lundi 27 juillet 2020

27 juillet 1789 : Récit "compliqué" de l'incendie d'un château durant la "Grande Peur"

Incendie du Château de Lugny (Photo réalisée avec trucages)

Les brigands.

    Aujourd'hui 27 Juillet, des paysans et des artisans en colère, autrement dit "des brigands", se sont rendus au château de Lugny, un relais de chasse, propriété de Florent-Alexandre-Melchior de La Baume, 14e et dernier comte de Montrevel et baron de Lugny, élu député de la noblesse du Mâconnais aux États généraux ; et ils y ont mis le feu.

    L'ensemble du logis seigneurial, la chapelle castrale et le donjon ont disparu dans les flammes, mais l'incendie a préservé les bâtiments délimitant la basse-cour du château, en particulier les deux tours rondes de l'entrée et les bâtiments contigus.

La tragique destinée du propriétaire.

    Selon la sensibilité des rédacteurs et sur la base de sources peut vérifiables, on peut lire sur Wikipedia deux versions un peu différentes de la destinée du dernier comte de Montrevel.

  • Dans l'histoire du château de Lugny, on nous dit que, suspecté à tort d'avoir émigré (bien sûr), ses bien furent mis sous séquestre par les autorités, parmi lesquels son château de Lugny (brûlé ?) et les biens en dépendant.
  • Par contre, dans la biographie dudit comte, on nous apprend, qu'arrêté le 22 février 1794 et jeté en prison, il fut jugé coupable par le Tribunal révolutionnaire d'être complice d'une conspiration tramée à la prison du Luxembourg où il était détenu (affaire dite de la « conspiration des prisons »).

    Ces conspirations des prisons n'étaient en aucun cas des rébellions de prisonniers. Elles étaient organisées en secret par le Comité de sûreté générale en liaison avec quelques membres du Comité de salut public et particulièrement Bertrand Barère, dans le but de "vider" les prisons. Barère aurait même dit devant la Convention : « le comité a pris ses mesures et dans deux mois les prisons seront évacuées ». Les Thermidoriens prétextèrent bien sûr de ce crime pour éliminer Robespierre, Saint-Just et Couthon, mais ceux-ci n'y prirent aucunement part. Malgré tout, la Loi 22 Prairial An II (10 juin 1794) dont ils étaient bel et bien responsables avait terriblement durci les jugements. Jusqu'à cette date, une grande proportion d'accusés étaient acquittés, emprisonnés ou déportés (1). Après cette date il y eu une accélération des condamnations à mort (conspiration des prisons ?), qui fut mise sur le compte de Robespierre et de son ami Couthon ; ce qui causa d'ailleurs leur perte. Cela n'empêcha cependant pas les Thermidoriens qui les avaient éliminés de poursuivre cette politique de condamnations à mort.

    Le malheureux comte fit donc partie d'une liste de 154 pseudos conspirateurs extraits de la prison du Luxembourg, accusés par des faux-témoins, qui furent envoyés devant le Tribunal révolutionnaire. Ceux-ci furent répartis en trois groupes. Il fit partie des 59 accusés de ces fausses conspirations, présentés le 19 messidor an II (7 juillet 1794) devant le Tribunal. Là, on leur demanda de répondre seulement par oui ou par non aux deux questions qui leur furent posées : Avez-vous conspiré ? et avez-vous connaissance d'une conspiration ?

    Petit détail qui fait honneur au sang-froid et à la noblesse de cœur du comte qui se savait perdu, lorsque vint son tour de parler devant le tribunal, le président ne put obtenir de lui que cette seule réponse : 

« J’ai assez de la vie ; vous pouvez me faire mourir. »

    Le malheureux comte, âgé de 58 ans, fut donc condamné à mort, puis guillotiné à Paris le 19 messidor an II (7 juillet 1794) avec les cinquante-huit autres accusés de cette prétendue conspiration.

Grande place du village de Lugny

L'incendie.

    Concernant l'incendie du château, voici ce que le curé Louis-François Dubost de la paroisse voisine de Bissy-la-Mâconnaise en a témoigné dans ses registres :

« Le 27 juillet 1789, à six heures et demie du soir, les Brigands quittent ma maison pour se rendre à Lugny où plus de 200 autres qui étaient venus de Péronne les avaient devancés. Ils pénètrent dans le château de M. de Montrevel, brisent les portes, les glaces, les vitraux et tous les meubles, jettent les débris par les fenêtres. […] On ne voit de tous côtés que destruction. Enfin, on met le feu au château. La flamme était si grande entre une et deux heures de la nuit que j’aurais pu lire à ma fenêtre à la lueur du feu. Dans vingt-quatre heures ce château bien meublé fut tout pillé et brûlé ; on ne vit plus que des cheminées en l’air et des murs calcinés par le feu ou noircis par la fumée ; il n’y resta rien, pas même des gonds. »

    Cette description spectaculaire doit concerner le bâtiment dans lequel résidaient les seigneurs de Lugny. Celui-ci s’élevait sur le terre-plein situé entre l’actuelle place de l’Église et la petite montagne en haut de laquelle s'élevait le château. Seules en subsistent de nos jours la base d'une tour circulaire et, sur quelques dizaines de mètres, une petite partie de l’ancienne muraille.

    Quant au château lui-même, je vous laisse admirer ci-dessous les ruines de cet édifice, fracassées à ras du sol que l'on peut admirer de nos jours. J'ai effacé les antennes de télévision et la parabole satellite pour que cela fasse plus dix-huitième…

Pardonnez-moi cette petite note d'humour.

Le château de Lugny, de nos jours.

Le château de Lugny en 1848

    Cette dernière image est extraite d'un ouvrage des archives de Saône-et-Loire, dont je vous parle demain 29 Juillet 1789.

(1) Complément d'infos sur les acquittements durant la période révolutionnaire.

Sources  :
Source : Ministère de la Justice

Source : Nombre d’accusés par département ayant reçu des peines criminelles,
 des peines correctionnelles, et des acquittements, 1792-1811

    Comme le montre le tableau ci-dessous, les jurés ont prononcé davantage d’acquittements pendant la Révolution que sous Napoléon. La proportion de relaxes s’accroît pendant la Terreur et grimpe en flèche au cours de la réaction thermidorienne. Avec le Directoire, on observe un équilibre entre les condamnations pour crimes et les acquittements. Mais ces derniers commencent à diminuer avec l’avènement de Napoléon : on n’en compte plus que 40 % sous le Consulat et 36 % sous l’Empire. On notera, toutefois, que les jurés napoléoniens ne prononcèrent pas un taux de condamnations pour crimes beaucoup plus élevés que les jurés du Directoire : plus souvent que leurs prédécesseurs, ils préféraient infliger des peines correctionnelles légères plutôt que d’acquitter.

Source : Nombre d’accusés, par années, ayant reçu des peines criminelles,
des peines correctionnelles, et des acquittements, 1792-1811

Post Scriptum :

    Oui, je sais, mon article finit par traiter de deux sujets bien différents. Mais c'est chaque fois la même chose. Chaque fois que je commence à faire des recherches sur un événement, je trouve une infinité d'informations. Voilà pourquoi à partir d'un simple château brûlé par des paysans en colère durant la grande peur, je me suis intéressé à la destinée de son malheureux propriétaire.

    Encore une info. La présente interprétation de cette affaire de conspiration des prisons ne fait pas l'unanimité, chacun bien sûr se préoccupant prioritairement de trouver une explication qui corresponde à ses préjugés. Ce n'est pas mon cas. Au fur et à mesure que j'ai progressé dans mes recherches, ma perception de l'événement n'a pas cessé d'évoluer et j'ai dû réécrire cet article au moins 4 fois !

    

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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand