mardi 22 septembre 2020

22 Septembre 1789 : Les boulangers s'énervent, mais Bailly n'est pas dupe !

 

Boulangerie au 18ème siècle

Voici les suites de l'affaire que nous évoquions le veille (21 septembre).

Les boulangers de Paris écrivent une lettre à la Commune de Paris.

Source (pages page 64, 65, 66.) :

https://ia903402.us.archive.org/10/items/actesdelacommune02lacruoft/actesdelacommune02lacruoft.pdf

Représentation de la communauté des maitres-boulangers de la Ville de Paris, aux soixante et un district composant ladite Ville (8 p. in-4°)

22 septembre 1789

Messieurs,

Notre zèle, notre amour pour nos concitoyens, et la dure nécessité de repousser les propos injurieux tenus contre les membres qui composent notre communauté, nous obligent à rompre enfin le silence. Qui d'entre nous eut pu s'attendre à devenir la victime de la cupidité et de la malice des monopoleurs, qui sans cesse cherchent à surprendre la religion des officiers municipaux ?

Cependant, la disette menace de jour en jour la capitale. Quelle fut l'origine de ces malheurs inouïs, et comment y remédier ? Voilà le but principal de notre députation vers votre assemblée.

Daignez, Messieurs, écouter notre justification.

Notre empressement à courir à la Halle chercher des farines est un des plus puissants moyens de reproches employés contre nous. " Si leurs gains n'étaient point excessifs, — répand-on dans le public, — ils ne s'en tiendraient point aux farines rares de la Halle ; ils ne s'y donneraient point autant de peine pour en avoir et chercheraient à se pourvoir ailleurs. »

Quelle injustice criante ! Veut-on semer le désespoir parmi nous, détruire et abattre entièrement notre courage qui ne se soutient que par le plus pur patriotisme ? Comment peut-on avancer inconséquemment des faits sans preuves ? Où est donc ce gain si excessif, lorsqu'il est démontré que, sur le poids seul des sacs de 217 livres venant du Havre, il y avait 41 et 45 livres de déchet, sans les frais du travail de pulvérisation ?

Citoyens que l'erreur et les agents du malheur public ont prévenus coutre nous, désabusez-vous ! Prêtez une seule fois l'oreille attentive aux malheureux boulangers. Nous n'avons jamais appris à en imposer au peuple par une éloquence aussi pernicieuse qu'insinuante.

La capitale manque de farine : cependant, ou accorde aux boulangers, meuniers et fermiers toute espèce de permissions ; des brevets même leur sont délivrés à l'Hôtel de Ville, et il est sorti en leur faveur un arrêt du Conseil d'État du Roi du 1 septembre. « Ils sont donc coupables, — se permet-on de dire, — si l'approvisionnement de la capitale souffre. »

Citoyens, désabusez-vous ! Les laboureurs, intéressés à entretenir leurs denrées à un prix excessif, ne se pressent point, au mépris de cet arrêt, de battre leurs grains, et, d'un autre côté, le peu de grains qui s'amène aux marchés publics se lève tant par le peuple que par la municipalité de Paris, sans même aucune concurrence avec les boulangers qu'on se permet d'en expulser. Il est possible de vous donner d'autres preuves de notre zèle. Le plus grand nombre des boulangers de Paris n'a-t-il pas, mais inutilement, parcouru et visité les campagnes ? Les boulangers se sont présentés, il y a quelques jours, chez un fermier : celui-ci leur a répondu « qu'il n'avait pas de blé à vendre et que sa vie serait exposée s'il en vendait. » Le procès-verbal de ce refus a été déposé à l'Hôtel de Ville, où il est mis en oubli. Qu'en devons-nous conclure, lorsque ce fermier a déclaré qu'il lui était défendu de vendre ? De qui donc tenait-il sa défense ?

En voilà assez pour vous témoigner de nos efforts. D'ailleurs, notre sensibilité répugne à citer des anecdotes qui font rougir l'humanité même.

Non contents de nous imputer la cause de la disette, nos ennemis nous reprochent d'empoisonner nous-mêmes nos farines en y mêlant de la chaux, et pour (et pour nous ôter tous moyens de défenses ils ont surpris la religion des officiers municipaux en obtenant une affiche qui défend de vendre les farines vicieuses qui se trouvaient à la Halle. Vous le voyez comme nous, Messieurs : elles existaient donc ces farines vicieuses ! On nous les a donc amenées, et on nous les a donc amenées, toutes mêlées de chaux à la Halle, puisque c'est de la Halle que nous les tirons. Et le dessein de l'Hôtel de Ville n'a-t-il pas été de les vendre, puisque les officiers commis à la Halle les ont taxées à 36 livres, puisqu'il existe au bureau de chaque facteur un bulletin imprimé de l'Hôtel de Ville qui fixe la taxe des différentes farines suivant leurs qualités, dans lequel bulletin sont comprises celles dont il est ici question.

Si la crainte d'exposer sa vie en ne fabriquant aucune espèce de pain a forcé quelques boulangers à employer de ces farines vicieuses et exposées en vente, puisqu'elles sont taxées, faut-il que le sieur de Luchet ait l'âme assez criminelle pour les déclarer, par la voie de l'impression (allusion au Journal de la Ville), coupables d'Un crime qui fait frémir l'humanité, et les désigner au peuple comme les seules victimes qu'il ait à « chercher dans ces moments de révolution ? D'ailleurs, serions-nous les seuls coupables ? L'Hôtel de Ville de Paris n'a-t-elle (sic) pas prié certain nombre de boulangers de fabriquer du pain à son compte, pour en faire la distribution, tant dans les rues que dans les différents marchés de la Ville ?

Combien de faits n’aurions-nous pas encore à citer pour prouver les difficultés que nous éprouvons dans notre commerce ?

Lorsqu'aucune compagnie ne se mêlait de faire le commerce de grains et farines, lorsque les meuniers, fariniers et boulangers faisaient seuls ce commerce utile, la Ville de Paris a-t-elle jamais éprouvé une aussi grande disette ?

C'est dans ces circonstances que notre communauté supplie l'assemblée de choisir parmi ses membres un député pour, concurremment avec semblable députation de chaque district, en présence des syndics et adjoints de notre communauté, se rendre le lendemain matin à la Halle aux farines, à l'effet de les examiner pour en permettre ou en défendre la vente selon ce qu'il appartiendra et, du tout, dresser procès-verbal ; la suppliant, en outre, de déclarer, par une affiche apposée à la porte des boulangers, l'article du Journal de la Ville du 18 septembre présent mois, rédigé par Pierre de Luchet injurieux et calomniateur contre les membres de notre communauté, et de demander, au nom du district et de la communauté, que les boulangers, meuniers et fariniers soient seuls autorisés à acheter sur les marchés en justifiant d'un brevet signé des officiers de districts.

Signé : Bonnard, Thomas, Plicque, Huchon. Boudier. etc. (Au total, quarante-deux signatures).

Bailly n'est pas dupe.

Bailly, après avoir raconté dans ses Mémoires l'incident de la séance du 24 septembre, soir, ajoute les réflexions suivantes (t. II, p. 389) :

« Il est bien sûr qu'on avait des intentions perverses, et que le but était d'indisposer le peuple contre la Commune. J'observai alors que ce que j'avais annoncé était vérifié : les boulangers étaient soumis au Comité (des subsistances) avant que l'Assemblée (des Représentants) eût appelé à elle l'administration des subsistances, qui devait rester renfermée dans ce Comité; aussitôt que les boulangers ont aperçu une autorité supérieure, ils sont venus y porter des plaintes, dans l'espérance d'égarer plus facilement une Assemblée qu'un Comité; et l'Assemblée, après avoir souffert que son Comité fût compromis devant elle avec les boulangers, n'ayant pu leur accorder finalement que Justice, ce qui n'a pu les satisfaire, a été traînée elle-même devant les districts où les boulangers dominaient facilement et qu'ils ont invoqués comme une autorité supérieure, et plus aisée encore à égarer. »

    On peut consulter aux Archives nationales deux dossiers (Y 10002 et Y 10033) signalés par M. Tuetey (Répertoire général, t. 1, n°3210), contenant l'interrogatoire par le commissaire Beauvallet des sieurs Bonnard et Boudier, boulangers, arrêtés en vertu des ordres du Comité de police de l'Hôtel de Ville, pour avoir fait imprimer et distribuer dans les districts « des écrits tendant à soulever le peuple (25 septembre), et l'information ouverte contre le sieur Boudier (8 octobre).

Sylvain Bailly, maire de Paris


Conclusion ?

    Rien n'est simple dans ces affaires. Il y a effectivement des boulangers indélicats. Mais que dire de ces fermiers qui ne veulent ou ne peuvent vendre leur blé ou de ces meuniers qui ne veulent ou ne peuvent le moudre ? Qui leur interdit ? Leur interdit-on vraiment où la situation de crise les pousse-t-elle à le garder en attendant des jours meilleurs ? N'oublions surtout pas non plus les accapareurs, les monopoleurs qui achètent et stockent de grosses quantités pour vendre quand les prix seront au plus fort ! Nous verrons même qu'en situation de pénurie, du blé est vendu à l'étranger !

   La faim fait perdre la raison et rend violent. De nouvelles émeutes vont éclater, des boulangers seront pendus, des fournisseurs seront inquiétés. Ce problème de l'Ancien régime perdurera durant toute la Révolution, et ce, jusqu'à la fin de celle-ci, le 27 juillet 1794.


Attention, le paragraphe ci-dessous vous raconte la fin de la Révolution... 😉


La Révolution s'achèvera sans avoir pu apporter le pain pour tous.

    Après la seconde Révolution du 10 août 1792, une fois que la 1ère République aura été instaurée, des mesures plus vigoureuses seront prises pour satisfaire les besoins en pain. Le 15 novembre 1793 (26 brumaire An II selon le calendrier républicain), un décret sera promulgué par la Convention qui imposera pendant un temps un pain unique, le “pain de l’égalité”. Le texte stipulera que tous les Français doivent manger le même pain : « La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l'égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. Tous les boulangers seront tenus, sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain : Le Pain Égalité ».

    A forte teneur en son, et composé d'un mélange de trois quarts de froment et d'un quart de seigle : “tous les boulangers seront tenus, sous peine d’incarcération, de faire une seule et bonne espèce de pain”.

    La même année, le four banal, toujours en usage dans les campagnes et qui appartenait au seigneur local, devient un four communal, en conservant néanmoins un système de taxe. Les grandes fermes seront également autorisées à avoir leur propre four.

    La Convention montagnarde, sous la pression des masses populaires menacera de peine de mort les accapareurs le 26 juillet 1793. Il s’agissait des commerçants qui ne déclaraient pas et n’affichaient pas sur leur porte la liste de leurs stocks d’aliments. Cette loi promulguée dans un contexte de guerre ne sera jamais pleinement appliquée. La Convention créera aussi des greniers publics par districts le 9 août et mettra les récoltes en réquisition le 17 août. Enfin, l’une des mesures symboliques sera la loi du Maximum général à l’échelle nationale, votée le 29 septembre 1793, qui limitera les prix des denrées de première nécessité dont la viande fraîche et salée, le lard, le beurre, l’huile, le savon, le bois de chauffage, les souliers et surtout le pain. La loi du Maximum touchera ensuite les salaires.

    Pour les Montagnard et les robespierristes ces mesures reposaient sur un projet institutionnel basé sur le droit inaliénable aux subsistances primaires et le refus de l’autonomie de la sphère économique.

    Une fois que les armées contre-révolutionnaires auront été repoussées hors du territoire français durant l’été 1794 notamment après la bataille de Fleurus (26 juin 1794), le programme de l’An II commencera à être remis en cause. Il prendra effectivement fin après l’élimination de Robespierre, des Montagnards et de leurs alliés à la Commune de Paris.

Suite à la mort de Robespierre, aura lieu ce que les historiens appellent la « réaction thermidorienne ». La Convention opèrera petit à petit un détricotage de la législation dirigiste et sociale puis une répression s’abattra sur la base populaire et les députés montagnards. Le 24 décembre 1794, la loi du Maximum sera définitivement supprimée par la Convention, celle-ci voulant opérer un retour à une vision libérale sur le Commerce des grains.

    Malheureusement, par suite d'un hiver rigoureux et au rétablissement du libre commerce des grains, le printemps 1795 verra le retour de terribles disettes, voire de famines, dans le Bassin parisien ainsi que dans le nord de la France où se répandront des brigands. Cette crise alimentaire verra ressurgir les contestations populaires dans la capitale où la Convention, en parallèle du marché libre, ne parviendra pas à mettre en place des rations de pain suffisantes pour les plus pauvres. 

    Le 1er avril 1795 des manifestants avec une majorité de femmes envahiront la Convention pour demander plus d’accès au pain. 

    Le 20 mai 1795 une insurrection parisienne des faubourgs populaires envahira à nouveau la Convention en demandant « du pain et la constitution de 1793 ». Mais quelques jours plus tard la troupe militaire qui n’était pas intervenue dans la Capitale depuis le début de la Révolution française réprimera le mouvement et arrêtera 2 000 révolutionnaires considérés comme « terroristes », d’après une loi du 21 mars rédigée par l’Abbé Sieyès. Quelques jours plus tard les derniers députés Montagnards seront mis en accusation, emprisonnés, et pour certains condamnés à mort. Cela sonnera alors comme le chant du cygne du mouvement populaire parisien pour établir une législation populaire sur l’accès aux biens de subsistance primaires comme le pain tandis que le recours à l’armée par la Convention thermidorienne préfigurera le régime césariste de Napoléon Bonaparte. 

    Enfin, en octobre 1795 sera mis en place le Directoire qui niera la référence au droit naturel et aux principes de 1789 avec une constitution fondée sur le libéralisme économique et le suffrage censitaire. Boissy d’Anglas, grand théoricien de la Constitution du Directoire désire mettre en œuvre le « Gouvernement des meilleurs » et rêve d’une « réconciliation entre les riches et les pauvres », tout en stigmatisant les « mauvais citoyens qui ne possédant rien et ne voulant point travailler pour acquérir, ne vivent que dans le désordre et ne subsistent que de rapines ».

La Révolution française venait de se terminer.


Sources pour la dernière partie : 

https://lvsl.fr/la-revolution-francaise-et-la-conquete-du-pain/

https://www.radiofrance.fr/franceculture/prix-de-la-baguette-quand-le-cours-du-pain-etait-fixe-par-l-etat-7602312


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand