mercredi 30 septembre 2020

30 Septembre 1789 : Un solitaire invente le pouvoir modérateur, c’est Bernardin de Saint-Pierre

 

Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre

    C’est à la fin de ce mois de septembre 1789 que Jacques Bernardin Henri de Saint-Pierre publie son ouvrage « Vœux d’un solitaire ». Moins connu que son célèbre roman « Paul et Virginie » publié en 1788, ce livre à l’avantage de coller parfaitement à notre actualité de 1789.

    Je vous invite à lire ci-dessous son préambule. Il décrit les événements qui ont eu lieu à Paris depuis le mois de juillet, ainsi que la façon, assez étonnantes, dont il les a vécus. 

    L’extrait que je vous propose se termine sur la proposition d’un nouveau concept en politique, l’invention d’un troisième pouvoir, le pouvoir modérateur. Je trouve que c'est une idée géniale.

    Si vous le souhaitez, vous pourrez en apprendre plus en lisant l’exemplaire mis à notre disposition par notre ami Google, dans la fenêtre située en bas de page.

    Quant à Bernardin de Saint Pierre, cet aventurier, ingénieur, écrivain, etc., je vous conseille de lire sa biographie plutôt bien faite sur sa page Wikipédia. Vous y apprendre, entre autres, que ce solitaire s’était lié d’amitié avec un autre solitaire, célèbre celui-là pour ses promenades rêveuses dans la nature et surtout pour ses écrits philosophiques ; Je veux parler de Jean-Jacques Rousseau. Bernardin de Saint Pierre faillit se marier en 1773 avec Louise Félicité de Keralio, une femme étonnante et trop méconnue, à laquelle j’ai consacré un article sur ce site.

    Je vous propose également de lire cette étude sur lui, rédigée par le Professeur Jean-Michel Racault, spécialiste des littératures de voyage au XVIIIe siècle, que vous trouverez en cliquant sur l’image ci-contre.




Voici les premières pages du préambule du livre.

Je me suis permis d’actualiser l’orthographe, afin que les « f » remplaçant les « s », comme il était d’usage au 18ème siècle, ne vous perturbent pas trop. J’ai juste laissé les « & » remplaçant nos « et », pour conserver un peu de pittoresque.

"Dans mes Etudes de la Nature, imprimées pour la première fois en décembre 1784, j’ai formé la plupart des vœux que je publie aujourd’hui, en Septembre 1789. J’y serai tombé sans doute dans quelques redites : mais les objets de ces vœux, qui, depuis la convocation des Etats -généraux, intéressent toute la nation, sont si importants, qu’on ne saurait trop les répéter, & su étendus, qu’on peut toujours y ajouter quelque chose de nouveau.

Je sais que les membres illustres de notre assemblée nationale s’en occupent avec le plus grand succès. Je n’ai pas leurs talents, mais, comme eux, j’aime ma patrie. Malgré mon insuffisance, si ma santé l’eût permis, j’aurais ambitionné la gloire de défendre avec eux la liberté publique : mais j’ai un sentiment si exquis & si malheureux de la mienne, qu’il m’est impossible de rester dans une assemblée, si les portes en sont fermées, & si les avenues n’en sont pas si libres que je puisse sortir au moment où je le désire.

Ce désir d’user de ma liberté ne manque jamais de me prendre au moment où je crois l’avoir perdue, & il devient si vif, qu’il me cause un mal physique & moral, auquel je ne peux résister. Il s’étend plus loin que l’enceinte d’un appartement. Pendant les émeutes de Paris (qui commencèrent après le départ de M. Necker, le 13 juillet, au même jour que l’année passée le royaume fut désolé par la grêle), lorsqu’on brûlait les bâtiments des barrières autour de la ville, qu’au-dedans l’air retentissait du bruit alarmant des tocsins que fonctionnaient tous les clochers à la fois, & des clameurs du peuple qui criait que les hussards entraient dans les faux-bourgs pour y mettre tout à feux et à sang, Dieu, en qui j’avais mis ma confiance, me fit grâce d’être tranquille. Je me résignai à tout événement, quoique seul dans une maison isolée & dans une rue solitaire, à l’extrémité d’un faux-bourg.

Mais quand le lendemain, après la prise de la Bastille, l’éloignement de troupes étrangères dont le voisinage avait causé tant d’alarmes, & l’établissement des patrouilles bourgeoises, j’appris qu’on avait fermé les portes de Paris, & qu’on n’en laissait sortir personne, il me prit alors la plus grande envie d’en sortit moi-même.

Pendant que les habitants se félicitaient d’avoir recouvré leur liberté, je comptais avoir perdu la mienne : je me tenais pour prisonnier dans les murs de cette vaste capitale ; je m’y sentais à l’étroit. Je ne rendis le calme à mon imagination, que lorsque j’eus trouvé, en me promenant sur le boulevard de l’hôpital, une porte grillée, dont la ferrure & les barreaux avaient été rompus, & qui n’était pas gardée : alors j’en m’en fus dans la campagne, ou je fis une centaine de pas, pour m’assurer que je n’avais pas perdu mes droits naturels, et qu’il m’était permis d’aller par toute terre. Après cet essai de ma liberté, je me sentis tout à fait tranquille, & je m’en revins dans mon quartier tumultueux, sans me soucier depuis d’en ressortir.

Lorsque, quelques jours après, des têtes coupées à la Grève, sans formalité de justice, & des listes affichées qui en prescrivaient beaucoup d’autres, firent craindre à tout le monde que des méchants ne se servissent de la vengeance du peuple, pour satisfaire leurs haines particulières, & que Paris, livré à l’anarchie, ne devint un théâtre de carnage & d’horreur, quelques amis m’offrirent des campagnes paisibles & agréables, tant au-dedans qu’au dehors du royaume, où je pourrais goûter le repos si nécessaire à mes études ; je les ai remerciés. J’ai préféré de rester dans ce grand vaisseau de la capitale, battu de tous côté de la tempête, quoique je sois inutile à la manœuvre, mais dans l’espérance de contribuer à sa tranquillité. J’ai donc tâché de calmer des esprits exaltés, ou de ranimer ceux qui étaient abattus, quand j’en ai eu l’occasion ; de contribuer de ma personne et de ma bourse aux gardes si nécessaires à la police ; d’assister, de temps à autre, à quelque comité de mon district, un des plus petit & des plus sages de Paris, pour y dire mon mot, quand je le peux ; et surtout de mettre en ordre ces Vœux pour la félicité publique, dont je m’occupe depuis six mois. J’ai abandonné, pour cet unique objet, des travaux plus faciles, plus agréables, & plus utiles à ma fortune ; je n’ai eu en vue que celle de l’Etat.

Dans une entreprise si stupéfiante à mes forces j’ai marché souvent sur les pas de l’Assemblée nationale, & quelquefois je m’en suis écarté : mais si j’avais toujours eu ses idées, il serait fort inutile que je publiasse les miennes. Elle se dirige vers le bien public, par de grandes routes, en corps d’armée, dont les colonnes s’entraident, & quelquefois malheureusement se choquent ; et moi, loin de la foule, sans secours, mais sans obstacles, par des sentiers qui m’ont mené vers le même but. Elle moissonne, & moi je glane. Je rapporte donc à la masse commune quelques épis cueillis sur ses pas, & même au-delà, dans l’espérance qu’elle daignera les recueillir dans ses gerbes.

Cependant j’ai à me justifier de m’être écarté quelque fois de sa marche, & même de ses expressions. Par exemple, l’assemblée n’admet que deux pouvoirs primitifs dans la monarchie, le pouvoir législatif & le pouvoir exécutif. Elle attribue le premier à la nation, & le second au roi. Mais je conçois dans la monarchie, ainsi que dans toute puissance, un troisième pouvoir nécessaire au maintien de son harmonie, que j’appelle modérateur."

Et voici le livre complet !


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Bertrand