mercredi 30 septembre 2020

30 Septembre 1789 : Babeuf publie son Cadastre Perpétuel et le dédie à l’Assemblée

 

    Fin septembre, début octobre 1789, est publié à Paris un curieux ouvrage dédié à L’Assemblée nationale, portant un nom étrange. Il s’agit du « Cadastre Perpétuel » de François Noël Babeuf, que celui-ci cosigne avec un mathématicien du nom d’Audiffred. 

Le projet déclaré de ce livre figure en introduction :

Cadastre Perpétuel, ou Démonstration des procédés convenables à la formation de cet important Ouvrage, pour assurer les principes de l’Assiette & de la Répartition justes & permanentes, & de la Perception facile d'une Contribution Unique, tant sur les Possessions Territoriales, que sur les Revenus Personnels.

Avec l’exposé de la Méthode d'Arpentage de M. Audiffred par son nouvel instrument, dit Graphomètre Trigonométrique : méthode infiniment plus accélérative & plus sûre que toutes celles qui ont paru jusqu’à présent, & laquelle, par cette considération serait plus propre à être suivie dans la grande opération du Cadastre.

Apparaît également en première page, cette citation de Necker, extraite de son discours lors de l’ouverture des Etats Généraux :

« On doit mettre au premier rang, parmi les améliorations qui intéressent tous les habitants du Royaume, l’établissement des principes qui doivent assurer une égale répartition des impôts »

Et page suivante, on peut lire cette dédicace adressée aux députés :

A l’Honorable Assemblée des Représentants de la Nation Française

Nosseigneurs

C’est à votre tribunal auguste que sans doute il convient de soumettre l’examen des Plans d’Administration qui peuvent intéresser tous les Citoyens de l’Etat. Sous ce point de vue, nous osons vous faire hommage du Cadastre Perpétuel. C’est l’offrande qu’il est en notre pouvoir de présenter à la Patrie : puissiez-vous la juger digne d’elle, & l’agréer au nom de tous les Français. C’est être ambitieux que d’avoir prétendu donner une production tendant à leur bonheur à tous ; mais nous nous attendons que ce motif sera trouvé louable ; et si notre haute entreprise était d’heureuse témérité, les seuls vœux que nous eussions conçus seraient à leur comble.

Nous sommes bien respectueusement,

Vos très humble & très obéissants Serviteurs,

F. N. Babeuf, Archiviste-Feudiste

J.P. Audiffred, Mathématicien

Citoyens Français

    Babeuf est arrivé à Paris à la fin du mois de juillet pour faire éditer son Cadastre Perpétuel. Au vu des événements, il y a ajouté ce « Discours préliminaire » dédié à l’Assemblée nationale. 

    Vous en conviendrez avec moi, au premier abord, l’objet de cet ouvrage correspond à merveille aux préoccupations des députés, et plus particulièrement à celles de Monsieur Thouret et de son comité qui ont présenté hier, 29 septembre, leur projet de redécoupe du territoire.

Au premier abord, oui…

Quelques mots sur Babeuf ?

    Babeuf avait ouvert en 1785, à Roye, en Picardie, un cabinet d’arpenteur-géomètre et de commissaire à terrier ou feudiste. C’est-à-dire qu’il était chargé d’établir pour les nobles, les listes des droits seigneuriaux sur leurs terres. Cela signifiait également que les nobles fondaient leurs exigences d’argent à payer par les paysans, sur la base de son travail. Ce fut en exerçant cette fonction ingrate que sa conscience politique s’éveilla progressivement. Il écrira plus tard : « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble »

    Sa conscience politique sera de tendance utopiste. Cela dit sans aucun jugement de valeur. Certaines utopies sont très belles. Néanmoins, un utopiste a tendance à ne pas trop s’embarrasser de la réalité des choses, et par ce fait il a tendance à élaborer des systèmes pour des hommes tels qu’ils devraient être (dans son idée), plutôt que tels qu’ils sont, ou éventuellement, pourraient être. Raison pour laquelle les solutions imaginées par Babeuf pour réformer la société seront assez radicales. Babeuf rêvait de ce que nous appellerions une réforme agraire, mais assez extrême. Celle-ci aurait consisté en un partage des terres strictement équitable entre tous les citoyens, qui serait revenu à créer « 6 millions de manoirs de 11 arpents » et qui aurait abouti à terme à une suppression de la propriété.

    Babeuf était néanmoins prudent (et intelligent). Raison pour laquelle, dans son ouvrage, il met plutôt en valeur la simplicité et la modération de son projet, évoquant les nombreux avantages qui en résulterait aussi bien pour les pauvres (justice sociale) que les riches (sécurité et paix). De plus, son discours s’appuie sur une démarche d’apparence scientifique puisqu’il met en avant l’utilisation d’une nouvelle invention, le graphomètre trigonométrique, qui permettra d’optimiser la réalisation du castre ; le cadastre étant la clé d’un calcul équitable des impôts fonciers. Ne doutons pas cependant que dans son idée, cet arpentage de l’ensemble du territoire permettra également plus tard le repartage de la grande propriété foncière. Sans vouloir tomber dans des généralités, on voit souvent des utopistes s’appuyer sur des discours scientifiques pour justifier les systèmes qu’ils imaginent.

Sur l'utopie et Babeuf, je vous conseille la lecture de cet article très intéressant :
"Comment la révolution a transformé l’utopie : le cas de Gracchus Babeuf"

    La propriété étant l'obsession de la grande majorité des députés, qui songent même à la sacraliser, on se doute bien que Babeuf se prépare beaucoup de soucis.

    Mais Babeuf est un vrai révolutionnaire et sa parole vaut tout aussi bien d'être écoutée que celle des révolutionnaires qui occupent le devant de la scène, depuis les Etats Généraux.

    Babeuf deviendra un acteur important du mouvement des sans-culottes. Toute sa vie il aura été pauvre et il se sera battu du côté des pauvres. Il perdra même sa fille qu’il adorait, morte de privations, pendant un de ses nombreux séjours en prison.

Babeuf mérite donc le respect.

 

Voici donc le fameux « Cadastre perpétuel » :


Fin septembre 1789 : Saint-Priest, le ministre de l'Intérieur nous explique la situation.

 

    C'est en faisant des recherches sur Axel de Fersen, "l'amoureux suédois" de la Reine, que j'ai trouvé dans l'ouvrage de Charles Kunstler "Fersen et son secret" cette confession du comte de Saint-Priest, probablement extraite des mémoires de celui-ci (je vérifierai plus tard).

    Elle est très intéressante car elle nous donne un éclairage intéressant sur les événements que nous découvrons ensemble depuis quelques temps. Qui plus, Saint-Priest n'est pas n'importe qui puisque c'est le ministre de l'Intérieur. Chassé en même temps que Jacques Necker, il a repris sa fonction en même temps que Necker, au retour de celui-ci-ci. Saint-Priest n'aime pas Marie-Antoinette, car c'est elle et son entourage, en occurrence le réactionnaire baron de Breteuil, qui avaient poussé le roi à commettre la funeste erreur de chasser Necker le 11 juillet 1789, ce qui eut les conséquences que vous savez...

Je vous laisse lire :

    "Depuis le retour de Necker, le comte de Saint-Priest était ministre de l’Intérieur. Il ne cacha rien à Fersen de ce qui se passait à la Cour et à l’Assemblée nationale. Il lui nomma les principaux députés, les plus agissants.

    "Il y a plusieurs partis, lui dit-il : d’abord, celui de la Cour, celui des « aristocrates », que mènent le marquis d’Éprémesnil et l’Abbé Maury ; celui de Necker, qui, tout en maintenant la monarchie et tout en lui accordant la force nécessaire pour rétablir l’ordre, est partisan de la constitution anglaise, des deux chambres, du véto absolu. Malgré l’insistance de Necker, l’Assemblée n’a consenti au roi qu’un véto suspensif, et pour deux législatures. Ce parti comprend quelques figures remarquables, notamment Mounier homme honnête et sincère, (qui s'enfuira le 10 octobre, par suite des événements des 5 et 6), le comte de Lally-Tollendal et le comte de Clermont-Tonnerre, parent de Breteuil. Dans le flux et le reflux des séances les plus orageuses, on distingue encore un parti très remuant. Son chef est le duc d’Orléans, ou plutôt le comte de Mirabeau, qui parle et agit en son nom, et que soutiennent l’évêque d’Autun, Talleyrand, l’abbé Sieyès, M. de Sillery et M. de Laclos, auteur du fameux ouvrage : Les Liaisons dangereuses. Non loin d’eux, s’agitent Barnave, Alexandre Lameth, Duport-Dutertre, qui forment une sorte de triumvirat et se réclament de La Fayette. Député du Tiers Etat du Dauphiné, Barnave est un jeune homme plein d’esprit et de feu, mais factieux déterminé.

    "La Faiblesse du Roi, vous ne l’ignorez pas, le rend incapable de dire "oui" ou "non". Aussi, l’Assemblée, encouragée par le succès de ses usurpations, ne songe qu’à s’en procurer d’autres par son audace, entrainée qu’elle est par Mirabeau et quelques autres démagogues. Ce Mirabeau ne demandait qu’à se rapprocher de la Cour. On se flattait déjà de le gagner. Mais Necker, qui mène tout, n’a jamais voulu y consentir. Mirabeau s’est répandu en menaces. "A quoi donc pensent ces gens-là ? A-t-il dit au comte de La Marck, son ami. Ne voient-ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas ?" Après un moment de silence il s’écria : "Tout est perdu ; le Roi et la Reine y périront, et, vous le verrez, la populace battra leurs cadavres." Et, comme le comte de La Marck ne lui cachait pas l’horreur que ces mots lui causaient, il répéta : "Oui, oui ! On battra leurs cadavres ; vous ne comprenez pas assez les dangers de leur position ; il faut les leur faire connaître…"

    Axel était devenu très pâle. Saint-Priest continua : "On m’assure qu’exaspéré d’être ainsi dédaigné par la Cour, Mirabeau s’est lié avec le duc d’Orléans, dans l’intention, vraie ou simulée, de le mettre sur le trône, espérant ainsi être le maître. C’est avec l’argent de ce prince qu’il fomente des troubles. Il ne craint pas de s’en vanter. On a, dit-il, une très jolie émeute pour vingt-cinq Louis…" Savez-vous, monsieur de Fersen, qu’il a suggéré aux ci-devant garde-françaises le désir de venir chercher le Roi à Versailles et de l’amener à Paris ?... C’est pour parer à ce danger que, d’accord avec La Fayette et la Municipalité de Versailles, j’ai fait venir ici le régiment de Flandre, qui était en garnison à Douai. Mais depuis lors, on me tourmente pour contremander cette mesure."

A présent, vous savez combien coûte l'organisation d'une émeute populaire : 25 Louis. 

Source, Fersen et son secret :

https://excerpts.numilog.com/books/9791037633743.pdf

30 Septembre 1789 : Un solitaire invente le pouvoir modérateur, c’est Bernardin de Saint-Pierre

 

Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre

    C’est à la fin de ce mois de septembre 1789 que Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre publie son ouvrage « Vœux d’un solitaire ». Moins connu que son célèbre roman « Paul et Virginie » publié en 1788, ce livre à l’avantage de coller parfaitement à notre actualité de 1789.

    Je vous invite à lire ci-dessous son préambule. Il décrit les événements qui ont eu lieu à Paris depuis le mois de juillet, ainsi que la façon, assez étonnantes, dont il les a vécus. 

    L’extrait que je vous propose se termine sur la proposition d’un nouveau concept en politique, l’invention d’un troisième pouvoir, le pouvoir modérateur. Je trouve que c'est une idée géniale.

    Si vous le souhaitez, vous pourrez en apprendre plus en lisant l’exemplaire mis à notre disposition par notre ami Google, dans la fenêtre située en bas de page.

    Quant à Bernardin de Saint Pierre, cet aventurier, ingénieur, écrivain, etc., je vous conseille de lire sa biographie plutôt bien faite sur sa page Wikipédia. Vous y apprendre, entre autres, que ce solitaire s’était lié d’amitié avec un autre solitaire, célèbre celui-là pour ses promenades rêveuses dans la nature et surtout pour ses écrits philosophiques ; Je veux parler de Jean-Jacques Rousseau. Bernardin de Saint Pierre faillit se marier en 1773 avec Louise Félicité de Keralio, une femme étonnante et trop méconnue, à laquelle j’ai consacré un article sur ce site.

    Je vous propose également de lire cette étude sur lui, rédigée par le Professeur Jean-Michel Racault, spécialiste des littératures de voyage au XVIIIe siècle, que vous trouverez en cliquant sur l’image ci-contre.




Voici les premières pages du préambule du livre.

Je me suis permis d’actualiser l’orthographe, afin que les « f » remplaçant les « s », comme il était d’usage au 18ème siècle, ne vous perturbent pas trop. J’ai juste laissé les « & » remplaçant nos « et », pour conserver un peu de pittoresque.

"Dans mes Etudes de la Nature, imprimées pour la première fois en décembre 1784, j’ai formé la plupart des vœux que je publie aujourd’hui, en Septembre 1789. J’y serai tombé sans doute dans quelques redites : mais les objets de ces vœux, qui, depuis la convocation des Etats -généraux, intéressent toute la nation, sont si importants, qu’on ne saurait trop les répéter, & su étendus, qu’on peut toujours y ajouter quelque chose de nouveau.

Je sais que les membres illustres de notre assemblée nationale s’en occupent avec le plus grand succès. Je n’ai pas leurs talents, mais, comme eux, j’aime ma patrie. Malgré mon insuffisance, si ma santé l’eût permis, j’aurais ambitionné la gloire de défendre avec eux la liberté publique : mais j’ai un sentiment si exquis & si malheureux de la mienne, qu’il m’est impossible de rester dans une assemblée, si les portes en sont fermées, & si les avenues n’en sont pas si libres que je puisse sortir au moment où je le désire.

Ce désir d’user de ma liberté ne manque jamais de me prendre au moment où je crois l’avoir perdue, & il devient si vif, qu’il me cause un mal physique & moral, auquel je ne peux résister. Il s’étend plus loin que l’enceinte d’un appartement. Pendant les émeutes de Paris (qui commencèrent après le départ de M. Necker, le 13 juillet, au même jour que l’année passée le royaume fut désolé par la grêle), lorsqu’on brûlait les bâtiments des barrières autour de la ville, qu’au-dedans l’air retentissait du bruit alarmant des tocsins que fonctionnaient tous les clochers à la fois, & des clameurs du peuple qui criait que les hussards entraient dans les faux-bourgs pour y mettre tout à feux et à sang, Dieu, en qui j’avais mis ma confiance, me fit grâce d’être tranquille. Je me résignai à tout événement, quoique seul dans une maison isolée & dans une rue solitaire, à l’extrémité d’un faux-bourg.

Mais quand le lendemain, après la prise de la Bastille, l’éloignement de troupes étrangères dont le voisinage avait causé tant d’alarmes, & l’établissement des patrouilles bourgeoises, j’appris qu’on avait fermé les portes de Paris, & qu’on n’en laissait sortir personne, il me prit alors la plus grande envie d’en sortit moi-même.

Pendant que les habitants se félicitaient d’avoir recouvré leur liberté, je comptais avoir perdu la mienne : je me tenais pour prisonnier dans les murs de cette vaste capitale ; je m’y sentais à l’étroit. Je ne rendis le calme à mon imagination, que lorsque j’eus trouvé, en me promenant sur le boulevard de l’hôpital, une porte grillée, dont la ferrure & les barreaux avaient été rompus, & qui n’était pas gardée : alors j’en m’en fus dans la campagne, ou je fis une centaine de pas, pour m’assurer que je n’avais pas perdu mes droits naturels, et qu’il m’était permis d’aller par toute terre. Après cet essai de ma liberté, je me sentis tout à fait tranquille, & je m’en revins dans mon quartier tumultueux, sans me soucier depuis d’en ressortir.

Lorsque, quelques jours après, des têtes coupées à la Grève, sans formalité de justice, & des listes affichées qui en prescrivaient beaucoup d’autres, firent craindre à tout le monde que des méchants ne se servissent de la vengeance du peuple, pour satisfaire leurs haines particulières, & que Paris, livré à l’anarchie, ne devint un théâtre de carnage & d’horreur, quelques amis m’offrirent des campagnes paisibles & agréables, tant au-dedans qu’au dehors du royaume, où je pourrais goûter le repos si nécessaire à mes études ; je les ai remerciés. J’ai préféré de rester dans ce grand vaisseau de la capitale, battu de tous côté de la tempête, quoique je sois inutile à la manœuvre, mais dans l’espérance de contribuer à sa tranquillité. J’ai donc tâché de calmer des esprits exaltés, ou de ranimer ceux qui étaient abattus, quand j’en ai eu l’occasion ; de contribuer de ma personne et de ma bourse aux gardes si nécessaires à la police ; d’assister, de temps à autre, à quelque comité de mon district, un des plus petit & des plus sages de Paris, pour y dire mon mot, quand je le peux ; et surtout de mettre en ordre ces Vœux pour la félicité publique, dont je m’occupe depuis six mois. J’ai abandonné, pour cet unique objet, des travaux plus faciles, plus agréables, & plus utiles à ma fortune ; je n’ai eu en vue que celle de l’Etat.

Dans une entreprise si stupéfiante à mes forces j’ai marché souvent sur les pas de l’Assemblée nationale, & quelquefois je m’en suis écarté : mais si j’avais toujours eu ses idées, il serait fort inutile que je publiasse les miennes. Elle se dirige vers le bien public, par de grandes routes, en corps d’armée, dont les colonnes s’entraident, & quelquefois malheureusement se choquent ; et moi, loin de la foule, sans secours, mais sans obstacles, par des sentiers qui m’ont mené vers le même but. Elle moissonne, & moi je glane. Je rapporte donc à la masse commune quelques épis cueillis sur ses pas, & même au-delà, dans l’espérance qu’elle daignera les recueillir dans ses gerbes.

Cependant j’ai à me justifier de m’être écarté quelque fois de sa marche, & même de ses expressions. Par exemple, l’assemblée n’admet que deux pouvoirs primitifs dans la monarchie, le pouvoir législatif & le pouvoir exécutif. Elle attribue le premier à la nation, & le second au roi. Mais je conçois dans la monarchie, ainsi que dans toute puissance, un troisième pouvoir nécessaire au maintien de son harmonie, que j’appelle modérateur."

Et voici le livre complet !


mardi 29 septembre 2020

29 Septembre 1789 : L’Assemblée « invite » l’Eglise à donner son argenterie « non nécessaire pour la décence du culte »

 

Calice du 18ème siècle

    Souvenez-vous, le 26 septembre, le baron de Jessé avait de nouveau évoqué la possibilité de demander à l’Eglise de céder une partie de ses richesses afin d’aider à rembourser la dette de l’Etat. Une petite partie d’ailleurs, puisqu’il ne s’agissait que de l’argenterie « non nécessaire pour la décence du culte. »

    L’archevêque de Paris, M. Le Clerc de Juigné, archevêque de Paris, avait même fort aimablement répondu à ce souhait :

"Messieurs, nous avons vu l'Eglise consentir au dépouillement des temples pour secourir les pauvres et pour subvenir aux besoins de l'Etat ; ces exemples que nous offre l'histoire nous déterminent, au moins c'est le vœu de tous les confrères qui m'environnent, de soutenir l'Etat par la portion de l'argenterie qui n'est pas nécessaire à la décence du culte divin. Je propose de faire ce dépouillement de concert avec les officiers municipaux, les curés et les chapitres."

 

Boites pour huile sainte
18ème siècle

    Ce mardi 29 septembre, lors de la séance du soir, le président ayant rappelé l'Assemblée à l'ordre du jour, on continue la discussion sur la motion tendant à faire transporter à l'hôtel des monnaies l’argenterie des églises.

Un membre du clergé propose un autre projet de décret sur le même objet.

Après quelques discussions, on présente plusieurs amendements. La question principale consiste à savoir si l'Assemblée votera ou ordonnera le transport de la vaisselle.

M. le Président interroge le vœu de l'Assemblée sur la continuation de la discussion, et il est décidé qu'elle est fermée.

On réclame la question préalable ; l'Assemblée la rejette.

On établit ensuite la question de priorité entre deux différentes rédactions.

Le vœu de l'Assemblée est consulté ; l'épreuve paraît deux fois douteuse. L'auteur de la seconde rédaction se retire, et un membre propose, pour simplifier la question, de demander à l'Assemblée de décider simplement si elle veut inviter ou ordonner. Elle décide qu'elle invitera.

On fait ensuite lecture du seul projet resté sur le bureau et de plusieurs amendements ; quelques-uns sont retirés, un est rejeté, et le décret est ensuite porté en ces termes :

"Sur la proposition d'un des membres de l'Assemblée et sur l'adhésion de plusieurs membres du clergé, l'Assemblée nationale invite les évêques, curés, chapitres, supérieurs de maisons et communautés religieuses de l'un et de l'autre sexe, municipalités, fabriques et confréries, de faire porter à l'hôtel des monnaies le plus prochain toute l'argenterie des églises, fabriques, chapelles et confréries, qui ne sera pas nécessaire pour la décence du culte".

 

    J'ai trouvé les 2 photos de pièces d'argent datant du 18ème siècle qui illustre cet article, sur le site du musée de Bretagne. Quelque chose me dit que nos amis bretons ne se sont pas précipités pour donner les vaisselles d'argent du culte. Cela dit sans malice ! 😉

    Quand bien même serait-ce le cas, pourrait-on leur en vouloir ? Je pense qu'il serait temps que je consacre un article expliquant d'où venait cette abyssale dette de la France ?



Sources :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5068_t1_0213_0000_8

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5068_t1_0213_0000_10

29 Septembre 1789 : Découpage du territoire en parts égales et des français en parts inégales

 

Carte de France divisée selon le projet du comité

    Monsieur Thouret présente ce jour à l’Assemblée le rapport rédigé par son comité, concernant d’une part la nouvelle division territoriale et administrative du royaume, et d’autre part les bases de la représentation des citoyens, entre actifs et passifs selon leur degré de fortune.

    Le comité chargé de cette tâche était constitué des membres suivants : Thouret , l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun (Talleyrand), Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.

    La logique qui a présidé à la réalisation de ce rapport reposait d'une part, sur l’organisation d’un gouvernement représentatif, dont la justice et la stabilité dépendraient, selon ses rédacteurs, de l'établissement de l'égalité proportionnelle dans la représentation, et d'un ordre fixe et simple dans les élections. D'autre part, sur la création d’un nouveau système d'administration municipale et provinciale reposant également sur une base représentative proportionnelle.

Jacques Guillaume Thouret
    La similitude entre les deux objets justifiait selon le comité de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation nationale, et de l'administration municipale et provinciale.

    Le comité fera également en sorte que la proportion des contributions directes d’une province ait jusqu’à un certain point, une correspondance avec le nombre de ses représentants élus, augmentant ainsi l’influence politique de ladite province. La province concernée serait alors intéressée non seulement à la perception des impôts de ses administrés, mais aussi aux améliorations intérieures susceptibles de développer son économie et par la même ses rentrées fiscales.

    Ce gouvernement représentatif reposera sur un suffrage censitaire. C’est-à-dire que seuls pourront voter et être élus les citoyens payant une certaine somme aux impôts. Pas question de suffrage universel, bien sûr (il faudra attendre la constitution de 1793).

    Pour avoir le droit de voter, il faudra être un (et pas une) contribuable en impositions directes, au taux local de 3 journées de travail, qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales, et à 10 journées pour être éligible.

     Ce système de sélection par l’argent et le sexe, fera que sur 26 millions de français, seuls 4.4 millions auront le droit de voter.

    A l’issue de sa présentation devant les députés de l’Assemblée, M. de Richier demandera qu'il soit fait une carte suivant le nouveau projet de division de la France, afin qu’elle puisse être distribuée et examinée dans les bureaux, et que chaque membre puisse offrir ses réflexions.

Guy Jean-Baptiste Target

    M. Target lui répondra que cette idée avait déjà été saisie par le comité. Cette carte, dans laquelle seront marquées les nouvelles divisions, sera soumise aux membres de l'Assemblée et envoyée aux provinces pour être corrigée d'après leurs vœux. Il ajoutera que : « On suivra, d'ailleurs, pour l'amélioration de ce plan toutes les idées de bien public que chaque citoyen voudra communiquer ».

    Le projet présenté ce jour par Monsieur Thouret se concrétisera par la publication du décret du 22 décembre 1789, relatif à la constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives.

    Le nombre exact (83) des départements et leurs limites seront fixés le 26 février 1790 et leur existence prendra effet le 4 mars suivant.


Vous trouverez, ci-dessous, la première partie de la longue présentation du rapport, et bien sûr les liens pour lire la totalité.

Sources :

Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4

Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2


Rapport de M. Thouret sur les bases de la représentation proportionnelle, lors de la séance du 29 septembre 1789


M. Thouret au nom du nouveau comité de constitution, fait à l'Assemblée nationale un rapport sur les bases de la représentation proportionnelle.

Messieurs, le travail que votre nouveau comité a l'honneur de vous soumettre, tient, par un double rapport, à deux grandes parties de la Constitution.

D'une part, vous organisez le gouvernement représentatif, le seul qui convienne à un peuple libre ; mais sa justice et sa stabilité dépendent de l'établissement de l'égalité proportionnelle dans la représentation, et d'un ordre fixe et simple dans les élections.

D'autre part, vous voulez fonder un nouveau système d'administration municipale et provinciale. Cette administration, également représentative exige de même, et la représentation proportionnelle, et un ordre pour les élections.


Cette similitude entre les deux objets établit, par la nature de la chose même, l'importance de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation nationale, et de l'administration municipale et provinciale.

Cette vérité, si propre tout à la fois, à affermir les différentes parties de la Constitution, en les liant l'une à l'autre, et à faciliter pour toujours l'exécution en la simplifiant, est la première qui nous a frappés. En suivant le fil qu'elle présente, nous sommes arrivés à la conviction que l'organisation de chaque grand district du royaume doit être constituée de manière qu'elle serve en même temps et à la formation du Corps législatif, et à celle des diverses classes d'assemblées administratives. C'est ainsi que d'un ressort commun partiront tous les mouvements du corps politique ; par-là, la conservation de ce ressort unique sera d'autant plus chère au peuple, qu'en le perdant il perdrait tous les avantages de sa Constitution ; par-là, sa destruction deviendrait plus difficile à l'autorité, qui ne pourrait le rompre qu'en désorganisant entièrement l'Etat.

Le comité a pensé que les bases de la représentation doivent être, autant qu'il est possible, en raison composée du territoire, de la population et des contributions. Avant de dire comment ces trois bases peuvent se combiner pour établir entre les divers districts électeurs la juste proportion de leurs députations, il est nécessaire de présenter, sur chacune des trois, quelques développements particuliers.

Base territoriale.

Le royaume est partagé en autant de divisions différentes qu'il y a de diverses espèces de régimes ou de pouvoirs : en diocèses, sous le rapport ecclésiastique ; en gouvernements, sous le rapport militaire ; en généralités, sous le rapport administratif ; en bailliages, sous le rapport judiciaire.

Aucune de ces divisions ne peut être ni utilement ni convenablement appliquée à l'ordre représentatif. Non-seulement il y a des disproportions trop fortes en étendue de territoire, mais ces antiques divisions, qu'aucune combinaison politique n'a déterminées, et que l'habitude seule peut rendre tolérables, sont vicieuses sous plusieurs rapports tant publics que locaux.

Mais puisque l'ordre que la Constitution va établir est une chose nouvelle, pourquoi l'asservi-rions-nous à des imperfections anciennes qui en contrarient l'esprit, et qui en gêneraient les effets, lorsque la raison et l'utilité publique commandent d'éviter ce double écueil ? Le comité a donc pensé qu'il est devenu indispensable de partager la France, dans l'ordre de la représentation, en nouvelles divisions de territoire égales entre elles autant qu'il serait possible.

Le plan de ces nouvelles divisions est projeté figurativement sur une carte du royaume ; vous y verrez, Messieurs, qu'on a respecté, autant qu'il a été possible, les anciennes limites, et la facilité des communications.

En suivant ce plan, la France serait partagée, pour les élections, en quatre-vingts grandes parties qui porteraient le nom de départements.

Chaque département serait d'environ 324 lieues carrées, ou de 18 lieues sur 18. On procéderait à cette division, en partant de Paris comme du centre, et en s'éloignant de suite, et de toutes parts, jusqu'aux frontières.

A ces quatre-vingts départements, il en faudrait ajouter un de plus, formé du district central où se trouve la ville de Paris. Cette grande cité mérite en effet, par son titre de métropole, par son énorme population, et par sa forte contribution, d'avoir le titre et le rang de département.

Chaque département serait divisé en neuf districts, sous le titre de communes, chacun de trente-six lieues carrées, et de six lieues sur six. Ces grandes communes seraient les véritables unités ou éléments politiques de l'empire français. Il y en aurait en tout 720.

Chaque commune serait subdivisée en neuf fractions invariables par le partage de son territoire en neuf cantons, de quatre lieues carrées, ou de deux lieues sur deux ; ce qui donnerait en tout 6,480 cantons. Chacune de ces fractions pourrait contenir des quantités variables, eu égard à la population et aux contributions.

La France contient environ 26,000 lieues carrées.

Or, 80 départements, de 324 lieues carrées ;

720 communes, de 36 lieues carrées

6,480 cantons, de quatre lieues carrées ; chacune de ces divisions remplit les 26,000 lieues du royaume.

Base personnelle, ou de population,

La véritable base personnelle, pour la représentation, sera dans le premier degré des assemblées qu'on peut appeler primaires.

Le comité s’est occupé d'établir une juste proportion, d'abord entre ces assemblées primaires, qui seront celles des citoyens de chaque canton ; ensuite entre les assemblées communales, composées des députés des cantons ; enfin entre les assemblées de département, formées par la réunion des députés élus dans les communes.

Le nombre des individus, en France, est d'environ 26 millions ; mais d'après les calculs qui paraissent les plus certains, le nombre des citoyens actifs, déduction faite des femmes, des mineurs, et de tous ceux que d'autres causes légitimes privent de l'exercice des droits politiques, se réduit au sixième de la population totale. On ne doit donc compter en France qu'environ 4 millions 400,000 citoyens en état de voter aux assemblées primaires de leur canton.

Si la population était égale à chaque canton, les 26 millions d'individus répartis sur 26, 000 lieues carrées qui composent l'étendue du royaume, donnerait 1,000 individus par lieue carrée, et par conséquent 4,000 individus par canton, dont le sixième en citoyens actifs formerait le taux moyen d'environ 680 votants par canton. Nous avertissons que par l'expression de citoyens votants, nous entendrons toujours non-seulement ceux qui seront présents, et voteront en effet, mais encore tous ceux qui auront de droit la faculté de voter.

La population étant inégalement répartie, on ne doit pas douter qu'elle sera dans un grand nombre de cantons au-dessous de 4,000 individus, et de 680 votants ; mais ce qui manquera au taux moyen dans les cantons moins peuplés, se retrouvera en excédant dans ceux qui le seront davantage, et sera employé au moyen de la formation de doubles, triples ou quadruples assemblées primaires dans ces cantons plus peuplés. On sent que Paris est l'extrême en ce genre.

Le comité a pensé que les assemblées primaires doivent être établies au taux moyen de 600 votants, afin d'éviter les inconvénients des assemblées trop nombreuses.

Il y aurait toujours une assemblée primaire en chaque canton, quelque faible que fût la population ; mais il ne pourrait y en avoir deux que quand le nombre des volants se trouverait élevé à 900. En ce cas seulement l'assemblée d'un canton se partagerait en deux, afin qu'il pût y avoir toujours au moins 450 votants dans chaque assemblée primaire.

Si par la suite un nouvel accroissement de population élevait encore une de ces assemblées au nombre de 900, il faudrait qu'avant de pouvoir former une troisième assemblée dans le canton, elle reversât une partie de ses membres sur l'autre assemblée qui n'aurait pas le taux moyen de 600 votants, jusqu'à ce que celle-ci eût atteint ce taux moyen. Réciproquement, si la population diminuée réduisait une des assemblées au-dessous de 450 votants lorsque l'autre ne serait pas élevée au-dessus de ce taux, elles seraient obligées de se réunir, puisque le nombre des votants produit par cette réunion serait moindre de 900.

Il arriverait ainsi, dans le premier cas, qu'à quelque nombre que les assemblées primaires pussent être portées dans un canton, il n'y en aurait jamais que deux qui pourraient être au-dessous du taux moyen de 600 votants, ou qu'une seule qui pourrait l'excéder ; et dans le second cas, qu'il n'y aurait jamais qu'une seule assemblée dans un canton, quand il fournirait moins que 900 votants.

Il résulte de ce qui précède les trois conséquences suivantes :

La première, que si le nombre des cantons est invariable, il n'en est pas ainsi des assemblées primaires ;

La deuxième, qu'au lieu de fixer le nombre des assemblées primaires à 6,480, à raison du nombre des cantons, il est vraisemblable qu'elles se trouveront plus nombreuses, parce qu'elles suivront les vicissitudes de la population ;

La troisième, qu'un citoyen qui ne changera ni de canton ni de domicile, pourra cependant se trouver dans le cas de changer d'assemblée, lorsqu'il deviendra nécessaire démultiplier ou de réduire celles de son canton.

Base de contribution.

Le comité a pensé que la proportion des contributions directes devait entrer jusqu'à un certain point dans celle des députations.

Il est juste que le pays qui contribue le plus aux besoins et au soutien de l'établissement public, ait une part proportionnelle dans le régime de cet établissement.

Il est encore d'une sage prévoyance d'intéresser par-là les provinces à l'acquit des contributions, et aux améliorations intérieures qui n'augmenteront pour elles la matière de l'impôt, qu'en augmentant en même temps leur influence politique.

Ces premières considérations n'ont pas seules déterminé l'opinion du comité. Il a senti la nécessité d'avoir égard aux contributions directes, pour rectifier l'inexactitude de la base territoriale, qui n'est établie que sur l'égalité des surfaces. Un arpent de 50 livres de rapport, et taxé sur ce taux, est réellement double d'un arpent de 25 livres de revenu, qui n'est taxé que sur ce moindre produit. Ainsi, l'égalité des territoires par leur étendue superficielle, n'est qu'apparente et fausse si elle n'est pas modifiée par la balance des impositions directes qui rétablit l'équilibre des valeurs ; et c'est par là que la base de contribution tient essentiellement à la base territoriale, et en fait partie.

Le rapport des contributions est nul sans doute, lorsqu'il s'agit de balancer les droits politiques d'individu à individu, sans quoi l'égalité personnelle serait détruite, et l'aristocratie des riches s'établirait ; mais cet inconvénient disparaît en entier, lorsque le rapport des contributions n'est considéré que par grandes masses, et seulement de province à province. Il sert alors à proportionner justement les droits réciproques des cités, sans compromettre les droits personnels des citoyens.

Formation des assemblées graduelles pour le Corps législatif.

I. Tous les citoyens actifs d'un canton se formeront en une ou plusieurs assemblées primaires, suivant leur nombre, comme il a été dit ci-dessus, pour envoyer leurs députés à l'assemblée communale.

Le comité pense que pour ce premier degré des assemblées, élément fondamental de toute la représentation, il ne faut avoir égard qu'à la seule population. Chaque homme, dès qu'il est citoyen actif, doit jouir pour en premier acte, de toute la valeur de son droit individuel.

Le district d'une assemblée primaire est d'ailleurs trop borné, et la prépondérance des hommes puissants y serait trop immédiate, pour qu'on doive y mettre en considération, soit le territoire, soit les contributions. Ainsi, le nombre des députés à élire par les assemblées primaires, ne serait réglé que par le nombre des votants, à raison d'un députe par 200 votants.

D'après la donnée des 4,400,000 citoyens actifs, il y aurait environ 22,000 députés élus par la totalité des assemblées primaires, et envoyés en nombre inégal à 720 communes.

Le comité propose que les qualités nécessaires pour entrer, à titre de citoyen actif, dans l'assemblée primaire de son canton, soient :

1° d'être Français, ou devenu Français ;

2° d'être majeur ;

3° d'être domicilié dans le canton, au moins depuis un an ;

4° d'être contribuable en impositions directes, au taux local de trois journées de travail, qui seront évaluées en argent par les assemblées provinciales ;

5° de n'être pas pour le moment, dans un état servile (1), c'est à-dire, dans des rapports personnels, trop incompatibles avec l'indépendance nécessaire à l'exercice des droits poli¬ tiques.

(1) L'état servile, exclu ici, ne peut s'entendre, sous aucun rapport, des anciens mainmortables, dont la servitude a d'ailleurs été abolie par le décret de l'Assemblée nationale du 4 août dernier.

Pour être éligible, tant à l'assemblée de la commune qu'à celle de département, il faudra réunir les conditions ci-dessus, à la seule différence qu'au lieu de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail, il en faudra payer une de la valeur de dix journées.

Les députés nommés par les assemblées primaires se réuniront au chef-lieu de la commune, et puisque nous avons considéré les communes comme étant les premières unités politiques qui doivent concourir et se balancer pour former la législation, il faut que les trois éléments de la représentation proportionnelle entrent dans la composition de leurs députations.

C'est ici le lieu d'expliquer comment les trois bases du territoire, de la population et de la contribution peuvent être combinées avec autant de justice dans les résultats que de facilité dans le procédé.

La base territoriale est invariable, et supposée égale ; celles de la population et des contributions sont variables, et d'un effet inégal dans chaque commune. On peut donc attribuer à chacune des neuf communes une part de députation égale et fixe, à raison de leur territoire, attacher deux autres parts de députation, l'une à la population totale du département, l'autre à la masse entière de sa contribution directe, et faire participer chaque commune à ces deux dernières parts de députation, à proportion de ce qu'elle aurait de population, et de ce qu'elle payerait de contribution.

Ainsi, en supposant que l'assemblée générale de département qu'il s'agit ici de former, dût être composée de 81 députés des communes, il faudrait en attacher invariablement le tiers, montant à 27, au territoire du département, et par conséquent 3 au territoire de chaque commune ; chacune des 9 assemblées communales nommerait donc également 3 députés, à raison de son territoire.

Il faudrait ensuite attribuer 27 députés à la population totale du département, et diviser cette population en 27 parts, de manière que chaque commune nommerait autant de députés qu'elle aurait de vingt-septièmes parties de population.

Les 27 autres députés seraient attachés à la contribution en impôts directs et celte contribution étant divisée de même en 27 parts, donnerait autant de députés à chaque commune, qu'elle payerait de vingt-septièmes dans la masse totale des impositions directes.

La population de chaque département sera facilement connue, puisque celle de chaque commune sera constatée par le nombre des députés qui y seront arrivés des assemblées primaires. La contribution sera également connue, puisque les départements et les communes auront l'administration de l'impôt dans leurs territoires. Au moment de la première formation des assemblées, les communes qui n'auraient pas ces connaissances pourront aisément les acquérir en se communiquant respectivement ces éclaircissements avant de procéder aux élections.

Les assemblées de département nommeraient par le même procédé les députés à l'Assemblée nationale, à raison de 9 députés par département ; ce qui porterait 720 députés à l'Assemblée nationale.

Des 720 députés nationaux, le tiers montant à 240 serait attaché au territoire, et donnerait invariablement trois députés par département.

Le second tiers de 240 serait réparti sur la population totale du royaume, qui, divisée en deux cent-quarante parts, donnerait autant de députés à chaque département qu'il aurait de deux cent quarantièmes parties de population.

Enfin, les 240 autres députés seraient accordés à la contribution, de manière qu'en divisant la masse totale des impositions directes du royaume en deux cent-quarante parts, chaque département aurait un député à raison du payement d'une deux cent quarantième parties.

Le comité pense que pour être éligible à l'Assemblée nationale, il faut payer une contribution directe, équivalente à la valeur d'un marc d'argent.

Il croit encore qu'il est d'une prévoyance sévère au premier coup d'œil, mais sage et nécessaire, qu'aucun représentant ne puisse être élu pour la seconde fois, qu'après l'intervalle d'une législature intermédiaire, afin d'éviter l'aristocratie des familles en crédit, qui parviennent à se perpétuer dans les emplois, même électifs. L'expérience de tous les temps et de tous les pays démontre ce danger.

Le plan qui vient d'être exposé pour la formation des assemblées et des élections graduelles a réuni les suffrages de votre comité, parce qu'il lui a paru produire trois grands avantages.

Le premier est d'établir de la manière la plus sûre, et par les principes les plus justes, une représentation exactement proportionnelle entre toutes les parties du royaume, en y faisant entrer tous les éléments dont elle doit nécessairement se composer.

Le second est de fixer pour le maintien de la proportion établie un mode constitutionnel, dont le principe demeurant inaltérable et permanent se prêtera toujours dans l'application à toutes les variations de la population et des contributions.

Le troisième est de pouvoir appliquer la même méthode à la formation des assemblées provinciales ; en sorte qu'un mouvement uniforme fasse arriver la représentation nationale au Corps législatif, et la représentation provinciale aux assemblées administratives.

Cette première partie de notre travail ne se borne pas à vous offrir le supplément qui vous était nécessaire pour compléter la Constitution dans l'ordre législatif ; elle vous présente encore des dispositions toutes préparées, pour hâter l'établissement du régime intérieur des provinces : et c'est maintenant à cette seconde partie de notre plan que nous allons passer.

Projet d'arrêté relatif à cette première partie du travail.

Art. 1er. La France sera partagée en divisions de 324 lieues carrées chacune, c'est-à-dire, de dix-huit sur dix-huit, autant qu'il sera possible, à partir de Pans, comme centre, et en s'éloignant en tous sens jusqu'aux frontières du royaume. Ces divisions s'appelleront départements.

Art. 2. Chaque département sera partagé en neuf divisions de 36 lieues carrées de superficie, c'est-à-dire, de six sur six, autant qu'il sera possible. Ces divisions porteront le nom de communes.

Art. 3. Chaque commune sera partagée en neuf divisions, appelées cantons, de quatre lieues carrées, c'est-à-dire, de deux sur deux.

(1) La lieue adoptée est la lieue commune de 2,400 toises.

Art. 4. Tous les citoyens actifs, c'est-à-dire, tous ceux qui réuniront les qualités suivantes :

1° d'être né Français, ou devenu Français ;

2° d'être majeur ;

3° d'être domicilié dans le canton au moins depuis un an ;

4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ;

5° de n'être pas alors dans une condition servile, auront droit de se réunir pour former dans les cantons les assemblées primaires.

Art. 5. Nul citoyen ne pourra exercer les droits de citoyen actif dans plus d'un endroit, et dans aucune assemblée personne ne pourra se faire représenter par une autre.

Art. 6. Dans tout canton il y aura au moins une assemblée primaire.

Art. 7. Tant que le nombre des citoyens actifs d'un canton ne s'élèvera pas à 900, il n'y aura qu'une assemblée dans ce canton ; mais dèsle nombre 900, il s'en formera deux de 450 chacune au moins.

Art. 8. Chaque assemblée tendra toujours à se former autant qu'il sera possible au nombre de 600, qui sera le taux moyen ; de telle sorte néanmoins que, s'il y a plusieurs assemblées dans un canton, la moins nombreuse soit au moins de 450. Ainsi, au-delà de 900, mais avant 1,050, il ne pourra y avoir une assemblée complète de 600, puisque la seconde aurait moins de 450. Dès le nombre 1,050 et au-delà, la première assemblée sera de 600, et la deuxième de 450, au plus. Si le nombre s'élève à 1,400, il n'y en aura que deux, une de 600 et l'autre de 800 ; mais à 1,500 il s'en formera trois, une de 600 et deux de 450 ; et ainsi de suite, suivant le nombre de citoyens actifs de chaque canton.

Art. 9. Toutes les assemblées primaires de chaque canton députeront directement à l'assemblée de leur commune.

Art. 10. Pour être éligible à l'assemblée communale, ainsi qu'à celle de département, il faudra réunir aux conditions d'électeur, c'est-à-dire de citoyen actif, celle de payer une contribution directe plus forte : cette contribution se montera au moins à la valeur locale de dix journées de travail.

Art. II. Chaque assemblée primaire députera à fa commune à raison d'un membre sur 200 votants.

Art. 12. L'assemblée communale, formée des députés des assemblées primaires, choisira ses députés pour le département, parmi tous les citoyens éligibles de la commune.

Art. 13. Chaque assemblée de département sera composée de 81 membres, dont un tiers, c'est-à-dire 27, sera député par les 9 communes du département, à raison du territoire ; ce sera donc 3 députés par commune, puisque les territoires des communes sont égaux entre eux, étant composés d'un égal nombre de cantons égaux.

Art. 14. Le second tiers formant 27 députés sera envoyé par les 9 communes, à raison de la population active de chaque commune. Ainsi, la somme totale de la population des 9 communes ou du département sera divisée en 27 parts ; et chaque commune aura autant de députés qu'elle contiendra de ces vingt-septièmes.

Art. 15. Le troisième tiers se distribuera par une semblable opération en raison de la contribution respective des 9 communes. La somme totale des contributions directes des 9 communes, ou du département, sera divisée en 27 ; et chaque commune enverra un député pour chaque vingt-septième qu'elle payera.

Art. 16. Ces deux dernières opérations donnant lieu nécessairement à des fractions, les fractions ne pouvant être que faibles ne seront pas comptées, parce qu'elles se compensent entre elles.

Art. 17. Les assemblées de département formeront par leurs députés l'Assemblée nationale, qui sera composée de 720 membres.

Art. 18. Le tiers de ce nombre, c'est à-dire 240, sera envoyé par les départements à raison du territoire ; 240 à raison de la population, et 240 à raison de la contribution respective, ainsi qu'il a été dit ci-dessus relativement aux communes, mais en divisant entre les départements la population du royaume et la masse entière de la contribution directe en 240 parts.

Art. 19. Nul membre de l'Assemblée nationale ne pourra être réélu pour l'Assemblée suivante. Il sera nécessaire qu'entre deux élections de la même personne, il y ait au moins une Assemblée d'intervalle.

Signé : Thouret, l'abbé Sieyès, Target, l'évêque d'Autun, Demeunier, Rabaut de Saint-Etienne et Le Chapelier.

Source :

Première partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5064_t1_0202_0000_4

Seconde partie : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5065_t1_0206_0000_2







lundi 28 septembre 2020

28 Septembre 1789 : Le très très dérangeant Jean-Paul Marat


Jean-Paul Marat
    Il est temps de s’intéresser de nouveau à Jean Paul Marat (encore un Suisse). Le numéro de son journal de ce lundi 28 septembre va nous en donner l’occasion.

    Jusqu’à présent, nous nous sommes peut-être un peu trop préoccupés de tous ces beaux messieurs de l’Assemblée, tous bien nés, tous fort polis, (Imaginez-vous que le conte de Virieu a provoqué un vrai scandale le 9 septembre dernier en laissant échapper un « foutre ! » devant l’Assemblée)

    Bourgeois ou aristocrates, ces enfants des lumières ne cessent d’évoquer la vertu et les plus beaux sentiments civiques, et ils pratiquent autant que faire se peut, une courtoise révolution de salons. Celle-ci consistant principalement à redistribuer entre eux, au sein de l’Assemblée les cartes du pouvoir. 

    Pour beaucoup de ces honnêtes gens, le peuple est une abstraction. Lorsqu’ils évoquent le peuple, il s’agit la plupart du temps d’un peuple idéalisé, imaginaire. Et quand ledit peuple s’agite un peu trop, il est aussitôt qualifié de brigands ou de bandits, voire de populace. (Lire cet article : Peuple ou Populace)

    S’il en est un qui sait voir clairement dans les intrigues de certains, c’est bien le très dérangeant Marat. 

    Marat est un homme d'expérience, il a 46 ans en 1789. Il a été médecin et il a exercé à Londres de 1765 à 1777. Il a dû beaucoup apprendre politiquement dans cette Angleterre qui avait déjà fait sa révolution presque cent ans auparavant, et où l’on se passionnait de politique et d’idées nouvelles. Marat est à présent un journaliste et son journal est beaucoup lu. Lu par ceux qui savent lire, et lu à voix haute dans les lieux publics à l’intention de ceux qui ne savent pas lire. Marat travail comme un forcené, il publie presque tous les jours et Marat est très bien informé.

    J’ai brièvement évoqué les intrigues et je serai obligé d’y revenir, probablement en vous parlant de nouveau de Marat. Marat ne supporte pas les corrompus ni ceux qui s’enrichissent abusivement à l’occasion des événements révolutionnaires. Nous le verrons s’emporter contre Necker et reprocher à celui-ci ses malversations. Marat sera le premier à s’attaquer au divin Necker, ce grand homme tellement adulé par les bourgeois du Tiers Etat et nombre d’aristocrates, dont certains lui doivent leur enrichissement. Marat ne porte d’ailleurs pas ses accusations à tort, car le grand Necker nous l’avons dit, est aussi un banquier, et un banquier qui s’est enrichi grâce à sa politique d’emprunts répétés, car sa banque, chaque fois a prêté à l’Etat en récoltant de faramineux intérêts. Il s’est aussi enrichi (encore au détriment de l’Etat) grâce à ce que nous appellerions aujourd’hui, ses délits d’initiés.

    Ce genre de pratiques étaient coutumières sous l’ancien régime et elles ne choquaient guère le beau monde. Il était normal qu’un ministre s’enrichisse. Toujours cette croyance étrange relative à l’enrichissement d’un seul profitant à tous. (Certains disent que ces pratiques existent toujours. Je leur laisse la responsabilité de cette assertion).

    Marat appellera ironiquement Necker le « grand faiseur » en rappelant que Necker est un ministre des Finances qui ne rend pas de comptes. En rendrait-il d’ailleurs, que probablement peu s’y intéresseraient. Souvenez-vous de son plan de redressement auquel les députés n’ont pas bien compris grand-chose, mais qu’ils ont voté le 26 septembre, « De confiance ».

    Mais Marat n’est pas de ce monde-là, celui de l’argent. Il vit au milieu du peuple, au contact de celui-ci. Pour lui le peuple n’est pas une abstraction. Il ne supporte pas de voir le peuple de Paris accablé de misère et souffrir de la faim, quand il sait que certains s’enrichissent honteusement. Le peuple lui rendra d’ailleurs bien cet amour. Un rapport de police lu par l’historien Henri Guillemin disait ceci : « La popularité de Marat tient à son intégrité et l’intégrité, c’est un des dieux du peuple. »

    Dans le numéro 18 de "l’Ami du Peuple, ou le Publiciste Parisien", de ce 28 septembre, Jean-Paul Marat, fait part à ses lecteurs de ses ennuis avec les représentants de la Commune qui siègent à l’Hôtel de Ville. Les accusations qu’il a lancées depuis le début du mois à l’encontre des représentants de la Commune et plus particulièrement contre le maire de Paris, Bailly, commencent à agacer fortement ces beaux messieurs.

Il écrit dans son journal cette lettre ouverte aux représentants de la Commune :

« Messieurs, Appelé à paraître aujourd’hui (sur les sept heures du soir) devant vous au sujet de ce journal, dont je me déclare l’auteur, je me suis rendu à l’Hôtel de Ville. J’ai sollicité plusieurs fois le moment d’être admis à l’audience et, n’ayant pu l’obtenir après cinq heures mortelles d’attente, j’ai été remis au lendemain. Le lendemain, même exactitude, mêmes instances inutiles de ma part. Vos occupations sont infinies, sans doute. Les miennes ne le sont pas moins et elles intéressent bien davantage le bonheur public : je suis l’œil du peuple, vous en êtes tout au plus le petit doigt. Ainsi trouvez bon qu’avare de mon temps, j’attende chez moi de nouveaux ordres. »

(Le numéro complet est accessible sur le site de la BNF par la fenêtre en bas de cet article.) 

        Les choses vont bien sûr s'envenimer. À la suite d'une dénonciation faite par la commune devant les instances judiciaires, Marat sera de nouveau convoqué à l’Hôtel de Ville le 3 octobre prochain pour répondre de ses accusations dans les numéros 15 à 23 de son journal. Dans ses numéros 20 et 21, Marat dénonçait ouvertement Bailly, le maire de Paris. Dès lors, la plainte suivra son cours. Le 4 octobre, le procureur du roi, Deflandre de Brunville, écrira au lieutenant criminel du Châtelet, et, les 8 et 9 octobre, des huissiers, envoyés par le Châtelet, se rendront au domicile de Marat.

    Les adversaires de Marat lui mèneront la vie dure. En quatre ans d’exercice de sa fonction, il ne sera libre que 397 jours, et sera sous le coup, de décret pendant 1064 jours. Ce qui signifie qu’il ne bénéficia que de 13 mois de liberté, et fut, 35 mois durant sous la menace d’un décret, ou dans la clandestinité. Ses ennemis n’hésiteront pas non plus à faire détruire ses presses ou à emprisonner son imprimeur. 

    Devenu député Montagnard à la Convention, il finira par payer de sa vie sa trop grande liberté de parole, puisqu’il sera assassiné par Charlotte Corday, une proche de ses ennemis politiques, les Girondins.

Un exalté.

    Pourquoi ai-j 'écris "trop grande liberté de parole" ? Mais parce que Marat était aussi un exalté, souvent très violent, trop violent dans ses écrits. Robespierre lui en fera le reproche lors de sa première rencontre avec lui en Janvier 1792, il lui dira que les patriotes, même les plus ardents, pensaient qu'il avait mis lui-même un obstacle au bien que pouvaient produire les vérités utiles développées dans ses écrits, en s'obstinant à revenir sur des propositions extraordinaires et violentes (telles que celle de faire tomber cinq à six cents têtes coupables), qui révoltaient les amis de la liberté autant que les partisans de l'aristocratie". 

Source : https://books.openedition.org/irhis/1283?lang=fr#tocfrom1n2

De tout cela nous reparlerons le temps venu.

    Si le très dérangeant Marat vous intéresse, je viens de découvrir cette étude de la Professeure Emilie Brémond-Poulle sur le très sérieux site https://revolution-francaise.net/

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