Article mis à jour le 1er septembre 2023
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L'Assemblée nationale constituante |
Aucun représentant des députations des 3
corps de la société envoyés aux Etats Généraux, ne s'était préparé à devoir
soudain réinventer la société française et son contrat social. Ils se sont
laissé emporter par la vague révolutionnaire des événements de juillet.
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Ouverture des Etats Généraux à Versailles le 5 Mai 1789 |
Un défi impossible à relever.
Tous ces députés amateurs, souvent très jeunes ont dû soudainement s'atteler à la tâche colossale de devoir
trouver dans l'urgence des remèdes à tous les maux créés par l'Ancien Régime. Ils
ont dû en peu de semaines créer une nouvelle France, inventer un nouveau
contrat social et tout cela au milieu d'un désordre permanent.
Des chaînes venaient de céder, le peuple affamé réclamait du pain et de la justice. Sous
la pression de celui-ci et à la lueur des châteaux qui commençaient à brûler, il
fut décidé d'abandonner les privilèges seigneuriaux lors de la fameuse nuit du 4 au 5 Août. Cette jeune assemblée nationale autoproclamée lors des Etats Généraux le 9 Juillet 1789, devait
à présent rédiger une constitution, afin de donner un nouveau cadre législatif
pour pallier le désordre qui commençait de miner le pays.
Les députés avaient à
charge également de régler le problème de la dette abyssale de la France laissé
par l'Ancien régime (1). Tout cela dans une atmosphère de méfiance alimentée par
des rumeurs de complots et de fréquentes émeutes populaires suscitées par le
manque de farine pour fabriquer du pain.
(1) En 1788 le budget de l’état présentait un déficit de 162
millions de livres (471.6 millions de revenus, contre 633.1 millions de
dépenses). Ce déficit venait de la somme des emprunts contractés par l’État
depuis les années 1760. De plus, le royaume de France payait des taux d’intérêt
presque deux fois supérieurs à ceux de sa rivale, l’Angleterre.
Une atmosphère explosive.
Ce 1er septembre, la situation devient critique, il y a eu beaucoup
d'agitation à Paris le dimanche 30 Août. Le roi n'a toujours pas signé le
décret du 4 Août et certains des agitateurs du Palais Royal réclament le retour
du roi à Paris, ainsi que l'installation dans Paris de cette Assemblée
nationale dont beaucoup se méfient.
Un premier écueil, le "véto"
Les députés commencent enfin à travailler ce jour sur la
Constitution tant attendue. Mais les voilà qui trébuchent déjà sur un obstacle
de taille, celui du droit de véto absolu ou suspensif, que l'on donnera ou ne
donnera pas au roi. Ce problème va faire l'objet d'un débat animé, non
seulement au sein de l'Assemblée, mais aussi dans tous endroits de France où
l'on discute de politique, et ils sont nombreux !
Pourquoi un droit de véto ? C'est-à-dire donner le pouvoir
au roi de refuser une loi votée par l'Assemblée ? Mais parce que les seuls modèles de constitution qu'ils connaissent comprennent cette possibilité. Les
deux plus prestigieuses étant celle du Royaume Uni et celle des Etats Unis
d'Amérique. La majorité des Français chérissant tendrement Louis XVI,
l'ensemble des députés rêvait d'établir une Monarchie Constitutionnelle qui
satisfasse leur roi. Le seul modèle qu'ils avaient était celui de la monarchie constitutionnelle
Britannique, dans lequel le roi possédait un pouvoir de véto suspendant
l'accord royal aux lois votées. (Aux États-Unis, le président pouvait
mettre son véto à une loi votée par le Congrès, mais ce droit n'était pas
absolu et une majorité des deux tiers de chaque assemblée permettait de passer
outre.).
Mais la France n'est pas l'Angleterre. La "révolution
"anglaise est terminée depuis 100 ans et le roi d'Angleterre, comme l'expliquera Pétion
au cours du débat, ne se sert pas de son droit de véto uniquement parce qu'il
sait comment imposer sa volonté sans avoir à l'utiliser.
En France, la
Révolution est loin d'être terminée, comme le croient déjà certains députés. Le
débat sur le véto royal, va donc devenir via la presse, un débat national, avec
des prises de positions aussi opposées que passionnées.
Avant que Louis XVI et Marie Antoinette ne soient appelés Monsieur et Madame Véto et que Louis XVI soit caricaturé en Monsieur Véto. Les graphistes (respectueux et/ou prudents) représenteront "Monsieur Véto" sur leurs estampes sous la forme d'un géant démoniaque. Il faudra en effet beaucoup de temps pour que les Français qui aiment tant le bon gros Louis, finissent de plus en plus à le haïr.
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"Monsieur Véto" |
Nous aurons d'autres occasions d'évoquer ce fameux
droit de véto, qui, (spoiler) finira indirectement par causer la perte de Louis XVI.Le débat.
Le débat de ce jour est long, très long. Je me suis permis
de vous surligner certains passages et d'insérer quelques sous-titres entre parenthèses, pour que vous puissiez identifier différents avis.
On reconnait chez certains députés cette méfiance maladive envers le peuple, et chez d'autres l'amour aveugle envers celui-ci.
La politique s'est toujours partagée entre ceux qui veulent établir des systèmes pour le peuple tel qui est, (ou semble être), et ceux qui veulent établirent des systèmes pour le peuple tel qu'ils voudraient qu'il soit (quittes parfois à en fabriquer un nouveau). Entre ces deux extrêmes, on pourrait penser qu'il est plus prudent de choisir un juste milieu. (Mais c'est plus facile à dire qu'à Faire).
Discussion sur la sanction royale, lors de la séance du 1er septembre 1789
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4930_t2_0529_0000_8
L'ordre du jour appelle la délibération de l'Assemblée sur
la question de la sanction royale.
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Liancourt |
M. le duc de Liancourt. Je réduis en deux points la
discussion qui vous occupe.
1° La sanction du Roi est-elle indispensablement nécessaire
?
2° Le Roi doit-il faire une partie intégrante de la
législation ?
La seconde question sera, pour ainsi dire, décidée par la
solution de la première. La sanction royale est-elle nécessaire ? Alors le Roi
est une partie intégrante de la législation. N'est-elle pas nécessaire ? Alors
le Corps législatif est étranger au pouvoir exécutif.
Aussi je n'examinerai maintenant que la première question.
Il faut convenir d'une grande vérité ; le royaume de France
a toujours eu pour gouvernement le gouvernement monarchique, et même avant le
temps où les rois avaient secoué le joug de l'usage qui leur imposait la
nécessité de consulter le peuple sur la formation des lois. Si les
représentants de la nation ont reçu d'elle le pouvoir d'abolir cet ancien
régime, l'Assemblée nationale peut sans doute l'anéantir ; mais si nos mandats
ne nous donnent la faculté que de le régénérer, ce serait les violer que de
croire que nous avons le pouvoir de le détruire. Pour donner une autre forme de
gouvernement à la patrie, il faudrait une convention nationale. (Spoiler, c'est ce qui arrivera plus tard).
Une convention nationale n'est autre chose que l'expression
de la volonté générale : or, il est impossible de croire que la nation a eu
l'esprit de nous envoyer à une convention, mais à l'Assemblée des Etats
généraux réunis en une seule chambre.
(Liancourt est un ami proche du roi, raison pour laquelle il demande de ne s'en tenir qu'aux cahiers de doléances portés aux Etats Généraux).
Dira-t-on que les cahiers demandent une constitution ? Mais
tous les cahiers ne portent pas qu'il faut anéantir l'ancienne, qu'il faut
détruire la monarchie ; mais tous les cahiers portent qu'il faut déraciner les
vices et étouffer les abus. La nation n'a pas prétendu s'abandonner à la
Constitution qu'il plairait à ses représentants d'arrêter ; elle a seulement
ordonné qu'elle voulait, en confirmant l'ancienne, en relever les fondements.
Voilà tout ce que nous prescrivent nos cahiers : il est donc impossible de les
dépasser.
Les assemblées élémentaires, dira-t-on, ne prévoyaient pas
les circonstances, la force de l'opinion publique et les conjonctures où nous
nous trouvons. Nos commettants n'ont pu nous fixer une marche dont ils n'ont pu
prévoir l'étendue.
Mais, au milieu de ce vide arbitraire, il est des points
fondamentaux vers lesquels on se rallie. Ainsi tous nos cahiers nous expriment
le désir de vivre dans un gouvernement monarchique ; tous nous ôtent le droit
de le changer.
Il est donc prouvé que la nation ne peut, sans dénaturer le
gouvernement, déclarer toutes nos lois affranchies de la sanction. Dans tous
les temps nos rois l'ont eue, et elle est de l'essence de la monarchie.
M. le duc de Liancourt parle ensuite des faits qui prouvent
la possession des rois sur la sanction. Il invoque les preuves que le comité
avait déduites hier : faits historiques, auteurs anglais, gouvernement anglais,
tel a été le bon côté de la défense de la sanction royale, par M. le duc de
Liancourt.
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J.B. Salle |
M Salle, député de Lorraine (1). Messieurs, il me semble
qu'aucun de nous ne conteste au Roi le droit d'approuver une loi qui lui serait
agréable et de la sanctionner. L'exercice d'un pareil droit n'ayant pas pour
objet de rendre illusoires les décrets de l'Assemblée, il en résulte seulement
plus d'éclat pour la majesté du trône et nous ne devons rien lui refuser de ce
qui peut la rendre imposante et respectable (2).
(1) Le discours de M. Salle n'a pas été inséré au Moniteur.
(2) La sanction, d'après son étymologie même, devrait
appartenir au peuple. La nation sanctionne une loi, en jurant qu'elle
l'observera et la fera observer à ses risques et périls, legem sancire ; sanctam
facere ; sanctionner la loi, c'est-à-dire la rendre sainte par le serment. La
majorité fait la loi ; d'après les règles de toute Assemblée délibérante, la
minorité se soumet ; chacun jure alors au nom du ciel, et c'est l'unanimité qui
sanctionne. (Note de l'orateur)
Mais si la loi déplaît au Roi, doit-il avoir un droit
négatif absolu, ou seulement suspensif jusqu'à la prochaine session ? Tel est,
Messieurs, à ce qu'il me semble, le vrai point de la question. Le veto absolu
est définitif ; il ne laisse aucune ressource au peuple, si le Roi se trompe ou
si son intérêt lui dicte de refuser le bien de la nation : Le veto suspensif
est une sorte d'appel à la nation, qui la fait intervenir comme juge à la
première session, entre le Roi et ses représentants. D'après cette définition,
la question me paraît décidée ; car le droit suspensif se déduit des principes
: il résulte de la nature d'un gouvernement dans lequel la souveraineté ne peut
s'exercer que par mandataires
(Un peuple immature, habitué à être dominé)
Ce serait avec justice que les défenseurs du veto absolu
s'élèveraient contre leurs adversaires, si ceux-ci prétendaient qu'il faut ôter
au Roi toute espèce de sanction. Mais, lorsqu'on leur fait entendre qu'il est
seulement question de substituer au droit d'empêcher le droit de suspendre ;
que ce droit conserve au peuple sa souveraineté, sans aucun inconvénient,
alors, tout en convenant du principe que la souveraineté réside dans la nation
(1), ils se retranchent à dire que l'utilité publique, plus impérieuse que le
principe, exige qu'il soit altéré ; qu'il est utile, surtout, d'en agir ainsi
pour le peuple français, parce qu'il n'est pas un peuple nouveau ; qu'il est
habitué à être dominé ; que ses mœurs sont relâchées, ses opinions déréglées,
et qu'il est très-dangereux de lui laisser la plénitude de ses droits (2).
(1) Nous avons déclaré que ce droit, ainsi que tous les
autres était imprescriptible et inaliénable.
(2) Donner au monarque une part active dans la législation,
c'est nécessairement altérer et aliéner le droit lu peuple.
(Mais le peuple est déjà régénéré !)
Il est dangereux sans doute, de rendre la liberté à un
esclave qui a vieilli dans ses liens, et contracté les vices de la servitude.
La première chose à faire, avant de le rendre libre, c'est de lui faire aimer
sa liberté, c'est-à-dire les lois : c'est de régénérer son cœur et de l'élever
à la dignité d'homme. Mais qui doute que cette révolution ne soit faite ?
Quelles que soient les mœurs des habitants des villes, la nature, qu'on
n'étouffe jamais, se réveille dans les grandes circonstances. Des passions ? nouvelles
viennent embraser les âmes : les maximes de l'égoïsme qui isolent l'homme,
cèdent en peu de temps à ces élans inconnus et délicieux qui le rapprochent et
qu'on préfère à tout, quand on les a sentis dans toute leur énergie ; et c'est
ainsi qu'un grand peuple, avili par l'oppression, mais toujours généreux, après
avoir croupi pendant des siècles dans l'esclavage, après avoir désespéré de
lui-même, reprend toute sa force et toute sa dignité lorsqu'il éprouve ces
grandes passions qui sont naturellement en réserve dans tous les cœurs.
Ce que je dis des habitants des villes, je l'avancerai plus
hardiment encore à l'égard de ceux des campagnes. Là, toutes les ressources
restent à la nature ; la conscience y fait entendre sa voix : les droits de
l'homme et de la divinité n'y sont point mis en oubli ; et s'ils sont injustes
quelquefois, c'est aux vices seuls du gouvernement qu'il faut s'en prendre ;
c'est leur misère, c'est la tyrannie dont on use envers eux qu'il faut en
accuser. Traitons-les avec bonté, et nous les rendrons humains ; avec justice,
et nous les rendrons justes ; avec les égards dus à des hommes libres, et nous
les rendrons dignes de la liberté. Tous les empires ont été fondés par des
hommes grossiers ; Rome elle-même n'a pas eu une origine différente ; et les
cœurs farouches qui en ont tracé l'enceinte n'ont eu besoin que d'avoir des
lois pour savoir les respecter.
Je regarde donc, Messieurs, la révolution comme absolument
faite dans tous les cœurs ; il ne lui manque que l'appui d'un code de lois
sages pour être durable. Les Français sont aujourd'hui tout ce qu'ils peuvent
être : et moi qui n'ai que trop accusé ma patrie pendant sa longue léthargie,
je déclare que je serai le premier désormais à lui rendre justice et à
repousser comme autant de calomnies les vaines déclamations qu’on pourrait
diriger contre elle (1).
(1) Les excès dont la France s'est souillée, dira-t-on,
déposent contre ce système. J'accorderai, si l'on veut, ces excès, tels qu'ils
nous ont été dépeints : je ne ferai pas observer que l'honnête bourgeois, le
citoyen paisible, c'est-à-dire la partie la plus nombreuse, s'est conduite avec
dignité et courage ; qu'elle a rétabli l'ordre sans autres lois que celles
qu'elle s'est faite à elle-même, sans autre guide que son honnêteté et ses
propres lumières. Je rue contenterai de citer l'exemple de la Bretagne. Cette
province, la plus ardente à recouvrer sa liberté, la plus terrible pour les
fauteurs du despotisme, celle dont ils supposaient que les excès seraient les
plus multipliés, n'en a pas commis un seul. L'ordre y a été établi dès le
principe ; on s'est armé, on s'est tenu sur la défensive, on s'est montré
ferme, courageux, mais immobile, mais digne en un mot de cette liberté si désirée,
en pratiquant les austères devoirs, même avant qu'ils fussent tracés.
La Bretagne avait reçu sa secousse en combattant pour ses
Etats particuliers. L'anarchie y avait régné, y avait développé les âmes, y
avait fait sentir les malheurs du désordre et les avantages de la loi. L'amour
de la liberté, c'est-à-dire de la règle, suivant la nature des choses humaines,
y était sorti du sein des troubles. La Bretagne avait l'avance ; le reste de la
France, en tombant dans l'anarchie, n'a fait que la suivre ; mais les mêmes
circonstances auront pour le reste de la France les mêmes avantages. La crise,
toute terrible qu'elle a été, se trouvait nécessaire, et tous les maux
particuliers qu'elle a opérés viendront désormais se confondre dans le bien
général.
Qu’on ne nous effraie donc pas lorsque nous parlons de
l’exercice de la souveraineté, lorsque nous remettons le pouvoir dans les mains
de la nation au moyen du veto suspensif ; qu’on ne nous effraye pas, dis-je, en
nous peignant une multitude effrénée courant à sa perte, ne sachant pas
discerner le bien avec le mal, saisissant le poison avec autant d’avidité qu’un
mets salutaire, et se plaisant à se nuire à elle-même. Un homme peut être fou,
mais une grande nation ne saurait l’être ; mais une grande nation qui réfléchit
sur ses intérêts, qui stipule pour elle-même, ne saurait vouloir son propre
mal.
Mais l’histoire, nous observe-t-on, est pleine des erreurs
de la multitude : la multitude ne gouverne que parce qu’elle est passionnée ; elle immole les grands hommes, et, sans les erreurs de la multitude, Socrate
n’eût point bu la ciguë.
Que nous sommes malheureux, Messieurs, d’être aussi peu
familiarisés avec les matières politiques, d’être exposés à toutes les erreurs
du plus grossier sophisme. Le peuple ne saurait gouverner sans passion ! Mais
qui parle ici de gouverner ? Le gouvernement n’est pas la souveraineté : gouverner n’est pas faire des lois (2) ; quand le peuple d'Athènes jugeait ses
grands hommes, il faisait une fonction de magistrature ; il avait en vue un
objet particulier (3) ; il gouvernait, il pouvait se tromper, et il le faisait
souvent. Mais, quand le peuple d’Athènes, celui de Sparte, de Rome, etc.,
usaient de la souveraineté, c’est-à-dire faisaient des lois ; quand ils
stipulaient par eux-mêmes et sur eux-mêmes, ils ne se trompaient plus, ils
étaient sages, et si leurs lois politiques étaient défectueuses, parce que la
science était dans son enfance, leurs lois civiles, vous le savez, Messieurs,
sont encore aujourd'hui l'admiration de l'univers, et la règle des autres
peuples. N'appliquons donc pas aux Français, qui ne jugent pas, qui ne
gouvernent pas, qui ne peuvent jamais s'emparer du pouvoir exécutif, tant à
cause de l'étendue du royaume que par amour pour la monarchie, ne leur
appliquons pas, dis-]e, les fautes des peuples anciens qui ont voulu juger et
gouverner, ne confondons pas, en un mot, la souveraineté avec le gouvernement.
(2) M. Mounier confond sans cesse ces deux choses dans son
dernier ouvrage. C'est son sophisme le plus ordinaire. Quand il nous peint le
peuple d'Athènes condamnant Socrate, il croit nous avoir prouvé que nous ne
pouvons être libres qu'autant qu'on nous enchaînera. M, Pétion de Villeneuve a
très bien relevé cette erreur, en rétablissant les définitions ; si M. Mounier
nous avait dit comme lui ce que c'est qu'une démocratie, il se serait épargné
la peine de faire une si longue dissertation.
(3) Faire une loi, c'est avoir en vue un objet général.
Je désirerais seulement que ceux qui parlent du peuple avec
tant de légèreté voulussent bien être d'accord avec eux-mêmes. La nation est
idolâtre de son chef, nous répètent-ils sans cesse (I) ; le Français est
confiant, généreux, magnanime ; il est le bon peuple, le peuple éclairé :
patient dans la servitude, il a réclamé ses droits avec énergie et s'est montré
ami de l'ordre au sein même de l'anarchie. Puis tout à coup, changeant de langage,
ils nous assurent que tous les peuples sont aveugles, sans en excepter même les
Français ; qu'ils sont frénétiques, incapables de connaître leurs avantages,
ennemis de tout gouvernement. Le Français, ébranlera le trône, anéantira la
puissance royale, heurtera tous les principes avec une stupidité qui le rendra
enfin victime de ses propres excès. Quelle logique ! Et ils ne voient pas que
tout ce qui se passe les contredit ! Dans quel temps le Français sera-t-il plus
fatigué de son gouvernement ? Dans quel temps l'aura-t-il plus entièrement à sa
merci ? Quand le pouvoir exécutif sera-t-il plus relâché et l'Assemblée
nationale plus à portée de l'usurper (2) ?
(1) Si la religion perdait son crédit sur la terre, disait
un prélat dans la chaire de vérité, à l'ouverture des Etats, il resterait
encore un culte aux Français dans leur amour pour leurs rois.
(2) A entendre M. Mounier, c'est le monarque qui est faible
et le Corps législatif entreprenant. M. Pétion de Villeneuve, d'après tous les
publicistes et tous les faits, a prouvé le contraire, ce me semble, jusqu'à
l'évidence,
Où sont donc les entreprises de l'Assemblée nationale et du
peuple ? Quel fait pourra-t-on nous citer qui ne prouve pas notre attachement à
la monarchie ? Le peuple est stupide, nous dit-on I II le serait, Messieurs,
s'il ne savait apprécier les sophismes dont on se sert pour le calomnier. Les
excès qu'on lui reproche ne sont pas dans son caractère : les excès qu'on lui
reproche sont la satire la plus amère de ses oppresseurs.
D'ailleurs, ce n'est pas le peuple en France qui discute les
lois, ce sont ses représentants (3),
(3) Dans ma manière d'expliquer le veto suspensif, le peuple
ne doit même pas discuter la loi suspendue, il ne peut que la rejeter ou
l'admettre. Le Français en cela se trouve sur la même ligne que les peuples anciens,
à qui la loi était proposée, et qui ne faisaient que de prononcer. Au reste je
ne crois pas qu'en restreignant ainsi le droit du peuple, je lui fasse courir
quelque risque ; car outre que les discussions contradictoires entre
l'Assemblée et les ministres seront nécessairement lumineuses et complètes, les
représentants qui discutent pour lui, rentrant l'instant d'après dans la même
classe, sont assujettis aux mêmes lois, et comme ils sont d'ailleurs dans le
cas d'être jugés par l'opinion de leurs commettants, ils ne peuvent que leur
prêter leur concours,
…c'est-à-dire une assemblée de sages, choisis par La voix
publique et dignes d’un choix si honorable. A cela, Messieurs, je vois nos
adversaires nous opposer notre propre raisonnement et nous dire ; « Ces sages
délibèrent trop souvent en tumulte : il est difficile que la vérité se fasse constamment
entendre au milieu des clameurs. » Cet argument que j’ai ouï répéter trop
souvent, sans doute, les esprits faibles l’appuient, parce qu’ils craignent que
l’Assemblée ne se perde et n’entraîne avec elle la ruine de la France. Les orateurs
l’écoutent avec complaisance, parce qu’ils croient qu’on ne fait rien ici que
par la parole, qu’ils ne rendent pas assez de justice à ceux qui ne savent que
juger en silence. Eh bien, j’oserai demander à l’Assemblée quelles sont les
fautes qu’elle a commises, pourquoi elle se défierait d’elle-même. Je ferai plus : au milieu de tant d’intérêts différents, de tant d’opinions diverses, je
demanderai si ce tumulte n'est pas occasionné par ceux-là mêmes qui veulent en
tirer un argument contre nous, s’ils n’ont pas l’intention secrète de nous
faire croire nécessaire le joug qu’ils veulent nous imposer.
J’en appelle à vos arrêtés, Messieurs ; vous êtes dignes de
la haute place que vous occupez. Que vos orateurs soient moins prodigues de
votre temps et plus pénétrés de votre sagesse ; que d’un autre côté, ceux qui
voient avec peine vos résultats, sachent étouffer leurs intérêts particuliers,
moins gêner votre marche, opposer moins d’obstacles à la juste impatience où
vous êtes de tirer la France de l’anarchie où elle est plongée ; alors vos
délibérations seront calmes ; mais vos résultats n’en seront pas plus sages ;
ils seront seulement plus prompts et plus utiles.
Ce que j’ai déclaré par rapport au peuple, je le déclare,
Messieurs, par rapport à cette auguste Assemblée : je suis pénétré de sa
sagesse et je m’élèverai avec force contre ceux qui l’accuseraient de légèreté,
comme s’ils la calomniaient.
Je ne me permettrai plus qu’un mot, pour disculper ma patrie
et ses représentants. Jetez les yeux, Messieurs, je vous en prie, sur ce qui
s’est passé dans nos assemblées élémentaires. Ces assemblées ont-elles été
tumultueuses, désordonnées ? Ces assemblées qui se tenaient par un peuple
entaché de tous les vices de la servitude et qui ressaisissait sa liberté
ont-elles été même licencieuses ? Y a-t-on préféré l’extravagance à la sagesse ? Y a-t-on pris des résultats indignes de la nation ? Les cahiers qui s’y sont
rédigés, ne sont-ils pas au contraire le germe des meilleures lois ? Par ce qui
s’est passé, jugez de ce qui peut être, et confiez-vous-en vous-mêmes, puisque
vous en êtes dignes, et dans vos concitoyens, puisqu'après vous avoir choisis
ils sont certainement dignes de vous.
La volonté générale ne peut errer, dit le plus grand
publiciste du siècle. Pourquoi ? C’est que quand la nation fait des lois, tous
stipulent pour tous : l’intérêt général est nécessairement le seul qui domine ;
et il est aussi absurde de supposer un peuple faisant un code de mauvaises
lois, qu’un homme qui, pour son bien, se déterminerait à s’arracher les yeux ;
ce qui ne veut pas dire qu’un peuple ne puisse rendre de forts mauvais jugements
; mais, encore un coup, gouverner ou juger, n’est pas faire des lois.
Nos adversaires conviennent de ces principes ; mais ils se
retranchent à supposer des frénétiques haranguant le peuple dans ses assemblées
élémentaires, et l’engageant à se nuire, en lui dictant des résultats
extravagants. Quand cela serait possible dans un petit Etat, au moins faudrait-il
convenir que cela serait bien difficile en France. On ne concevra jamais autant
de furieux se dirigeant dans les mêmes principes, qu'il y aura d'assemblées
élémentaires. On ne concevra jamais que la multitude, toujours si éclairée sur
ce qui lui convient, quelle que soit d'ailleurs son ignorance, puisse donner
tout entière dans un piège aussi grossier ; surtout que l'on considérera que la
classe moyenne, celle des honnêtes citoyens, est partout la plus nombreuse,
qu'elle compose presque en entier cet ordre duquel les représentants des
communes sont tirés, et dont ils s'honorent.
Enfin quand les frénétiques, qu'on suppose si gratuitement,
puisqu'ils n'ont pas même existé dans nos premières Assemblées, puisqu'au sein
des troubles ils n'ont pas même empêché l'excellente organisation des
municipalités et des milices bourgeoises, laquelle, pour être excellente, n'a
pas eu besoin de la sanction royale ; quand des orateurs frénétiques, dis-je,
parviendraient à égarer le peuple, le mal qui en résulterait pour l'Etat serait
bien vite senti ; le mal serait donc bien vite réparé. Je ne nierai pas que cet
inconvénient n'ait quelque chose de réel ; mais quelle institution est sans
inconvénient ? Parce qu'un homme peut abuser de sa liberté, commencerons-nous
par l'enchaîner ? Parce qu'un peuple peut se tromper, le livrerons-nous à ceux
qui ont le plus grand intérêt de le trahir ?
En suivant le seul raisonnement que puissent nous opposer
nos adversaires, en supposant, ce que je suis loin de croire, qu'on puisse faire
délivrer une grande nation d'un commun accord et lui faire voir son propre mal,
examinons un moment, Messieurs, la nature du remède qui nous est proposé. La
nation, par ses représentants, aura le droit de délibérer longuement un point
de législation ; le Roi pourra dire : j'empêche, et sans autre raison, la
nation perdra tout le fruit de sa délibération ! Si le monarque était un Dieu,
si ses ministres au moins avaient des lumières et une sagesse aussi étendue que
l'exigeraient leurs hautes fonctions, je ne trouverai rien de plus raisonnable.
Mais si le gouvernement n'est composé que d'hommes naturellement ambitieux,
avides de domination et toujours prêts à usurper tous les pouvoirs, quel
avantage reviendrait-il à la nation de leur confier son sort. En réglant seule
ses lois, il était douteux si elle se tromperait : il est certain qu'elle se
trompe en les attendant de la bonté des ministres.
Une pareille institution n'appartient qu'à des esclaves. La
nation n'aurait rien gagné à la révolution ; je soutiens même qu'elle aurait
perdu. Tout particulier dans le gouvernement le plus despotique n'a-t-il pas le
droit de proposer ? Le droit du despote n'est-il pas de rejeter ou d'admettre ?
Nous n'aurions donc rien fait en tenant cette mémorable Assemblée que ravaler
la nation à l'état du plus simple particulier ; si j'en excepte toutefois le
moyen terrible des insurrections que la tenue de nos Assemblées lui ménagerait.
Ce n'était pas la peine d'offrir sa vie, de prodiguer sa fortune et ses veilles
pour consacrer de pareils principes ; il valait mieux encore laisser sa patrie
dans son antique usage, que d'accepter nos mandats pour venir river ses fers.
M. Mounier convient (et c'est déjà un grand aveu) que le
veto absolu n'est pas nécessaire pour les lois de Constitution. Eh bien ! M.
Mounier doit convenir, d'après les mêmes principes, qu'il est également inutile
pour toute espèce de lois. La Constitution est la base de tout ; elle est le
fondement de la liberté ; mais les lois constitutionnelles ne sont rien sans
les lois subséquentes. Que nous servira de bien organiser le pouvoir exécutif,
si nous ne pouvons lui donner que de mauvaises lois à exécuter ; s’il met son
veto absolu sur toutes celles qui seraient si clairement rédigées qu’elles ne
pourraient être éludées ; s’il n’accepte que celles dont il pourra abuser sans
rien craindre ? Ce raisonnement a surtout une extrême force pour nous qui avons
tant de lois civiles à retrancher, à corriger, à modifier. Les ministres seront
responsables, il est vrai ; mais comment les transgressions pourront-elles se
prouver, si dans toutes les lois nouvelles que les ministres voudront bien nous
permettre de faire, ou dans les anciennes qu’ils maintiendront malgré nous, ils
trouvent le moyen d’échapper à l’œil du peuple ? On distingue les lois en fondamentales
et civiles ; mais, quand on y réfléchit, on sent qu’il est impossible de tirer
la ligne de démarcation ; on sent que le code entier se soutient dans son
ensemble, que toutes les lois ont des rapports très marqués, et qu’en
raisonnant bien, une loi, même d’administration, pourrait se trouver le centre
de toutes les autres aussi justement peut-être qu’une loi de Constitution.
Par exemple, Messieurs, vous avez les arrêtés du 4 ; je
suppose, si vous adoptez le fatal veto, qu’on ne vous fera pas la mauvaise
chicane d’y refuser la sanction ; mais vous sentez qu’en refusant de
sanctionner les lois subséquentes, on rendrait ces arrêtés bien illusoires et
fort inutiles. Il en est de même de la Constitution, on la rendrait également
vaine en rejetant les lois de détail. La Constitution donne la vie au corps politique ; les lois civiles déterminent ses actions. Qu’importe que le corps
politique vive et soit robuste, s’il se trouve gêné pour agir, s’il est forcé
de rester en place ?
Mais le Roi n’a pas lui-même le droit de proposer. Et quand
il n’aurait pas l’extrême facilité de faire proposer ce qu’il voudrait,
qu’aurait-il besoin de l’initiative ? Le gouvernement ne profite que des abus ;
les abus par laps de temps deviennent des lois. Le peuple qu’on nous peint
comme si inquiet, comme si ardent à tout renverser, le peuple se laisse au
contraire conduire par l’habitude ; il faut qu’il souffre longtemps pour se
résoudre à corriger sa législation. La circonstance actuelle ne le prouve que
trop. Lorsqu’il faudra changer une loi devenue mauvaise parce que les temps
auront changé, devenue abusive parce que le gouvernement aura trouvé moyen de
l’éluder, il suffira au gouvernement de faire usage de son veto absolu : il conservera
ainsi tous ses avantages, et le peuple, à la fin, tout en se croyant libre,
n’en sera pas moins ruiné et opprimé qu’auparavant.
Celui qui a le droit de refuser la loi, pose nécessairement
la loi contraire : celui qui veut éluder les lois et qui a tant d’intérêt à le
faire, les élude à la fin ; il n’y a plus alors qu’à empêcher les lois
nouvelles sous prétexte d’innovation. Son droit négatif devient un véritable
droit positif ; le peuple est à sa merci, et le gouvernement est certainement despotique.
Qu’on ne dise pas qu’outre la correction des abus, il y a
beaucoup de lois nouvelles à proposer. Cette assertion qui serait peut-être
vraie pour un peuple nouveau qui n’a pas encore porté le joug des lois, ne
l’est pas par rapport à nous et ne peut même jamais l’être. Une loi quelconque
aura toujours pour objet d’abroger, de changer, de modifier quelque autre loi
déjà existante. C’est donc sous ce seul point de vue qu'il faut envisager la
question. La nation ne peut jamais être dans le cas de proposer un point
nouveau de législation : elle ne peut que corriger ou abroger (1), c'est-à-dire
qu'elle sera toujours à la merci du gouvernement.
(1) Nous avons des lois sur tous les sujets imaginables.
Et qu'on y prenne bien garde ; le gouvernement le plus
despotique a commencé par respecter les lois ; ce n'est jamais de front qu'un
despote attaque la législation : il élude, il abuse, il rend à force de temps
et d'efforts la loi arbitraire, c'est-à-dire qu'il ne met à la fin sa volonté à
la place de l'autorité légitime qu'au nom même de la loi. Ce progrès, qui a eu
lieu dans tous les gouvernements du monde, parce que les chefs sont actifs,
vigilants, avides de pouvoir, et que le peuple, quoi qu'on en dise, s'endort
dans la confiance et ne s'éveille que pour sentir la pesanteur de ses fers ; ce
progrès, dis-je, a déjà eu lieu en France, et il est inévitable par la suite.
Je ne vois pas quels arguments on peut opposer à tant de
preuves : aussi nos adversaires se contentent-ils de donner pour remède à ces
maux les insurrections du peuple. Ce moyen, qui est si douteux, est terrible
lorsque le peuple se détermine à en user : peut-on donner comme une ressource
des mouvements populaires qui tendent à tout détruire ? Le but de toute
association politique est la paix ; elle ne doit être maintenue que par des
moyens paisibles ; et tout gouvernement qui n'est pas institué sur cette règle
est certainement vicieux.
Mais, dit-on, c'est le vœu de la majorité des cahiers ;
c'est l'intention de nos commettants. Sans entrer dans cette question des
mandats, déjà si victorieusement combattue, je me contenterai d'observer que le
plus grand nombre sur cet article ne sont pas impératifs ; d'ailleurs, nos
commettants ont manifesté un autre vœu qui est la conséquence du premier ; ils
ont voulu que l'impôt fût refusé lorsque le monarque rejetterait de bonnes
lois. Ces deux points ne doivent pas être traités l'un sans l'autre, si nous ne
voulons pas aller contre le vœu de la nation.
Or, je soutiens que cette ressource proposée par nos
commettants, parce qu'alors ils n'osaient rien espérer de plus, parce qu'ils
sentaient que la révolution ne pouvait se faire sans une insurrection ; je
soutiens, dis-je, qu'elle n'a point d'autre sens, sinon que dans le cas d'un
refus du monarque, on le contraindra d'accepter. Refuser l'impôt, c'est rompre
le pacte social, c'est dissoudre l'Etat, c'est déclarer une guerre civile.
Est-il présumable que nos commettants nous auraient chargés de leur ménager des
moyens si violents, s'ils avaient pu en prétendre davantage ? Les deux articles
réunis sont incertains dans leurs effets, et terribles dans leurs conséquences.
C'est donc entrer dans l'intention de nos commettants que de les retrancher
tous deux pour leur substituer une loi sûre, qui se déduit des principes, qui
laisse au peuple sa souveraineté, et dont les défauts, que je ne me dissimule
pas, ne sont rien en comparaison de ceux qu'on voudrait y substituer.
Je conclus que le peuple peut et doit faire usage delà
souveraineté : je conclus encore que dans un gouvernement représentatif, il ne
doit pas même livrer à ses représentants, quelque sages qu'ils soient, les
articles de sa Constitution qui lui assurent cet usage ; car s'il est vrai
qu'une nation n’a le droit ni d’enchaîner les générations futures, ni de se
rendre esclave elle-même, le premier devoir d’un peuple libre est de ne confier
sa liberté à personne : d’où suit, pour ces articles au moins, à toutes les
époques différentes où la Constitution pourra être examinée, la nécessité des
mandats impératifs.
Mais, comme il est dangereux que les représentants soient
liés sur d’autres points; que le bien même de la nation veut qu’après avoir
assuré cette liberté qu’elle ne saurait aliéner, elle laisse quant au reste ses
mandataires libres d’interpréter son vœu et de délibérer ; il se présente dans
ces sortes de gouvernement une grande difficulté : c’est que si la volonté
générale ne peut errer quand une nation fait la loi, les Assemblées qu’elle
délègue peuvent se tromper, car si la volonté ne saurait se représenter, c’est
qu’elles peuvent, comme en Angleterre, se laisser corrompre et prévariquer.
Mais d’abord on voit que le veto absolu du monarque est
inutile pour empêcher la corruption ; et puisqu’on convient que le gouvernement
peut prévariquer une Assemblée nationale, je ne vois pas comment ce même veto
pourrait être efficace contre des erreurs qui ne nuiraient d’ordinaire à la
nation que pour tourner au profit du ministère (1).
(1) Quand ce ne serait qu'en discréditant l'Assemblée.
Le meilleur moyen pour maintenir la sagesse de l’Assemblée,
c’est d’en renouveler souvent les membres, et de les tenir sans cesse sous
l’œil de leurs commettants, par la publicité de leurs opérations. C’est
d’empêcher qu’ils ne puissent jamais espérer de faire avec le gouvernement un
trafic de la liberté publique, en ne les laissant jamais dépositaires de cette
liberté, et en donnant surtout aux Assemblées élémentaires le droit de faire,
aux sessions suivantes, dans le cas de prévarication, les réclamations les plus
vives et les plus impératives (2)
(2) M. Mounier ne veut pas que les représentants soient
chargés de mandats, c'est-à-dire qu'il ne veut pas que la nation ait une
volonté ; je ne sais en quoi M. Mounier fait consister la souveraineté de la
nation.
On nous objectera que rien de tout cela n’a lieu en
Angleterre. Cela est vrai, mais aussi serait-il aisé de prouver que
l’Angleterre ne jouit pas de la liberté politique ; elle jouit seulement de la
liberté civile au moyen de ses excellentes lois criminelles, ce qui n’empêche
pas le monarque, soit par lui-même, soit par la Chambre haute, soit par la
corruption de celle des communes, d’énerver la législation et de conduire
l’Etat à sa perte. Le peuple anglais se croit libre, dit Rousseau, il se trompe
fort; il ne l’est que pendant l’élection de son Parlement ; l’usage qu’il fait
alors de sa liberté mérite bien qu’il la perde.
Ce n’est qu’en prenant les précautions que néglige le peuple
anglais, que la nation se garantira de la prévarication de ses mandataires.
Quant aux moyens d’empêcher l’erreur et de contenir même l’Assemblée dans ses
limites à l’égard du pouvoir exécutif, la nation pourrait recevoir pour loi que
tous points de législation arrêtés par ses représentants seraient communiqués
au monarque et ne passeraient en lois définitives que lorsqu’il les croirait
utiles. Il me semble que le danger de la corruption étant presque anéanti, le
monarque et l’Assemblée ne pourraient se réunir que pour le bien (3).
(3) En tous cas la loi permettrait à la nation de réclamer.
En effet, l’Assemblée ne pouvant outrepasser son pouvoir
qu'en s'emparant de l'exécution, le monarque, de son côté, ne pouvant usurper
qu'en s'emparant de la légitimation, il en résulte deux puissances rivales
intéressées à s'observer et à se maintenir réciproquement, d'où il suit que les
moyens de corrompre étant à peu près nuls, elles ne peuvent être d'accord que
pour l'intérêt commun.
Il me semble, en outre, qu'en étendant cette loi, on
pourrait établir que le Monarque aurait le droit de suspendre un point de
législation qu'il croirait nuisible, et de requérir sur ses motifs un nouvel
examen. J'ajouterais le droit de suspendre une seconde fois et d'en appeler au
peuple pour la prochaine session. La loi réduite à ses moindres termes serait
proposée par oui ou par non dans les Assemblées élémentaires et se trouverait
définitivement rejetée ou admise (1).
(1) Si M. le comte de Mirabeau veut me permettre de conclure
de son propre discours, que la loi ordonnera, dans le cas d'appel au peuple, que
le point de législation empêché, avec ses motifs pour et contre, sera soumis au
peuple et qu'elle lui permettra d'énoncer son vœu, à la rigueur je serais de
son avis. M. de Mirabeau sent trop que si la loi n'était pas formelle sur cet
article, si Le peuple était réduit au simple droit d'élire, ses délibérations
seraient illégales, que le monarque les traiterait de séditieuses, et qu'il n'y
aurait de ressources que le terrible moyen des insurrections. M. de Mirabeau
sent trop que le veto le plus nuisible courrait risque alors de n'être pas levé
; car dans des moments si critiques, les meilleurs citoyens tremblent pour leur
tête, et chacun craignant de parler le premier, de peur de n'être pas secondé,
la nation tout entière se tait et se laisse opprimer. Je voudrais encore que
tes lois ne fussent présentées à la sanction définitive qu'au moment de clore
les sessions ; afin que, si, contre mon avis, le droit de dissoudre était
accordé au monarque, il ne pût pas en abuser et qu'il ne prit pas le parti de
lasser le peuple, en renvoyant les Assemblées dès leurs premières propositions.
J'ajouterai que si la nouvelle législature n'était pas
chargée de mandats exprès sur les points suspendus, le monarque pourrait lui
opposer de nouveau que son vœu n'est pas l'expression de la volonté générale.
Elle insistera, nous dit-on ; mais si elle n'a pas consulté la nation ; si elle
ignore jusqu'à quel point elle sera soutenue dans sa résistance, aura-t-elle le
courage de faire son devoir ? Osera-t-elle lever l'étendard de l'insurrection ?
Elle refusera l'impôt ; mais, sans mandats qui lui ordonnent de recourir à
celte terrible et dernière ressource, sera-t-elle sûre de n'être pas désavouée
?
On nous dit que si le peuple donne des instructions et des
mandats, des fous peut-être feront la loi dans les assemblées élémentaires ;
mais si ces fous ont assez d'ascendant pour dicter au peuple ses résultats, ils
en auraient certainement assez pour se faire élire ; je ne vois pas ce que la
nation aura, a gagné à cela.
Si ces lois pouvaient passer pour l'honneur de la France et
la liberté de nos commettants, je pose en fait que jamais le Roi n'aurait
occasion de faire usage de son veto ; car l'Assemblée, qui serait sans cesse
sous les yeux du peuple, aurait intérêt d'être sage, et ne prendrait que de
bons résultats. D'un autre côté, le Roi n'aurait pas même l'idée d'abuser, et
son veto, à cet égard, resterait encore sans exercice, car il saurait que le
peuple jugerait. D'où je conclus qu'avec d'aussi sages lois l'Etat serait
toujours en paix, la liberté toujours assurée, les Assemblées nationales
toujours utiles, et qu'il n'y aurait peut-être jamais aucune réclamation de la
part du peuple dans les différentes sessions.
M. le prince de Salm-Kirbourg parle contre la sanction.
D'abord il s'écarte longtemps de la question en donnant des détails historiques
des événements présents. Il ne les rappelle que pour prouver que le peuple est
digne de jouir de la souveraineté.
Dans une assemblée où l’intérêt du peuple est le premier
mobile, il a prétendu qu’il était calomnié : il l’a donc défendu.
Il parle ensuite de l’injustice et des fureurs de la multitude
; il rappelle la mort de Socrate ; il censure M. le comte de Lally ; critique M.
le comte de Mirabeau ; réfute le sermon de M. l’évêque de Nancy ; enfin, il
arrive au veto, et fait entrevoir des moyens qui ont été saisis et répétés par
plusieurs autres opinants.
 |
Rabaud de Saint-Etienne |
M. Rabaud de Saint-Etienne. J’applaudis à la sagesse de
cette Assemblée, qui a voulu apporter dans ses délibérations une sage maturité
qui en assure le succès. Délibérant sur le bonheur de la nation et sur la
gloire du souverain, vous avez voulu balancer tous les intérêts, toutes les
opinions, et, par un sage et lent résultat, parvenir à la vérité.
Je sens comme vous, Messieurs, que la France entière a les
yeux fixés sur cette auguste Assemblée ; que le bruit de vos délibérations se répand
dans toute l’Europe.
La diversité des opinions ne m’étonne pas. Nous sommes ici
pour la soutenir avec courage ; placés entre le peuple et le Roi, la prévention
est réciproque ; c'est par la contrariété et le choc que l’on parvient à
s’éclairer. L’embarras où nous nous trouvons est venu de ce que l’on ne nous a
pas présenté la matière dans son ordre naturel.
Avant de savoir qui sanctionnera la loi, il faut savoir par
qui elle sera faite ; et dans l’hypothèse même que le Roi est une partie du
pouvoir législatif, ne convenait-il pas de former ce Corps législatif ? C’est,
si je puis m’exprimer ainsi, Le sceau que l’on appose à une lettre ; il faut
qu’elle soit écrite avant que d’être signée.
Cependant il est devenu impossible de parler de législation
avant de parler de la sanction. Vous me permettrez ces excursions. Mais enfin
une partie voulait la sanction, une autre la refusait. Or, si les points de la
contestation étaient arrêtés, celte contradiction disparaîtrait. Il est
ridicule de penser que les représentants de la nation veulent anéantir le
gouvernement. Les Français sont attachés à cette sainte et antique monarchie.
Ils révèrent le Roi ; c’est vers le trône consolateur que se tournent les
regards des malheureux.
L’on a craint encore que le Roi ne refusât sa sanction à la
Constitution et à tous les arrêtés qui ont été faits, et que, sous ce prétexte,
l'on ne détruisît le grand ouvrage du bonheur public. Je n’examine pas si ces
alarmes sont fondées. Il me suffira de dire que la sanction royale ne peut
concourir à la Constitution, mais qu’elle n’existe que pour la maintenir, et
cette précaution politique ne prendra sa place que lorsque vous aurez arrêté
cette Constitution.
L’on aurait donc bien vite évité des alarmes si on eût
travaillé à cette Constitution avant de se livrer à l’examen de la sanction.
L’examen du veto est subordonné à l’examen de la permanence
et aux deux Chambres. Il aura différentes limites, suivant la différence de
l’organisation ; chaque membre aura un avis particulier ; et on ne peut fixer,
surtout en politique, des points donnés lorsqu’ils sont inconnus. Nous
délibérerons donc au hasard sur la sanction royale, tant que la Constitution ne
sera pas arrêtée.
Or, qu'entend-on par sanction ?
C'est le consentement accordé par le Roi à une loi faite par
les représentants de la nation, et sans lequel elle ne peut être exécutée.
Première question qui ne peut être décidée.
La deuxième question est d'examiner si la sanction est
nécessaire pour l'exécution des actes législatifs. Si la question était ainsi
posée, elle n'offrirait pas de difficulté ; mais si on dit qu'elle doit être
remise au pouvoir exécutif, alors même embarras pour la décision.
Troisième question : dans quel cas la sanction est-elle
nécessaire ?
Quatrième question : de quelle manière doit-elle être
employée ?
C'est encore dans la Constitution que l'on doit trouver
l'examen de ces deux questions. Il faut donc, pour les décider, voir l'ensemble
de la Constitution.
Je ne cherche pas à retarder vos délibérations ; je déteste
le despotisme ; je frémis à la seule pensée du despotisme ministériel : il pèse
à la fois dans tous les lieux et sur tous les hommes. Il faut prévenir le
despotisme d'une Assemblée nationale, d'un Sénat et d'un Roi : la liberté est
entre deux précipices ; il faut ou la perdre ou la sauver. Dans cette
alternative, je demande que la décision du veto soit renvoyée après l'examen de
la question de la permanence et des deux chambres ; ce n'est qu'un ajournement.
M. le comte de Mirabeau appuie la motion de M. Rabaud de Saint-Etienne.
La question est rapidement agitée par divers orateurs.
M. Target et M. le comte de Clermont-Tonnerre demandent
qu'on puisse traiter à la fois les questions de permanence, des deux chambres
et de veto.
Cet avis prévaut, et la discussion est reprise sur la
sanction royale,
 |
Malouet |
M. Malouet (1). Messieurs, qu'est-ce que la sanction royale
? Devons-nous l'accorder ? Comment doit-elle être déterminée ? La solution de
ces questions doit être la conséquence des principes que vous avez déjà
consacrés, ou qui sont unanimement reconnus par le peuple français, sur la
puissance qui lui appartient, et sur celle qu'il a conférée à ses rois.
(1) Le discours de M. Malouet n'a pas été inséré au
Moniteur.
Je remarque d'abord que, de tous les pouvoirs, celui de
sanctionner les lois est le seul auquel le despotisme ne saurait atteindre, et
qu'il l'anéantit, parce qu'il ne peut l'usurper. Le despote veut ; il agit ; il
opprime ; sa volonté s'exécute ; mais il ne peut en faire une loi ; car aucun
peuple libre ne l'accepte volontairement ; aucune puissance publique ne la
sanctionne : la volonté du despote, toujours errante de ses Etats comme un
orage sur l'horizon, n'a point de caractère, point d'asile inviolable ; seul au
milieu de tous, rapproché de la société par ses besoins, il est séparé par la
terreur ; maître absolu par la force, il est esclave aussitôt qu'une force
supérieure se déploie ; enfin sa condition malheureuse est de cesser d'être par
la volonté générale, tandis que le bonheur du monarque, sa puissance et sa
gloire consistent à en être l'organe.
Cependant dans tous les pays où un homme s’est dit maître de
la loi, supérieur à la loi, la superstition, l’ignorance ont annoncé sa puissance
comme une émanation de la puissance céleste ; alors des formules religieuses
ont été imaginées pour sanctionner ses volontés, et cette doctrine impie a fait
du gouvernement despotique une véritable théocratie. Mais chez les peuples
mêmes qui y sont soumis, la souveraineté primitive de la société s’est
manifestée sans obstacle toutes les fois que la multitude a pu se réunir : un
instinct impérissable la porte par intervalle à s’établir juge suprême de la
tyrannie, à briser la force oppressive qu’elle a créée sans savoir l’ordonner,
pour s’y soumettre de nouveau aveuglément ; car les mouvements impétueux du
peuple rendent bien sa volonté redoutable ; mais il n'y a que ses mouvements
réfléchis qui puissent la rendre législative. Ainsi en Asie, en Afrique, et sur
les confins de l’Europe, des révolutions imprévues ébranlent les trônes, et
avertissent fréquemment les princes de leur faiblesse, les peuples de leur
force.
Il est donc vrai que partout où le peuple veut être libre,
il l’est ou le sera par le seul acte de sa volonté souveraine.
II est donc vrai que toute la souveraineté réside dans la
nation, et c’est le principe que vous avez consacré.
Or, d’après ce principe, Messieurs, que peut être la
sanction royale ? (C'est un acte de souveraineté, par lequel la loi est
prononcée ; c’est un pouvoir communiqué par la nation, qui les possède tous.
Mais pour en mieux juger, il faut examiner dans quelle fin a
été institué le magistrat suprême auquel le droit de sanctionner les lois peut
être confié.
Il serait absurde de croire que les prérogatives de la
couronne ont pour objet la satisfaction et les jouissances personnelles du monarque ; il n’en est aucune qui ne doive trouver son origine et sa fin dans
l’utilité générale.
Ainsi il est utile et nécessaire au repos, au bonheur d’une
grande nation, qu’il existe au milieu d’elle une dignité éminente, et dont les
fonctions, les pouvoirs soient constitués de telle manière que celui qui en est
revêtu, n’ayant aucun des soins, aucune des ambitions qui tourmentent les
autres hommes, ne puisse trouver d’accroissement à sa fortune personnelle que
dans le bonheur général.
Telle est parmi nous l’origine et la fin de l’autorité
royale. La nation, en l’instituant, n’a entendu communiquer que la portion de
sa souveraineté qu’elle ne peut exercer par elle-même, et qu’il lui convient de
faire exercer par un seul ; ainsi elle s’est réservé la puissance législative,
et en confie l’exercice à ses représentants librement élus. Mais ces
mandataires, alliant à l’auguste fonction qui leur est momentanément départie
tous les soins, toutes les ambitions qui tourmentent les autres hommes; leur
volonté, leur intérêt personnel pouvant se trouver en contradiction avec la
volonté et l’intérêt général, il convient à la nation d’en exiger la garantie
de la part de celui qui est seul au-dessus de tous les intérêts privés, et qui
a un intérêt éminent au maintien de la Constitution par laquelle il existe
comme monarque, qui ne peut rien sans elle, et qui, s’il agissait contre elle,
tomberait sous le joug de la volonté générale qui le domine et le surveille.
Il suit de là, Messieurs, que la sanction royale est un
droit et une prérogative nationale, conférée au chef de la nation par
elle-même, pour déclarer et garantir qu'une telle résolution de ses
représentants est ou n'est pas l'expression de la volonté générale.
La définition de cette prérogative de la couronne en
démontre déjà l'utilité et la nécessité ; mais l'une et l'autre s'appuient sur
d'autres considérations.
Le peuple, Messieurs, qui veut, qui détermine qu'il lui est
utile d'avoir un roi, qui l'institut comme centre de tous pouvoirs, comme
conservateur de tous les droits, a des précautions à prendre pour conserver
dans les mains d'un seul l'autorité qu'il lui défère, et pour empêcher qu'il
n'en abuse.
Cette dernière intention est remplie, de la part du peuple,
en réservant à ses représentants l'exercice du pouvoir législatif, et la surveillance
du pouvoir exécutif. Mais le peuple a également intérêt de défendre l'autorité
royale de toute entreprise injuste de la part de ses représentants : or cette
intention du peuple ne peut être remplie qu'en admettant le prince à l'examen
et à la sanction des lois, car si dans les pouvoirs délégués il en existait un
seul qui lui fût étranger, et dont il fût personnellement dépendant, ce serait
un pouvoir absolu auquel la nation, comme son chef, se trouverait asservie.
Qu'aurait fait alors la nation par une distribution aussi
inconsidérée de ses droits primitifs ? Au lieu d'en combiner l'exercice de
manière qu'ils se renforcent tous et se défendent l'un pour l'autre, la nation
aurait confié exclusivement l'acte le plus éminent de la souveraineté à ceux qui,
dépourvus du pouvoir exécutif, seraient les maîtres de l'usurper. D'un autre
côté, la nation aurait confié la plus éclatante représentation de la
souveraineté à celui qui, n'ayant aucune part à son exercice effectif, serait
toujours tenté d'employer le pouvoir exécutif pour l'usurper. Ainsi le bonheur
général de la société ne pouvant exister que par l'harmonie des pouvoirs qui
doivent y concourir, serait sans cesse troublé par leur discorde ; ainsi la
nation, qui veut un gouvernement monarchique, n'aurait qu'un gouvernement
incertain qui se précipiterait alternativement vers l'aristocratie ou la
démocratie.
La sanction royale est donc le seul moyen de fixité dans les
principes de sûreté et d'inviolabilité dans les formes du gouvernement, et
cette prérogative importante qui met le chef de la nation dans l'indépendance
de ses représentants, ne peut jamais le rendre plus fort que la volonté
générale, aussitôt qu'elle s'explique. Or une nation qui s'assemble s'explique,
et son vœu formel se fait connaître directement par l'opinion publique, ou
indirectement par les représentants ; mais comme dans ce système aucune volonté
particulière n'est égale à celle du monarque, il n'a plus rien à conquérir, à
usurper pour être investi de toute la majesté de chef suprême de la nation, et
pour s'asseoir avec gloire sur le premier trône du monde.
La sanction royale est donc utile au repos de la nation ;
elle est nécessaire au monarque pour diriger paisiblement la puissance publique
; mais elle n'est pas moins importante à la sûreté des membres du Corps
législatif.
Qu'est-ce en effet, Messieurs, que l'exercice par
représentation de la puissance législative ? C'est une mission momentanée pour
agir au nom du souverain, vis-à-vis duquel on reste toujours responsable. Mais
cette responsabilité nécessaire dégénérerait bientôt en une véritable
servitude, si le peuple pouvait reprocher arbitrairement à ses représentants
d’avoir abusé de leur pouvoir, d’avoir trahi ses intérêts ; il leur importe
donc d’avoir un garant révéré de leur fidélité.
Ce garant naturel c’est le chef de la nation, qui, étant
partie intégrante du Corps législatif, en sanctionne les actes, et déclare par
son acquiescement qu’ils sont conformes aux principes de la Constitution. Alors
le peuple reçoit la loi avec le respect qui lui est dû, parce qu’elle
représente tous les caractères de la volonté générale ; les représentants l’ont
délibérée, selon le droit qu’ils en avaient reçu, et la sanction du monarque
annonce qu’elle est conforme aux vœux et aux intérêts du peuple, dont il est
établi conservateur perpétuel.
Ainsi, Messieurs, les représentants du peuple, au moment où
ils cessent de l’être, ont un intérêt personnel à se montrer investis de la
sanction royale, car elle les défend contre les inquiétudes et les soupçons du
peuple.
Mais, dira-t-on, en admettant cette sanction, on s’expose à
voir rejeter par le prince les lois justes, nécessaires, et désirées par le
peuple comme par ses représentants.
Je réponds que ce n’est point par le veto que la
Constitution peut être violée par le monarque ; car si elle est bonne, il n’y a
plus de lois essentielles à faire pour la liberté publique ; tous les pouvoirs,
leur exercice, et leur limite étant réglés par la Constitution, l’intérêt
personnel du monarque se trouve lié aux lois constitutives ; le Corps
législatif et le monarque ne peuvent plus agir que sur leurs résultats,
c’est-à-dire sur les lois d’administration : alors la résistance du Roi serait
inutile contre un vœu formellement exprimé par la nation. Le veto royal n’est
efficace qu’autant qu’il signifie que la loi-proposée n’est pas l’expression de
la volonté générale ; s’il s’agit d’une loi importante, c’est un véritable appel
au peuple, et dans les cas ordinaires, c’est un avertisse¬ ment aux
représentants qu’ils se sont mépris sur un principe d’administration.
Or, il est possible que le conseil du monarque ait
quelquefois sur le Corps législatif l’avantage d’une plus longue expérience,
d’une plus grande habitude des affaires de détail, d’une connaissance plus
approfondie de celle dont il est question.
Ainsi, Messieurs, la sanction royale, nécessaire aux
intérêts du peuple, à la dignité et à l’intégrité du pouvoir exécutif, ne l’est
pas moins à la sûreté des représentants.
D’après ces considérations, la seconde question se trouve
résolue. Devons-nous accorder la sanction royale ? Ma réponse est affirmative ;
mais j’ajoute que quand il ne serait pas démontré que celte prérogative de la
couronne est tout à Davantage de la nation, nous ne pourrions la contester ;
nous n’en avons pas le droit, car nous n’exerçons qu’un pouvoir communiqué, et
nous ne pouvons l’exercer contradictoirement aux vœux et aux instructions de
ceux qui nous ont députés.
Or leur vœu formel est que le Roi participe par la sanction
à la puissance législative ; cette intention, divisément exprimée, est
essentiellement la même dans la plus grande pluralité de nos mandats, et n’est
contredite par aucun.
Comment donc et à quel titre prétendrions-nous priver le
monarque d’un droit qui lui est acquis et confirmé par la volonté générale.
Je conçois cependant la diversité d’opinions qui se
manifeste sur cette question : en reconnaissant au Roi un droit préexistant de
veto, il aurait celui d'empêcher la Constitution : cette objection, grave en
apparence, s'évanouit en y réfléchissant.
Je réponds, Messieurs, qu'un monarque n'a ni le droit ni le
pouvoir d'empêcher un peuple qui veut une constitution de la faire. Il n'y a
point de veto ; point d'obstacle à une constitution demandée par la nation ;
mais s'il arrivait que les représentants en adoptassent une évidemment
contraire à la volonté et à l'intérêt général, ne doutons pas alors que le chef
de la nation n'ait le droit de suspendre une telle constitution, d'en appeler
au peuple, et de lui demander de manifester sa volonté expresse par de nouveaux
représentants.
Tel est, à mon avis, le seul droit de veto que le monarque
puisse exercer sur la Constitution. Il ne la sanctionne pas comme une loi
particulière ; mais s'il la trouve telle que la nation la désire, il l'accepte,
y souscrit, et en jure l'observation. S'il-la trouve contraire aux vœux et aux
intérêts du peuple, il peut, il doit refuser de l'accepter, jusqu'à ce que la
nation explique de nouveau sa volonté souveraine, car elle a toujours dans la
personne de son chef, le plus auguste, le plus autorisé de ses représentants ;
et c'est en ce sens, que j'ose désapprouver hautement la nullité à laquelle le
pouvoir exécutif s'est laissé réduire. Justement réprimé lorsque des hommes
pervers ou inconsidérés ont voulu en abuser, il devait reprendre son action
tutélaire aussitôt que le Corps législatif a déclaré la responsabilité des
ministres : car l'autorité du gouvernement n'appartient point à ses agents ;
elle est la propriété et la sauvegarde du peuple ; ainsi il ne leur est pas
permis de la laisser périr entre leurs mains. Et nous, Messieurs, qui avons le
droit d'en surveiller l'exercice, d'en empêcher les abus, il ne nous est pas
permis de la laisser avilir. Je pense donc que nous ne pouvons-nous soustraire
à la sanction royale pour nos décrets antérieurs à la Constitution, quand même
elle nous donnerait le droit de nous y soustraire pour nos décrets subséquents.
Il me reste, Messieurs, à examiner comment la sanction des
lois doit être prononcée, si le Roi aura un droit de veto absolu ou seulement
suspensif. Je dis d'abord que la forme la plus auguste, la plus importante,
doit être celle de la sanction royale. C'est alors que la puissance, la majesté
de la nation doivent être concentrées sur le trône dans la personne du monarque
qui déclare, au nom d'un peuple immense, que les paroles qu'on vient d'entendre
sont une loi inviolable pour tous.
Ah ! J'aspire au moment d'entendre pour la première fois
cette promulgation solennelle : Peuples, obéissez, voici la loi ! Car aucun de
nous n'avait encore vécu sous son unique empire.
Quant à la nature du veto la nation seule en ayant un
absolu, celui du Roi, en dernière analyse, ne peut être que suspensif ; car si
le peuple persiste à désirer la loi proposée, s'il charge avec persévérance ses
représentants de la proposer encore, le monarque n'a plus ni droit, ni moyen de
résistance ; mais les limites du veto royal étant posées par les principes, son
expression doit être simple et absolue, sans qu'il soit nécessaire d'énoncer
les motifs.
Je termine ici, Messieurs, mes observations, et je conclus
par admettre la sanction et le veto royal comme une garantie précieuse de la
liberté et de la puissance nationale, de la sûreté des représentants, et de
l’indépendance nécessaire du monarque.
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Pétion |
M. Pétion. La sanction sera-t-elle absolue ou suspensive ? J’espère vous démontrer qu’elle doit être suspensive. Il est facile de faire
naître des contradictions sur une question si importante ; mais il est facile
aussi de prouver que la sanction absolue serait le plus funeste coup porté à la
liberté.
Le gouvernement français est, dit-on, monarchique. On a cru
vous prouver par-là la nécessité de la sanction. Moi, je n’y vois rien, si ce
n’est qu’un gouvernement confié à un seul. Mais jetez les yeux sur toute
l’Europe : les gouvernements sont presque tous monarchiques, et il n’y en a
aucun qui se ressemble ; l’on ne peut les comparer. Il n’y a pas de définition
exacte sur le gouvernement monarchique. Ainsi, que l’on ne dise pas que la
sanction royale est dans la nature du gouvernement même. Je ne vois dans la
monarchie qu’un Roi, un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif. Or, ici, la
véritable question est de savoir si le Roi aura une position quelconque dans le
pouvoir législatif. La sanction royale ne doit pas être admise toutes les fois
que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont aux prises, et alors
c’est à la nation à juger et à intervenir. L’on vous a vanté le gouvernement
anglais, mais l’on vous a caché ses défauts ; l’on vous a parlé de ses deux
Chambres, mais non de la Chambre des pairs ; et le Sénat que l’on voudrait
établir serait aussi funeste que la Chambre haute : elle est vendue au
gouvernement.
Le Roi, lorsqu’il veut faire passer un bill, crée des pairs
nouveaux, et c'est ainsi que le monarque abuse des formes. Le Roi, dit-on, n’a
fait usage qu’une seule fois du veto ; je le crois bien, puisqu’il arrête par
une forme moins sévère tout ce qui lui plaît.
On vous a parlé des auteurs qui ont fait l’éloge du
gouvernement anglais ; mais l’on n’a pas parlé de ceux qui se sont récriés
contre les deux Chambres. L’on vous a dit encore qu’en conservant seuls le
pouvoir législatif, vous vous empareriez bientôt du pouvoir exécutif ; mais tout
le monde sait la vérité contraire. Jetez les yeux sur l'Europe : l’on y voit le
peuple combattre sans cesse pour ressaisir le pouvoir législatif usurpé par le
pouvoir exécutif.
Dans les premiers moments même de notre monarchie, le
souverain avait-il un veto ? Il présidait au Champ-de-Mai, et c’est tout ; et il
était soumis à la loi de la majorité, et ne pouvait s’y soustraire.
Il est utile d’admettre un veto suspensif ; il est funeste
d’admettre un veto absolu. C’est un appel au peuple, de la part du prince :
c’est à la nation, de qui émanent tous les pouvoirs, à le décider.
Sans cela, le pouvoir constitué s’emparerait du pouvoir
constituant.
Ainsi, si les mandataires se présentent avec des mandats
pour faire une loi qui est le vœu de la majorité des cahiers, le Roi n’a point
de veto.
Si les mandataires, sans avoir la majorité des cahiers,
veulent faire une loi, le Roi a le droit de veto, mais veto suspensif ; et le
peuple le juge à la première session.
M. le comte de Mirabeau. Dans la monarchie la mieux
organisée, l’autorité royale est toujours l’objet des craintes des meilleurs citoyens ; celui que la loi met au-dessus de tous devient aisément le rival de
la loi. Assez puissant pour protéger la Constitution, il est souvent tenté de
la détruire. La marche uniforme qu'a suivie partout l'autorité des rois n'a que
trop enseigné la nécessité de les surveiller. Cette défiance, salutaire en soi,
nous porte naturellement à désirer de contenir un pouvoir si redoutable. Une
secrète terreur nous éloigne, malgré nous, des moyens dont il faut armer le
chef suprême de la nation, afin qu'il puisse remplir les fonctions qui lui sont
assignées.
Cependant, si l'on considère de sang-froid les principes et
la nature d'un gouvernement monarchique, institué sur la base de la
souveraineté du peuple ; si l'on examine attentivement les circonstances qui
donnent lieu à sa formation, on verra que le monarque doit être considéré
plutôt comme le protecteur des peuples que comme l'ennemi de leur bonheur.
Deux pouvoirs sont nécessaires à l'existence et aux
fonctions du corps politique : celui de vouloir et celui d'agir. Par le
premier, la société établit les règles qui doivent la conduire au but qu'elle
se propose, et qui est incontestablement le bien de tous. Par le second, ces
règles s'exécutent, et la force publique sert à faire triompher la société des
obstacles que cette exécution pourrait rencontrer dans l'opposition des
volontés individuelles.
Chez une grande nation, ces deux pouvoirs ne peuvent être
exercés par elle-même ; de là la nécessité des représentants du peuple pour
l'exercice de la faculté de vouloir, ou de la puissance législative ; de là
encore la nécessité d'une autre espèce de représentants, pour l'exercice de la
faculté d'agir, ou de la puissance exécutive.
Plus la nation est considérable, plus il importe que celte
dernière puissance soit active ; de là la nécessité d'un chef unique et
suprême, d'un gouvernement monarchique dans les grands Etats, où les
convulsions, les démembrements seraient infiniment à craindre, s'il n'existait
une force suffisante pour en réunir toutes les parties, et tourner vers un
centre commun leur activité.
L'une et l'autre de ces puissances sont également
nécessaires, également chères à la nation. Il y a cependant ceci de remarquable
: c'est que la puissance exécutive, agissant continuellement sur le peuple, est
dans un rapport plus immédiat avec lui ; que, chargée du soin de maintenir
l'équilibre, d'empêcher les partialités, les préférences vers lesquelles le
petit nombre tend sans cesse au préjudice du plus grand, il importe à ce même
peuple que cette puissance ait constamment en main un moyen sûr de se maintenir.
Ce moyen existe dans le droit attribué au chef suprême de la
nation, d'examiner les actes de la puissance législative, de leur donner ou de
leur refuser le caractère sacré de lois.
Appelé par son institution même à être tout à la fois
l'exécuteur de la loi et le protecteur du peuple, le monarque pourrait être
forcé de tourner contre le peuple la force publique, si son intervention
n'était pas requise pour compléter les actes de la législation, en les
déclarant conformes à la volonté générale.
Cette prérogative du monarque est particulièrement
essentielle dans tout Etat où le pouvoir législatif, ne pouvant en aucune
manière être exercé par le peuple lui-même, il est forcé de le confier à des
représentants.
La nature des choses ne tournant pas nécessairement le choix
de ces représentants vers les plus dignes, mais vers ceux que leur situation,
leur fortune et des circonstances particulières désignent comme pouvant faire
le plus volontiers le sacrifice de leur temps à la chose publique, il résultera
toujours du choix de ces représentants du peuple une espèce d’aristocratie de
fait, qui tendant sans cesse à acquérir une consistance légale, deviendra
également hostile pour le monarque, à qui elle voudra s’égaler, et pour le
peuple, qu’elle cherchera toujours à tenir dans l’abaissement.
De là celte alliance naturelle et nécessaire entre le prince
et le peuple contre l’aristocratie ; alliance fondée sur ce qu’ayant les mêmes
intérêts, les mêmes craintes, ils doivent avoir un même but, et par conséquent
une même volonté.
Si d’un côté la grandeur du prince dépend de la prospérité
du peuple, le bonheur du peuple repose principalement sur la puissance
tutélaire du prince.
Ce n’est donc point pour son avantage particulier que le
monarque intervient dans la législation, mais pour l’intérêt même du peuple ;
et c’est dans ce sens que l’on peut et que l’on doit dire que la sanction
royale n’est point la prérogative du monarque, mais la propriété, le domaine de
la nation.
J’ai supposé jusqu’ici un ordre de choses vers lequel nous
marchons à grands pas, je veux dire une monarchie organisée et constituée :
mais comme nous ne sommes point encore arrivés à cet ordre de choses, je dois
m’expliquer hautement. Je pense que le droit de suspendre et même d’arrêter
l’action du Corps législatif, doit appartenir au Roi quand la Constitution sera
faite, et qu’il s’agira seulement de la maintenir. Mais ce droit d’arrêter, ce
veto, ne saurait s’exercer quand il s’agit de créer la Constitution ; je ne
conçois pas comment on pourrait disputer à un peuple le droit de « se donner à
lui-même la Constitution par laquelle il lui plaît d’être gouverné désormais.
Cherchons donc uniquement si, dans la Constitution à créer,
la sanction royale doit entrer comme partie intégrante de la législature.
Certainement, à qui ne saisit que les surfaces, de grandes
objections s’offrent contre l’idée d’un veto exercé par un individu quelconque
contre le vœu des représentants du peuple. Lorsqu’on suppose que l’Assemblée
nationale, composée de ses vrais éléments, présente au prince le fruit de ses
délibérations par tête, lui offre le résultat de la discussion la plus libre et
la plus éclairée, le produit de toutes les connaissances qu’elle a pu
recueillir, il semble que c’est là tout ce que la prudence humaine exige pour
constater, je ne dis pas seulement la volonté, mais la raison générale ; et
sans doute, sous ce point de vue abstrait, il paraît répugner au bon sens
d’admettre qu’un seul homme ait le droit de répondre : je m’oppose à cette
volonté, à cette raison générale. Cette idée devient même plus choquante encore
lorsqu’il doit être établi par la Constitution que l’homme armé de ce terrible
veto le sera de toute la force publique, sans laquelle la volonté générale ne
peut jamais être assurée de son exécution.
Toutes ces objections disparaissent devant cette grande
vérité, que sans un droit de résistance dans la main du dépositaire de la force
publique, cette force pourrait souvent être réclamée et employée, malgré lui, à
exécuter des volontés contraires à la volonté générale.
Or, pour démontrer, par un exemple, que ce danger existerait
si le prince était dépouillé du veto sur toutes les propositions de loi que lui
présenterait l’Assemblée nationale, je ne demande que la supposition d’un
mauvais choix de représentants, et deux règlements intérieurs déjà proposés et
autorisés par l'exemple de l'Angleterre, savoir :
L'exclusion du public de la Chambre nationale sur la simple
réquisition d'un membre de l'Assemblée, et l'interdiction aux papiers publics
de rendre compte de ses délibérations.
Ces deux règlements obtenus, il est évident qu'on passerait
bientôt à l'expulsion de tout membre indiscret, et la terreur du despotisme de
l'Assemblée agissant sur l'Assemblée même, il ne faudrait plus, sous un prince
faible, qu'un peu de temps et d'adresse pour établir légalement la domination
de douze cents aristocrates, réduire l'autorité royale à n'être que l'instrument
passif de leurs volontés, et replonger le peuple dans cet état d'avilissement
qui accompagne toujours la servitude du prince.
Le prince est le représentant perpétuel du peuple, comme les
députés sont ses représentants élus à certaines époques. Les droits de l'un
comme ceux de l'autre ne sont fondés que sur l'utilité de ceux qui les ont
établis.
Personne ne réclame contre le veto de l'Assemblée nationale,
qui n'est effectivement qu'un droit du peuple confié à ses représentants, pour
s'opposer à toute proposition qui tendrait au rétablissement du despotisme
ministériel. Pourquoi donc réclamer contre le veto du prince, qui n'est aussi
qu'un droit du peuple confié spécialement au prince, parce que le prince est
aussi intéressé que le peuple à prévenir l'établissement de l'aristocratie.
Mais, dit-on, les députés du peuple dans l'Assemblée nationale n'étant revêtus
du pouvoir que pouf un temps limité, et n'ayant aucune partie du pouvoir
exécutif, l'abus qu'ils peuvent faire de leur veto ne peut être d'une conséquence
aussi funeste que celui qu'un prince inamovible opposerait à une loi juste et
raisonnable.
Premièrement, si le prince n'a pas le veto, qui empêchera
les représentants du peuple de prolonger, et bientôt après d'éterniser leur
députation ? (C'est ainsi, et non comme on vous l'a dit, par la suppression de
la Chambre des pairs, que le long parlement renversa la liberté politique de la
Grande-Bretagne.) Qui les empêchera même de s'approprier la partie du pouvoir
exécutif qui dispose des emplois et des grâces ? Manqueront-ils de prétextes
pour justifier cette usurpation ? Les emplois sont si scandaleusement remplis !
Les grâces si indignement prostituées !
Secondement, le veto, soit du prince, soit des députés à
l'Assemblée nationale, n'a d'autre vertu que d'arrêter une proposition : il ne
peut donc résulter d'un veto, quel qu'il soit, qu'une inaction du pouvoir
exécutif à cet effet.
Troisièmement, le veto du prince peut sans doute s'opposer à
une bonne loi, mais il peut préserver d'une mauvaise dont la possibilité ne
saurait être contestée.
Quatrièmement, je supposerai qu'en effet le veto du prince
empêche l'établissement de la loi la plus sage et la plus avantageuse à la
nation : qu'arrivera-t-il si le retour annuel de l'Assemblée nationale est
assuré par une loi vraiment constitutionnelle qui, défende, sous peine de
conviction d'imbécilité, de proposer ni la concession d'aucune espèce d'impôt,
ni l'établissement de la force militaire pour plus d'une année. Supposons que
le prince ait usé de son veto, l'Assemblée déterminera d'abord si l'usage qu'il
en a fait a ou n'a pas des conséquences fâcheuses pour la liberté. Dans le
second cas, la difficulté élevée par l'interposition du veto se trouvant nulle
ou d'une légère importance, l’Assemblée nationale votera l’impôt et l’armée
pour le terme ordinaire, et dès lors tout reste dans l’ordre accoutumé.
Dans le premier cas, l’Assemblée aura divers moyens
d’influer sur la volonté du Roi ; elle pourra refuser l’impôt ; elle pourra
refuser l’armée ; elle pourra refuser l’un et l’autre, ou simplement ne les
voter que pour un terme très court. Quel que soit le parti qu’adopte l’Assemblée,
le prince, menacé de la paralysie du pouvoir exécutif à une époque connue, n’a
plus d’autre moyen que d’en appeler à son peuple en dissolvant l’Assemblée.
Si donc alors le peuple renvoie les mêmes députés à
l’Assemblée, ne faudra-t-il pas que le prince obéisse ? Car c’est là le vrai
mot, quelque idée qu’on lui ait donnée jusqu’alors de sa prétendue
souveraineté, lorsqu’il cesse d’être uni d’opinion avec son peuple et que le
peuple est éclairé.
Supposez maintenant le droit du veto enlevé au prince, et le
prince obligé de sanctionner une mauvaise loi ; vous n’avez plus d’espoir que
dans une insurrection générale, dont l’issue la plus heureuse serait
probablement plus funeste aux indignes représentants du peuple, que la dissolution
de leur Assemblée. Mais est-il bien certain que cette insurrection ne serait
funeste qu’aux indignes représentants du peuple ?... J’y vois encore une
ressource pour les partisans du despotisme des ministres. J’y vois le danger imminent
de la paix publique troublée et peut-être violée ; j’y vois l’incendie presque
inévitable, et trop longtemps à craindre dans un Etat où une révolution si
nécessaire, mais si rapide, a laissé des germes de division et de haine, que
l’affermissement de la Constitution, par les travaux successifs de l’Assemblée,
peut seul étouffer.
Vous le voyez, Messieurs, j’ai partout supposé la permanence
de l’Assemblée nationale, et j’en ai même tiré tous mes arguments en faveur de
la sanction royale, qui me paraît le rempart inexpugnable de la liberté
politique, pourvu que le Roi ne puisse jamais s’obstiner dans son veto sans
dissoudre, ni dissoudre sans convoquer immédiatement une autre assemblée, parce
que la Constitution ne doit pas permettre que le corps social soit jamais sans
représentants ; pourvu qu’une loi constitutionnelle déclare tous les impôts et
même l’armée annulés de droit, trois mois après la dissolution de l’Assemblée
nationale; pourvu enfin que la responsabilité des ministres soit toujours
exercée avec la plus inflexible rigueur. Et quand la chose publique ne devrait
pas s’améliorer chaque année des progrès de la raison publique, ne suffirait-il
pas, pour nous décider à prononcer l’annualité de l’Assemblée nationale, de
jeter un coup d’œil sur l’effrayante étendue de nos devoirs ?
Les finances seules appellent, peut-être pour un
demi-siècle, nos travaux.
Qui de nous, j’ose le demander, a calculé l’action immédiate
et la réaction plus éloignée de cette multitude d’impôts qui nous écrasent, sur
la richesse générale, dont on reconnaît enfin que l’on ne peut plus se passer ?
Est-il un seul de nos impôts dont on ait imaginé
d’approfondir l’influence sur l’aisance du travailleur, aisance sans laquelle
une nation ne peut jamais être riche ?
Savez-vous jusqu’à quel point l’inquisition, l’espionnage et
la délation assurent le produit des uns ? Etes-vous assez instruits que le génie
fiscal n’a recours qu’au fusil, à la potence et aux galères, pour prévenir la
diminution des autres ?
Est-il impossible d'imaginer quelque chose de moins
ridiculement absurde, de moins horriblement partial, que ce système de finance
que nos grands financiers ont trouvé si bien balancé jusqu'à présent ?
A-t-on des idées assez claires de la propriété, et ces idées
sont-elles assez répandues dans la généralité des hommes, pour assurer aux lois
qu'elles produiront cette espèce d'obéissance qui ne répugna jamais à l'homme
raisonnable, et qui honore l'homme de bien ?
Aurez-vous jamais un crédit national aussi longtemps qu'une
loi ne vous garantira pas que tous les ans la nation assemblée recevra des
administrateurs des finances un compte exact de leur gestion, que tous les
créanciers de l'Etat pourront demander chaque année à la nation le payement des
intérêts qui leur sont dus ; que tous les ans enfin l'étranger saura où trouver
la nation qui craindra toujours de se déshonorer : ce qui n'inquiétera jamais
les ministres ?
Si vous passez des finances aux codes civil et criminel, ne
voyez-vous pas que l'impossibilité d'en rédiger qui soient dignes de vous avant
une longue période, ne saurait vous dispenser de profiter des lumières qui
seront l'acquisition de chaque année ? Vous en reposerez-vous encore, pour les
améliorations provisoires qui peuvent s'adapter aux circonstances, sur des
ministres qui croiront avoir tout fait quand ils auront dit : le Roi sait tout,
car je lui ai tout appris, et je n'ai fait qu'exécuter ses ordres absolus que
je lui ai dit de me donner ?
Peut-être, pour éloigner le retour des Assemblées
nationales, on vous proposera une commission intermédiaire ; mais cette
commission intermédiaire fera ce que ferait l'Assemblée nationale, et alors je
ne vois pas pourquoi celle-ci ne se rassemblerait pas ; ou elle n'aura pas le
pouvoir de faire ce que ferait l'Assemblée, et alors elle ne la suppléera pas.
Et ne voyez-vous pas d'ailleurs que cette commission deviendrait le corps où le
ministère viendrait se recruter, et que, pour y parvenir, on deviendrait
insensiblement le docile instrument de la cour et de l'intrigue ?
Ou a soutenu que le peu d'esprit public s'oppose au retour
annuel de l'Assemblée nationale. Mais comment formerez-vous mieux cet esprit public,
qu'en rapprochant les époques où chaque citoyen sera appelé à en donner des
preuves ? Pouvait -il exister cet esprit public, quand la fatale division des
ordres absorbait tout ce qu'elle n'avilissait pas ; quand tous les citoyens
grands et petits, n'avaient d'autres ressources contre les humiliations et
l'insouciance, et d'autre dédommagement de leur nullité que les spectacles, la
chasse, l'intrigue, la cabale, le jeu, tous les vices ?
On a objecté les frais immenses d'une élection et d'une
assemblée nationale annuelle !
Tout est calculé ; 3 millions forment la substance de celte
grande objection. Et que sont 3 millions pour une nation qui en paye 600, et
qui n'en aurait pas 350 à payer, si, depuis trente ans, elle avait eu
annuellement une Assemblée nationale ?
On a été jusqu'à me dire ; qui voudra être membre de
l'Assemblée nationale, si elle a des sessions annuelles ? Et je réponds à ces
étranges paroles : ce ne sera pas vous qui le demandez... mais ce sera tout
digne membre du clergé qui voudra et qui pourra prouver aux malheureux combien
le clergé est utile ; tout digne membre de la noblesse qui voudra et pourra
prouver à la nation que la noblesse aussi peut la servir de plus d’une manière.
Ce sera tout membre des communes qui voudra dire à tout noble enorgueilli de
son titre ; combien de fois avez-vous siégé parmi les législateurs ?
Enfin, les Anglais, qui ont tout fait, dit-on, s’assemblent
néanmoins tous les ans, et trouvent toujours quelque chose à faire.,., et les
Français, qui ont tout à faire ne s’assembleraient pas tous les ans !. . . .
Nous aurons donc une assemblée permanente, et cette
institution sublime serait à elle seule le contre-poids suffisant du veto
royal.
Quoi ! Disent ceux qu’un grand pouvoir effraie, parce qu’ils
ne savent le juger que par ses abus, le veto royal serait sans limites ! Il n’y
aurait pas un moment déterminé par la Constitution où ce veto ne pourrait plus
entraver la puissance législative ! Ne serait-ce pas un despotisme que le
gouvernement où le Roi pourrait dire : Voilà la volonté de mon peuple ; mais la
mienne lui est contraire, et c’est la mienne qui prévaudra.
Ceux qui sont agités do cette crainte proposent ce qu’ils
appellent un veto suspensif, c’est-à-dire que le roi pourra refuser sa sanction
à un projet de loi qu’il désapprouve ; il pourra dissoudre l’Assemblée
nationale, ou en attendre une nouvelle ; mais si cette nouvelle Assemblée lui
représente la même loi qu’il a rejetée, il sera forcé de l’admettre.
Voici leur raisonnement dans toute sa force. Quand le Roi
refuse de sanctionner la loi que l’Assemblée nationale lui propose, il est à
supposer qu’il juge cette loi contraire aux intérêts du peuple, ou qu’elle
usurpe sur le pouvoir exécutif qui réside en lui, et qu’il doit défendre : dans
ce cas, il en appelle à la nation ; elle nomme une nouvelle législature, elle
confie son vœu à ses nouveaux représentants, par conséquent elle prononce : il
faut que le Roi se soumette, ou qu’il dénie l’autorité du tribunal suprême
auquel lui-même en avait appelé.
Cette expression est très spécieuse, et je ne suis parvenu à
en sentir la fausseté qu’en examinant la question sous tous ses aspects ; mais
on a pu déjà voir, et l’on remarquera davantage encore dans le cours des
opinions, que :
1° Elle suppose faussement qu’il est impossible qu’une
seconde législature n’apporte pas le vœu du peuple.
2° Elle suppose faussement que le Roi sera tenté de
prolonger son veto contre le vœu connu de la nation.
3° Elle suppose que le veto suspensif n’a point
d’inconvénients, tandis qu’à plusieurs égards il a les mêmes inconvénients que
si l’on n’accordait au Roi aucun veto (1).
(1) Voilà de ces formes, sans doute, qui n'appartiennent
point à un discours arrangé. Mais quand, par un mode très vicieux de
discussion, on a, comme chez nous, rendu physiquement impossible de débattre, et
mis chaque chef d'opinion dans la nécessité d'attendre trois jours pour réfuter
des objections quelquefois oubliées de leurs auteurs mêmes (heureux encore s'il
y parvient), l'homme qui aime plus la chose publique que sa réputation, est
obligé d'anticiper ainsi et de prémunir autant qu'il est en lui l'Assemblée ou
il ne sera pas maître de reprendre la parole. J'ai demandé la réplique hier,
elle m'a été refusée ; j'ose croire cependant que j'eusse réduit les partisans
du veto suspensif dans leurs derniers retranchements.
J'ose vous promettre d'établir invinciblement ces trois
points entre toutes les objections que susciteront à la sanction royale les
partisans du veto suspensif, lorsqu'à la fin du débat il me sera permis de leur
répondre.
Il a fallu rendre la couronne héréditaire, pour qu'elle ne
fût pas une cause perpétuelle de bouleversements ; il en est résulté la
nécessité de rendre la personne du Roi irréprochable et sacrée, sans quoi on
n'aurait jamais mis le trône à l'abri des ambitieux : or, quelle n'est pas déjà
la puissance d'un chef héréditaire et rendu inviolable ! Le refus de faire
exécuter une loi qu'il jugerait contraire à ses intérêts, dont sa qualité de
chef du pouvoir exécutif le rend gardien, ce refus suffira-t-il pour le faire déchoir
de ses hautes prérogatives ? Ce serait détruire d'une main ce que vous auriez
élevé de l'autre, ce serait associer à une précaution de paix et de sûreté le
moyen le plus propre à soulever sans cesse les plus terribles orages ?
Passez de cette considération aux instruments du pouvoir qui
doivent être entre les mains du chef de la nation. C'est à vingt-cinq millions
d'hommes qu'il doit commander ; c'est sur tous les points d'une étendue de
trente mille lieues carrées que son pouvoir doit être sans cesse prêt à se
montrer pour protéger ou défendre, et l'on prétendrait que le chef, dépositaire
légitime des moyens que ce pouvoir exige, pourrait être contraint de faire
exécuter des lois qu'il n'aurait pas consenties ! Mais par quels troubles
affreux, par quelles insurrections convulsives et sanguinaires voudrait-on donc
nous faire passer pour combattre sa résistance ? Quand la loi est sous la
sauve¬ garde de l'opinion publique, elle devient vraiment impérieuse pour le
chef que vous avez armé de toute la force publique ; mais quel est le moment où
l'on peut compter sur cet empire de l'opinion publique ? N'est-ce pas lorsque
le chef du pouvoir exécutif a lui-même donné son consentement à la loi, et que
ce consentement est connu de tous les citoyens ? N'est-ce pas uniquement alors
que l'opinion publique le place irrévocablement au-dessus de lui, et le force,
sous peine de devenir un objet d'horreur, à exécuter ce qu'il a promis ; car
son consentement en qualité de chef de la puissance exécutive, n'est autre
chose que l'engagement solennel de faire exécuter la loi qu'il vient de revêtir
de sa sanction.
Et qu'on ne dise pas que les généraux d'armée sont
dépositaires de très-grandes forces et sont néanmoins obligés d'obéir à des
ordres supérieurs, quelle que soit leur opinion sur la nature de ces ordres.
Les généraux d'armée ne sont pas des chefs héréditaires ; leur personne n'est
pas inviolable, leur autorité cesse en présence de celui dont ils exécutent les
ordres ; et si l'on voulait pousser plus loin la comparaison, l'on serait forcé
de convenir que ceux-là sont pour l'ordinaire de très-mauvais généraux qui
exécutent des dispositions qu'ils n'ont pas approuvées. Voilà donc le danger
que vous allez courir ? Et dans quel but ? Où est la véritable efficacité du
veto suspensif ?
N'est-il pas besoin, comme dans mon système, que certaines
précautions contre le veto royal soient prises dans la Constitution ? Si le Roi
renverse les précautions, ne se mettra-t-il pas aisément au-dessus de la loi ?
Votre formule est donc inutile dans votre propre théorie, et je la trouve
dangereuse dans la mienne.
Note de M. Mirabeau : Je les invite seulement aujourd'hui à
réfléchir sur la formidable puissance dont le roi d'un grand empire est
nécessairement revêtu, et combien il est dangereux de le provoquer à la diriger
contre le Corps législatif, comme il arrive infailliblement, si l'on détermine
un moment quelconque où il ne voie aucun moyen d'échapper à la nécessité de
promulguer une loi qu'il n'aurait pas consentie.On ne peut supposer le refus de la sanction royale que dans
deux cas :
Dans celui où le monarque jugerait que la loi proposée
blesserait les intérêts de la nation, et dans celui où, trompé par ses ministres,
il résisterait à des lois contraires à leurs vues personnelles.
Or, dans l’une et l’autre de ces suppositions, le Roi ou ses
ministres, privés de la faculté d’empêcher la loi par le moyeu paisible d’un
veto légal, n’auraient-ils pas recours à une résistance illégale et violente,
selon qu’ils mettraient à la loi plus ou moins d’importance ? Peut-on douter
qu’ils ne préparassent leurs moyens de très-bonne heure ? Car il est toujours
facile de préjuger le degré d’attachement que la puissance législative aura
pour sa loi.
Il se pourrait donc que le pouvoir législatif se trouvât
enchaîné à l’instant marqué par la Constitution, pour rendre le veto royal
impuissant, tandis que si ce veto reste toujours possible, la résistance
illégale et violente devenant inutile au prince, ne peut plus être employée
sans en faire aux yeux de toute la nation un révolté contre la Constitution,
circonstance qui rend bientôt une telle résistance infiniment dangereuse pour
le Roi lui-même et surtout pour ses ministres. Remarquez bien que ce danger n'est
plus le même lorsque le prince n’aurait résisté qu’à une loi qu’il n’aurait pas
consentie.
Dans ce dernier cas, comme la résistance violente et
illégale peut toujours être appuyée par des prétextes plausibles, l'insurrection
du pouvoir exécutif contre la Constitution trouve toujours des partisans,
surtout quand elle est le fait du monarque. Avec quelle facilité la Suède
n’est-elle pas retournée au despotisme, pour avoir voulu que son roi, quoique
héréditaire, ne fût que l’instrument passif et aveugle des volontés du sénat ?
N’armons donc pas le Roi contre le pouvoir législatif, en
lui faisant entrevoir un instant quelconque où l’on se passerait de sa volonté,
et où par conséquent il n’en serait que l’exécuteur aveugle et forcé. Sachons
voir que la nation trouvera plus de sûreté et de tranquillité dans les lois expressément
consenties par son chef, que dans les résolutions où il n’aurait aucune part et
qui contrasteraient avec la puissance dont il faudrait en tout état de cause le
revêtir. Sachons que dès que nous avons placé la couronne dans une famille
désignée, que nous en avons fait le patrimoine de ses aînés, il est imprudent
de les alarmer en les assujettissant à un pouvoir législatif dont la force
reste en leurs mains, et où cependant leur opinion serait méprisée. Ce mépris
revient enfin à la personne, et le dépositaire de toutes les forces de l’empire
français ne peut pas être méprisé sans les plus grands dangers.
Par une suite de ces considérations puisées dans le cœur
humain et dans l’expérience, le Roi doit avoir le pouvoir d’agir sur
l’Assemblée nationale en la faisant réélire. Cette sorte d’action est
nécessaire pour laisser au Roi un moyen légal et paisible de faire à son tour
agréer les lois qu’il jugerait utiles à la nation, et auxquelles l’ Assemblée
nationale résisterait : rien ne serait moins dangereux ; car il faudrait bien
que le Roi comptât sur le vœu de la nation, si pour faire agréer une loi il
avait recours à une élection de nouveaux membres; et quand la nation et le Roi
se réunissent à désirer une loi, la résistance du Corps législatif ne peut plus
avoir que deux causes : ou la corruption de ses membres, et alors leur
remplacement est un bien ; ou un doute sur l'opinion publique, et alors le
meilleur moyen de l'éclairer est sans doute une élection de nouveaux membres.
Je me résume en un seul mot, Messieurs : annualité de
l'Assemblée nationale ; annualité de l'armée ; annualité de l'impôt ;
responsabilité des ministres, et la sanction royale sans restriction écrite,
mais parfaitement limitée de fait, sera le palladium de la liberté nationale,
et le plus précieux exercice de la liberté du peuple.
L'on ordonne l'impression des discours.