jeudi 31 décembre 2020

31 Décembre 1789 - Un réveillon chez Ramponneau ?

 


    Je souhaite vous présenter ce soir un autre aspect de Paris au XVIIIe siècle et de ses habitants. Je ne vous parlerai donc pas du Paris des palais, Tuileries, Louvres ou Luxembourg ; ni du Paris des beaux Hôtels particuliers, pas plus que de celui des ruelles sombres et puantes. De plus, je vais prendre pour guide un homme différent de ceux évoqués habituellement. Il ne s’agira pas d’un personnage rendu célèbre par de beaux discours à l’Assemblée nationale, ou par de sanglantes batailles remportées sur l’ennemi. Pourtant, 218 ans après sa mort en 1802, une rue de Paris porte toujours son nom. Il s’agit du cabaretier Jean Ramponneau. Mais bien sûr, comme j’aime à le faire, vous n’échapperez pas à quelques digressions, avant que nous n’arrivions ensemble dans sa taverne, ou plutôt sa guinguette.


L’Esprit français

Le facétieux Voltaire
    Voltaire écrivit un jour, le 2 août 1761 pour être précis :

« Je m’imagine toujours, quand il arrive quelque grand désastre, que les Français seront sérieux pendant six semaines. Je n’ai pu encore me corriger de cette idée. »

    Le grand homme avait raison, mais lui-même était empreint de cet esprit léger si français, et malgré le sérieux de ses engagements, on sourit souvent en le lisant et on rit même parfois aux éclats. 

    Dans de nombreux écrits du XVIIIe siècle, on retrouve cette légèreté de caractère et cette bonne humeur propre aux français de l’époque. 

    Je vous conseille la lecture du merveilleux livre de l'Irlandais Laurence Sterne, intitulé "Voyage sentimental en France". Découvrir la France et surtout les français au travers de ses yeux est un véritable enchantement. Ce qui est étonnant également dans cet ouvrage, c'est de voir un sujet Britannique se promener librement en France, en pleine guerre de sept ans entre nos deux pays. En ce temps là les guerres se faisaient encore prioritairement entre militaires.

Les Français vus par Laurence Sterne
Page 297 du tirage de 1841 du Voyage sentimental en France


    Les temps étaient pourtant rudes, nous en avons déjà parlé. Le pain manquait souvent, la misère était omniprésente, les hivers étaient terribles, mais malgré cela, à tous les niveaux de la société, les Français gardaient le goût des chansons, des poèmes et des farces. Ils étaient également très friands de toutes les formes de fêtes et spectacles, foires, théâtres, etc.

    Je vous recommande au passage la lecture de cet ouvrage traitant de la gaieté française au XVIIIe siècle (Cliquez sur l'image ci-dessous).

Un mot sur le théâtre.

    Au XVIIIe siècle, les gens adoraient le théâtre. Mais la censure royale voyait cet engouement d'un très mauvais œil, et ce, à un tel point, qu'en 1719 les pièces dialoguées données dans les foires furent interdites ! Les forains usèrent alors de ruses pour continuer à faire vivre ce théâtre populaire ; en jouant des pantomimes, ou des saynètes avec les dialogues écrits sur des pancartes ! Ils donnaient également des spectacles de marionnettes.     N'oublions pas non-plus que l'Eglise interdisait aux acteurs de communier, d’être parrains ou marraines d’un enfant, parfois même de se marier, mais aussi et surtout, ce qui était pire que tout à une époque où tout le monde était croyant, de recevoir des funérailles et une sépulture chrétienne à leur mort !

1786 - Théâtre de la Foire Saint-Laurent

    La loi du 19 Janvier 1791 mis fin au privilège royal attribué exclusivement à l’Opéra et à la Comédie française. La Révolution permit ainsi l’ouverture de nombreuses nouvelles salles à Paris. On pouvait enfin jouer "tout et partout", comme l’avaient demandé les signataires de la pétition déposée à l’Assemblée nationale le 24 Août 1790, parmi lesquels figurait Beaumarchais. Plus de 20 théâtres ne suffisaient pas à satisfaire la curiosité du public. La période révolutionnaire sera également la grande époque du Vaudeville. En 1793, au "plus fort" de la Révolution, pas moins de 40 pièces de ce genre nouveau seront représentées ! Cette grande liberté du théâtre prendra fin peu de temps après la révolution par décret, le 8 juin 1806 (Pas de commentaire, j’ai des amis fans de « qui vous savez »). 😉

(Vous comprendrez plus loin dans l'article pourquoi je me suis attardé sur le Théâtre.)


La Révolution n'a pas révolutionné le quotidien.

    Ne voyez pas la période révolutionnaire comme un chaos permanent d’émeutes diverses et variées ! La plupart des événements furent menés bien souvent par des minorités, des minorités bruyantes et souvent violentes, mais des minorités quand même. Une foule n’est pas un peuple ! De tous les partis présents pendant la Révolution, ne sous-estimons pas le parti des indifférents, le plus important en nombre, et ce, à toutes les époques, y compris la nôtre.


Le guinguet et les guinguettes.

    Je viens de vous parler du succès des théâtres. Mais bien sûr, tout le monde n’avait pas les moyens de fréquenter ces salles parisiennes. Il y avait fort heureusement des plaisirs plus simples et surtout peu couteux. En effet, se distraire ne nécessite pas forcément de grands moyens, si l’on a vraiment le goût de la fête et surtout s’il n’est pas dénaturé par celui du luxe. Nul besoin de tables surchargées de victuailles ni de spectacles sophistiqués et onéreux ! 

    Regardez ci-dessous cette gouache de Lesueur représentant une famille « allant à la guinguêtte » (Oui, désolé, il y a un accent circonflexe en vadrouille). Ils n’emportent avec eux que du pain et quelques légumes. La fête naitra naturellement de la bonne compagnie, des chansons, des danses et d’un peu de vin.

 


    On boira bien sûr du vin de Paris, ou plutôt du vin de Belleville, puisque c’est précisément le vin provenant des vignes de Belleville, un vin jeune et légèrement pétillant, appelé le « Guinguet », qui avait donné son nom aux guinguettes, (Un nom qu’il tenait peut-être des gigues, ces instruments de musique de la famille des vièles, qui servaient depuis le moyen-âge à faire danser le peuple et qui a aussi donné son nom à la dance appelée la gigue). 

Un vin fait pour danser !

Les vignes de Belleville


    Pour accéder à la colline de Belleville, il fallait sortir de Paris par la porte du Temple, traverser le Faubourg du Temple, puis celui de la Courtille. (J’ai habité dans ma jeunesse, tout en haut de la rue de Belleville, près de la station de métro « Télégraphe », nom qui lui a été attribué en mémoire du télégraphe de Chappes installé sous la Révolution à cet endroit visible de tout Paris).

    Reportez-vous aux plans reproduits un peu plus loin dans l’article et regardez tous ces jardins au Nord de Paris. Il s’agit des faubourgs. D’Est en Ouest, voici Saint-Antoine, Pincourt, Courtille, Temple, Saint-Martin, Saint-Denis, Nouvelle France, Mont-Martre, Porcheron, Petite et grande Pologne, Roule, etc.

Regardez également le beau plan de Bretez.

Lien vers le plan zoomable et complet : Plan de Bretez, dit de Turgot

Les faubourgs de Paris

    Le voici cet autre Paris dont je souhaitais vous parler. Il s’agit du Paris des Faubourgs et d’au-delà des barrières !  Regardez les plans de Paris au XVIIIe siècle et vous découvrirez une vaste étendue de jardins, vergers et vignes recouvrant l’étendue de ces faubourgs. 

    On nous répète sans cesse que les rues de Paris au XVIIIe siècle étaient puantes. Mais c’est oublier d’une part le vent océanique balayant régulièrement la ville et d’autre part l’immédiate proximité de tous ces jardins des faubourgs et de la campagne environnante ! Jardins d'ailleurs fertilisés par les "boues" collectées à Paris, par les éboueurs.

    Ces barrières étaient les 54 octrois (péages) percés dans les 24 km du mur encerclant Paris. A chacune de ces portes, les fermiers généraux percevaient une taxe sur toute marchandise pénétrant dans Paris. Souvenons-nous que durant la nuit précédant la prise de la Bastille, 40 de ces octrois détestés par les Parisiens avaient été incendiés. (Lire l’article relatif à la nuit du 13 au 14 juillet 1789). Au-delà de ces barrières, les produits, pas encore taxés par les Fermiers généraux, coûtaient donc moins cher. Raison pour laquelle, certains eurent la judicieuse idée d’y installer des petits commerces, et surtout des cabarets, gargotes et guinguettes !

 

Mépris de classe.

    Un petit mot au passage sur les gargotes. J’ai eu la surprise de découvrir dans leur définition sur le dictionnaire en ligne du CNRS, deux citations les concernant, de Balzac et de Zola. Voici celle de Balzac, (celle de Zola est du même acabit) :

« La forte et nauséabonde odeur de vin et de mangeaille qui vous saisit à Paris, en passant devant les gargotes de faubourgs. »
(Balzac, Paysans,1844, p. 45)

    C’est un fait bien connu depuis longtemps, les pauvres ont pour habitude de manger de la nourriture de mauvaise qualité, de même, ils s’enivrent de mauvaise vinasse. Je vous rédigerai bientôt un article sur les regrattiers ou vendeurs d’arlequins, qui vous éclairera sur ce sujet (et qui par la même vous fera enfin comprendre la théorie économique dite, du ruissellement). A savoir également, que les pauvres s’habillent très mal. Certains prétendent néanmoins que cela résulterait plutôt de critères économiques que de choix gustatifs. Passons et revenons aux guinguettes et à Ramponneau !

 

Allons chez Ramponneau !

    Imaginons cette promenade ensemble ! Nous sommes le 31 Décembre 1789. L’hiver est un peu moins rude que l’an dernier (la Seine avait été prise par les glaces). Nous décidons d’aller nous promener entre amis. 

    Quittons Paris et cheminons ensemble vers la colline de Belleville que nous apercevons au loin, au sommet de laquelle trônent fièrement deux moulins. Nous sortons de la capitale par la Porte du Temple, nous traversons le Faubourg du Temple en empruntant la rue du même nom, qui nous mène au quartier de la Courtille. Il se dit depuis quelques jours, que Bailly, le Maire de Paris, voudrait faire interdire la traditionnelle « Descente de la Courtille » qui a lieu chaque année durant le Carnaval. Le petit peuple de Paris va être déçu, lui qui n’a déjà pas apprécié la promulgation de la loi martiale le 22 octobre dernier. Sacrés bourgeois que le peuple effraie tant ! (Bailly interdira effectivement le Carnaval le 31 Janvier 1790).

    Nous voici arrivés au niveau du numéro 36 de la rue du Faubourg du Temple, à l’angle du Chemin de Saint-Denis, appelé également rue de Saint-Maur. Nous tournons à droite et après encore quelques pas, nous arrivons enfin, un peu essoufflés (ça montait bien !) à l’angle de la rue de l’Orillon, devant l’entrée du cabaret dénommé le « Tambour royal », tenu par le célèbre Jean Ramponneau !

    Si nous avions continué de remonter la rue de l’Orillon, (appelée aussi selon les époques et les plans rue de l’Oreillon, rue de Riom, ruelle d'Arion, rue des Moulins et de rue des Cavées), nous serions arrivés à la Barrière d’Arion qui deviendra plus tard la Barrière Ramponneau (avant de disparaître). Cette ultime barrière d’Arion se situe en face des carrières de plâtre, en dessous des deux moulins que nous apercevions tout à l’heure en quittant Paris. On les appelait à l’époque les moulins de Savy. Ils avaient été construits un siècle plus tôt, l'un entre 1683 et 1684, l'autre entre 1684 et 1698.

    La vue ci-dessous vous montre le chemin que nous avons suivi, vu depuis l’arrière de ces deux moulins.

Vue panoramique de Paris depuis Belleville en 1736, dessinée par Philippe-Nicolas Milcent


    Voici un détail de cette gravure sur lequel on devine des gens attablés sous les arbres et d'autres qui dansent sur le chemin.



Paris et ses faubourgs, au fil du temps.

    Je sais que vous aimez bien cela, alors une fois de plus, j'ai étudié pour vous les plans de Paris à travers les âges, afin de vous permettre de mieux imaginer la colline de Belleville et le quartier de la Courtille. L'emplacement de la guinguette de Ramponneau, est signalé par une bouteille rouge !
    Cliquez sur les images pour les agrandir. Des liens sous celles-ci vous donne accès aux cartes complètes.

Voici le Paris de 1760.

 


Lien vers le plan complet : Paris en 1760.


Voici le Paris de 1797.

 


Lien vers le plan complet : Paris en 1797.


Et voici le Paris de 2020 !

 





Entrons chez Ramponneau ! (Enfin ! 😉)

    Nous avons suffisamment marché et de toute façon, nous sommes arrivés à destination. Nous franchissons donc gaiement le seuil du fameux « Tambour royal ». Nous jetons un œil sur la grande salle remplie de joyeux clients et nous remarquons au passage les amusantes peintures murales. Sur l’une d’elles, Ramponneau s’est fait représenter en Bacchus (le dieu romain du vin), chevauchant un tonneau, avec cette devise éloquente « Monoye fait tout » (l’argent fait tout) et ces vers :

"Voyez la France accourir au tonneau

Qui sert de trône à Monsieur Ramponneau"

    Jean Ramponneau nous a aperçus. Il vient nous accueillir en personne et il nous offre une tournée de son vin blanc qui l’a rendu célèbre. Mais plutôt que le vin, c’est le prix auquel il le vend qui a fait son succès. En effet, Ramponneau a décidé de le vendre toujours 1 sou en-dessous du prix de ses concurrents.

    Louis-Sébastien Mercier, dans son "Tableau de Paris", en témoigne ainsi : 

« Tel est le fameux nom de Ramponeau, plus connu mille fois de la multitude que celui de Voltaire et de Buffon. Il a mérité de devenir célèbre aux yeux du peuple, et le peuple n'est jamais ingrat. Il abreuvait la populace altérée de tous les faubourgs, à trois sous et demi la pinte : modération étonnante dans un cabaretier, et qu'on n'avait point encore vue jusqu'alors ! »

    Trois sous et demi la pinte, ce n’est pas trop cher en effet, surtout qu’une peinte faisait 93 centilitres, presqu’un litre ! Je vous rappelle que le 14 juillet dernier, le prix d’un pain permettant de nourrir une petite famille avait atteint le prix de 14 sous et demi, alors que le salaire d’un journalier parisien n’était que de 15 à 20 sous ! 

    Nous remarquons cependant sur le tonneau derrière lequel se tient Ramponneau, qu’il est écrit "quatre sous". Nous allons devoir lui en parler ! Voir l’estampe ci-dessous (imprimée chez Basset, bien sûr).



Les richesses du Nivernais

    Les tonneaux et le vin, Ramponneau, ça le connait ! Avant de venir tenter sa chance à Paris vers 1740, le bonhomme né en 1724 vivait dans une région vinicole, le Nivernais, et son père était même un fabriquant de tonneaux. La province du Nivernais, située à environ 160 km à vol d’oiseau au sud de Paris, est devenue par la suite le département de la Nièvre. C’est dans le Nivernais, à Decize, que naitra Saint-Just en 1767 dont nous parlerons en temps voulu.

    Vivant aujourd’hui juste à côté de Pouilly sur Loire, je peux vous assurer, preuves à l’appui, si vous venez me rendre visite, que la Nièvre produit toujours d’excellents vins ! La Nièvre, outre son vin, était également riche de belles forêts, dont celle du Morvan. Elle envoyait depuis Clamecy vers Paris de grandes quantités de bois via la rivière Yonne qui se jette dans la Seine à Montereau-Fault-Yonne. Gageons que Ramponneau devait parfois vendre du vin de son pays natal, transporté peut-être dans les tonneaux de son papa, jusqu’à Paris !

 

Le département de la Nièvre, carte de 1852

Ramponneau, un homme heureux ?

    Le Tambour royal de Ramponneau pouvait accueillir jusqu’à 600 personnes et il ne désemplissait pas ! Il n’était pas fréquenté uniquement par des gens du peuples, toutes les classes sociales de Paris venaient s’y amuser. De grandes dames déguisées en soubrettes venaient dit-on s’y encanailler. Ramponneau fera fortune, puisqu’en 1772, il rachètera le "Cabaret de la Grande Pinte", qu’il rebaptisera "Les Porcherons". On a "malheureusement" construit en 1861 à la place de ce cabaret situé au milieu du Faubourg des Porcherons, l’église de la Sainte Trinité. Il laissera le Tambour royal à son fils et s’occupera dorénavant de ce nouveau cabaret.

    Il n’est cependant pas certain, que Ramponneau ait goûté tant que ça des plaisirs de la vie. Ramponneau était un homme pieux, comme tout le monde à l'époque (du moins dans le peuple) et son confesseur était un très austère janséniste. En 1760, ce dernier avait dissuadé Ramponneau d’honorer le contrat qu’il avait signé avec un montreur de marionnettes qui devait se produire dans son cabaret. La raison en était que pour les religieux, tout ce qui était lié au monde du théâtre était voué à l’enfer. Il en résulta un long procès qui passionna le Tout-Paris. Voltaire écrivit même un plaidoyer pour Ramponneau, devenu à cette occasion Genest de Ramponneau.

Le texte se trouve ici : Plaidoyer de Ramponeau

(Vous comprenez mieux à présent mon aparté sur le théâtre en début de l'article)

    Ramponneau eu quand même le bonheur de convoler trois fois en justes noces. Son dernier mariage eu lieu l’année de ses 70 ans...

 

Conclusion

    Cette année 1789 a été bien agitée. Tout le monde ne parle que de cela, ce soir chez Ramponneau.

    Au fond de la salle, des citoyennes s’esclaffent haut et fort autour d’une grande tablée. Il s'agit de quelques-unes des Dames de la Halle qui sont venues ce matin, en milieu de séance à l’Assemblée nationale, "présenter, au renouvellement de l’année, les témoignages de leurs respects et de leur reconnaissance, aux représentants de la Nation". « Vos noms », leurs ont-elles dits, « sont à jamais immortels par les bienfaits que nous avons reçus de vous : en apprenant à nos enfants à les prononcer avec amour, nous leur dirons, ce sont les noms de vos pères. »

Extrait du Journal de Paris,
en date du 1er Janvier 1790


    A la table à côté de nous, un citoyen plutôt bien mis de sa personne, parle avec émotion d’une pièce qui sera joué à partir de demain 1er Janvier 1790, au théâtre de la Nation. Il s’agit d’une comédie en un acte, intitulée « Réveil d’Epiménide », ou « Les Etrennes de la Nation ». Il semble être un ami de l’auteur, un certain Monsieur de Flins. Il explique à ses compagnons de table, un verre à la main, que cette pièce se termine par des couplets qui l’ont ému. Ils contiennent, précise-t-il les yeux embués de larmes, « une idée qu’il serait grand temps d’adopter enfin pour jouir du bonheur que nous avons conquis cette année et mérité ». Il les cite de mémoire :

J’aime la vertu guerrière

De nos braves Défenseurs ;

Mais d’un Peuple sanguinaire,

Je déteste les fureurs ;

A l’Europe, redoutables,

Soyons libres à jamais ;

Mais soyons toujours aimables,

Et gardons l’esprit Français.

 
Extrait du Journal de Paris,
en date du 2 Janvier 1790

    Ne vous y trompez pas. Lorsque j'évoque l'esprit français, il ne s'agit pas d'une forme de chauvinisme. Ce n'est pas un esprit supérieur aux autres, c'est un esprit plus léger, qui doit cette légèreté au plaisir de vivre. 
    Tout est fait de nos jour pour nous faire perdre cette insouciance de vivre. Mais si, comme Jacques le Fataliste, vous prenez le temps de réfléchir un peu, en vous étendant par exemple un instant dans un pré et en regardant les nuages passer (attendez qu'il fasse beau), vous réaliserez que la plupart des problèmes dont on vous rebat les oreilles, ne sont pas les vôtres ! Alors écoutez de la musique, chantez, souriez, et le bonheur reviendra de lui-même.

    Je vous souhaite d'avoir cet esprit français et de le conserver longtemps encore, et ce, quel que soit votre pays d'origine (Puisque, comme on disait en 1793, pour être Français, il suffit d'aimer la liberté).

Je vous souhaite également un bon réveillon une belle année nouvelle !






mardi 22 décembre 2020

Gare à la Seine, voici la Garre d’eau de l’Hôpital !

Station du métro aérien "Quai de la Gare"

     Il existe à Paris une station sur la ligne 6 du métro, dénommée « Quai de la Gare ». Son nom ne vient pas de la Gare d’Austerlitz toute proche ni d'aucune gare ferroviaire d'ailleurs, mais de l’ancienne gare fluviale, (gare d’eau à l’époque), connue sous le nom de "Gare de l’Hôpital" ou "Gare de la Plaine d’Ivry", construite à la fin du règne de Louis XV ; construite mais jamais achevée...

Une garre avec deux « r ».

    Vous pouvez voir cette gare fluviale sur quelques plans de Paris du XVIIIème siècle, dont celui que je vous propose ci-dessous, qui date de 1792. Vous remarquerez une fois de plus l’orthographe d’époque qui écrit garre, avec deux « r ».

Quartier de la Gare à Paris en 1792
Le plan complet se trouve ici : Plan routier de la Ville et des Faubourgs, 1792.

    J’ai trouvé intéressant de comparer cet extrait d'un plan de 1792, sur laquelle est représentée cette gare fluviale, avec une vue aérienne du Paris de 2020, via Google Earth. On reconnait encore l’hôpital de la Salpêtrière qui existait déjà, ainsi que le « Jardin du Roy », devenu le « Jardin des Plantes ». En revanche, il ne subsiste plus rien de la gare fluviale, si ce n’est le nom du quartier et celui de la station de métro.


    Plus de trace non-plus de la Bièvre, cette petite rivière qui se jetait dans la Seine pas loin dudit jardin du Roy (elle s'écoule à présent dans une conduite sous-terraine). J’ai signalé l’embouchure de celle-ci par un canard, mais j’aurais plutôt dû mettre un castor, puisque le nom de la Bièvre vient du mot gaulois "bebros" désignant les castors. 

    Certains plans anciens de Paris, dont celui-ci, la désignent également sous le nom de rivière des Gobelins. Ces gobelins n’avaient rien à voir avec les trolls folkloriques des contes et légendes, ni avec ceux des jeux vidéo. Les Gobelins étaient une famille de teinturiers d’origine flamande, qui était venue sous le règne du roi François 1er, installer ses ateliers au bord de cette petite rivière, (qui a donc dû en voir de toutes les couleurs).

Un projet original

    L’idée de cette gare était née en 1753 des réflexions d’un dénommé Destouches, qui l’avait soumise à la ville de Paris, sans suites. Sa destination aurait été de permettre à des bateaux de stationner sans risque pour décharger ou embarquer des marchandises. Le bassin ainsi créé aurait été isolé de la Seine par une estacade permettant le halage hors de l’eau des bateaux. Totalement isolé de la Seine, le bassin aurait été approvisionné en eau par la Bièvre toute proche.

    Ce n'est qu'en 1762 qu’un nouveau projet sera finalement retenu, celui de l’architecte Pierre-Louis Moreau-Desproux. Il s’agira d’une gare d’eau d'une superficie de 9 hectares pouvant recevoir jusqu’à 450 bateaux. Située au début du quai d'Ivry, au niveau du bac de la Rapée, la gare serait constituée d’une demi-lune de 270 toises de longueur sur 108 de largeur (1 toise = 1.949 mètre) et environ 5 pieds de profondeur (5 x 0.325 = 1.625m) dans les plus basses eaux. A chaque extrémité se trouveraient deux canaux de chacun de 8 toises de large (15.6m) servant l'un d'entrée et l'autre de sortie, couverts d'un pont de pierre de 4 toises d'épaisseur, à une seule arche, avec escaliers de chaque côté. Ce bassin serait séparé de la rivière par une levée de terre de 6 toises de largeur sur 4 toises de hauteur au-dessus des plus basses eaux, ayant dans son milieu une chaussée de pavé de 4 toises de largeur aboutissant par chaque bout aux ponts, bordée du côté du bassin d'une berge en pente douce de 8 toises de largeur construite en meulière avec mortier, de chaux, de sable, distribuée d'escaliers. La partie circulaire du bassin serait elle aussi, bordée d'une levée de 6 toises avec une chaussée au milieu. Le petit bâtiment que vous voyez sur la carte au milieu de l'arc de cercle aurait abrité le logement du gardien, des bureaux et un corps de garde. 

    Les travaux commencèrent en 1764, mais ils ne furent jamais terminés, même si le projet paraît l'être sur ce plan de 1792. Mais il en va des plans comme d’autres documents, on y représente parfois les choses telles que l’on voudrait qu’elles soient et pas nécessairement telle qu’elles sont. Je vous ai déjà appelé à la prudence concernant ce sujet, avec le magnifique plan de BretezLa preuve en est que sur le plan de Paris en 1797, il n’y a plus aucune trace de cette gare ! Regardez ci-dessous.


Le plan complet se trouve ici : "Plan géométral de Paris et de ses Fauxbourgs", 1797.

    Il vous faudra lire l'article jusqu'au bout pour connaître la cause probable de l'inachèvement de ce chantier. 😉

Fluctuat nec mergitur ?

    Il y a une bonne raison pour laquelle la devise latine de la ville de Paris signifie « Flotte mais ne coule pas » et que son blason représente un bateau. Paris a en effet eu la particularité d’être un port important depuis la plus haute antiquité, si ce n’est même depuis la nuit des temps !

    Parmi les plus vieux monuments gaulois de l’antique Lutèce que l’on ait retrouvés, figure en première place les vestiges morcelés du pilier des nautes, érigé au 1er siècle de notre ère par une riche confrérie de bateliers. 

Plus d’info sur le site du Musée Carnavalet en cliquant sur l’image ci-dessous :

Un élément du pilier des Nautes (1er siècle)

    Quant à "la nuit des temps", sachez qu’ont été retrouvés sur la rive droite de la Seine (en face de la Gare d’eau), lors de la construction du palais omnisports de Bercy, une dizaine de pirogues dont les deux plus anciennes datent de 4800-4300 av. J.-C ! 

Plus d’info sur le site du Musée Carnavalet en cliquant sur l’image ci-dessous :

Pirogue datant du néolithique, trouvée à Bercy

    Revenons à notre 18ème siècle révolutionnaire et amusons-nous à compter le nombre de bateaux dessinés sur le plan de Bretez, que je vous ai précédemment présenté. Le compte achevé, on peut se faire une bonne idée de l’importance de la navigation sur la Seine !

    Pour accéder au magnifique plan complet de la ville, cliquez sur l'image ci-dessous, qui représente l'ile Louvier (qui n'est plus une île depuis 1847).

Extrait du plan de Bretez représentant l'Isle Louvier.

Pourquoi mettre à l’abri les bateaux ?

    Il y avait déjà de nombreux ports à Paris. La fonction de cette gare était principalement de protéger les bateaux qui y seraient halés. Protéger de quoi ? Fort probablement de la glace ! 

    En effet, l’Europe a traversé un petit âge glaciaire durant les XVIIème et XVIIIème siècles. D’après certains chercheurs, en forçant les hommes à s'adapter à des conditions de vie devenues très rudes, cette courte ère glaciaire aurait même conduit aux progrès techniques et politiques du siècle des Lumières ! 

    Ce qui est certain, c’est qu’elle a grandement éprouvé les gens qui l’ont vécue. Le début du XVIIIème siècle avait débuté par le terrible hiver de 1709 et d’autres hivers rigoureux suivirent. Le climat de la France ressemblant tout à coup à celui de la Scandinavie ou du Canada, il devient courant de voir chaque hiver, les fleuves et rivières geler. Lorsque les températures remontaient, la débâcle survenait, c’est-à-dire que les rivières charriaient de gros blocs de glace qui causaient des dégâts importants, maisons sur les rives emportés, ponts brisés et bateaux fracassés.

Je vous renvoie au témoignage de notre ami Colson, en date du 27 Janvier 1789.

Une débâcle.

Mauvais esprit 😈

    D’importantes sommes d’argent ont dû être dépensées en pure perte, sur ce chantier qui occupa par moment jusqu’à 1800 ouvriers !

    Si j’avais mauvais esprit, je dirais qu’il est un peu regrettable qu'il n’ait pas été utilisé pour abriter les malheureux qui vivaient dans des conditions immondes le long des berges de Paris, plutôt que pour protéger les bateaux. Souvenons-nous du témoignage du général Thiébault dans ses mémoires, qui décrit ce qu’il vit à Paris en 1784 : « ces caves infectes où vivaient, le long des quais, cent mille de ces misérables, qui, dix fois l'an, étaient submergés par des pluies ou par les crues de la Seine, et souvent, de nuit, étaient forcés de porter leurs paillasses à la pluie ou dans la boue, pour ne pas être noyés ».

Lire mon article "A propos de la terrible misère au 18ème siècle".


Bon esprit 😇 (me faisant découvrir une cause probable de l'inachèvement du projet)

    En y réfléchissant bien, j'ai fini par deviner la raison probable pour laquelle le projet avait été abandonné. 

    Le mauvais côté de mon expérience professionnelle m'a d'abord fait supposer une sordide affaire de marché public, ou d'entrepreneur mettant la clé sous la porte sans payer les ouvriers. Mais le bon côté de mon expérience d'ingénieur m'a fait repenser aux aspects techniques et réglementaires de certaines opérations de travaux publics que j'ai été amené à conduire, précisément dans cette zone de Paris. En effet, il faut le savoir, ce secteur de Paris, ainsi que celui de la ville limitrophe d'Ivry, se situent en zone inondable. Pour cette raison, tous les projets d'aménagement urbains sont soumis à de strictes contraintes réglementaires, (qui ne vont tout de même pas jusqu'à interdire de construire des quartiers neufs sur lesdites zones).

    Je suis donc allé sur le site de la Préfecture et j'ai récupéré le zonage réglementaire du Plan de Prévention du Risque Inondation. La zone bleue correspond aux zones urbanisées situées en zone inondable. Au sein de cette zone, deux variantes sont définies : une zone bleu sombre, qui correspond à des secteurs de bâtis importants exposés à des niveaux de submersion potentiellement supérieurs à un mètre, et une zone bleu clair correspondant au reste de la zone inondable, exclusion faite des zones verte et rouge. (Voir détail des explication sur le PPRI).

    J'ai représenté sur l'extrait ci-dessous, l'emplacement de l'ancienne gare d'eau. Vous pouvez constater qu'il se trouve en zone inondable...

Extrait du PPRI

Source : Plan PPRI de Paris.

Plus d'infos sur le site de la Préfecture en cliquant sur l'image ci-dessous :


Qui l'eût cru ! (Jeu de mot)

    Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un plan équivalent de celui de l'actuel PPRI, sur lequel était représentée la crue de 1740, la plus importante crue relevée au 18ème siècle !

Regardez vous-même !

Conclusion

    La Seine n'étant régulée à l'époque par aucun bassin de stockage (Voir ce lien), ses crues étaient plus fréquentes et plus importantes que de nos jours (Voir plus haut le témoignage du général Thiébault), sans parler des risques de débâcles de glaces, que le réchauffement climatique a éloigné de nos soucis.

    L'emplacement choisi pour créer cette gare destinée à mettre à l'abri des bateaux était donc loin d'être le meilleur. Il est même fort probable que le chantier lui-même ait été inondé.

    Si quelqu'un m'apporte une autre explication, je lui en serai bien sûr reconnaissant et je mettrai à jour cet article immédiatement. 😊



Post Scriptum : En fait, Paris n'est peut-être pas si "nec mergitur" que ça ! 😉


samedi 19 décembre 2020

Point de vue d'un aristocrate via une brochure anonyme.

Ne pouvant avoir le portrait de l'aristocrate anonyme,
j'ai choisi cette estampe qui paraîtra en 1790, quand
les "aristos" commenceront à être très mal vus...

Premier bilan.

    Nous approchons de la fin de cette étonnante année 1789. Si vous avez lu tout ou presque de mes articles la concernant ; sincèrement, je me demande ce que vous en pensez. Que vous inspire ce chaos apparent ? Comment peut-on ne pas se poser de questions devant cette suite d’événements si improbables ? Quelle sorte de roi est donc Louis XVI, lui qui semble consentir à tout, mais qui dissimule tant de choses ? Quel est donc ce nouveau pouvoir que constituent les bourgeois du Tiers-État ? Ces derniers ont-ils préparé leur « coup » ? (Coup d’état ?) Ou n’ont-ils fait que saisir une occasion au milieu de ce qui ressemble à un début d’effondrement de l’Ancien régime ? Quelle est donc cette monarchie qui se présente ruinée et impuissante ? Impuissante d’agir au travers de ses institutions usées et corrompues, impuissante même à se protéger des factieux par ses armées ! Une impuissance difficilement compréhensible qui ne fera que se vérifier sans cesse tout le long de la Révolution !

Première théorie du complot.

    Cette incompréhensible impuissance a tellement consterné les gens de l’époque, que certains n’ont pu s’empêcher d’y voir le résultat d’un gigantesque complot, voire une tragédie surnaturelle ! L’Abbé Barruel publia depuis Londres, où il était réfugié, son ouvrage en cinq tomes intitulé «  Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme », dans lequel il échafaudait une théorie selon laquelle la Révolution française résultait d’un complot contre l'Église et la royauté, fomenté par les philosophes (bien évidemment tous athées), les mystérieux francs-maçons, et bien sûr les protestants ! 

    Vous pouvez accéder à cette bible de la pensée réactionnaire de toutes les époques en cliquant sur l'image ci-dessous :

    Grace à cet abbé imaginatif la Révolution avait enfin une explication ! Cerise sur le gâteau complotiste, Barruel prétendit que les Illuminés de Bavière, avaient infiltré la franc-maçonnerie et d'autres sociétés comme les nouveaux Templiers, les Rosicruciens, afin de renverser les pouvoirs en place, aussi bien politiques que religieux, pour asservir l'humanité. Rien que ça !

    Cette théorie du complot fit le bonheur de tous les réactionnaires qui trouvaient là enfin une explication plausible à l’effondrement de l’Ancien régime, et qui surtout, désignait des ennemis bien identifiés à combattre, c’est-à-dire les philosophes, les francs-maçons, les protestants d’une manière générale tous les libres penseurs ! A ces cibles désignées, allaient bien sûr très vite s’ajouter les Juifs, les ennemis jurés de la Sainte Église catholique et Romaine !

    Cette théorie infondée a eu un succès qui ne s’est jamais démenti ! Que ce soit Hitler et les nazis, Pétain et les collabos ou aujourd’hui des résistants d’opérette sur YouTube "qui veulent nous ouvrir les yeux", des milliers de gens ont toujours défendu cette théorie du complot, en y ajoutant même parfois les extra-terrestres !

(Humour)

Le travail des historiens

    Il semble que le travail des historiens soit souvent celui de donner une apparence d’ordre et de logique aux événements du passé, du genre : « Il s’est passé ceci, parce que tel "grand homme" a dit cela ou que telle bataille s’est produite juste avant ». C’est fort commode et cela satisfait l’esprit humain qui mécaniquement ne peut s’empêcher de vouloir donner du sens à tout, y compris à ce qui n’en n’a pas. De grands noms ont fait "leurs choux gras" en cultivant ce champs "du sens de l’histoire", armés de la binette conceptuelle du destin (tels que le pathétique Hegel). J’ai essayé de parler de cela dans un autre article. Mais laissons les historiens historicistes de côté et contentons-nous de réfléchir un peu ensemble.

Un article qui pique un peu.

Témoignages croisés

    Au travers de certains de mes articles, vous avez observé que certains événements importants ont fait l’objet de récits et d’interprétations différentes, y compris par des contemporains et même par des personnages ayant vécu l’événement ! En présence d’un fait étonnant, vous et moi, nous ne pourrons témoigner que de ce que nous aurons été capables de comprendre et de voir au travers de nos filtres sociaux-culturels respectifs. Vous et moi, nous pourrons être aussi sincères que nous le voudrons, mais sincérité n’est pas vérité. Avant de chercher une vérité, ce qui constitue un autre travers de l’esprit humain, essayons d’abord de mieux voir, et pour cela, tel un enquêteur consciencieux, recueillons un maximum de témoignages. Sur ce site, je ne vous dirai jamais quoi penser. Je me contenterai de vous donner de quoi penser.

Basset vous donne de quoi penser...

Le témoin manquant

Portrait façon silhouette
de l'aristocrate anonyme
    Un témoignage manquait dans ma chronique de cette année 1789, celui d’un aristocrate. Pas un de ces nombreux aristocrates acquis aux idées de la Révolution. Mais un vrai aristocrate réactionnaire, un pur royaliste défenseur de l’Ancien régime, qui puisse nous offrir sa vision personnelle et engagée des événements de cette année étonnante. J’ai découvert ce témoin en lisant un long article publié dans le numéro 23 du journal « Les Révolutions de Paris », concernant la semaine du 13 au 19 décembre 1789. Cet article figurant en page 15 porte le titre suivant : « Pamphlets ; découverte de quelques presses aristocratiques. ». Son auteur s’efforce de répondre à une brochure diffusée par des aristocrates, brochure qui invite le peuple à demander la dissolution à l’assemblée nationale, « où l’on outrage tous les députés qui se sont distingués par leur patriotisme ou par leurs lumières » ; où l’on demande aux Parlements des Provinces de se rebeller en cassant les décrets de l’Assemblée nationale, et où l’on invite même l’armée à prendre les armes pour secourir le roi ! "

Accédez au journal en cliquant sur l'image ci-dessous :

    Le journal « Les Révolutions de Paris » est très lu. Son créateur et premier rédacteur fut un écrivain assez obscur, nommé Tournon. Mais le journal "Les révolutions de Paris" dût son succès à son éditeur, Louis Marie Prudhomme qui n'en était pourtant que le directeur-propriétaire, et à son principal rédacteur, le jeune et brillant Elisée Loustallot. (Tournon se brouilla assez tôt avec Prudhomme, et il quitta le journal après la publication du n° 15)

    Grâce au talent de Loustallot, le journal eu rapidement du succès (200.000 lecteurs dès ses début). Loustallot avait pris part à de nombreux événement révolutionnaires. Il défendait tout particulièrement les droits de l'homme et la liberté de la presse. Hélas le malheureux mourut très jeune le 19 septembre 1790, à l'âge de 28 ans.  Parmi les rédacteurs qui succédèrent à Loustallot, figurèrent entre autres, Fabre d'ÉglantineLéger-Félicité Sonthonax (abolitionniste réputé)Sylvain Maréchal (Anticlérical) et Pierre-Gaspard Chaumette (dit Anaxagoras). Le sieur Prudhomme avait également une plume acérée. Il fit paraître en effet en 1792 un violent pamphlet intitulé « ÉTRENNES de Louis Prudhomme à Louis XVI, pour 1792 », exhortant le roi à se rallier aux principes de la Révolution, sous peine de mort. L'opuscule se terminait par la question suivante: "Le sang des despotes est-il donc si pur, qu'on n'ose le verser pour en épargner des torrents aux nations?".

    On ne sait donc pas qui a écrit cet article dans le journal de Prudhomme. Mais on ne sait pas plus qui est le rédacteur de cette virulente brochure aristocratique dont on apprend qu’elle a été imprimée sur des presses dissimulées chez Samson, le célèbre bourreau (qui plus tard, décapita Louis XVI).

Ouvrez donc les yeux !

Ouvrez donc les yeux ! (Air connu chez les fans de théories du complot)

    Ce pamphlet aristocrate s’intitule : « Ouvrez donc les yeux ! ». Il est signé d’un certain Chevalier de K. qui a préféré garder l’anonymat. On sait seulement qu’il est soldat (page 48) On peut comprendre le souhait de son auteur de vouloir rester discret, car la peur est en train de changer de camp. Le temps est passé où l’on envoyait l’auteur d’un livre, libelle ou poème déplaisant à l’autorité royal, à la Bastille ou dans quel qu’autre obscur cachot. En 1789, on ne brûle plus le dictionnaire philosophique de Voltaire, on le lit plus que jamais. Cet auteur regrette le bon vieux temps des bûchers de livres et fulmine plusieurs fois contre la liberté qui vient d’être accordée à la presse (pages 21, 38 et 75).

    Cet ouvrage de 78 pages est attribué, soit à Joseph-Mathieu d’Agoult (d'après Barbier), soit à Pierre-Antoine Duprat (d'après Martin et Walter). La BNF a retenu les deux hypothèses : Joseph-Mathieu d’Agoult ou Pierre-Antoine Duprat.

    Ce rdocument est particulièrement intéressant par ce qu’il raconte "autrement", des d’événements dont je vous ai fait le récit au cours de cette année 1789. Il est bien sûr de parti pris (celui de la monarchie absolue), mais tout autant de parti pris que les écrits des Révolutionnaires. Des petits morceaux de vérité se cachent peut-être donc dans les détails ! Ce n’est pas de la grande littérature. L’auteur interdit même que l’on se moque de ses fautes d’orthographe ! Comme il le dit lui-même (page 40), il écrit « en maître irrité ». Il attaque encore et encore. Mais il ne propose jamais de vraies solutions alternatives pour sauver cet Ancien régime qui s’effondre et sa lecture révèle en grande partie son incompréhension de la situation.

Le rêve d’une insurrection générale.

    L’auteur rêve d’un retour à la case de l’échiquier où le régime croyait encore mener le jeu, c’est-à-dire à la séance royale du 23 juin 1789 (page 44). Il argue du fait que les décisions prises par les États généraux peuvent toutes être cassées par un arrêt de cour, comme le fit le parlement de Paris en 1594 en annulant les « prétendus états généraux » de 1593 (A noter que l’auteur se trompe dans les années).

    Pour réaliser son rêve, il implore successivement d’intervenir, l’administration, les paysans des provinces, le « vrai clergé » (celui des nobles évêques, pas celui des curés), les nobles, les parlements, les armées, le roi et même Dieu ; ne manquant pas chaque fois de reprocher à tous (sauf à dieu et au roi) leurs fautes qui ont contribué à ce désastre !

    Jamais il ne mentionne le nom de l’Assemblée nationale qu’il persiste à désigner sous le nom d’États-Généraux ! Il se moque de l’idée d’égalité et montre par ses arguments qu’il ne la comprend pas ; l’égalité des droits n’est pas l’égalité des situations et des richesses. Il affirme (page 62) que « les hommes ne sont pas faits pour être tous égaux, ou bien la société disparait »…

 Pour l’auteur, les révolutionnaires sont des brigands (lisez mon article "Brigands sous prétexte de disette") et « les brigands ne sont d’aucune nation » affirme-t-il page 50. Il aurait suffi de pendre « tous ces crieurs de libelles menteurs & séditieux, ainsi que leurs auteurs » (page 12) et l’affaire aurait tourné court. Il ne mentionne pas le nom le leur chef « à l’âme si basse qu’il n’ose se montrer à visage découvert » (page 15). Mais il concentre sa colère sur « l'exécrable abbé Fauchet, plus méchant que l'enfer, dont il est sorti » (page 3) ; bouillonnant abbé qui fut effectivement de tous les grands événements de la Révolution.

    Il tente de prouver que les nombreuses armées stationnées autour de Paris n’étaient pas là pour réprimer les Parisien (Il semble d’ailleurs qu’il minimise le nombre de régiments en présence), et il décrit l’épisode malheureux du 12 juillet aux Tuileries comme une regrettable méprise (pages 10 et 11), un incident. Il regrette tout de même que l’armée se soit mise en position de bataille, ce qu’il considère comme une maladresse.

    À propos des Parisiens, notons, comme il est d’usage depuis longtemps, qu’il essaie de monter les provinciaux contre ces derniers (pages 27 & 44). Cette vieille recette a souvent marché, malheureusement. Même si la plupart des Parisiens sont depuis toujours des provinciaux qui sont montés à Paris pour travailler. Il semble ignorer que nombre de châteaux, d’autres Bastilles, ont brûlé dans nombre de provinces durant l’été !

    Il se désole de la fuite du frère du roi, le comte d’Artois, « Ma plume s'arrête , je frémis, mes cheveux se dressent sur ma tête…. ». Il reconnait pourtant à propos de ce prince : « je sais que ses dépenses ont été excessives, que le feu de la jeunesse, son cœur sensible & trop généreux l’ont souvent porté à méconnaitre le prix de l’or » (page 14).

    Selon lui, si le blé et l’argent manquent, c’est uniquement à cause de l’administration, puisque "Nous avons la plus belle récolte en grains qu'on ait depuis longtemps"  et que "Le royaume, à lui seul, a plus d’argent que la moitié de l’Europe" (page 4). Ce qui ne l’empêche pas plus loin de se moquer cruellement de la nouvelle administration mise en place (page 28).

    Il demande au roi d’agir ou de donner l’ordre d’agir, assurant aux Français que ce bon père leur pardonnera tous leurs égarements, y compris ceux des armées qui ont pris le parti des insurgés durant les événements ! Il assure que le roi pardonnera aux Gardes françaises et plus loin il demande à sa majesté d’augmenter les soldes des soldats (pages 57 & 58).

    Selon lui (page 27) « On accuse toujours les aristocrates. C'est le grand mot ; il est dans la bouche de tout le monde, & personne ne l'entend. N'importe, on cherche toujours ces aristocrates, on ne les trouve pas : on ne saurait les trouver, puisqu'ils n'ont jamais existé. » Bizarrement, l’aristocrate qu’il est, a non seulement dissimulé son nom mais aussi les presses qui ont imprimé sa brochure réclamant l’insurrection générale ! A part ça, il n’y a pas de parti des aristocrates…

    A noter qu’il fait une comparaison malheureuse entre la fuite des nobles hors de France et l’exode des Protestant qui suivi la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV. L’émigration des Protestant affaiblit effectivement la France, car nombre d’entre-eux étaient des citoyens très actifs qui avaient contribué à l’enrichissement du pays.  Alors que les nobles en fuite ont pour la plupart été des oisifs qui ont contribué à la ruine du pays par leur train de vie (pensionné par l’état) et leur désintérêt pour le travail sous toutes ses formes (commerce, industrie, et agriculture).

Costumes de la pièce Charles IX
    Dans sa fougue, il ajoute deux Post Scriptum pour s’en prendre à la reprise de la pièce Charles IX dont je vous ai parlé dans un article, qui remporte un vif succès (pages 71 à 74). Il poursuit par une tirade élogieuse sur une pièce intitulée « le père de famille » qu’un anonyme lui a fait parvenir (pages 74 à 76). Il ne s’agit bien sûr pas de la pièce de Diderot. Il lui signale malgré tout quelques erreurs historiques. Son second Post Scriptum (pages 76 à 77) concerne l’affaire des boucles de chaussures en argent dont je vous ai parlé dans un article .

    J’ai tout de même trouvé intéressants ses récits des journées des 12 juillet (pages 7 & 8), 13 juillet (page 16), 14 juillet (pages 16 et 17), 17 juillet (pages 19 & 20) et 5 octobre (page 23 à 26). Certains détails varient bien sûr des autres récits, ce qui est normal. Il semble de plus n’être pas bien informé. Mais on retrouve là encore son incompréhension des événements, qui ne peut trouver d’autre explication que celle d’un complot.

Un complot ? Soyons sérieux !

    L’auteur affirme que les électeurs pour les États-Généraux ont été achetés, en particulier pour ce qui concerne le Clergé qui s’est vu représenté par une armée de petits curés ! Il se lamente en page 35 du fait que : « la véritable noblesse & le véritable clergé réunis, ne font pas un sixième des États-Généraux ». Par véritable clergé, il entend le haut clergé, celui constitué par les évêques et archevêques, tous nobles ! Page 37, il se scandalise du fait que le « Tiers, qui, à lui tout seul, s'est constitué la Nation ». Mais le Tiers-État, dans la réalité, représentait effectivement 98% de la population ! Et les quelques nobles ainsi que tous les curés qui ont finalement rejoint le Tiers, n’ont fait que rejoindre la nouvelle Nation en train de prendre conscience d’elle-même ! 

    Point n’était besoin d’un sombre complot ourdi par La Fayette, le Duc d’Orléans, les Francs-maçons ou qui sais-je encore ! L’Ancien régime, avec toutes ses institutions inefficaces et obsolètes, s’effondrait de lui-même, comme un château de cartes. Dans un pays aussi morcelé que la France, avec ses lois, us et coutumes, poids et mesures, monnaies et langues qui changeaient d’une région à l’autre, seul le roi aurait pu comploter quelque chose. Comme je l’ai d’ailleurs évoqué dans mon article sur les "brigands", Adolphe Thiers dans son histoire de la Révolution française, émit l’hypothèse étonnante, selon laquelle « les courriers envoyés partout en France pour annoncer l’arrivée des brigands (durant la grande peur de l’été 1789), relevaient d’une initiative de la cour. Eux seuls étaient en effet capables de franchir aisément tous les postes de contrôles. L’idée aurait été d’armer les provinces pour les opposer à Paris, car la cour ne croyait pas à une révolution générale du royaume. »

Ambiance complot avec le
Cavalier au Masque

    Je ne nie pas que certains évènements aient été un peu préparés. Des fusils ont été distribués au peuple, des soldats ont été achetés, quelques émeutes ont été organisées. Mais nul n’était besoin d’en faire trop car le feu ne demandait qu’à prendre !

    L'historien HyppoliteTaine a méticuleusement compté qu'il y avait eu 300 émeutes en France depuis le début de l'année 1789, avant la prise de la Bastille ! (Taine, Révolution, t. I, ch. I.). Pire ! Plus de 900 émeutes ont été dénombrées à travers tout le pays depuis 1786 ! Que la prise de la Bastille ait été un peu organisée n’a rien changé au fait qu’une atmosphère d’insurrection régnait depuis des mois, voire des années !

Faites-vous votre opinion !

    Rappelez-vous que le Citoyen Basset n’est pas là pour vous dire quoi penser, mais pour vous donner de quoi penser ! Alors lisez la brochure de ce mystérieux aristocrate et faites-vous une opinion.

    Cette brochure de 78 pages entreposée dans la bibliothèque numérique de l’université de la Colombie Britannique du Canada à Vancouver. Vous pouvez le lire en ligne via la fenêtre en bas de page et vous pouvez même le télécharger via ce lien :

https://open.library.ubc.ca/media/download/pdf/frenchrevo/1.0427327/0


Post Scriptum :

    Notre quidam aristocrate produira une autre brochure encore plus rageuse l’année suivante, en 1790. Elle s’intitulera « A présent, crevez-vous les yeux ! 

    Il faut dire aussi à sa décharge qu'en 1790, un violent sentiment anti-aristocrates commencera à se diffuser au sein de la société française, une antipathie qui se manifestera au travers d'estampes comme celle-ci...

Chasse aux aristocrates (1790)