jeudi 30 juillet 2020

30 Juillet 1789 : La Révolution, la faute à qui ? Voltaire ? Rousseau ? Les Suisses ? Tout le monde ?

Une chanson pour la Révolution

Dans son roman "Les misérables" Victor Hugo fait chanter à Gavroche cette petite chanson :

« Je suis tombé par terre,

C'est la faute à Voltaire,

Le nez dans le ruisseau,

C'est la faute à Rousseau. »

    Ce couplet a pour origine la chanson satirique que fit Béranger, en réaction à un "mandement de Messieurs les vicaires généraux du chapitre métropolitain de Paris"

    Ceux-ci commandèrent de lire dans toutes les églises de Paris le 9 février 1817, (pendant la Restauration), un prêche établissant que la culpabilité de la révolution revenait aux ouvrages de ces deux philosophes. Cette thèse chère aux royalistes, qui ajoutèrent plus tard sur la charrette des coupables les francs-maçons et les juifs, a eu le triste et honteux succès que nous lui connaissons.

Mais si coupables il y a, quels sont-ils ?

Voltaire ?

Voltaire
    La première qualité d’un philosophe, depuis Platon, c’est d’éclairer l’esprit des hommes qui vivent dans l’ombre de l’ignorance et de la superstition. Voltaire l’a fait brillamment, avec intelligence, talent et humour (Comme j’ai pu rire en lisant son dictionnaire philosophique)

    Mais Voltaire n’était pas un révolutionnaire, car il connaissait trop bien les hommes et il ne se faisait aucune illusion sur ceux-ci. Par contre, on ne peut nier l’effet que produisit sa lumière sur les esprits qui la reçurent, à commencer par l’empereur d’Autriche, Joseph II, (le propre frère de Marie-Antoinette). 

    Ce « despote éclairé » entreprit en effet de réformer son empire sur la base des idées de Voltaire. Il avait si bien compris Voltaire que lui aussi se méfiait du peuple. Sa devise était « Tout pour le peuple, mais rien par le peuple ». Il n’avait pas vraiment tort, puisque ledit peuple sous l’emprise de la superstition, fit rappeler après sa mort les moines que Joseph II avait chassé de leurs monastères contemplatifs, pour cause d’inutilité.

Il est également évident que la pensée de Voltaire a très fortement imprégné tous les hommes de cette époque. Ils se rendaient compte que le monde changeait et que la société devait évoluer, et ce, aussi bien du côté de la noblesse que du Tiers Etat. Leur attitude critique vis-à-vis de la religion dû beaucoup aux moqueries de Voltaire dans ses ouvrages contre celle-ci. Nous le verrons bientôt.

La Révolution lui sera reconnaissante puisqu’elle fera revenir en grande pompe ses cendres à Paris le 4 juillet 1791.

Le retour des cendres de Voltaire (collection personnelle)

    Tant d'âneries ont été dites et écrites par des penseurs de pacotilles de nos jours, que j'ai jugé nécessaire de lui consacrer un article afin de le réhabiliter : IL FAUT SAUVER LE SOLDAT VOLTAIRE.

Rousseau ?

    Classé avec juste raison chez les philosophes, (Il se voulait aussi musicien), Rousseau fut sans conteste un penseur politique. Il est évident que certains de ses écrits avaient fortement marqué les esprits, comme le « Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes » et « Discours sur l'économie politique », publiés en 1755, et surtout son fameux « Du contrat social », publié en 1762.

    Rousseau fut le premier à affirmer que la démocratie était la seule forme légitime d'État. Là où Rousseau divergeait du cynique et trop lucide Voltaire (selon moi), c’est qu’il pensait que l’homme était naturellement bon et que c’était la société qui le corrompait (le fameux mythe du bon sauvage). C’est mal connaître la violence intrinsèque de la nature que de ne pas voir que seule la culture, l’éducation et la civilisation, nous empêchent de redevenir les prédateurs sans scrupules que nous étions à nos origines. Notre époque est encore malheureusement prise au piège de cette idolâtrie naïve d’une nature paradisiaque.

    De tous les révolutionnaires, le plus imprégné de la pensée de Jacques Rousseau, fut sans conteste Maximilien Robespierre qui le considérait comme son maître.

    Néanmoins, Rousseau non-plus, n’était pas un révolutionnaire, car il détestait ceux qu’il appelait les séditieux.

Et que dire de Diderot, D’Alembert et Condorcet, sans oublier Montesquieu ?

    Oui bien sûr ! En particulier Condorcet qui fut même un acteur important de la révolution ! Mais pourquoi s’acharner sur les philosophes ? Car en vérité, le premier corps de la société à s’opposer ferment au roi, ce fut bien la noblesse et la partie du clergé appartenant à la noblesse !

La noblesse ?

    Ce sont effectivement les nobles et le haut clergé appartenant à la noblesse, qui des années durant, bien avant la révolution, se sont opposés à toutes les tentatives de réformes du roi et de ses ministres successifs ! Dans les Assemblées des Notables provoquées par Louis XVI en 1787 et 1785 pour tenter de redresser financièrement une France au bord de la banqueroute ; Dans les différents parlements de Paris et de Provinces, depuis lesquels ils refusaient de valider toutes les nouvelles lois, en instrumentalisant au besoin le peuple qui réagissait violemment par des émeutes.

    Je vous conseille la lecture de cet article que j'ai consacré à ce problème très particulier : "Les Parlements contre le Roi. 30 ans d'une lutte de l'aristocratie contre l'absolutisme royal"

Assemblée des notables du 22 Février 1787
Assemblée des notables du 22 Février 1787

    Ce comportement irresponsable d’une classe qui ne veut renoncer à aucun de ses privilèges, fera que le roi finira par se résoudre à convoquer les Etats Généraux, dont les préparatifs, aussi bien lors de la rédaction des cahiers de doléances dans la France entière, que dans les chamailleries portant sur la représentativité des trois corps, conduiront le pays aux conditions optimales pour une révolution.

    N’oublions pas non plus tous ces nobles, acquis aux idées nouvelles, qui s’engagèrent du côté de la révolution, à commencer par le célèbre Duc D’Orléans dont nous avons parlé ces derniers jours et dont nous reparlerons.

Le clergé ?

    Je parle du vrai clergé, c’est-à-dire le bas clergé, celui des petits curés de campagne ; pas des nobles comme par exemple Talleyrand, l’évêque d’Autun, probablement athée, que Voltaire avait même béni.

    Sachez en effet que la révolution ne se serait peut-être pas produite, si le bas clergé n’avait pas rejoint en majorité le Tiers Etat le 24 juin 1789, lors des Etats Généraux (3 curés du Poitou l’avait déjà fait le 13). Lire cet article.

    Quoi de plus normal en fait ? Les braves curés étaient bien placés pour connaître l’horrible misère du peuple, puisqu’ils la partageaient. Ils avaient même contribué à ce que le peuple en grande partie analphabète, puisse exprimer ses réclamations dans les cahiers de doléances.

    On vit même, la veille de la Bastille, le curé de Saint-Etienne du Mont et trois autres curés conduire leurs ouailles à l’Hôtel de Ville pour s’enrôler, tandis que l’abbé Lefebvre organisait la distribution de petits sachets de poudre à fusil aux gens ! Certains prêtres, comme Jacques Roux en Charentes, avaient poussé les paysans à brûler des châteaux !

    Hélas, tous les révolutionnaires, on le verra bientôt, ne leur seront pas vraiment reconnaissants. Les constituants (Bourgeois et nobles tous voltairiens) se méfiaient des 40.000 prêtres (sur un clergé de 44.000) qui étaient trop proches du peuple. Raison pour laquelle ils nationaliseront les biens du clergé, rédigeront une constitution civile du clergé (façon Joseph II) et qu’ils trouveront judicieuse l’idée de détourner la colère du peuple vers l’Eglise. Néanmoins, il faut savoir que les petits curés seront récompensés tout de même, puisque leur salaire versé par la Nation sera doublé à l'occasion de la constitution civile du clergé et qu'en plus ils auront le droit de se marier !

Enterrement du Clergé le 2 Novembre 1789, jour de la nationalisation de ses biens.

    Ce sont les bons bourgeois Girondins qui feront passer une loi terrible contre les prêtres, disant qu’il suffirait de la dénonciation de vingt citoyens pour qu’un prêtre soit condamné à la déportation. Le Girondin Isnard avait même dit : « Le dénouement de la révolution doit être l’exclusion du christianisme ».

    Robespierre luttera en vain contre cette déchristianisation, en affirmant qu’elle dissimulait une manœuvre politique et qu’elle aggravait l'agitation menée par les sans-culottes radicaux tels que les hébertistes et les enragés. Il avait effectivement raison puisqu’on découvrira par la suite que les « enragés » étaient financés par l’Angleterre pour créer le désordre, par l’intermédiaire du banquier suisse Perrégaux. Le 21 novembre 1793, Robespierre inaugurera même au Club des Jacobins sa croisade contre l'athéisme.

    La hiérarchie de l’église reprendra vite la main sur le désordre révolutionnaire régnant dans ses rangs (des milliers de prêtres s’étaient mariés) et bien vite, comme elle sait si bien le faire, l’Eglise tissera une belle légende présentant à sa façon la révolution comme une abomination.

Les francs-maçons ?

    En 1789, il y avait des francs-maçons dans presque tous les corps d’état de la société. Même Louis XVI, semble-t-il, en faisait partie ! 

    Le projet maçonnique étant le progrès de l’humanité et la fraternité entre les hommes, il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que les « frères » soient acteurs à divers degrés de ce changement de société. Il est même très vraisemblable que le travail intellectuel issu de leurs loges (les fameuses planches), ait servi de base à de nombreux projets.

    Si leur participation a été à la hauteur de ce que prétendent les nostalgiques de l’ancien régime, nous ne pouvons que leur en être reconnaissant.

Assemblée de Francs-maçons

Les Protestants ?

    Nombre de révolutionnaires étaient en effet des Protestants. Boissy d’Anglas, Cambon, Marat, Necker, Rabaud Saint-Etienne, Barnave, Jean-Bon Saint-André étaient Protestants, sans parler des banquiers suisses présents à Paris ; mais rien d’autre que leur religion, ne semblait relier ces hommes dont les sensibilités et les opinions étaient aussi différentes que le reste des Français ? Les Protestants étaient 5% à la Convention (moins de 2% aux États Généraux), mais ils se situaient aussi bien parmi les Feuillants royalistes que chez les régicides, aussi bien à la Gironde qu’à la Montagne. L’époque n’était plus aux persécutions. Ils étaient considérés comme des citoyens ordinaires et ils bénéficiaient même un peu de l’estime suscitée par leurs cousins américains.

La croix huguenote des Protestants
Cliquez sur l'image pour connaître
son origine et sa signification.

Les Juifs ?

    Soyons sérieux et laissons en paix ce peuple cultivé et travailleur qui a dû attendre la Révolution française pour avoir le droit d’être citoyen français. C'est principalement l'Abbé Grégoire qui fut le promoteur de leur émancipation durant la Révolution.

    Malgré quelques fautes de frappe (j'en fait aussi) la page suivante décrit bien la situation des Juifs de France à l'aube de la Révolution :
 
http://judaisme.sdv.fr/histoire/historiq/consisto/rneher.htm

Famille juive, visite aux grands parents

Les Suisses ?

    Ne riez pas ! Vous avez pu découvrir dans mes précédentes publications, la participation active et surtout financière des banquiers suisses Delessert et Perrégaux aux préparatifs des événement des 13 et 14 juillet. C’est encore un Suisse, Hulin, un homme de main de Perrégaux qui conduira l’attaque de la Bastille !

    Je ne plaisante qu’à moitié ! Il faut en effet savoir qu’en 1782, l’aristocratie genevoise avait appelé Louis XVI à l’aide pour reprendre un pouvoir qu’elle avait perdu. Genève capitula le 2 juillet 1782 devant 3 armées coalisées dont l’armée du roi Louis XVI. Les cercles, sorte de clubs politiques, furent dissous et la liberté de la presse supprimée. Un millier de genevois s'exilèrent à Paris, où leurs idées de liberté trouvèrent une écoute pour le moins favorable. De là, l'explication de la participations de Suisses à la Révolution française.

Plus d'infos sur la révolution suisse sur le lien figurant avec l'illustration ci-dessous :

A Genève, l’Édit du 10 février 1789, résultat politique de l’émeute frumentaire du mois précédent, met brutalement fin au musellement qu’avaient enduré les Genevois pendant sept années. Les exilés de 1782 sont admis à revenir dans leur patrie, les compagnies bourgeoises sont rétablies et les cercles rouverts. Le Conseil militaire est supprimé tandis que l’accès à la bourgeoisie est plus amplement accordé aux natifs. Enfin, dans un délai de dix ans, le Conseil général sera maître de l’élection des conseillers d’État et des syndics. Encore fallait-il juger de la réaction des puissances garantes de l’édit de 1782...

Les paysans français ?

    J’ai déjà évoqué avec vous l’image d’une France mosaïque, peuplée de mille peuples parlant différentes langues, ayant des cultures et parfois même des religions différentes.

    Les réactions à la nouvelle de la prise de la Bastille et plus tard aux réformes révolutionnaires, furent donc très différentes selon les régions et surtout en fonction de la conscience politique balbutiante de ce grand oublié de l’histoire qu’est toujours le peuple.

    Comprenez bien que certains paysans ne savaient même pas qu’ils étaient français et que la majorité ne parlait ni ne comprenait la langue dite française ! Néanmoins, la souffrance, les humiliations et surtout la faim, étaient bien là et ce peuple, dans son ensemble, était à bout. Dès les premiers jours de la révolution, et même bien avant, le peuple sera manipulé, instrumentalisé. Nous en avons déjà parlé et nous en reparlerons.

    Ce ne sera que progressivement, lentement, que ce peuple prendra conscience de son pouvoir, de sa souveraineté.

L'explication de Lafayette !

    Que s'est-il réellement passé durant ces journées chaudes de juillet 89 ? Lafayette aurait répondu ainsi le 24 juillet 1789 :

"On ne le sait pas on ne le saura jamais, car une main invisible dirige la populace".

M. Le Marquis de Lafayette
(Que l'on connaîtra aussi dorénavant pour son humour)

    La populace est effectivement manipulée. Nous l'avons déjà constaté plusieurs fois. Des fauteurs de troubles agissent, diffusant des rumeurs de ci de là. Mirabeau a déclaré une fois que provoquer une émeute coûtait 25 Louis (propos rapporté par le ministre de l'intérieur, Saint-Priest). Mais je ne suis pas sûr que c'était à cela que pensait Lafayette quand il dit ces mots.

Mauvais esprit du Citoyen Basset

    Si vous avez lu mes articles sur les journées précédentes de juillet 1789, peut-être que certains parmi vous vont se demander s'il ne s'agirait pas plutôt de la main invisible du marché, imaginée par Adam Smith...


Alors la faute à qui ?

    En histoire, comme en beaucoup d’autres domaines, il n’y a jamais de réponses simples. Qui plus est, le mot « faute », implique un jugement de valeur négatif et un historien ne doit pas juger, mais comprendre. 

   (Lire cet article quand vous aurez le temps :"L'histoire, la vérité, le bien le mal et toutes ces sortes de choses très relatives".)

    Mon modeste site est là pour nous aider à prendre conscience du chaos qui régna durant cette période et comment certains réussirent, soit à lui donner du sens, soit à l'utiliser. Comprendre les actes et les gens...


A suivre.

 


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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand