jeudi 23 juillet 2020

23 Juillet 1789 : La grande peur au Mans, le Comte de Montesson et Monsieur Cureau sont assassinés par la foule.

 

    La relation de cet événement terrible va nous donner l’occasion de reparler des origines possibles de la grande peur, de faire connaissance avec un chanoine du Mans et de lire un texte en français du 18ème siècle.

"La grande peur"


La grande peur.

    Le 23 Juillet, à Paris, le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Duc De Liancourt, avait ouvert la séance par la lecture d’adresses de plusieurs villes qui demandaient des secours pour dissiper des troupes de brigands qui, sous prétexte de la disette des grains, infestaient le pays et causaient des soulèvements. C’était le début de la grande peur !

    Peu de temps après la prise de la Bastille, une rumeur a commencé de se propager dans tous le royaume, alarmant les gens de la propagation de diverses armées de brigands qui allaient venir tout détruire et plus particulièrement ravager les champs de blé, alors que l’époque des moissons était venue.

    Selon les sources, nous avons plusieurs explications données à cette grande peur. La plus connue, c’est celle d’une populace barbare, assoiffée de sang, qui s’en prend à tous les riches dans une sorte de fureur collective.

    Certains se posent néanmoins la question de savoir comment et surtout par quels moyens, celle-ci a pu se répandre aussi rapidement dans le royaume. Considérant le relatif isolement des diverses populations, constituées principalement de paysans qui ne quittaient que rarement leurs villages, voire jamais. On peut douter que ce soient les modestes colporteurs et autres marchands qui aient soudainement décidé de parcourir à toutes brides les chemins cabossés du royaume pour diffuser l’alerte !

    Cette question relative à la logistique est vraiment pertinente. Imaginez que le 1er août ce vent de panique était déjà arrivé aux confins du royaume, dans deux petits villages de montagne derrière Nice !

    Nous avons vu dans notre article du 20 juillet qu’un écrivain contemporain de tendance royaliste, accusait le Duc d’Orléans d’être à l’origine de la propagation de cette rumeur. Pour cet écrivain d’ailleurs, le Duc d’Orléans est à l’origine de tout, y compris la prise de la Bastille.

    Mais voici qui est plus étonnant encore ; certains historiens en sont même venu à soupçonner le roi !

    Dans son histoire de la Révolution française l’historien Adolph Thiers émettait l’hypothèse étonnante que les courriers envoyés partout en France pour annoncer l’arrivée des brigands, relevaient d’une initiative de la cour. Eux seuls étaient en effet capables de franchir aisément tous les postes de contrôles. L’idée aurait été d’armer les provinces pour les opposer à Paris, car la cour ne croyait pas à une révolution générale du royaume. Lire le détail dans l’article du 28 juillet 1789.

    Nous verrons plus tard qu’une historienne contemporaine, Aurore Chéry, a même échafaudé la théorie encore plus intrigante que Louis XVI ait été lui-même un initiateur de la révolution !

Découvrons à présent le témoigne de René-Pierre Nepveu, chanoine de son état.

Présentation de René-Pierre Nepveu

René-Pierre Nepveu était un chanoine de la cathédrale du Mans. Durant toute sa vie, il tint un journal, dans lequel il consigna les moindres événements se déroulant aussi bien au Mans que dans sa campagne de la Manouillère. L’intérêt de son journal est que ce brave religieux assista à la naissance de la révolution, puis à son évolution, dont il témoigna à sa façon.

Si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie à la page du site sur lequel j’ai trouvé son récit. Il vous suffit de cliquer sur l’image ci-dessous.


Le récit du chanoine, en français du 18ème !

(N’oubliez pas de rouler les r, et pour info, le « bled », c’est le blé).

« Le Jeudy matin, entre dix et onse heures du matin, Mr Cureau, Lieutenant de la Ville du Mans, et Mr le Comte de Montesson ont été massacrés et assassinés par une populace effrénée et barbare, et voici le fait. Mr Cureau, sachant que le mauvais peuple luy en vouloit, prétendant qu’il faisoit commerce de bled, (ce qui étoit faux), prist le party de partir la nuit du Dimanche au Lundy pour aller à la terre de Nouans, qui appartient à Mr Buttet, neveu de Mr Cureau, qui est en Angleterre, dont il a la procuration. Il s’étoit retiré dans ce château, pour estre ignoré ; il n’est éloigné de Ballon que de cinq quarts de lieues. Il est malheureusement arrivé qu’il y a eu une fausse allarme dans ce canton, ainsi qu’au Mans, Nogent-le-Rotrou, la Ferté-Bernard, Bonnétable et tous les environs de deux lieues à la ronde, on sonnoit le tocsin partout. Au soleil levant, on vint dire à Mr Cureau, qu’on alloit sonner le tocsin pour faire avertir tout le monde de se rendre à Nouans et de prendre les armes pour le défendre. Le bruit couroit qu’il y avoit plus de 4 000 brigands qui étoient répandu pour piller et mettre partout à feu et à sang. Mr Cureau leur représenta que c’étoit un faux bruit et qu’il ne falloit pas mettre l’alarme sans fondement, et il ne voulut pas qu’on sonnast le tocsin. Tout ce peuple, qui s’amassoit de touttes parts, murmuroit et enfin se mit à jurer après luy et comme il leur parloit de ses croisées, ils luy dirent, en jurant, que s’il ne sortoit pas, ils alloient mettre le feu chés luy. Il céda et vint leur parler. Pendant ce temps, il vint d’autres paroisses voisines, qui venoient là pour aller au-devant des prétendus brigands ; quelques-uns luy dirent que c’étoit luy qui étoit la cause de ce qu’ils mangeoient le pain aussi cher. Il n’en falloit pas davantage pour le rendre odieux et vouloir le faire périr. Mr de Montesson, qui venoit d’arriver avec Mme son épouse et ses deux enfans, voulut parler en faveur de son beau père ; ils luy dirent qu’il étoit aussi coupable et que c’étoit son frère, le Député, qui étoit à Paris, qui étoit la cause de tous les malheurs, et ils le trainèrent avec Mr Cureau ; pendant tout le chemin, ils leur disoient mille invectives. Arrivés à Ballon, ils les firent mettre, en jurant, dans la place du Marché. Ils offrirent toutte leur fortune pour avoir leur vie, et, auparavant cette dernière proposition, Mr Cureau offrit 50 000 # pour donner à leur Hopital qui n’est pas riche ; rien ne put les toucher. Mr de Guiberd, qui étoit aux environs, accourut et parla à ces forcenés dont il ne put rien gangner et même on luy dit que s’il ne se retiroit, on luy en feroit autant, et il fut obligé de se retirer après avoir fait tout ce qu’il avoit pu. Un commis à cheval voulut aussi parler : on luy en dit autant. On commença par donner un coup de volant, sur le front de Mr Cureau, qui luy fit tomber la peau sur le bas du visage ; il la relava encor pour voir ses bourreaux. Ils tombèrent sur luy à coups redoublés et le tuèrent et avant qu’il expirast, ils l’achevèrent à coup de fusil et luy coupèrent la teste qu’ils mirent au haut d’une fourche, pour la faire voir au public. Après ces horreurs, ils vinrent achever leur rage contre Mr de Montesson. Ils luy donnèrent plusieurs coups de bâton et le tuèrent à coups de pistollets et de fusils et ils en firent tout autant pour la teste. Après ces horreurs, ils forcèrent plusieurs des fermiers de Mr Cureau et plusieurs autres bons fermiers, de tirer sur les corps morts ; ils les laissèrent sur la place et furent boire. Le lendemain, Mr le Curé de Ballon leur donna la sépulture ; Mr Cureau pouvoit avoir 63 ans. Mme Cureau a resté à Nouans dans la crainte qu’on y vint la tuer ou mettre le feu au château. Mr Cureau laisse Mme de Montesson qui a aussi deux enfans dont un garçon âgé d’environ cinq ans et une demoiselle, d’environ quatre ans. Mr Cureau a aussi deux enfans dont un garçon, âgé de 28 ans, qui devoit avoir une des charges de Receveur des Tailles, et Mme de Montesson. On ne croit pas que ces Dames veulent jamais revenir demeurer au Mans. On saura, par les papiers publics, tout ce qui s’est passé dans ce temps-ci et même au Mans où, après une frayeur qui a allarmé toutte la Ville, on a établi une Milice bourgeoise qui continue et continuera longtemps encor. »

Les suites du terrible événement.

    Le 15 novembre suivant, au Mans, durant la prestation de serment de la garde nationale, trois compagnies réclameront la libération des meurtriers du comte de Montesson, obligeant le comité Patriotique à faire disperser l'attroupement par les dragons. Je vous renvoie à l’article du 14 Novembre.

Le 3 décembre 1789, les assassins subiront leurs châtiments.

En voici le compte rendu donné par notre chanoine :

« Le jeudy 3 décembre 1789, il y a eu une exécution des assassins de Mrs Cureau et de Montesson; il y en a eu un de roué vif, un de pendu, un de marqué aux deux épaules et un aux galères perpétuelles. Il y en a encor plusieurs de decretés qui pourront subir le même sort, si on les prend. Comme on craignoit une révolte de la part de la paroisse de Ballon et autres voisines, il y avoit un nombre de 50 personnes par chaque compaignie de la Milice Citoyenne, qui étoient autour de la place des Halles, et tout le Régiment de Chartres étoit distribué par piquets dans différents quartiers de la Ville et aux environs de la place. Le tout s’est passé sans aucun murmure ; les trois qui ont été punis le méritoient bien. Celuy qui a été roué s’appelle Barbier ; il étoit déjà vieux, l’autre pendu et un qui a été marqué à trois lettres. »


Supplice de la roue - 1633 - Dessin de Jacques Callot

          



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Bertrand