Bateau à cage d'écureuil Source |
Voici un article à ma façon, sur un abbé inconnu, mécanicien et inventeur de son état, avec une digression sur les machines à vapeur que j'ai jugée nécessaire... 😉
Je vous ai déjà parlé des abbés révolutionnaires, distribuant des armes, brandissant le sabre devant la Bastille ou morigénant les riches dans des sermons incendiaires. Mais je ne vous ai pas encore parlé d’abbés
mécaniciens inventeurs. C’est le cas de l’abbé Claude-Simon de Mandres, né à
Amance en 1728, curé de Donneley, de l’Evêché de Metz. (Aujourd’hui Donnelay
dans la Moselle).
Cet abbé ingénieux consacra probablement plus de temps à la
mécanique qu’à ses ouailles. Durant des années, en effet, il ne cessa jamais d’inventer,
de perfectionner et de faire la publicité de ses machines. Il y consacra tant
de son temps et de son argent qu’il se ruina presque et qu’il sollicita l’Assemblée
nationale pour l’obtention d’une pension pour son ouvrier Joseph Girard et
lui-même, eut égard à ses investissements durant tant d’années (pétition à l’Assemblée
du 18 décembre 1791). Il dû aussi très souvent réclamer l’argent qui lui était
dû pour les travaux accomplis par ses machines. Et il eut même à défendre la
paternité de ses inventions ! Raison pour laquelle il fut l’un des membres
fondateurs de la Société des inventions et découvertes, auprès de laquelle il
déposa un brevet d'invention le 28 septembre 1791 pour un "levier-moteur
à pédales, au moyen duquel les hommes agissaient à la fois avec le poids du
corps et leur force musculaire" (une sorte de cric elliptique).
Lors de la séance du 13 octobre 1789, six commissaires
avaient été nommés pour examiner un mémoire de l’abbé de Mandres concernant une
découverte « très intéressante pour les arts et très-utile pour les ports
de mer et les villes de guerre. » Le président avait alors désigné
Messieurs De Vialis, Bureau de Puzy, Malouët, De Phélines, De
Bousmard et le marquis de Vaudreuil.
Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1877_num_9_1_5169_t1_0415_0000_3
Ce 15 décembre 1789, lesdits commissaires viennent rendre
compte de leur mission devant l’Assemblée.
Présentation d'une machine inventée par l'abbé Demandre,
lors de la séance du 15 décembre 1789
M. Bureaux de Puzy. L'Assemblée avait chargé des commissaires d'examiner une machine dont M. l'abbé Demandre est auteur. Il résulte de notre examen que ce mécanisme, très-simple et infiniment ingénieux, peut s'appliquer avec avantage aux pompes d'épuisement, aux sonnettes à battre des pieux, etc., et qu'il double les forces des hommes. M. l'abbé Demandre a aussi fait l'application de sa machine à la navigation. Des pièces très-authentiques et la notoriété publique prouvent que, dans un des endroits où le Rhin a le plus de rapidité, trente bateaux, attachés à la suite les uns des autres, et dont quatre étaient remplis de gravier, ont facilement remonté ce fleuve par le moyen de ce mécanisme, auquel huit hommes étaient employés.
M. Malouet. On a fait à Toulon l'essai de la machine de M. Demandre, et le succès a été complet.
L'Assemblée témoigne le désir de voir cette machine : M. le président annonce qu'elle sera exposée sur le bureau avant l'ouverture d'une des prochaines séances.
Aimable avertissement 😊
Vous trouverez en bas de cet article trois fenêtre donnant
accès à des documents rédigés par l’abbé de Mandres. Mais auparavant, comme évoqué en introduction, je souhaiterais évoquer le développement des machines à vapeur au 18ème siècle. Vous comprendrez ainsi pourquoi les inventions de l'abbé étaient en passe de devenir anachroniques.
Projet de barge à curer les ports |
La fin d’une époque.
J’ai eu beaucoup de mal à trouver des informations sur l’abbé
de Mandres (l’orthographe du PV de l’Assemblée m’ayant lancé de plus sur des
fausses pistes). J’ai éprouvé encore plus de difficultés à comprendre en quoi
consistait ses inventions. En 1785 Claude-Simon de Mandres avait effectivement obtenu un privilège
du roi pour la construction d'un bateau de son invention, dit « levier-moteur »
et deux ans plus tard (29 et 3 décembre 1787) il avait fait ses premières
expériences officielles à Strasbourg. C'était un bateau constitué d’une
plate-forme sur laquelle était placé un cabestan et une roue centrale mue par
vingt hommes, qui mettaient en mouvement deux roues avec des pagaies placées de
chaque côté du bateau.
Mais ce que j’ai surtout compris, c’est que les inventions de l’abbé n’étaient que des améliorations d’antiques systèmes utilisant la force humaine. Celles-ci étaient probablement astucieuses, mais elles ne constituaient pas un réel progrès. C’était un peu comme si un brave gars s’évertuait à perfectionner la taille des silex, pendant que son voisin découvrait la fabrication des haches en bronze.
Le temps n’était
plus à perfectionner les sonnettes à battre des pieux par des moyens humains
astucieux, mais à découvrir une nouvelle force motrice, autre qu’animale !
Fiche technique en pdf |
Des roues et de la vapeur !
Roues à aubes
Sans vouloir faire du tort à ce brave abbé De Mandres, son
invention n’était probablement pas très originale. Beaucoup de tentatives avaient
été faites depuis le début du 18ème siècle, pour mouvoir les bateaux "autrement",
avec des roues à palmes, pagaies ou aubes, mais aussi avec des moteurs à vapeurs que l’on appelait
des pompes à feu.
L’application des roues à aubes à la navigation, était d’ailleurs
loin de constituer une idée nouvelle. L’idée de réunir sur une roue un certain
nombre de rames, afin d’obtenir un emploi plus commode de la force motrice,
remontait à l’antiquité. Les roues à palettes étaient au nombre des machines
très anciennes connues de l’architecte romain Vitruve mais dont il ne connaissait
d’ailleurs pas les inventeurs. Il existe des médailles romaines qui
représentent des navires de guerre (liburnes) armés de trois paires de roues,
mues par des bœufs et ceux-ci sont également mentionné dans le De rebus bellicis, un traité de guerre romain. Des navires mus par des
roues à aubes tournées par des bœufs, auraient transporté les Romains en
Sicile, pendant la première guerre punique !
De rebus bellicis |
Un écrivain militaire du XVe siècle, Robert Valturius, fit aussi mention de la substitution des roues à aubes aux rames ordinaires. Il donna, dans son ouvrage, les dessins, grossièrement exécutés, de deux bateaux munis de petites roues en forme d’étoiles, et composées de l’assemblage de quatre rayons placés en croix, réunis à un centre commun. Voir ci-dessous :
Lien vers le livre joliment illustré |
Un mécanicien, nommé Duquet, avait fait à Marseille et au Havre, de 1687 à 1693, un grand nombre d’essais avec des rames tournantes, composées chacune de quatre rames courtes et larges, opposées deux à deux et placées en croix. Ces expériences avaient produit en France beaucoup d’impression, et cette idée ne tarda pas à y être poursuivie.
En 1732, le comte de Saxe présenta à l’Académie des sciences de Paris, le plan très-bien conçu, d’un bateau remorqueur ayant de chaque côté une roue à aubes, que faisait tourner un manège de quatre chevaux. « Ces roues, dit le comte de Saxe, faisant le même effet que les rames perpendiculaires, il s’ensuivra que la machine remontera contre un courant, et tirera après elle le bateau proposé. »
Et vive la vapeur !
La vapeur non plus, ce n’était pas une technique nouvelle,
puisqu'au premier siècle après Jésus Christ, le génial Héron d'Alexandrie
avait inventé l'éolipyle, une chaudière hermétiquement close d'où partaient
verticalement deux tubes en coude. L'extrémité de ceux-ci portait une sphère
creuse, munie de deux tuyères recourbées et qui pouvait pivoter librement sur
son axe horizontal. Cette ingénieuse turbine pouvait tourner sur elle-même à
une vitesse de 1500 tours par minutes. Il aurait suffi de relier tout cela
à une courroie et à un arbre d'entraînement puis d’inventer le piston, pour
débuter une ère industrielle ! Mais à quoi bon dans cette époque où la
main d’œuvre fournie par les esclaves coûtait si peu ?!
l'éolipyle d'Héron |
Le siècle de la vapeur !
Il fallut donc attendre le 18ème siècle, le
siècle des inventions, pour que la vapeur puisse entrer en action ! Les
premières applications importantes furent celles des pompes à vapeur destinées
au relevage des eaux, comme la pompe à feu de Chaillot à Paris,
Pompe à feu de Chaillot en 1781 |
Navires à vapeur
Concernant la navigation, le petit bateau que Denis Papin avait
construit en 1707, pour gagner par la Weser le port de Brême puis l’Angleterre,
était déjà propulsé à l’aide de rames tournantes. Mais les historiens ne sont pas certains que son bateau ait déjà été équipé d’une machine à vapeur. Peut-être ne faisait-il simplement qu’emporter les plans et les pièces détachées d’une invention
qu’il se proposait de mettre au point à la Royal Society de Londres. De
toute façon, les bateliers de la Weser détruisirent son bateau et cela mis fin à
ses recherches sur la propulsion par la force expansive de la vapeur d’eau.
Les bateliers détruisant le bateau de Denis Papin |
C’est à la suite du travail du comte de Saxe évoqué plus haut, que l’Académie des sciences avait été amenée à mettre au concours en 1753 la question "des moyens de suppléer à l’action du vent pour la marche des vaisseaux". C’était le physicien suisse Daniel Bernoulli qui avait remporté le prix en démontrant, hélas pour la vapeur, que la seule machine à vapeur connue à l’époque, celle de Newcomen, était incapable de faire avancer un navire. Mais tout n'allait pas s'arrêter là !
Daniel Bernoulli |
Ce fut le génial écossais James Watt, vers 1770, qui fit réellement progresser la technique de la machine à
vapeur, avec sa machine à simple effet, qui eut pour résultat de diminuer de trois quarts la dépense du combustible, d’augmenter l’intensité de l’action
motrice et de diminuer les dimensions de la machine.
James Watt |
Machine à vapeur de Boulton et Watt en 1784 |
Jouffroy d'Abbans |
C’est le Français Claude François Dorothée, marquis de Jouffroy d’Abbans qui fit voguer les premiers vrais navires à vapeur !
Il se rendit célèbre, une première fois en 1776 en faisant naviguer sur le Bassin de Gondé (Doubs) son bateau à vapeur "Le palmipède" qui actionnait des rames en formes de palmes (pas assez puissant cependant pour naviguer sur une rivière), puis une seconde fois le 15 juillet 1783 à Lyon, en faisant remonter la Saône par son "Pyroscaphe" de 46 mètres de long, durant 15 minutes, entre la cathédrale Saint-Jean et l’Ile-Barbe, en présence de dix mille spectateurs qui se pressaient sur les quais, et sous les yeux des membres de l’Académie de Lyon.
Le pyroscaphe remontant la Saône le 15 juillet 1783. |
Un procès-verbal de l’événement et un acte de notoriété, furent dressés par les soins de l’académie de Lyon. Mais pour obtenir un brevet, son bateau devait naviguer à Paris, devant les commissaires de l'Académie des sciences. Les Lyonnais continuent de dire qu’il fut victime de la jalousie des Parisiens, mais dans les faits, Jouffroy eut de nombreux déboires financiers et lorsqu’arriva la Révolution, il choisit d’interrompre ses travaux et de partir en exil. Il ne revint en France qu'en 1795, mais ne reprit ses travaux qu’en 1816.
Maquette du pyroscaphe, au musée de la Marine |
L’Histoire a surtout retenu le nom de l’ingénieur
américain Robert Fulton qui fit voguer sur la Seine le 9 août 1803, le
soi-disant premier bateau à vapeur, mais lui-même aurait déclaré : « Si la
gloire ne devait revenir qu’à un seul homme, elle reviendrait à l’auteur des
expériences menées sur la Saône à Lyon en 1783 »
Sources : J'ai trouvé nombre des infos ci-dessus dans le livre "Les Merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes"
Revenons vers notre abbé de Mambres
Ma digression sur les machines à vapeur nous a fait perdre de
vue les initiatives de l’abbé de Mambres. Voici comme promis quelques-uns de
ses écrits. Dommage cependant qu’il n’y ait pas de plans de ses inventions !
1789 Mémoire à Nosseigneurs,
Nos seigneurs de l'Assemblée nationale, à Versailles :
1790, Précis des pièces de l'abbé de
Mandres, relativement à sa découverte, et aux avantages qui en résultent :
18 Décembre 1791, Pétition à l’Assemblée nationale par Claude-Simon
de Mandres :
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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand