lundi 6 juillet 2020

6 Juillet 1789, A l’assemblée Nationale, un député curé s’inquiète de la famine qui menace les pauvres.


Constitution de l'Assemblée Nationale le 17 Juin 1789.
    La séance à l’Assemblée nationale est ouverte à 10h du matin, sous la présidence de M. Le Franc de Pompignan archevêque de Vienne. La discussion s’ouvre sur le projet du comité des subsistances.
    M. Blandin, curé de l’Orléanais, prend le premier la parole pour exposer le sentiment général de son bureau.

"Les moyens," dit-il, "qui vous sont offerts par le comité des subsistances, ne nous présentent que des secours pour l’avenir, mais non pas pour le présent. Les besoins actuels sont urgents ; ils nous pressent de tous côtés ; les provinces éprouvent déjà les horreurs de la famine.

Nous devons nous attacher aux deux grands malheurs qui nous désolent, la disette de blé et la disette d’argent. Les productions de notre sol, un numéraire immense, produit de nos richesses, se sont répandus dans des contrées étrangères, et y répandent, à nos dépens, un superflu que la nature de nos travaux nous avait prodigué.

Cependant, sans nous livrer ici à des craintes incertaines, nous pouvons sans danger croire que le blé ne manque pas en France. Les provinces frontières n’en sont pas dépourvues ; mais c’est vraiment en se rapprochant du centre du royaume que le fléau de la disette s’appesanti davantage.

A Orléans et dans les environs, les troubles et les émeutes réitérés semblent être les avant-coureurs d’une famine prochaine ; dans d’autres provinces on a donné la mort à des malheureuses victimes auxquelles on ne pouvait donner du pain. Plus on avance, plus les obstacles se multiplient, et chaque jour présente un accroissement douloureux de nouveaux malheurs.

Il était temps, il y a un mois, de prévoir ces calamités : on pouvait ordonner la libre circulation des grains ; je l’ai même proposé dans la chambre du clergé ; mais à peine ma proposition a-t-elle été faite, qu’un membre s’est élevé contre elle ; il m’a accusé de peu respecter nos lois et l’autorité des cours. Sans doute personne ne respecte plus que moi les lois et la majesté du trône ; mais la religion des princes est souvent séduite, et le premier devoir d’un bon citoyen est de faire briller devant eux le flambeau de la vérité.

Je pense que nous devons encore songer au moyen que j’avais soumis au clergé. Le comité vous l’a présenté, et je le remets sous vos yeux.

Mais ce secours ne serait pas suffisant. Le mal est immense : chacun doit chercher, autant qu’il est en lui, à le diminuer ; et c’est ce qui me porte à croire qu’une souscription volontaire en faveur des pauvres contribuera beaucoup à soulager leur misère."


    Le Président de l’Assemblée annonce en complément de cette intervention qu’il vient de recevoir une lettre des boulangers de Paris adressée au comité, sur laquelle il y a "pressée". 

    L’assemblée demande le renvoi au comité des subsistances, qui est invité à s’assembler sur-le-champ.

    La proposition de ce brave curé soucieux des pauvres n’était pas nouvelle. La libre circulation des grains avait été l’objet d’un débat passionné durant tout le 18ème siècle. Sous l’ancien régime, il était pratiquement impossible de transporter des céréales d’une province à l’autre. Selon un rapport de la fin du siècle, sur 32 provinces, 10 produisaient plus qu'elles ne consommaient, 10 suffisaient à peu près à leur subsistance, et 12 ne récoltaient presque pas de céréales.

    Le ministre Turgot, empreint de l'esprit des lumières mais aussi libéral convaincu, avait essayé avec son édit du 13 septembre 1774, d’instaurer ce nouveau système économique de libre circulation des grains. Hélas, l’inquiétude que cela avait provoqué dans le peuple (peur de manquer en partageant), ainsi que de passables récoltes, avaient été causes de ce que l’on appela la guerre des farines qui donna lieu à de violentes émeutes et à une aussi violente répression durant les 2 années qui suivirent.
Dessin de Girard extrait de Histoire de France de G. Gautherot, paru en 1934.

    Le général de la Tour du Pin, envoyé pour réprimer la révolte, s’était rendu célèbre, en proclamant après avoir fait tirer sur la foule : « Vous avez faim ? Eh bien nous sommes en avril ; l’herbe commence à pousser : vous n’avez qu’à brouter comme des vaches ! ».

    Par suite de cet échec, Louis XVI avait congédié Turgot le 12 mai 1776 et l’avait remplacé par le prudent Necker.

    Necker, ce banquier genevois et protestant, était lui aussi acquis aux idées nouvelles, mais il pensait qu’il fallait tenir compte de ce que l’on appellerait de nos jours, l’opinion public. Il s’en préoccupait d’ailleurs beaucoup en publiant des ouvrages à l’intention des plus éclairés et faisant imprimer de nombreuses estampes à son honneur. Rien ne servait selon lui de tenter d’appliquer un système que l’on pense meilleur, si l’on ne s’est pas assuré au préalable que ce système sera peu ou prou compris par le peuple et par la même, appliqué.

    Les révoltes frumentaires (du latin frumentarius, « qui concerne le blé »), n’avaient pas cessé d’éclater sporadiquement depuis et en 1789, la situation de crise des années 1775 et 1776 se reproduisait.

Emeutes des subsistances de 1761 à 1789
Source graphique : https://manuelnumeriquemax.belin.education/histoire-seconde/topics/simple/hist2-ch08-290-01

    L’une des causes évoquées, à propos de cette rareté du blé, est celle du terrible orage, dit "du siècle", qui avait ravagé nombre de régions céréalières le 13 juillet 1788. De surcroît, un hiver particulièrement rude (-22°c à Paris), avait accru la faiblesse des plus démunis. Il y avait d'autres causes, dont je vous parlerai plus tard...

https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article14932
Carte du grand orage qui balaya le nord de la France le 13 juillet 1788.


    A la veille de la Révolution, sur une population de parisiens estimée à environ 600.000 habitants, plus de 70.000 étaient des indigents survivant dans des conditions précaires.

    Le pain, principal aliment du petit peuple, commençait à manquer et son prix augmentait. En ce début de juillet, la miche de pain pouvant nourrir une petite famille coûtait 14 sous, alors que le salaire d’un journalier à Paris était de 15 sous !

Le spectre de la famine hantait les Parisiens.

L'atroce misère est rarement représentée, car elle fait peur à tous. Voici une gravure de la famine de 1697, sous Louis XIV.

 Merci de votre lecture.

                


Cet article a été publié initialement sur ma page Facebook :
"Les estampes révolutionnaires du citoyen Basset"


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Bertrand