mardi 1 décembre 2020

1er Décembre 1789, Falcon lance la Vedete des Alpes ou la sentinelle de la liberté.

 (Désolé pour "Vedete", l'orthographe est d'époque ! )

Portrait charge (caricature) aquarellé de Jean-Charles Falcon
par Jean-Pierre Colin (XIXe) Bibliothèque municipale de Grenoble

    Mais qui est donc cette "vedette des Alpes" ou cette "sentinelle de la liberté" ? S'agit-il seulement du journal lancé par le sieur Falcon, ou bien serait-ce Falcon lui-même dont nous pouvons contempler ci-dessus la caricature ?

Quelques mots sur le journal

    En cette année de la liberté, comme on l'appellera plus tard, de nombreux nouveaux journaux fleurissent sur tout le territoire, diffusant les idées nouvelles. Celui-ci est rédigé et publié par Jean-Charles Falcon, à Grenoble, dans le Dauphiné. Le Dauphiné est une province propice aux idées révolutionnaires, puisque, souvenez-vous, c'est dans cette belle région qu'en juin 1788 (Journée des tuiles) et juillet 1788 (Assemblée de Vizille), eurent lieu des événements annonciateurs de celle-ci.

Ci-dessous, la journée des tuiles et l'Assemblée de Vizille :

 

Ce journal changera plusieurs fois de nom :

  • Du 1er décembre 1789 au 14 février 1790 (n°66) : "La Vedete des Alpes ou le Courrier du Dauphiné". 
  • Variante du 10 au 30 décembre 1789 : "La Vedete des Alpes ou la Sentinelle de la liberté". 
  • Du 16 février 1790 au 6 décembre 1792 (n°127) : "Journal patriotique de Grenoble". 
  • Du 9 décembre 1792 (n°128) au 12 mars 1798 (n°182) : "Courrier patriotique des départemens de l'Isère, des Alpes et du Mont-Blanc, ou l'Ami de l'égalité".

Evoquons à présent plus longuement Jean-Charles Falcon

Stendhal

    Le bonhomme aurait pu tomber dans un oubli total, mais un heureux hasard fit qu'il croisa plusieurs fois sur son chemin celui qui allait devenir le grand Stendhal. Ce seul fait eut été insuffisant bien sûr, si la personnalité de Jean-Charles Falcon n'avait pas séduit le jeune Stendhal au point que celui-ci le prit pour modèle de personnage dans ses romans.

    Stendhal garda en effet un souvenir ému de ce petit homme qui avait marqué son enfance. Il le décrivit ainsi dans "La vie de Henry Brulard" : "Il avait un grand toupet à l’oiseau royal parfaitement poudré et arborait un bel habit rouge à grands boutons d’acier..." et Stendhal d’ajouter : "C’est le plus bel échantillon du caractère dauphinois... Il y avait dans ce laquais une âme vingt fois plus noble que celle de mon grand-père, de mon oncle, je ne parlerai pas de mon père et du jésuite Séraphie". Stendhal fit également de Falcon le modèle du libraire libéral Falcoz, de Verrières, chez qui Julien Sorel, enthousiaste, conduit Madame de Rênal dans "le Rouge et le Noir" et du libraire Schmidt dans "Lucien Leuwen". Le libraire et journaliste Jean-Charles Falcon constituait une figure exemplaire du jacobinisme dauphinois.

    Stendhal écrivit dans "Vie de Brulard" : "Ces livres de mon oncle portaient l'adresse de M. Falcon, qui tenait alors l'unique cabinet littéraire ; c'était un chaud patriote profondément méprisé par mon grand-père et parfaitement haï par Séraphie et mon père. Je me mis par conséquent à l'aimer…"

Les vignes de Chapareillan

    Jean-Charles Falcon naquit à Chapareillan en 1746 (ou 1747 ou 1752, voire e 4 novembre 1753 selon les sources), dans le Grésivaudan (Isère), d'un père laboureur. Selon Stendhal, il aurait d'abord été laquais chez une dame noble de la rue Neuve, à Grenoble. Après avoir "étudié la librairie pendant quinze ans à Paris, à Lyon, à Grenoble", comme il l'écrit lui-même dans une requête de 1779, notamment chez les libraires grenoblois François Brette et Joseph Cuchet, il obtient l'autorisation d'ouvrir une boutique pour "vendre toutes sortes de vieux livres".

Vue de la ville de Grenoble au XVIIIe siècle

    Il fut reçu le 5 nov. 1779, après un recours auprès de la juridiction consulaire de Grenoble. En 1781 et 1782, des exemplaires des œuvres de Rousseau et du "Dictionnaire encyclopédique" qu'il avait commandés, furent saisis par le syndic de la communauté. Dans les années 1780, il s'affilia à la loge maçonnique de la Parfaite Union. Dès 1789 il prit une part active au mouvement révolutionnaire comme membre (dès janvier 1790), puis secrétaire (à partir de juillet 1793) et enfin président (du 22 juillet au 18 août 1794) de la Société populaire de Grenoble, qui se réunissait en l'église Saint-André, face à sa boutique, où il tenait un cabinet de lecture par abonnement.

Eglise Saint-André de Grenoble

    Membre de la Société populaire de Grenoble dès le 28 janvier 1790, Falcon se fit remarquer dans les clubs. On reprochait à Falcon ses inconséquences et ses propos peu réfléchis en beaucoup d'occasions. Il écrivit par exemple, en 1790 : "Le sieur Falcon, libraire à Grenoble, prévient tous les manufacturiers, marchands, débitants de feuilles aristocratiques ou qui ne sont pas dans le sens de la Révolution, qu'il n'entend rien tirer de leurs magasins, et qu'excédé des envois multiples de leurs échantillons, il ne se bornera plus à les faire brûler devant la porte de son bureau, mais qu'il les leur renverra par la poste".

Place Saint André de Grenoble sur laquelle se trouvait la librairie de Falcon
Vue sur le Parlement du Dauphiné (début XIXe siècle, lithographie d'Hague Louis)

    De décembre 1789 à février 1791, il rédigea et édita les journaux : "Bulletin patriotique", puis "La Vedet(t)e" des Alpes", puis "Journal patriotique de Grenoble". En octobre 1793, il fut signalé à la Convention pour son "apostolat civique"(1), ce qui lui valut d'être objet de chansons. Devenu suspect après la chute de Robespierre le 9 Thermidor (27 juillet 1794), il perdit sa qualité de notable en novembre 1794. Par un arrêt du conseil général de la municipalité du 11 août 1795, sa librairie fut mise sous stricte surveillance. Il fut nommé chef de brigade adjoint à la garde nationale sous le Directoire. Admirateur littéraire de Bonaparte, son cabinet de lecture aurait été sous l'empire, chose étrange, un "lieu de réunion du parti aristocratique de la ville".

     Plus tard, d'après Henri Martineau (le promoteur de Stendhal au XXe siècle), ses anciens adversaires eux-mêmes témoigneront qu'il n'avait jamais dénoncé personne et qu'il avait rendu de réels services à de nombreux individus compromis. Jusqu'en 1821, Falcon publia sous le titre de "Cabinet politique et littéraire" plusieurs catalogues de livres et journaux qu'il distribua. Breveté libraire le 1er janvier 1813 (brevet renouvelé le 4 juillet 1818), il tient sa boutique et son cabinet jusqu'en 1828 et il décéda le 16 juin 1830 à Grenoble. Jusqu'au terme de sa vie Jean-Charles Falcon restera fidèle à ses idéaux égalitaires.

    Si Falcon n'avait pas eu le bonheur de croiser Stendhal, il ne resterait de lui que ce méchant portrait de lui, entreposé à la bibliothèque municipale de Grenoble. C'eut-été dommage, car il représente un brave homme de son temps, un révolutionnaire épris de liberté, d'égalité et de fraternité, fidèle à ses idées, jusqu'au bout.


(1) L'apostolat civique fut plus tard légiféré par Lakanal en 1794 lorsqu'il donna l'ordre d’établir un comité d’instruction sociale chargé de la rédaction d’un journal populaire et l’établissement d’un apostolat civique "chargé de greffer la Liberté dans l’âme des fanatiques". Il s'agissait en fait de former dès l'école de bons citoyens. De mon temps, on appelait cela "l'instruction civique".

Concernant Joseph Lakanal, rappelons que ce sera sur la proposition de celui-ci le 17 novembre 1794, que la Convention décidera la fondation de 24 000 écoles primaires. La même année, sur le rapport de Lakanal et Garat, seront créées l’École normale de l’an III et les Écoles de l'an III scientifiques. Lakanal pensait que : "L'analyse seule était capable de recréer l'entendement, et que la diffusion de sa méthode dans les écoles détruirait l'inégalité des lumières."


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Bien cordialement
Bertrand