La Révolution française ressemble par bien des côtés à une tempête en mer. Difficile d’y voir clair au milieu de cette bourrasque d’événements déferlant de tous côtés.
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Représentation de la pire tempête ayant jamais frappé
l'Angleterre, celle de 1703.
La difficulté de comprendre les événements.
Louis XVI et son entourage n’ont pas su voir, ce en quoi
cette révolte différait par rapport aux précédentes. Celle-ci ne résultait pas
simplement d’un ras-le-bol des impôts pour les uns, ni d’une nouvelle famine
pour les autres.
La tournure inattendue qu’avaient pris les Etats Généraux se
proclamant Assemblée Nationale, n’avait rien à voir avec les précédentes
révoltes des parlements refusant les lois et tentatives de réformes du roi. C'était révolte bourgeoise et non une réaction des privilégiés de la noblesse et du haut clergé défendant leurs acquis.
Les révoltes frumentaires qui éclataient un peu partout dans
le pays à cause du manque de pain n’allaient pas se régler aussi facilement
qu’en 1775 et 1776, en faisant intervenir la troupe qui tirerait dans la foule
et pendrait quelques émeutiers.
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Emeutes des subsistances de 1761 à 1789 |
Le malaise était plus profond. Mais le roi et les siens,
incapables d’en prendre la mesure, ne savaient qu’appliquer les vieilles
méthodes qui avaient toujours réussi jusqu’alors. Ce "malaise", appelons-le
ainsi, était d’autant plus difficile à circonscrire qu’il avait également gagné
la noblesse. Une partie de celle-ci, acquise aux idées du siècle, c’est-à-dire
celles des philosophes des lumières, se rendait bien compte que la société
devait évoluer et de nombreux nobles devinrent des acteurs de cette révolution
qui allait changer l’ordre du monde.
Du côté du Tiers Etat, il en était de même. La grande
majorité de ses représentants élus, ne s’imaginaient pas, lorsqu’ils arrivèrent
à Versailles le 5 mai aux Etats Généraux, qu’ils allaient provoquer un tel
bouleversement.
La plupart ne souhaitait dans le meilleur des cas qu’une
évolution de la monarchie absolue vers une monarchie constitutionnelle, avec un
parlement à l’anglaise et une constitution à l’américaine.
Quel Tiers-Etat ?
Ne nous méprenons pas sur la nature de ce Tiers Etat présent aux Etats Généraux. Si le Tiers Etat représentait environ 95 ou 98% de la population française. Ses représentants élus étaient issus d’une nouvelle classe sociale, celle des grands commerçants, des industriels et des banquiers, c’est-à-dire la bourgeoisie, qui elle, représentait environ 5% des français.
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Lire cet article sur le Tiers-Etat. |
Cette nouvelle élite, que certains ont appelé le "4ème ordre", était
constituée de personnages, instruits, industrieux et riches, qui dans la
société de l’ancien régime, payaient de lourds impôts mais n’avaient aucun pouvoir
politique. L’un de ses représentants, Barnave, un avocat originaire du
Dauphiné, résumera parfaitement la situation dans cette formule : "Une
nouvelle répartition des richesses, impose une nouvelle répartition des
pouvoirs."
Quel Peuple ?
Quant au peuple, il est bien évident qu’il ne comprenait pas
grand-chose à la situation. Même plongé dans la plus indicible misère, il
n’avait jamais cessé d’aimer le « bon roi Louis », et il accusait de son
malheur les mauvais intendants et fermiers généraux du roi, ses ministres
mauvais conseillers et plus tard la Reine Marie Antoinette, dont les excès
étaient parvenus à ses oreilles.
La grande majorité du peuple ne savait pas lire et je pense
que je vais vous étonner en vous disant qu’une grande majorité dudit peuple ne
parlait pas le français, du moins celui parlé en Île de France, comme s’en
rendra compte l’abbé Grégoire lorsqu’on lui remettra en 1790 le rapport qu’il
avait demandé sur l’état du pays et des langues et patois parlés. Des centaines
de parlers différents existaient en France, voire des milliers si l’on tenait
compte des patois qui pouvaient changer d’un village à l’autre.
Beaucoup de ces braves gens ignoraient même qu’ils étaient
français !
Néanmoins, les idées nouvelles s’étaient peu à peu diffusées
au sein de ce peuple mosaïque. Les colporteurs vendaient des petits livrets ou
libelles, que ceux qui savaient lire achetaient et lisaient aux autres en
public. Beaucoup connaissaient Voltaire et Rousseau sans les avoir jamais lus.
Les estampes se vendaient bien aussi, elles qui disaient tout ou presque en un
dessin. Le peuple, lui aussi, changeait peu à peu.
Au début des événements révolutionnaires, ce peuple sera
d’abord manipulé. On le voit bien, quand les élus du Tiers Etat se rendent
compte que le versatile Louis XVI revient à une politique, disons
réactionnaire, voire brutale. Certains ont l’idée (dangereuse)
d’instrumentaliser le peuple, pas seulement en diffusant des rumeurs qui
occasionnent des émeutes, mais aussi, ce qui est plus grave, en l’armant. Une émeute coûte 25 Louis dira le ministre Saint-Priest.
A propos de la violence du peuple.
Qui dit tempête dit violence, violence des flots, violence
des vents. Je pense donc nécessaire, voire indispensable, de dire un mot sur la
violence du peuple que les nostalgiques de l’ancien régime ne cessent d’évoquer
avec un hypocrite effroi.
Cette vague de violence a déconcerté les
révolutionnaires bien policés de l’Assemblée nationale. Ils avaient sous-estimé
la colère et le désespoir du peuple, accumulés depuis des siècles. On les verra
plusieurs fois tenter de canaliser ce torrent destructeur. Danton inventera la
politique, dite de la Terreur, après avoir proclamé : "Soyons terrible avant
que le peuple ne le devienne".
« Peut-on faire une révolution sans révolution ? »,
demandera plus tard Robespierre.
« Les supplices de tout genre, l’écartèlement, la torture, la roue, les bûchers, les gibets, les bourreaux multipliés partout nous ont fait de si mauvaises mœurs ! Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares, parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé. »
Cette violence, c’était tout simplement celle de l’ancien
régime...
Qui sème le vent, récolte la tempête.
Il faudra encore beaucoup de pain dans les ventres, beaucoup
d’éducation et de justice sociale, c’est-à-dire beaucoup de république et de démocratie,
pour que le torrent de violence se retire dans le gouffre des siècles d’où il
avait jailli et que les citoyens en colère se contentent de brûler des pneus sur les ronds-points que de pendre les banquiers à des réverbères.
Mise à jour au 19/11/2022 :
En cliquant sur l'image ci-dessous, vous accéderez à une vidéo publiée sur Facebook, extraite d'une émission de 2016 d'Arrêt sur image, qui démonte brillamment toute l'intoxe que nous subissons encore à propos de la violence révolutionnaire :
Avant de terminer, je vous invite à lire cet extrait de l'ouvrage de l'historien Jean-Clément Martin :"Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national" Paru au Seuil en 2006. Cliquez sur l'image ci-dessous.
Je vous conseille également d'acheter et lire cet ouvrage. Tous les livres de Jean-Clément Martin sont excellents, ainsi que toutes ses interventions, comme vous pourrez le constater en cliquant sur ce lien vers une page de France Culture : https://www.franceculture.fr/personne/jean-clement-martin
Merci pour votre lecture.
Post Scriptum :
En complément de cet article, je vous propose cette belle citation d'un curé brésilien, Dom Hélder Câmara, qui a combattu toute sa vie la pauvreté :
« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
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Gravure d'une tempête, datée de 1750 |
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Bien cordialement
Bertrand