mercredi 9 septembre 2020

9 Septembre 1789 : Du riz frelaté, cause de l'assassinat du Maire de Troyes lors d'une émeute de la faim.

 Article mis à jour le 9 septembre 2023


    A la date de ce 9 septembre, dans ma base de données, figurait cette simple mention : 

"Le maire de Troyes, Monsieur Huez est mis à mort par le peuple, au cours d'une émeute de la faim."

    Plus ce site se complètera plus vous découvrirez le nombre d'émeutes que la faim a pu provoquer pendant la Révolution. Je vous parlerai également de celles qui ont eu lieu avant.

Lire également mon article : "La pénurie de farine et le manque de pain sont-ils organisés ?"

Ainsi que celui-ci : "L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789 et le pourquoi de son origine, l'Algérie."

    Faute d'infos supplémentaires, j'ai donc demandé à mon ami Google et j'ai trouvé rapidement deux pages évoquant ce fait-divers terrible. Elles présentaient l'événement de façons un peu différentes.

    Je vous engage à lire les deux. Vous risquez d'être très surpris. Mais auparavant je me permets de faire les deux petits rappels suivant pour vous situer le contexte :

Rappel concernant le pain :

    La plupart des émeutes populaires de 1789 (sinon toutes) eurent pour cause la faim (émeutes dites "frumentaires"). Le peuple manquait de pain et il arrivait souvent que le pain vendu soit frelaté et rende les gens malades.

Entre janvier 1787 et juillet 1789, le prix du pain avait augmenté de 75%. La consommation journalière moyenne d'un individu était de 4 livres de pain. Une livre de pain coûtait de 2 à 4 sous, selon la rareté des farines. Une famille de deux adultes et deux enfants devait dépenser dans le meilleur des cas (livre à 2 sous et enfants mangeant moins) 28 sous. Début 1789, le pain à Paris était à 14 sous. Un ouvrier non qualifié (80 % des ouvriers parisiens) gagnait 20 sous par jour.

(Question monnaie : Une livre valait 20 sous et 1 sous valait 12 deniers.)

 Rappel concernant la philosophie de mon site : 

    L'objectif de cet article est de présenter des informations nouvelles (vous allez en découvrir) et de chercher à comprendre comment de telles choses ont pu se produire. Qu'il n'y ait pas de malentendu, je ne prends pas la défense des bourreaux.

Troyes - Hôtel Vauluisant

Horrible assassinat du Maire de Troyes

Première version de l'événement

    Je vous livre cette première version que j'ai découverte sur le site d'un amoureux de l'histoire de la ville de Troyes, qui s'intitule "Troyes d'hier et d'aujourd'hui". Le rédacteur de l'article ne donne hélas pas la source de son récit du drame.

    Comme je l'ai déjà dit ailleurs, mon expérience d'Internet m'a prouvé qu'au fil du temps, de nombreux articles et même des sites entiers disparaissent. Raison pour laquelle je reproduis ci-dessous une partie de l'article. Une partie seulement, parce que mon site se veut accessible à des lecteurs de tous âges et que pour cette raison, j'ai coupé le passage horriblement détaillé du supplice du malheureux Maire de Troyes en 1789.

J'ai relevé deux points particuliers dans ce récit, que je développerai après cet extrait :

Source : Assassinat de Claude Huez  (Cliquez sur le titre)

"Le 2 avril 1724, naît à Troyes Claude Huez, fils d'un conseiller au bailliage.

Il devient le 20 juillet 1786 maire de cette ville et lieutenant criminel, par ordonnance de Louis XVI. 

En 1789, le maire Claude Huez, l’intendance, l’église avec monseigneur de Baral, s’efforcent de remédier à toutes les misères, et principalement à la disette.

Le maire conseille de faire du pain avec un mélange froment-riz. (1)

Il établit un “ Bureau de Charité “, et ouvre une souscription parmi les citoyens aisés, ce qui permet de distribuer 1 sol et 6 deniers aux plus déshérités.

L’après-midi du mercredi 9 septembre 1789, il y a au Palais de justice une audience du Tribunal de police présidé par le maire, en tant que doyen des conseillers du bailliage, afin de juger François Besançon. Ce commerçant est accusé d’avoir vendu de la farine de riz empoisonnée. Le Tribunal décide de brûler les farines avariées.

A la sortie de l’audience, Claude Huez est insulté par une foule considérable, en colère, qui le considère comme complice de l’empoisonneur et clame "A bas le maire, à mort le maire ".

Un homme, vêtu d’une veste grise et portant tablier de peau, le tire par le bas de sa robe, et le renverse dans l’escalier. Sa robe et sa perruque sont arrachées, il est littéralement lynché, à coups de pieds, de poings, de sabots.

Ce ne sont que des cris de haine, des injures, proférés par une meute qui a faim et ne sait plus trop ce qu’elle fait. Il y a là au moins une quarantaine de femmes qui excitent les assassins au lieu de les calmer.

Le maire est tout en sang, et, malgré son long martyre, il a la force de dire, en regardant ses bourreaux : " Pardonnez-leur, pardonnez-leur ! ".

(...) 

Se trouve ici sur plusieurs lignes, le récit atroce du martyre de ce malheureux que je ne juge pas utile de retranscrire.

          (...) 

Arrivés au Pont de la Salle, les émeutiers jettent le corps dans le ru Cordé, puis certains proposent avec ironie de reconduire le Maire à la Mairie. Ils retirent le cadavre de l’eau et le traînent à nouveau par la rue de la Cité et la rue Moyenne, le souillant dans les ruisseaux des rues de tous les quartiers.

Enfin, lassée et semblant satisfaite, la meute composée d’hommes, de femmes et d’enfants, abandonnent Claude Huez vers sept heures, devant la maison commune.

Le corps est transporté au petit cimetière Saint-Jean, tout à côté, par de braves gens, membres du comité, qui se trouvaient sur place.

Il est maintenant dans l'église Saint-Jean, à gauche en entrant.

Ainsi périt victime de passions insensées un homme sage, honnête, dévoué, dont la mort fut regardée, même à l’époque de la Terreur, comme l’un des premiers crimes de la Révolution. (Note perso :à Troyes probablement, car ce serait oublier par exemple, l'assassinat horrible de Foulon et Berthier à Paris le 22 Juillet 1789).

" … Dans le même temps, ses assassins s’en vont piller la maison du Maire et celles des responsables de l’ordre, pendant près de quatre heures. Les portes, les fenêtres, les glaces sont brisées, les tapisseries déchirées, les meubles jetés par les fenêtres, les lits de plumes sont éventrés et les plumes dispersées par le vent font penser à une chute de neige, les balcons sont arrachés ... Une douzaine d’hommes complètement ivres sortent de la maison du notaire. Ils emportent 600 bouteilles de vin ! Des femmes emmènent l’argenterie de Claude Huez dans une nappe.. ".

Le calme ne revient véritablement qu’à deux heures du matin.

Pourquoi ni les Dragons d’Artois, ni la Garde Nationale de la mairie ne sont intervenus l’après-midi, contre ces gens déchaînés ? (2)

Les insurgés, en se séparant crient qu’ils ont encore 27 maisons à piller, à brûler, et 27 têtes à couper !

Le soir même de ce triste jour, plusieurs émeutiers sont abattus pendant le pillage des maisons, plus de 60 arrestations ont lieu et des contrôles instaurés aux portes de Troyes. Malgré tout, la colère n‘est pas apaisée, et certains ayant promis de revenir en annonçant d’autres vengeances, une partie du clergé et de la bourgeoisie quitte la ville pour quelques jours.

Le jeudi 3 décembre, a lieu à la cathédrale un service solennel à la mémoire du malheureux Claude Huez.

Toute la ville est là, les dignitaires, les bourgeois, les militaires, et même quelques-uns qui ont contribué à sa mort !

Vous pouvez lire le détail du procès des émeutier sur la page suivante du même site : "Procès des auteurs du crime de Paul Huez".

Troyes -Place du marché à blé (où avaient lieu les exécutions)

Le supplice de ce malheureux est horrible et totalement injustifiable, c'est indiscutable.

Rien ne nous empêche de nous poser quelques questions en lisant un pareil récit.

Voici les deux que j'ai retenues.

Question numéro 1 : " Le maire conseille de faire du pain avec un mélange froment-riz" ?

    Du riz ? Je pense que vous aussi, vous avez dû être étonnés. Il semble donc qu'en 1789, en Champagne, il était plus facile de trouver du riz que du blé et que de plus on en faisait du pain en le mélangeant à du froment !?

    C'est ainsi qu'en menant mon enquête, j'ai découvert qu'effectivement, au XVIIIe siècle, lors de disettes, certains boulangers fabriquaient un mauvais pain de riz, "mat et insipide", à base de farines de riz et de froment, un pain ayant la particularité d'être très difficile à digérer, voire même "d'obstruer les viscères" !

    Mais d'où pouvait venir cette idée folle ? Alors même que Parmentier avait démontré dès 1778 que l'on pouvait aisément fabriquer du pain avec des pommes de terre, bien plus faciles à cultiver et qu'en janvier 1789 il en était encore à devoir rédiger un rapport à ce propos au roi ! Lisez l'article que l'historienne Aurore Chéry m'a fait l'honneur de rédiger sur mon site :" L'historienne Aurore Chéry explique la pénurie de farine en 1789 et le pourquoi de son origine, l'Algérie."

    Et surtout d'où venait ce riz ?

De Louisiane ?

    S'agissait-il de ce riz dont la culture avait sauvé de la famine la colonie française de Louisiane au début du XVIII siècle ?
Source : https://journals.openedition.org/eccs/896 

    Principalement utilisé sur place, une partie du riz était tout de même exportée vers la France depuis la ville de La Nouvelle Orléans. La riziculture s’était avérée une solution très efficace en Louisiane, non seulement à l’insécurité alimentaire, mais aussi au problème causé par les inondations des terres riveraines du Mississipi.
Source : https://www.cairn.info/revue-annales-2007-3-page-663.htm

Carte de la Louisiane au XVIII siècle
Source BNF

Du Piémont ??

S'agissait-il du riz cultivé dans la basse plaine du Pô du Piémont italien ?

Rizière dans le Piémont
Source image

Plus d'infos : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/italie-a-la-decouverte-du-riz-du-piemont-premier-producteur-europeen_13964

De France ???

    J'ai en effet découvert que de premières utilisations du riz en France avaient eu lieu lors des disettes et famines de 1697-1698, mais que toutes les premières tentatives de riziculture avaient échoué.

    Cela ne découragea pas des investisseurs au XVIIIe siècle, ou des "capitalistes" comme on les appelait à l'époque, de vouloir mettre des moyens pour implanter la riziculture en France. Était-ce du courage, de l'inconscience ou seulement le goût du lucre ?

    Il faut savoir que la culture du riz exige des conditions d'humidité régulière et de chaleur qui sont exceptionnelles sous nos climats. Toutes les tentatives qui ont été faites pour acclimater la riziculture en Europe n'ont en général donné que peu de résultats, à l'exception de celles situées dans le Bassin Méditerranéen. (De nos jours, l'Italie est toujours le pays premier producteur de riz en Europe). N'oublions pas non plus que le XVIIIe siècle a correspondu à la période de refroidissement climatique, appelée "Petit âge glaciaire", cause d'hivers rigoureux et d'été orageux.

Des investisseurs, courageux ? 

    Une Compagnie, dite "du riz et des rizières de France", composée d'hommes d'affaires et dirigée par un Bourgeois de Paris, Noël Chavillot, s'était néanmoins constituée, en ayant pour objectif d'obtenir le privilège exclusif (c'est-à-dire le monopole)

    Ce privilège prétendaient-ils, leur permettrait de soutenir les frais considérables nécessaires au lancement de l'affaire. Selon eux, ce n'était pas là une "spéculation" et ils y voyaient moins leurs intérêts particuliers que ceux de l'Etat. Certains grands personnages comme le fils du Régent, le chevalier d'Orléans intervinrent d'ailleurs auprès du Procureur Général pour l'enregistrement des lettres de patentes, créant le monopole.

    Leur projet se concrétisa vers 1740 dans certaines Provinces, telles que Forez, Bourbonnais, Dauphiné et Auvergne, notamment près de la ville de Thiers. 

    La "peste de Thiers" qui sévit en 1741 fut le résultat de cet essai de riziculture. Les exploitations étant probablement mal tenues et certainement placées trop près des agglomérations. Cette peste n'était rien d'autre qu'une fièvre paludéenne, qui fit de très nombreuses victimes. 

Rapport du 6 Août 1741
des médecins de Thiers
mettant en cause les rizières.
Source : Archives départementales

    Il y eu bien sûr des intrigues politiques. Il fallut l'intervention de l'évêque de Clermont, Jean Baptiste Massillon, qui "stimula" le zèle de l'Intendant dont il était l'ami, pour mettre fin à l'affaire. Trop de paysans mourraient.

Source : La peste du riz de Thiers : https://www.jstor.org/stable/24065227

    Malgré ce nouvel échec, l'usage du riz s'était peu à peu répandu en France. Des placards imprimés donnaient des recettes pour "faire la soupe au riz pour cinquante personnes" et "la bouillie pour les petits enfants".

    Apprenez pour finir cette partie sur le riz que des Italiens tentèrent plus tard de leur côté d'introduire la culture du riz en Lorraine !!!


Question numéro 2 : "Pourquoi ni les Dragons d’Artois, ni la Garde Nationale de la mairie ne sont intervenus l’après-midi, contre ces gens déchaînés ?"

    Le rédacteur de ce texte se pose la question. C'est bien. Mais curieusement, on apprend sur une autre page de son site, que les Troyens avaient éprouvé quelques difficultés à constituer leur milice bourgeoise, ou garde nationale durant l'été. 

Voici l'extrait décrivant ces difficultés :

"Une première tentative faite dans ce but, le 20 juillet 1789, échoue. La nouvelle milice était composée d’éléments trop aristocratiques et les esprits prévenus contre elle la rejetèrent. C’est alors que la municipalité rassemble les districts à l’Hôtel de Ville, le 16 août, pour réformer les compagnies et les officiers. Cette fois, le résultat est tout différent du premier. Les membres élus sont jugés trop révolutionnaires. Le 29 août, après une émeute dans laquelle le maire, Claude Huez faillit perdre la vie, et après de nombreux pourparlers, les officiers municipaux réunis à l’Hôtel de Ville, convoquent les citoyens actifs pour élire définitivement leurs officiers. Ce n’est que le 17 octobre que la garde nationale troyenne est complètement organisée, par un règlement dûment approuvé et signé par tous les officiers et les volontaires de la nouvelle milice."

    Ne pouvons-nous pas déduire de ceci que la garde nationale existant le 9 septembre était soit constituée de ces membres "trop révolutionnaires" (donc peut sensibles aux malheurs des bourgeois), soit inexistante ?

Mais ce qui est encore plus étonnant, c'est que l'on peut lire dans le même article :

"Cependant, il serait ingrat de ne pas reconnaître que dans plusieurs occasions la Garde nationale troyenne se signala pas sa bravoure et son énergie ; notamment lors de l’assassinat de Claude Huez."


Cette version suscite trop de questions. Passons à la seconde version.

Troyes - Porte Saint-Jacques

Seconde version de l'événement

    Probablement un texte d'universitaire ou de véritable historien, cette version commence par dresser le contexte économique de la Région.

Le mercredi 9 septembre 1789, Claude Huez, maire de Troyes depuis le 29 juillet 1786, est sauvagement assassiné par une partie de la foule présente au palais des comtes de Champagne. Son cadavre est ensuite traîné dans les rues de la ville pendant près de trois heures par les éléments les plus violents. L’émeute ne prend fin que tard dans la soirée après le pillage de plusieurs maisons de notables dont celle du défunt maire. Comment et pourquoi en est-on arrivé à un tel déferlement de violence ? Qu’a donc fait Claude Huez pour mériter une fin aussi atroce ?

Un contexte socio-économique explosif

La capitale de la Champagne compte environ 28 000 âmes en 1788 et sa réputation est bâtie sur le textile qui fait fonctionner de nombreux métiers. Or, la signature du traité de libre-échange avec l’Angleterre par le ministre Vergennes en 1786 a porté un coup très rude à la production troyenne. En effet, la concurrence avec un pays plus avancé technologiquement a engendré une baisse de la production et partant, le chômage de nombreux ouvriers. De plus, à ces difficultés économiques, s’ajoutent depuis plusieurs années, et singulièrement l’année 1788, des problèmes de subsistances qui gangrènent les relations sociales au sein de la cité. L’hiver est particulièrement rigoureux et nombreux sont ceux qui voient leur avenir s’assombrir. C’est pour soulager la souffrance des démunis, toujours plus nombreux, que la municipalité – de concert avec l’évêque de Troyes Monseigneur de Barral – ouvre un bureau et des ateliers de charité. Ils permettent ainsi d’occuper les inactifs et de leur fournir le pain à un prix modique. Cependant cette période de soudure ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices tant la crainte de la disette est grande. Dès le mois de mars, l’intendant de Champagne, Rouillé d’Orfeuil, incite les officiers municipaux à prendre toutes les précautions pour éviter les conséquences d’une possible mauvaise récolte. Aussi leur conseille-t-il de stocker du grain afin de parer à toute éventualité. Claude Huez entend bien cet argument mais il est partagé entre deux écueils difficiles à surmonter : d’une part, l’entretien des pauvres pendant l’hiver a lourdement grevé le budget de la ville et toute nouvelle dépense paraît inenvisageable ; d’autre part, il tient à se préserver d’une possible accusation d’accaparement, laquelle pourrait être lourde de conséquences. Il choisit donc de ne pas acheter de grains. Funeste décision !

Un été brûlant

L’été 1789 est une terrible épreuve pour la population troyenne. En effet, la récolte s’annonce médiocre et laisse rapidement craindre une pénurie céréalière.

    Vous pourrez lire la suite en payant 7.50 € pour acheter le numéro 60, sur le site de la revue "La vie en Champagne". (Tout n'est pas gratuit comme sur mon site dans la vie) 😉

Vous pouvez y accéder en cliquant sur l'image ci-dessous :


Bertrand Tièche

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Bertrand