Article mis à jour et complété le 7 septembre 2024.
Les femmes révolutionnaires !
Lorsqu'on lit les documents d'époque, on se rend compte que les femmes sont omniprésentes au cours de la Révolution. Elles sont de toutes les émeutes et surtout elles sont à l'origine de moments décisifs, comme nous le verrons le 5 octobre prochain ! Ce sont elles, par exemple, qui contraindront Louis XVI à signer la Déclaration des Droits de l'Homme ! chaque fois que je le pourrai, je consacrerai un article à certaines de ces femmes étonnantes.
Découvrons ensemble celles de cette journée du 7 septembre 1789.
Les femmes surgissent à l'Assemblée !
Ce lundi 7 septembre 1789, la discussion sur le droit de véto royal est interrompue à l’Assemblée nationale par l’arrivée d’une députation de citoyennes. Celles-ci sont venues offrir leurs bijoux pour contribuer au remboursement de la dette de l’État !
Les femmes de cette surprenante délégation sont placées sur des chaises en avant de la barre et c’est un dénommé Monsieur Bouche
(cela ne s’invente pas), présenté dans le procès-verbal comme "l’organe des
citoyennes", qui lit en leur nom, le discours suivant :
Charles-François Bouche |
« Messeigneurs, la régénération de l’État sera l'ouvrage des représentants de la nation.
La libération de l’État doit être celui de tous les bons citoyens.
Lorsque les Romaines firent hommage de leurs bijoux au Sénat, c'était pour lui procurer l'or sans lequel il ne pouvait accomplir le vœu fait à Apollon, par Camille, avant la prise de Véies.
Les engagements contractés envers les créanciers de l’État sont aussi sacrés qu'un vœu. La dette publique doit être scrupuleusement acquittée, mais par des moyens qui ne soient point onéreux au peuple.
C'est dans cette vue que quelques citoyennes, femmes ou filles d'artistes, viennent offrir à l'auguste Assemblée nationale des bijoux qu'elles rougiraient de porter, quand le patriotisme leur en commande le sacrifice. Eh ! Quelle est la femme qui ne préférera l'inexprimable satisfaction d'en faire un si noble usage au stérile plaisir de contenter sa vanité !
Notre offrande est de peu de valeur, sans doute ; mais dans les arts on cherche plus la gloire que la fortune : notre hommage est proportionné à nos moyens, et non au sentiment qui nous l'inspire.
Puisse notre exemple être suivi par le grand nombre de citoyens et de citoyennes dont les facultés surpassent de beaucoup les nôtres !
Il le sera, Messeigneurs, si vous daignez l'accueillir avec bonté ; si vous donnez à tous les vrais amis de la patrie la facilité d'offrir des contributions volontaires, en établissant dès à présent une caisse uniquement destinée à recevoir tous les dons, en bijoux ou espèces, pour former un fonds qui serait invariablement employé à l'acquittement de la dette publique. »
Le Président répond :
« L'Assemblée nationale voit avec une vraie satisfaction les offres généreuses auxquelles vous a déterminées votre patriotisme : puisse le noble exemple que vous donnez en ce moment propager le sentiment héroïque dont il procède, et trouver autant d'imitateurs qu'il aura d'admirateurs ! Vous serez plus ornées de vos vertus et de vos privations, que des parures que vous venez de sacrifier à la patrie. L'Assemblée nationale s'occupera de votre proposition avec tout l'intérêt qu'elle inspire."
Après ce discours, il a été déposé sur le bureau une cassette
renfermant les différents objets offerts à la nation ; et l'Assemblée, désirant
connaître les noms des citoyennes qui donnaient un si noble exemple, a ordonné
qu'ils fussent lus et inscrits dans le procès-verbal de ce jour, et ce sont :
- Mmes
- Moitte, présidente.
- Vien.
- De Lagrenée, la jeune.
- Berruer.
- Souvée.
- Duvirier.
- Bell.
- Vestier.
- Melles
- Yassé de Bonrecueil.
- Vestier.
- Gérard.
- Mmes
- Fragonard.
- Péron.
- David.
- Vernet, la jeune.
- Desmarteaux.
- Bonvalet.
- Corne de Cerf, négociante.
- Melles
- Phitoud.
- De Viefville.
- Hotemps.
Jean-Josephe Mougin de Roquefort |
Monsieur Mougin de Roquefort, député de Grasse s’enthousiasme et déclare :
"Messieurs, l'auguste sénat de Rome regardait comme un devoir sacré de récompenser avec éclat toutes les actions inspirées par l'amour du bien public ; c'est dans ces vues qu'il accorda aux dames romaines, pour les récompenser de leurs généreux sacrifices, des distinctions honorables ; et lorsque des dames françaises nous rappellent la générosité des dames romaines, les représentants de la nation ne seront ni moins justes, ni moins grands que ces anciens maîtres du monde. Je propose donc :
1° que l'Assemblée vote des remerciements en faveur de ces citoyennes pour l'exemple de patriotisme qu'elles viennent de donner à la nation ;
2* qu'elle décrète que leurs noms seront inscrits dans le procès-verbal ;
3° qu'il leur sera permis ainsi qu'à celles qui suivront leur exemple de porter une marque patriotique telle qu'elle sera déterminée."
L'Assemblée ne donne pas suite à la dernière de ces propositions, mais elle décide que les citoyennes composant la députation conserveront, pendant le reste de la séance, la place d'honneur qui leur a été accordée.
Mesdames Rigal et Pajou.
Ce geste spontané (?), inspiré de la conduite de citoyennes de la Rome antique (voir paragraphe suivant), aura pour conséquence l’ouverture de deux bureaux, dirigés pour l'un par Mme Pajou (fille de sculpteur et épouse du sculpteur Augustin Pajou) et pour l'autre bureau par Mme Rigal, (épouse d’orfèvre). La plupart des donatrices portaient un nom célèbre, d’autres étaient des artistes reconnues. Toutes avaient un train de vie confortable et logeaient au Louvre ou aux Gobelins.
Mesdames Rigal et Pajou, qui allaient diriger les deux bureaux dédiés à de semblables dons, ne figuraient pas dans la délégation du 7 septembre 1789. Mais elles en étaient peut-être les instigatrices. En effet, la BNF détient un exemplaire d'un discours prononcé le 20 septembre 1789, par Madame Rigal "dans une assemblée de femmes artistes et orfèvres" et non par Monsieur Bouche comme le mentionne le procès-verbal de l'Assemblée nationale pour l'événement du 7 septembre 1789. Y aurait-il eu deux délégations le même mois ? C'est possible puisque des estampes représentent le même événement à deux dates différentes, le 7 et le 21 septembre (Mais pas le 20, date du discours présumé de Mme Rigal).
Le graveur Wille précisa dans son journal que depuis plusieurs semaines, l'épouse du sculpteur Pajou sollicitait ses connaissances pour de tels dons.
D'autres actions spontanées de ce type, initiées par des femmes en faveur de la Révolution, eurent lieu durant toute cette période révolutionnaire.
Le discours de Madame Rigal est accessible ci-dessous, grace à notre ami Google :
De la vertu romaine.
Ce don peut nous laisser quelque peu perplexe. On peut avoir un peu de mal à en comprendre l'origine ou la véritable motivation. Ne sommes-nous pas là dans l'ordre du symbolique ? Qui eut pu croire que le don de quelques bijoux contribuerait à redresser les finances du pays ? N'oublions pas cependant qu'à cette époque, les personnes instruites étaient très fortement imprégnées de la culture gréco-romaine. La vertu romaine était un exemple pour nombre des acteurs de 1789. L'exemple des citoyennes romaines offrant leurs bijoux pour financer la guerre menée par le dictateur (au sens romain du terme) Marcus Furius Camillus contre les Véies était donc un symbole très fort. Concernant cet épisode de l'histoire romaine, je vous conseille fortement de lire la biographie de Camillus.
Camille -Nicolas Poussin (1637) |
La Reine et le Roi.
Vous rapportant cet événement étonnant, je me suis souvenu de tous les bijoux portés avec ostentation par Marie-Antoinette le 25 Août 1789, lorsqu'une délégation de parisiens était venue souhaitée sa fête au bon roi Louis XVI. Marie-Antoinette ne vivait vraiment pas dans le même monde que Louis XVI. En effet, vous serez étonnés d'apprendre que le 22 septembre 1789, le Roi lui-même fera le don de sa vaisselle d'argent pour redresser les finances du royaume ! A défaut d'être un Camillus, il aura au moins été à la hauteur d'une noble citoyenne romaine.
Louis XVI et Marie-Antoinette |
Concernant les époux Rigal, j'ai retrouvé cet arrêt de la Cour datant de 29 mars 1730 condamnant à une très forte amende à un orfèvre dénommé François Rigal. S'agit-il du père de Pierre-François Rigal, marchand-orfèvre propriétaire de l'enseigne " A la tête noire " quai des Orfèvre à Paris ? Ou est-ce le même Rigal de 1789 ? En tout cas, on peut comprendre qu'il pouvait exister une petite rancune chez les Rigal, à l'encontre du pouvoir royal...
Illustrations et problème de dates.
J'ai déniché ces trois belles estampes pour illustrer cet événement, dont une de ma collection personnelle. Celle en couleur qui se trouve en tête de l'article date l’événement au 21 septembre, alors que le PV de l’Assemblée nationale rapportant celui-ci est en date du 7 septembre 1789, ce que confirme l'estampe ci-dessous (en ma possession) sur sa légende.
Collection personnelle |
Source Procès-Verbal :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4951_t2_0591_0000_9
Source image en couleur : L’excellent site « Nogent
le Rotrou sous la révolution française :
http://www.nogentrev.fr/archives/2019/01/09/36988704.html
Source première image monochrome : Ma collection personnelle
Source seconde image monochrome :
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:AR-Deputation-Prieur.jpg
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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand