Encore une rumeur, encore une émeute...
Selon certaines versions, Joseph François Foullon, dit Foulon de Doué, était chargé du ravitaillement des troupes stationnées autour de Paris, mais c'est probablement une confusion avec la fonction de son gendre. Selon d’autres versions, ce serait l’entourage du Duc d’Orléans (encore lui) qui aurait lancé cette rumeur à laquelle on a ajouté qu’il spéculait sur le prix des blés.
La rumeur lui aurait aussi attribuait cette formule
déjà mise dans la bouche du général de la Tour du Pin pendant la guerre des farines : « Si
le peuple n’a pas de grain, qu’il mange du foin ». Les rumeurs font hélas également partie de l'histoire. Le plus intéressant étant de deviner d'où elles viennent.
Se sentant en danger à Paris, Joseph François Foullon s’était installé la veille chez l'ancien secrétaire d'État de la Marine Gabriel de Sartine, à Viry-Châtillon. C’est là qu’il a été arrêté par des paysans et des domestiques.
Louis Bénigne François Bertier de Sauvigny |
Cela ne justifiait bien sûr absolument pas, l'horreur de sa mise à mort.
Le malheureux fut enlevé par des émeutiers à Compiègne et conduit à Paris, où il fut pendu et démembré (!) en compagnie de son beau-père Foullon de Doué.
On remarquera que les gravures ci-dessous mentionnent la date du 23 juillet pour cet horrible événement, alors que l'histoire a retenu celle du 22.
Foullon et Bertier, dont le supplice fut effectivement injuste et cruel, sont devenus pour les nostalgiques de l’ancien régime, les premiers martyrs de cette révolution qu’ils détestent tant. Peu leur importe, semble-t-il, la souffrance des enfants mourant de faim, seule compte à leurs yeux, celle des personnages portant dentelles. Passons. A chacun ses pauvres, comme on disait autrefois.
L'étonnant paléographe dont nous parlions le 20 à propos
de l’affaire Thomassin, nous rend compte, vous vous en doutez, d’une version
incriminant bien sûr le sinistre Duc D’Orléans, ce Prince du sang ayant pris
parti pour la révolution. Celle-ci ne lui sera d’ailleurs guère reconnaissante,
puisqu’il sera guillotiné le 6 novembre 1793. (Son fils deviendra le futur roi
Louis-Philippe).
Selon ce pourfendeur de francs-maçons, ce sont
bien les chefs du parti d’Orléans qui ont signalé à la haine du peuple, le
conseiller d’état Foullon, présenté comme un honorable vieillard,
administrateur consciencieux et de grande qualité. « Le matin de ce 22 Juillet
», nous raconte-t-il, « des bandits conduits par Grappe se saisissent de
Foullon à Viry, l’emmènent derechef à Paris avec du foin et des chardons dans
la bouche. Après un simulacre de procès par la commune, interrompu par des
personnes réclamant la mort d’un homme « qu’il est inutile de juger, vu qu’il
est jugé depuis trente ans », le malheureux est pendu devant l’hôtel de Ville
en présence de gardes nationaux, puis décapité par le peuple, c’est-à-dire par
Nicolas Coupe Tête, sinistre sbire recruté par le Duc d’Orléans. La Fayette
siège parmi les juges. … »
L'affreux Jordan, dit "coupe tête" sur une gouache de Lesueur. |
Analyse
Nicolas Coupe-Tête, c’est probablement le cabaretier parisien Mathieu Jouve Jourdan, dit Jourdan Coupe-Tête (et pas "Nicolas" cher paléographe). Il a déjà été soupçonné d’avoir tué et décapité le gouverneur De Launay, lors de la prise de la Bastille.
Quant à La Fayette, lui qui le 17 juillet 1791 fera tirer sur les membres des sections des clubs des Cordeliers et des Jacobins venus déposer une pétition demandant la déchéance du roi (50 morts), il aurait assisté à ce massacre sans faire intervenir sa chère garde nationale ? Étonnant, non ?
Concernant Lafayette, lire cet article qui lui rend son honneur concernant cet événement tragique : Suite du 22 Juillet 1789 : Rendons son honneur à Lafayette.
Lafayette |
Ce qui est intéressant dans la version évoquée ci-dessus, c’est que le peuple, n’en déplaise aux tenants du parti de la noblesse, est d’une certaine façon, disculpé, puisque de toute évidence il a été manipulé et que ce n’est même pas lui qui a décapité le malheureux Foullon, mais un sinistre sbire du "Duc maléfique".
Nous assistons en fait à une lutte entre différents courants issus de la noblesse, un règlement de compte entre gens du même monde, qui se servent du peuple comme de pions sur l’échiquier de leur jeu de conquête du pouvoir. Cela n’empêche pas les descendants de ces gens et leurs affidés, de toujours accuser le peuple. Mais de quoi l’accusent-ils en fait, de sa violence ou du fait qu’il soit si aisément manipulable ? De sa violence bien sûr !
Qu’importe si celle-ci a été organisée dans le salon d’un Prince du sang, le
bureau d’un banquier, une loge maçonnique, un cabaret de Paris, voire à la
cour du roi !
Il y aurait donc complot, me direz-vous ? Peut-être, mais pas seulement. N’oublions pas que la théorie du complot, quelle que soit l’époque, séduit toujours beaucoup de gens, parce qu’elle explique tout par le filtre unique et simpliste de son interprétation. Tout expliquer par le complot, c’est vouloir faire passer le torrent de la Révolution par le petit robinet d’une interprétation bien commode, bien commode parce qu’elle évite de trop réfléchir.
La lucidité d'un témoin
François Noël Babeuf |
Babeuf, qui assista au supplice de Foullon et Bertier, le cœur serré, fit cette réflexion dans une lettre à sa femme : "Les supplices de tout genre, l’écartèlement, la torture, la roue, les bûchers, les gibets, les bourreaux multipliés partout nous ont fait de si mauvaises mœurs ! Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares, parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé."
Au même moment, dans toute la France, l’agitation est à son comble ; on continue de brûler et piller un grand nombre de châteaux.
Merci pour votre attention, Citoyennes et Citoyens, et à
bientôt.
N'oubliez pas de lire la suite de cet article : Suite du 22 Juillet 1789 : Rendons son honneur à Lafayette.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand