dimanche 19 juillet 2020

19 Juillet 1789 : Des députés à genoux devant une foule furieuse. Encore une émeute !

 

Encore une émeute !

    Rappelons ces deux chiffres : 900 émeutes frumentaires recensées depuis 1786, 300 depuis le début de l’année 1789 (décompte réalisé par l’historien Taine).

    Les émeutes frumentaires sont des émeutes de la faim suscitée par le manque de grains ou par la peur du manque. Dans beaucoup de régions, le pain manque vraiment, la faim est réelle et quand il y a du pain, il est très cher. A Paris et dans la Région parisienne, un pain permettant de nourrir une famille pour une journée coûte 14 sous, alors que le salaire journalier d’un ouvrier est de 15 sous. Je reparlerai dans d’autres articles de ce problème crucial.

    Dans les rapports des séances journalières de l’Assemblée nationale, j’ai trouvé l’évocation de cette émeute frumentaire survenue à Poissy. Un meunier soupçonné d’avoir accaparé des grains a été pris à part par la foule et a été horriblement décapité. Des rumeurs courent les rues concernant les accapareurs ; c’est-à-dire ceux qui cachent du blé dans l’objectif de le revendre quand le manque aura fait augmenté les prix.

    Il y a effectivement des accapareurs et j’aurais l’occasion de vous en parler. Mais il y a aussi des gens qui font courir des bruits relatifs à leur existence. Ces gens sont payés pour cela, et ce faisant, ils servent de sombres causes politiques. Le ministre de l’intérieur expliquera un jour à Axel de Fersen que Mirabeau s’était vanté d’obtenir une bonne émeute pour 25 Louis ! Je pense que vous aurez compris en lisant ma relation de la journée du 14 juillet que trop de faits étonnants prouvent qu’elle fut quelque peu préparée. Bien souvent hélas, les historiens s’en tiennent à l’événement et se contentent la plupart du temps de condamner le peuple, ou plutôt la populace, et sa violente animalité.

    Nous verrons bientôt apparaître à côté de cette violence causé par la faim et la peur de celle-ci, une nouvelle violence suscitée par la peur et la colère ; il s’agira de ce que les historiens ont appelé « La Grande Peur ». Un peu partout en France, des château vont être incendiés ou pillés ; d’autres Bastilles…

    Cette émeute de Poissy, qui s’est étendue jusqu’à Saint Germain en Laye, a ceci de particulier que des députés de l’Assemblée Nationale interpelés par le Maire de Poissy ont été amenés à intervenir. Parmi eux figure l’évêque de Chartres, Monsieur de Lubersac, qui va faire preuve d’un réel courage physique pour sauver un innocent. Je vous laisse lire.

Jean-Baptiste-Joseph de Lubersac

Rapport du maire de Poissy sur les troubles dans les villes de Poissy et Saint-Germain, lors de la séance du 17 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4688_t2_0247_0000_3

Avant la fin de la séance, le maire de Poissy se présente à l'Assemblée, et demande à être entendu. Il rend compte de plusieurs crimes qui ont été commis à main armée par une troupe de brigands dans les villes de Poissy et de Saint-Germain, et supplie l'Assemblée de s'occuper de réprimer ces désordres.

Un membre de l’Assemblée observe que cet objet n'est pas de la compétence du pouvoir législatif ; qu'il y a un pouvoir exécutif et les tribunaux judiciaires chargés de maintenir le repos et la tranquillité publics.

Discussion suite au rapport du maire de Poissy sur les troubles dans les villes de Poissy et Saint-Germain, lors de la séance du 18 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4690_t2_0247_0000_8

On revient sur le rapport, fait dans la séance d'hier, des troubles de la ville de Poissy.

Un membre annonce qu'une populace indisciplinée s'est emparée du corps de garde et de la caserne des Invalides. Un meunier, nommé Sauvage, a été arrêté et conduit à la halle pour y être pendu. Il était accusé d'avoir accaparé des grains ; vainement plusieurs personnes ont tenté de le justifier : on les a menacées de les écarteler si elles entreprenaient sa défense. Ainsi Sauvage, innocent ou coupable, a été victime de la fureur populaire. Un garçon boucher lui a coupé la tête.

Plusieurs membres proposent que l'Assemblée envoie une députation à Poissy et à Saint-Germain.

Envoi d'une députation à Poissy et Saint-Germain pour calmer la fureur populaire, lors de la séance du 18 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4690_t2_0248_0000_2

Divers membres ont offert de s'y transporter pour calmer la fureur populaire, et à l'instant sont partis :

Messieurs :

    • De Lubersac, évêque de Chartres
    • Massieu, curé de Sergy ;
    • Choppier, curé de Flins ;
    • Le comte de Latouche ;
    • Le chevalier de Mauletle ;
    • Perrier ;
    • Camus ;
    • Millon de Montherlant ;
    • Hell ;
    • Schmits ;
    • Ulry.

Rapport par M. Camus sur la mission des députés envoyés à Saint-Germain et à Poissy, lors de la séance du 20 juillet 1789

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4694_t2_0249_0000_9

Armand Gaston Camus

M. Camus, qui était au nombre des députés envoyés à Saint-Germain, fait le récit de leur mission.

Nous nous sommes transportés , dit-il , à Saint-Germain ; la foule n'y était plus ; Thomassin venait d'être conduit à Poissy. Nous nous sommes transportés à Poissy ; nous avons prié l'assemblée municipale du premier lieu de se tenir prête sur les deux heures, pour que nous pussions conférer avec elle.

Dans les premières rues de Poissy, nous avons trouvé le calme ; la foule s'était portée vers la prison ; tout le monde était armé. D'abord nous avons fait entendre des paroles de paix, et l'on ne nous a répondu que par des cris effrayants. De tous côtés on entendait : Il faut le pendre, il faut lui couper la tête.

Nous avons demandé les officiers municipaux ; l'un était eu fuite, l'autre absent ; aucun n'était dans la ville.

Nous nous sommes adressés à un officier invalide qui nous a appris que jeudi il avait été forcé de monter à cheval, de se mettre à la tête de la multitude pour enlever Thomassin ; que c'était un honnête homme, le père de sept enfants, payant 7,000 livres de tailles, et qu'il nourrissait plus de quarante personnes ; qu'ils ont amené Thomassin, les pieds et les mains liés, à Poissy, vendredi soir.

M. l'évêque de Chartres a monté sur une chaise, a cherché à haranguer la multitude, lui a représenté qu'il convenait et même qu'il était de l'intérêt commun de mettre Thomassin dans les mains de la justice, pour l'interroger et connaître ses complices. Ces réflexions ont paru toucher le peuple. M. l'évêque de Chartres a eu une conférence avec Thomassin pour s'instruire de la vérité des faits.

Pendant cet intervalle tout a changé ; le peuple s'est ranimé, a repris ses premiers sentiments de fureur ; on s'écrie qu'il faut le pendre à l'instant. M. l'évêque de Chartres recommence à parler au milieu du peuple, le supplie d'accorder deux jours de délai ; enfin il demande, pour diviser la foule, que quelques-uns d'entre eux veuillent bien reconduire les députés.

Tout est refusé opiniâtrement, et déjà on prépare le supplice de Thomassin. L'on nous en instruit ; le malheureux est tiré de la prison ; c'est alors que M. l'évêque de Chartres, à notre tête, se précipite aux genoux de tous ces furieux, que nous leur demandons grâce.

Thomassin est à genoux d'un côté, les députés y sont de l'autre, c'est dans cette attitude suppliante que nous demandons inutilement la vie de la malheureuse victime. On le conduit au pied d'un mur où sont fichés des anneaux pour attacher des bêtes de somme. Thomassin y est attaché ; dans cet intervalle on va chercher la potence et le confesseur.

C'est là l'heureux événement qui l'a sauvé. Les habitants de Poissy écoulent les cris de leur conscience, ils s'intimident, le remords les saisit, ils ne veulent pas que le crime souille leur ville ; les habitants de Saint-Germain et de Poissy se divisent ; Thomassin se réfugie dans la prison. La discorde augmente, et l'on consent que Thomassin parte avec nous, mais en nous[sommant de le remettre dans les mains de la justice, en nous menaçant de nous pendre nous-mêmes s'il n'était pas exécuté. Une pareille menace ne nous épouvante pas ; Thomassin monte dans la voiture de M. de Chartres, et c'est à ce prélat qu'il doit la vie ; c'est à son éloquence persuasive que nous devons la victoire que nous avons remportée sur des furieux.

À peine sommes-nous en marche, que l'on nous épouvante, que l'on nous fait craindre que le peuple ne tire sur la voiture de M. l'évêque de Chartres.

Plusieurs habitants de Poissy nous accompagnent et nous font prendre par des chemins détournés, pour éviter Saint-Germain.

Après une marche très-lente, très-pénible, et surtout après bien des alarmes, et non pas sans des rencontres de quelques femmes qui voulaient nous accabler de pierres, nous sommes enfin arrivés à Versailles.

Nous avons été déposer Thomassin à la prison ; le juge a été appelé, et nous y avons fait notre déclaration.

À peine avions-nous terminé cette opération, que quelques furieux sans armes sont venus nous trouver pour nous rappeler notre parole et nous sommer de la tenir. Nous leur avons fait donner un extrait de notre déclaration, en les assurant que la justice allait en décider.

 

    



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Bertrand