
La logique qui a présidé à la réalisation de ce rapport
reposait d'une part, sur l’organisation d’un gouvernement représentatif, dont la
justice et la stabilité dépendraient, selon ses rédacteurs, de l'établissement
de l'égalité proportionnelle dans la représentation, et d'un ordre fixe et
simple dans les élections. D'autre part, sur la création d’un nouveau système
d'administration municipale et provinciale reposant également sur une base représentative
proportionnelle.
La similitude entre les deux objets justifiait selon le
comité de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation
nationale, et de l'administration municipale et provinciale.
Le comité fera également en sorte que la proportion des contributions
directes d’une province ait jusqu’à un certain point, une correspondance avec
le nombre de ses représentants élus, augmentant ainsi l’influence politique de
ladite province. La province concernée serait alors intéressée non seulement à la perception des impôts de ses administrés, mais aussi aux améliorations
intérieures susceptibles de développer son économie et par la même ses rentrées
fiscales.
Ce gouvernement représentatif reposera sur un suffrage
censitaire. C’est-à-dire que seuls pourront voter et être élus les citoyens
payant une certaine somme aux impôts. Pas question de suffrage universel, bien sûr (il faudra attendre la constitution de 1793).
Pour avoir le droit de voter, il faudra être un (et pas une)
contribuable en impositions directes, au taux local de 3 journées de travail,
qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales, et à 10 journées
pour être éligible.
Ce système de sélection par l’argent et le sexe, fera que
sur 26 millions de français, seuls 4.4 millions auront le droit de voter.
A l’issue de sa présentation devant les députés de l’Assemblée,
M. de Richier demandera qu'il soit fait une carte suivant le nouveau projet de
division de la France, afin qu’elle puisse être distribuée et examinée dans les
bureaux, et que chaque membre puisse offrir ses réflexions.
M. Target lui répondra que cette idée avait déjà été saisie
par le comité. Cette carte, dans laquelle seront marquées les nouvelles
divisions, sera soumise aux membres de l'Assemblée et envoyée aux provinces pour
être corrigée d'après leurs vœux. Il ajoutera que : « On suivra, d'ailleurs, pour l'amélioration de ce plan toutes les idées de bien
public que chaque citoyen voudra communiquer ».
Le projet présenté ce jour par Monsieur Thouret se
concrétisera par la publication du décret du 22 décembre 1789, relatif à la
constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives.
Le nombre exact (83) des départements et leurs limites seront
fixés le 26 février 1790 et leur existence prendra effet
le 4 mars suivant.
Vous trouverez, ci-dessous, la première partie de la longue
présentation du rapport, et bien sûr les liens pour lire la totalité.
Sources :
Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4
Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2
Rapport de M. Thouret sur les bases de la représentation
proportionnelle, lors de la séance du 29 septembre 1789
M. Thouret au nom du nouveau comité de constitution, fait à
l'Assemblée nationale un rapport sur les bases de la représentation proportionnelle.
Messieurs, le travail que votre nouveau comité a l'honneur
de vous soumettre, tient, par un double rapport, à deux grandes parties de la
Constitution.
D'une part, vous organisez le gouvernement représentatif, le
seul qui convienne à un peuple libre ; mais sa justice et sa stabilité
dépendent de l'établissement de l'égalité proportionnelle dans la
représentation, et d'un ordre fixe et simple dans les élections.
D'autre part, vous voulez fonder un nouveau système
d'administration municipale et provinciale. Cette administration, également
représentative exige de même, et la représentation proportionnelle, et un ordre
pour les élections.
Cette similitude entre les deux objets établit, par la
nature de la chose même, l'importance de fonder sur des bases communes le
double édifice de la représentation nationale, et de l'administration
municipale et provinciale.
Cette vérité, si propre tout à la fois, à affermir les
différentes parties de la Constitution, en les liant l'une à l'autre, et à
faciliter pour toujours l'exécution en la simplifiant, est la première qui nous
a frappés. En suivant le fil qu'elle présente, nous sommes arrivés à la
conviction que l'organisation de chaque grand district du royaume doit être
constituée de manière qu'elle serve en même temps et à la formation du Corps
législatif, et à celle des diverses classes d'assemblées administratives. C'est
ainsi que d'un ressort commun partiront tous les mouvements du corps politique
; par-là, la conservation de ce ressort unique sera d'autant plus chère au
peuple, qu'en le perdant il perdrait tous les avantages de sa Constitution ; par-là,
sa destruction deviendrait plus difficile à l'autorité, qui ne pourrait le
rompre qu'en désorganisant entièrement l'Etat.
Le comité a pensé que les bases de la représentation doivent
être, autant qu'il est possible, en raison composée du territoire, de la
population et des contributions. Avant de dire comment ces trois bases peuvent
se combiner pour établir entre les divers districts électeurs la juste proportion
de leurs députations, il est nécessaire de présenter, sur chacune des trois,
quelques développements particuliers.
Base territoriale.
Le royaume est partagé en autant de divisions différentes
qu'il y a de diverses espèces de régimes ou de pouvoirs : en diocèses, sous le
rapport ecclésiastique ; en gouvernements, sous le rapport militaire ; en
généralités, sous le rapport administratif ; en bailliages, sous le rapport
judiciaire.
Aucune de ces divisions ne peut être ni utilement ni convenablement
appliquée à l'ordre représentatif. Non-seulement il y a des disproportions trop
fortes en étendue de territoire, mais ces antiques divisions, qu'aucune
combinaison politique n'a déterminées, et que l'habitude seule peut rendre
tolérables, sont vicieuses sous plusieurs rapports tant publics que locaux.
Mais puisque l'ordre que la Constitution va établir est une
chose nouvelle, pourquoi l'asservi-rions-nous à des imperfections anciennes qui
en contrarient l'esprit, et qui en gêneraient les effets, lorsque la raison et
l'utilité publique commandent d'éviter ce double écueil ? Le comité a donc
pensé qu'il est devenu indispensable de partager la France, dans l'ordre de la
représentation, en nouvelles divisions de territoire égales entre elles autant
qu'il serait possible.
Le plan de ces nouvelles divisions est projeté
figurativement sur une carte du royaume ; vous y verrez, Messieurs, qu'on a
respecté, autant qu'il a été possible, les anciennes limites, et la facilité
des communications.
En suivant ce plan, la France serait partagée, pour les
élections, en quatre-vingts grandes parties qui porteraient le nom de
départements.
Chaque département serait d'environ 324 lieues carrées, ou
de 18 lieues sur 18. On procéderait à cette division, en partant de Paris comme
du centre, et en s'éloignant de suite, et de toutes parts, jusqu'aux
frontières.
A ces quatre-vingts départements, il en faudrait ajouter un
de plus, formé du district central où se trouve la ville de Paris. Cette grande
cité mérite en effet, par son titre de métropole, par son énorme population, et
par sa forte contribution, d'avoir le titre et le rang de département.
Chaque département serait divisé en neuf districts, sous le
titre de communes, chacun de trente-six lieues carrées, et de six lieues sur
six. Ces grandes communes seraient les véritables unités ou éléments politiques
de l'empire français. Il y en aurait en tout 720.
Chaque commune serait subdivisée en neuf fractions
invariables par le partage de son territoire en neuf cantons, de quatre lieues
carrées, ou de deux lieues sur deux ; ce qui donnerait en tout 6,480 cantons.
Chacune de ces fractions pourrait contenir des quantités variables, eu égard à
la population et aux contributions.
La France contient environ 26,000 lieues carrées.
Or, 80 départements, de 324 lieues carrées ;
720 communes, de 36 lieues carrées
6,480 cantons, de quatre lieues carrées ; chacune de ces
divisions remplit les 26,000 lieues du royaume.
Base personnelle, ou de population,
La véritable base personnelle, pour la représentation, sera
dans le premier degré des assemblées qu'on peut appeler primaires.
Le comité s’est occupé d'établir une juste proportion,
d'abord entre ces assemblées primaires, qui seront celles des citoyens de
chaque canton ; ensuite entre les assemblées communales, composées des députés
des cantons ; enfin entre les assemblées de département, formées par la réunion
des députés élus dans les communes.
Le nombre des individus, en France, est d'environ 26
millions ; mais d'après les calculs qui paraissent les plus certains, le nombre
des citoyens actifs, déduction faite des femmes, des mineurs, et de tous ceux
que d'autres causes légitimes privent de l'exercice des droits politiques, se
réduit au sixième de la population totale. On ne doit donc compter en France
qu'environ 4 millions 400,000 citoyens en état de voter aux assemblées
primaires de leur canton.
Si la population était égale à chaque canton, les 26 millions
d'individus répartis sur 26, 000 lieues carrées qui composent l'étendue du
royaume, donnerait 1,000 individus par lieue carrée, et par conséquent 4,000
individus par canton, dont le sixième en citoyens actifs formerait le taux
moyen d'environ 680 votants par canton. Nous avertissons que par l'expression
de citoyens votants, nous entendrons toujours non-seulement ceux qui seront
présents, et voteront en effet, mais encore tous ceux qui auront de droit la
faculté de voter.
La population étant inégalement répartie, on ne doit pas
douter qu'elle sera dans un grand nombre de cantons au-dessous de 4,000
individus, et de 680 votants ; mais ce qui manquera au taux moyen dans les
cantons moins peuplés, se retrouvera en excédant dans ceux qui le seront davantage,
et sera employé au moyen de la formation de doubles, triples ou quadruples
assemblées primaires dans ces cantons plus peuplés. On sent que Paris est
l'extrême en ce genre.
Le comité a pensé que les assemblées primaires doivent être
établies au taux moyen de 600 votants, afin d'éviter les inconvénients des
assemblées trop nombreuses.
Il y aurait toujours une assemblée primaire en chaque
canton, quelque faible que fût la population ; mais il ne pourrait y en avoir
deux que quand le nombre des volants se trouverait élevé à 900. En ce cas
seulement l'assemblée d'un canton se partagerait en deux, afin qu'il pût y
avoir toujours au moins 450 votants dans chaque assemblée primaire.
Si par la suite un nouvel accroissement de population
élevait encore une de ces assemblées au nombre de 900, il faudrait qu'avant de
pouvoir former une troisième assemblée dans le canton, elle reversât une partie
de ses membres sur l'autre assemblée qui n'aurait pas le taux moyen de 600
votants, jusqu'à ce que celle-ci eût atteint ce taux moyen. Réciproquement, si
la population diminuée réduisait une des assemblées au-dessous de 450 votants
lorsque l'autre ne serait pas élevée au-dessus de ce taux, elles seraient
obligées de se réunir, puisque le nombre des votants produit par cette réunion
serait moindre de 900.
Il arriverait ainsi, dans le premier cas, qu'à quelque
nombre que les assemblées primaires pussent être portées dans un canton, il n'y
en aurait jamais que deux qui pourraient être au-dessous du taux moyen de 600
votants, ou qu'une seule qui pourrait l'excéder ; et dans le second cas, qu'il
n'y aurait jamais qu'une seule assemblée dans un canton, quand il fournirait
moins que 900 votants.
Il résulte de ce qui précède les trois conséquences
suivantes :
La première, que si le nombre des cantons est invariable, il
n'en est pas ainsi des assemblées primaires ;
La deuxième, qu'au lieu de fixer le nombre des assemblées
primaires à 6,480, à raison du nombre des cantons, il est vraisemblable
qu'elles se trouveront plus nombreuses, parce qu'elles suivront les
vicissitudes de la population ;
La troisième, qu'un citoyen qui ne changera ni de canton ni
de domicile, pourra cependant se trouver dans le cas de changer d'assemblée,
lorsqu'il deviendra nécessaire démultiplier ou de réduire celles de son canton.
Base de contribution.
Le comité a pensé que la proportion des contributions
directes devait entrer jusqu'à un certain point dans celle des députations.
Il est juste que le pays qui contribue le plus aux besoins
et au soutien de l'établissement public, ait une part proportionnelle dans le
régime de cet établissement.
Il est encore d'une sage prévoyance d'intéresser par-là les
provinces à l'acquit des contributions, et aux améliorations intérieures qui
n'augmenteront pour elles la matière de l'impôt, qu'en augmentant en même temps
leur influence politique.
Ces premières considérations n'ont pas seules déterminé
l'opinion du comité. Il a senti la nécessité d'avoir égard aux contributions
directes, pour rectifier l'inexactitude de la base territoriale, qui n'est
établie que sur l'égalité des surfaces. Un arpent de 50 livres de rapport, et
taxé sur ce taux, est réellement double d'un arpent de 25 livres de revenu, qui
n'est taxé que sur ce moindre produit. Ainsi, l'égalité des territoires par
leur étendue superficielle, n'est qu'apparente et fausse si elle n'est pas
modifiée par la balance des impositions directes qui rétablit l'équilibre des
valeurs ; et c'est par là que la base de contribution tient essentiellement à la
base territoriale, et en fait partie.
Le rapport des contributions est nul sans doute, lorsqu'il
s'agit de balancer les droits politiques d'individu à individu, sans quoi
l'égalité personnelle serait détruite, et l'aristocratie des riches
s'établirait ; mais cet inconvénient disparaît en entier, lorsque le rapport
des contributions n'est considéré que par grandes masses, et seulement de
province à province. Il sert alors à proportionner justement les droits
réciproques des cités, sans compromettre les droits personnels des citoyens.
Formation des assemblées graduelles pour le Corps
législatif.
I. Tous les citoyens actifs d'un canton se formeront en une
ou plusieurs assemblées primaires, suivant leur nombre, comme il a été dit
ci-dessus, pour envoyer leurs députés à l'assemblée communale.
Le comité pense que pour ce premier degré des assemblées,
élément fondamental de toute la représentation, il ne faut avoir égard qu'à la
seule population. Chaque homme, dès qu'il est citoyen actif, doit jouir pour en
premier acte, de toute la valeur de son droit individuel.
Le district d'une assemblée primaire est d'ailleurs trop
borné, et la prépondérance des hommes puissants y serait trop immédiate, pour
qu'on doive y mettre en considération, soit le territoire, soit les
contributions. Ainsi, le nombre des députés à élire par les assemblées
primaires, ne serait réglé que par le nombre des votants, à raison d'un députe
par 200 votants.
D'après la donnée des 4,400,000 citoyens actifs, il y aurait
environ 22,000 députés élus par la totalité des assemblées primaires, et
envoyés en nombre inégal à 720 communes.
Le comité propose que les qualités nécessaires pour entrer,
à titre de citoyen actif, dans l'assemblée primaire de son canton, soient :
1° d'être Français, ou devenu Français ;
2° d'être majeur ;
3° d'être domicilié dans le canton, au moins depuis un an ;
4° d'être contribuable en impositions directes, au taux
local de trois journées de travail, qui seront évaluées en argent par les
assemblées provinciales ;
5° de n'être pas pour le moment, dans un état servile (1),
c'est à-dire, dans des rapports personnels, trop incompatibles avec l'indépendance
nécessaire à l'exercice des droits poli¬ tiques.
(1) L'état servile, exclu ici, ne peut s'entendre, sous
aucun rapport, des anciens mainmortables, dont la servitude a d'ailleurs été
abolie par le décret de l'Assemblée nationale du 4 août dernier.
Pour être éligible, tant à l'assemblée de la commune qu'à
celle de département, il faudra réunir les conditions ci-dessus, à la seule
différence qu'au lieu de payer une contribution directe de la valeur locale de
trois journées de travail, il en faudra payer une de la valeur de dix journées.
Les députés nommés par les assemblées primaires se réuniront
au chef-lieu de la commune, et puisque nous avons considéré les communes comme
étant les premières unités politiques qui doivent concourir et se balancer pour
former la législation, il faut que les trois éléments de la représentation
proportionnelle entrent dans la composition de leurs députations.
C'est ici le lieu d'expliquer comment les trois bases du
territoire, de la population et de la contribution peuvent être combinées avec
autant de justice dans les résultats que de facilité dans le procédé.
La base territoriale est invariable, et supposée égale ;
celles de la population et des contributions sont variables, et d'un effet
inégal dans chaque commune. On peut donc attribuer à chacune des neuf communes une
part de députation égale et fixe, à raison de leur territoire, attacher deux
autres parts de députation, l'une à la population totale du département,
l'autre à la masse entière de sa contribution directe, et faire participer
chaque commune à ces deux dernières parts de députation, à proportion de ce
qu'elle aurait de population, et de ce qu'elle payerait de contribution.
Ainsi, en supposant que l'assemblée générale de département
qu'il s'agit ici de former, dût être composée de 81 députés des communes, il
faudrait en attacher invariablement le tiers, montant à 27, au territoire du
département, et par conséquent 3 au territoire de chaque commune ; chacune des 9
assemblées communales nommerait donc également 3 députés, à raison de son
territoire.
Il faudrait ensuite attribuer 27 députés à la population
totale du département, et diviser cette population en 27 parts, de manière que
chaque commune nommerait autant de députés qu'elle aurait de vingt-septièmes
parties de population.
Les 27 autres députés seraient attachés à la contribution en
impôts directs et celte contribution étant divisée de même en 27 parts,
donnerait autant de députés à chaque commune, qu'elle payerait de
vingt-septièmes dans la masse totale des impositions directes.
La population de chaque département sera facilement connue,
puisque celle de chaque commune sera constatée par le nombre des députés qui y
seront arrivés des assemblées primaires. La contribution sera également connue,
puisque les départements et les communes auront l'administration de l'impôt
dans leurs territoires. Au moment de la première formation des assemblées, les
communes qui n'auraient pas ces connaissances pourront aisément les acquérir en
se communiquant respectivement ces éclaircissements avant de procéder aux
élections.
Les assemblées de département nommeraient par le même
procédé les députés à l'Assemblée nationale, à raison de 9 députés par
département ; ce qui porterait 720 députés à l'Assemblée nationale.
Des 720 députés nationaux, le tiers montant à 240 serait
attaché au territoire, et donnerait invariablement trois députés par
département.
Le second tiers de 240 serait réparti sur la population totale
du royaume, qui, divisée en deux cent-quarante parts, donnerait autant de
députés à chaque département qu'il aurait de deux cent quarantièmes parties de population.
Enfin, les 240 autres députés seraient accordés à la
contribution, de manière qu'en divisant la masse totale des impositions
directes du royaume en deux cent-quarante parts, chaque département aurait un
député à raison du payement d'une deux cent quarantième parties.
Le comité pense que pour être éligible à l'Assemblée
nationale, il faut payer une contribution directe, équivalente à la valeur d'un
marc d'argent.
Il croit encore qu'il est d'une prévoyance sévère au premier
coup d'œil, mais sage et nécessaire, qu'aucun représentant ne puisse être élu
pour la seconde fois, qu'après l'intervalle d'une législature intermédiaire,
afin d'éviter l'aristocratie des familles en crédit, qui parviennent à se
perpétuer dans les emplois, même électifs. L'expérience de tous les temps et de
tous les pays démontre ce danger.
Le plan qui vient d'être exposé pour la formation des
assemblées et des élections graduelles a réuni les suffrages de votre comité,
parce qu'il lui a paru produire trois grands avantages.
Le premier est d'établir de la manière la plus sûre, et par
les principes les plus justes, une représentation exactement proportionnelle
entre toutes les parties du royaume, en y faisant entrer tous les éléments dont
elle doit nécessairement se composer.
Le second est de fixer pour le maintien de la proportion
établie un mode constitutionnel, dont le principe demeurant inaltérable et
permanent se prêtera toujours dans l'application à toutes les variations de la
population et des contributions.
Le troisième est de pouvoir appliquer la même méthode à la
formation des assemblées provinciales ; en sorte qu'un mouvement uniforme fasse
arriver la représentation nationale au Corps législatif, et la représentation
provinciale aux assemblées administratives.
Cette première partie de notre travail ne se borne pas à
vous offrir le supplément qui vous était nécessaire pour compléter la
Constitution dans l'ordre législatif ; elle vous présente encore des
dispositions toutes préparées, pour hâter l'établissement du régime intérieur
des provinces : et c'est maintenant à cette seconde partie de notre plan que
nous allons passer.
Projet d'arrêté relatif à cette première partie du travail.
Art. 1er. La France sera partagée en divisions de 324 lieues
carrées chacune, c'est-à-dire, de dix-huit sur dix-huit, autant qu'il sera
possible, à partir de Pans, comme centre, et en s'éloignant en tous sens
jusqu'aux frontières du royaume. Ces divisions s'appelleront départements.
Art. 2. Chaque département sera partagé en neuf divisions de
36 lieues carrées de superficie, c'est-à-dire, de six sur six, autant qu'il
sera possible. Ces divisions porteront le nom de communes.
Art. 3. Chaque commune sera partagée en neuf divisions,
appelées cantons, de quatre lieues carrées, c'est-à-dire, de deux sur deux.
(1) La lieue adoptée est la lieue commune de 2,400 toises.
Art. 4. Tous les citoyens actifs, c'est-à-dire, tous ceux
qui réuniront les qualités suivantes :
1° d'être né Français, ou devenu Français ;
2° d'être majeur ;
3° d'être domicilié dans le canton au moins depuis un an ;
4° de payer une contribution directe de la valeur locale de
trois journées de travail ;
5° de n'être pas alors dans une condition servile, auront
droit de se réunir pour former dans les cantons les assemblées primaires.
Art. 5. Nul citoyen ne pourra exercer les droits de citoyen
actif dans plus d'un endroit, et dans aucune assemblée personne ne pourra se
faire représenter par une autre.
Art. 6. Dans tout canton il y aura au moins une assemblée
primaire.
Art. 7. Tant que le nombre des citoyens actifs d'un canton
ne s'élèvera pas à 900, il n'y aura qu'une assemblée dans ce canton ; mais dèsle nombre 900, il s'en formera deux de 450 chacune au moins.
Art. 8. Chaque assemblée tendra toujours à se former autant
qu'il sera possible au nombre de 600, qui sera le taux moyen ; de telle sorte
néanmoins que, s'il y a plusieurs assemblées dans un canton, la moins nombreuse
soit au moins de 450. Ainsi, au-delà de 900, mais avant 1,050, il ne pourra y
avoir une assemblée complète de 600, puisque la seconde aurait moins de 450.
Dès le nombre 1,050 et au-delà, la première assemblée sera de 600, et la
deuxième de 450, au plus. Si le nombre s'élève à 1,400, il n'y en aura que
deux, une de 600 et l'autre de 800 ; mais à 1,500 il s'en formera trois, une de
600 et deux de 450 ; et ainsi de suite, suivant le nombre de citoyens actifs de
chaque canton.
Art. 9. Toutes les assemblées primaires de chaque canton
députeront directement à l'assemblée de leur commune.
Art. 10. Pour être éligible à l'assemblée communale, ainsi
qu'à celle de département, il faudra réunir aux conditions d'électeur,
c'est-à-dire de citoyen actif, celle de payer une contribution directe plus
forte : cette contribution se montera au moins à la valeur locale de dix
journées de travail.
Art. II. Chaque assemblée primaire députera à fa commune à
raison d'un membre sur 200 votants.
Art. 12. L'assemblée communale, formée des députés des
assemblées primaires, choisira ses députés pour le département, parmi tous les
citoyens éligibles de la commune.
Art. 13. Chaque assemblée de département sera composée de 81
membres, dont un tiers, c'est-à-dire 27, sera député par les 9 communes du département,
à raison du territoire ; ce sera donc 3 députés par commune, puisque les
territoires des communes sont égaux entre eux, étant composés d'un égal nombre
de cantons égaux.
Art. 14. Le second tiers formant 27 députés sera envoyé par
les 9 communes, à raison de la population active de chaque commune. Ainsi, la
somme totale de la population des 9 communes ou du département sera divisée en
27 parts ; et chaque commune aura autant de députés qu'elle contiendra de ces
vingt-septièmes.
Art. 15. Le troisième tiers se distribuera par une semblable
opération en raison de la contribution respective des 9 communes. La somme
totale des contributions directes des 9 communes, ou du département, sera
divisée en 27 ; et chaque commune enverra un député pour chaque vingt-septième
qu'elle payera.
Art. 16. Ces deux dernières opérations donnant lieu
nécessairement à des fractions, les fractions ne pouvant être que faibles ne
seront pas comptées, parce qu'elles se compensent entre elles.
Art. 17. Les assemblées de département formeront par leurs
députés l'Assemblée nationale, qui sera composée de 720 membres.
Art. 18. Le tiers de ce nombre, c'est à-dire 240, sera
envoyé par les départements à raison du territoire ; 240 à raison de la
population, et 240 à raison de la contribution respective, ainsi qu'il a été
dit ci-dessus relativement aux communes, mais en divisant entre les
départements la population du royaume et la masse entière de la contribution
directe en 240 parts.
Art. 19. Nul membre de l'Assemblée nationale ne pourra être
réélu pour l'Assemblée suivante. Il sera nécessaire qu'entre deux élections de
la même personne, il y ait au moins une Assemblée d'intervalle.
Signé : Thouret, l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun, Demeunier,
Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.
Source :
Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4
Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2