samedi 26 septembre 2020

26 Septembre 1789 : L’Assemblée, après un tonitruant discours de Mirabeau, vote de confiance du plan de redressement financier de Necker

    Celles et ceux qui ont eu le courage de lire l’article du 24 septembre, concernant la présentation devant l'Assemblée nationale constituante du projet de Necker et celui de Du Pont de Nemours, ont pu se faire une idée de la complexité des plans proposés pour éviter la terrifiante banqueroute, qui chacun le sait est le cauchemar de tout "homme de bien".

    Soyez rassurés, vous n’êtes pas les seuls à en avoir constaté la terrible complexité ! La plupart des députés de l’Assemblée se trouvent dans le même embarras que vous pour se forger un avis éclairé et prendre une décision juste.

    Va donc s'engager ce 26 septembre, une sorte de confrontation entre deux manières différentes d'approuver le fameux plan du ministre, pendant laquelle des opposants très engagés vont intervenir à la tribune. On peut résumer ainsi : approuver par confiance ou approuver par connaissance.


    Comme vous allez pourvoir le constater, c'est le tonitruant Mirabeau qui va finir par se lancer dans un orageux discours improvisé, comme il sait les faire, afin de secouer les députés et les convaincre, que faute de tout comprendre au plan de Necker, il faut le voter de confiance ! (Entre-nous soit dit, que croyez-vous que comprennent nos propres élus aux problèmes complexe de notre société en crise ?)

    Le détail se trouve par le lien ci-dessous, mais voici toute de même quelques-uns de ces échanges.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5053_t1_0195_0000_5

 

    Le procès-verbal rapporte que : « M. de Lally-Tollendal dont le discours peut se résumer dans ces deux mots que son érudition lui suggéra, timeo Danaos, propose d'adopter le plan de M. Necker, et de renvoyer la rédaction du décret au comité des finances. »

J'aime bien cette citation tirée de l’Enéide de Virgile. La voici complète : « Timeo Danaos et dona ferentes ». Elle se traduit par « Je crains les Grecs, même lorsqu'ils font des cadeaux », en référence au cheval de Troie. Cela révèle en fait une marque de méfiance devant un cadeau trop beau.


Jean-Jacques Duval D'Eprémesnil
    M. Duval d'Eprémesnil va proposer l'amendement suivant :

« Vu l'urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l'Assemblée nationale accepte, de confiance, le projet présenté par le premier ministre des finances. »

Cet amendement est adopté, quant au motif d'urgence, mais bientôt les motifs de confiance excitent de vives réclamations.

La séance se prolonge, les têtes s'échauffent, la voix des orateurs se confond avec celle des interlocuteurs, et les opinions ne se présentent plus que comme un vain son au milieu du tumulte.


    Il est déjà plus de cinq heures du soir, quand le comte de Mirabeau intervient une dernière fois :

« Messieurs, au milieu de tant de débats tumultueux, ne pourrai-je donc pas ramener à la délibération du jour par un petit nombre de questions bien simples ?

Daignez, Messieurs, daignez me répondre.

Le premier ministre des finances ne vous a-t-il pas offert le tableau le plus effrayant de notre situation actuelle ?

Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggravait le péril ? Qu'un jour, qu'une heure, un instant pouvaient le rendre mortel ?

Avons-nous un plan à substituer à celui qu'il nous propose ? — (Oui ! A crié quelqu'un dans l'Assemblée.) — Je conjure celui qui répond oui , de considérer que son plan n'est pas connu, qu'il faut du temps pour le développer, l'examiner, Je démontrer ; que fût-il immédiatement soumis à notre délibération, son auteur a pu se tromper; que fût-il exempt de toute erreur, on peut croire qu'il s'est trompé ; que quand tout le monde a tort, tout le monde a raison : qu'il se pourrait donc que l'auteur de cet autre projet même ayant raison, eût tort contre tout le monde, puisque sans l'assentiment de l'opinion publique le plus grand talent ne saurait triompher des circonstances....

Et moi aussi je ne crois pas les moyens de M. Necker les meilleurs possibles, mais le ciel me préserve, dans une situation si critique, d'opposer les miens aux siens. Vainement je les tiendrais pour préférables ; on ne rivalise pas en un instant une popularité prodigieuse, conquise par des services éclatants, une longue expérience, la réputation du premier talent de financier connu ; et, s'il faut tout dire, des hasards, une destinée telle qu'elle n'échut en partage à aucun mortel.

Il faut donc en revenir au plan de M. Necker,

Mais avons-nous le temps de l'examiner, de sonder ses bases, de vérifier ses calculs ?... Non, non, mille fois non ! D'insignifiantes questions, des conjectures hasardées, des tâtonnements infidèles ; voilà tout ce qui, dans ce moment, est en notre pouvoir. Qu'allons-nous donc faire par le renvoi de la délibération ? Manquer le moment décisif, acharner notre amour-propre à changer quelque chose à un ensemble que nous n'avons pas même conçu, et diminuer par notre intervention indiscrète l'influence d'un ministre dont le crédit financier est et doit être plus grand que le nôtre... Messieurs, certainement il n'y a là ni sagesse, ni prévoyance... Mais du moins y a-t-il de la bonne foi ?

Oh ! Si des déclarations moins solennelles ne garantissaient pas notre respect pour la foi publique, notre horreur pour l’infâme mot de banqueroute, j'oserais scruter les motifs secrets, et peut-être, hélas ! Ignorés de nous-mêmes, qui nous font si imprudemment reculer au moment de proclamer l'acte d'un grand dévouement, certainement inefficace s'il n'est pas rapide et vraiment abandonné. Je dirais à ceux qui se familiarisent peut-être avec l'idée de manquer aux engagements publics, par la crainte de l'excès des sacrifices, par la terreur de l'impôt... Qu'est-ce donc que la banqueroute, si ce n'est le plus cruel, le plus inique, le plus inégal, le plus désastreux des impôts ?... Mes amis, écoutez un mot : un seul mot.

Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s'engloutir. Il faut le combler, ce gouffre effroyable. Eh bien ! Voici la liste des propriétaires français. Choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens ; mais choisissez ; car ne faut-il pas qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple ? Allons. Ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit. Ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et la prospérité dans Je royaume. Frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes, précipitez-les dans l'abîme ; il va se refermer... Vous reculez d'horreur... Hommes inconséquents ! Hommes pusillanimes ! Eh ! Ne voyez-vous donc pas qu'en décrétant la banqueroute, ou, ce qui est plus odieux encore, en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois plus criminel, et, chose inconcevable ! Gratuitement criminel ; car enfin, cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n'aurez pas payé, que vous ne devrez plus rien ? Croyez-vous que les milliers, les millions d'hommes qui perdront en un instant, par l'explosion terrible ou par ses contrecoups, tout ce qui faisait la consolation de leur vie, et peut-être leur unique moyen de la sustenter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime ? Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette catastrophe vomira sur la France ; impassibles égoïstes (…)

La suite de ce formidable discours de Mirabeau en haut de la page 196 de ce procès-verbal :

https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5054_t1_0196_0000_16

Il se termine néanmoins ainsi :

« Eh ! Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais Royal, d’une risible insurrection qui n’eût jamais d’importance que dans les imaginations faibles et les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l’on délibère ! Et certes il n’y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome… Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur… et vous délibérez ! »

Le procès-verbal de la séance conclu ainsi :

Nous n’essaierons pas de rendre l’impression que ce discours improvisé produisit sur l’Assemblée.

Des applaudissements presque convulsifs firent place à un décret très simple, conçu en ces termes, qui passa après un appel nominatif, commencé à cinq heures et demie et finit après sept heures.

« Vue l’urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte de confiance le plan de Monsieur le premier ministre des finances. »

Voilà comment a été adopté le plan de redressement des finances destiné à sauver la France : "De confiance".

    Ne souriez-pas. De nos jours, nos ministres et députés font souvent de même. Ils se contentent de suivre les avis autorisés d'experts faisant autorité.

    Quant à Mirabeau, c'est vraiment le grand homme de cette révolution qui commence. Intelligent, orateur brillant, il survole tout le monde de très haut. Il n'en est pas moins homme et comporte des parts d'ombre. Croit-il vraiment en ce qu'il dit ? Ce qu'il reprocha à Robespierre (Il ira loin parce qu'il croit ce qu'il dit). Ou bien n'est-ce qu'une sorte de lion qui s'amuse de sa force en se jouent des autres ? Mirabeau semble ne craindre personne, il est à l'aise avec tout le monde, aussi bien avec le roi (qui le paiera pour orienter l'Assemblée), qu'avec les députés, ou même l'intriguant Duc d'Orléans avec lequel on le voit souvent déjeuner au Palais Royal...

Bien sûr, nous en reparlerons en temps voulu...



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Bien cordialement
Bertrand