jeudi 10 septembre 2020

10 septembre 1789 : Un décret de la ville de Rennes choque l'Assemblée (encore le véto)


 

Place du Palais, à Rennes, en 1726

Ce 10 septembre, l’Assemblée nationale continue de débattre sur le droit de véto royal, ce droit pour le roi de refuser ou suspendre l’application d’une loi votée par l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, on y a lu un arrêté de la ville de Rennes qui a fait un grand scandale, du fait que celui-ci jugeait inadmissible le veto royal, arguant que le pouvoir législatif appartenait à la nation, et qu’il déclarait « ennemis de la patrie » tous ceux qui contesteraient ces principes.

Monsieur l’abbé Maury s’est emporté contre cet arrêté, l’a taxé de véritable proscription et demandé qu'on le renvoie à cette municipalité avec des marques d'improbation.


L'abbé Maury
    Présentons rapidement au passage Monsieur l'abbé Maury, dont nous aurons l'occasion de reparler. Violent et colérique, Jean-Sifrein Maury était la caricature de ce qu’il défendait, à savoir l’Eglise et la noblesse. Elu député du baillage de Péronne aux Etats généraux, il haïssait la Révolution et combattait les idées nouvelles et le Tiers Etat. Il lutta âprement contre l’émancipation des Juifs. Il s’opposa à la constitution civile du clergé en défendant l’autorité pontificale, ce qui ne l’empêcha pas de s’opposer au pape Pie VII, lorsqu’il se rallia à l’empire et que Napoléon le nomma archevêque de Paris en 1810. Quand on lui demanda un jour pourquoi il haïssait si fort la Révolution, il aurait fait cette réponse très révélatrice de sa personnalité :

 « Pour deux raisons : la première, et c’est la meilleure, c’est qu’elle m’enlève mes bénéfices ; la seconde, c’est que, depuis trente ans, j’ai trouvé les hommes si méchants, en particulier et pris un à un, que je n’attends rien de bon d’eux en public et pris collectivement.»

On comprend en effet, qu’il voyait les hommes à son image. Raison pour laquelle il en avait une si piètre opinion.

Isaac-René-Guy Le Chapelier

    M. Le Chapelier (Natif de Rennes), voyant que plusieurs membres appuyaient la motion de M. l'abbé Maury, a demandé la parole et longtemps prié qu'on l'écoute, mais longtemps l'Assemblée a refusé. C’est M. le marquis d'Estourmel, à qui le tour était de parler, qui fort courtoisement a cédé son droit de parole à M. Le Chapelier.

M. Le Chapelier s’est exprimé en ces termes :

« La question que vous agitez me force de prendre la parole pour deux raisons : d'abord, parce qu'en ma qualité de député de Rennes, je dois rejeter deux avis dangereux à la commune que j'ai l'honneur de représenter ; je suis ici son défenseur, et vous ne la condamnerez certainement pas sans entendre sa justification.

L'adresse qu'elle vous a envoyée ne doit d'abord pas être qualifiée d'absurde ; elle ne renferme que des sentiments, que des principes qui ont été professés dans cette Assemblée. Vous les avez entendus dans la bouche de M. l'abbé Sieyès, et quand un membre déclare l'acte qui les renferme absurde, ce n'est que son opinion qu'il oppose à celle d'une grande cité et à une partie de cette Assemblée ; ce qui me fait croire que ce n'est pas à lui à la qualifier d'absurde.

L'adresse ne doit pas encore être regardée comme peu respectueuse, parce que l'on ne doit pas s'arrêter aux termes. La dignité de l'Assemblée est toujours la même, elle est au-dessus de toute atteinte. Quant aux proscriptions dont on a parlé, comment peut-on supposer que ce soit là l'esprit de l'arrêté ?

Ce n'était certainement pas là l'intention des citoyens de Rennes, qui, dans tous les temps, ont bien mérité de la patrie. »

Mais la justification de Le Chapelier n’a fait aucune impression.

Source : : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4962_t2_0606_0000_10



Un mot sur l’aimable Louis Marie, marquis d'Estourmel qui donna son tour de parler à Le Chapelier. Colonel du régiment de Pologne-cavalerie, il avait été promu maréchal de camp le 1er janvier 1784. Il avait été membre de l'assemblée des notables de 1787, puis il avait été élu député de la Noblesse aux Etats Généraux. Après la séparation de l'Assemblée constituante dont il avait été député, il sera nommé inspecteur général des armées et promu général de division le 6 février 1792. Accusé par Adam Philippe de Custine d'avoir mal interprété ses ordres et d'avoir retiré ses troupes des revers des Vosges, empêchant la réussite d'une opération. Il sera emprisonné quelques semaines. Mais le 26 mai 1793, la Convention nationale décrètera qu'il n'y avait pas lieu de l'inculper car il put prouver qu'il n’avait fait qu’obéir aux ordres du général Pully. Il servira avec honneur sous l’empire et finira paisiblement sa vie sous Louis XVIII qui le fera même Chevalier de la Légion d’Honneur.

Je pense que cet homme respectable méritait d’être mentionné dans cette chronique de la Révolution.


Louis Marie, marquis d'Estourmel



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Bertrand