samedi 5 décembre 2020

5 Décembre 1789 : Les bois de Boulogne et Vincennes sont pillés par des paysans en manque de bois de chauffage.

Dessin de Jean-François Millet

    Voilà un fait-divers qui semble au prime abord sans grande importance historique, mais qui est en fait révélateur de la situation dramatique du pays en cette fin d'année 1789.

Fait-divers, fait d'hiver.

    Ce n'est d'ailleurs pas un événement propre à l'année 1789, puisque le 18ème siècle est connu pour l'extrême rigueur de ses hivers. Des hivers terribles suivis d'étés maussades dont les effets conjoints eurent des conséquences incontestables sur l'origine de la Révolution. Le bois de chauffage manquait et de plus il était cher. Les vols de bois étaient donc choses courantes dans les campagnes.

    Ce 1er décembre 1789, la Commune de Paris a dû dépêcher un détachement de quatre cents gardes nationaux qui ont incarcéré à la Conciergerie cinquante-sept voleurs de bois de chauffage.

Notre ami l'avocat Adrien Joseph Colson, dont j'évoque régulièrement la correspondance, écrit ceci à son ami de province dans son courrier du 6 décembre :

" Il se commet beaucoup de vols clandestins et l'on surprend beaucoup de voleurs. Hier on en a arrêté plus de 63, plus hardis que les autres, qui s'avisaient de couper les arbres au bois de Long-Champs, à la face de tous les passants. Monsieur Lafayette qui en a été instruit les a fait investir par mille hommes et les a fait arrêter. Un Monsieur qui vient souvent chez Monsieur Ladoubé lui a dit hier les avoir vu conduire en prison. J'entends crier * à ce moment qu'on en a arrêté 56." (* Cri poussé par un vendeur de journaux dans la rue)

    Notons au passage que Colson ne se pose pas vraiment de questions à propos de ces vols d'arbres...

    Le 31 décembre 1788, on avait relevé -21.8° à Paris et -31° à Mulhouse. Le mois de décembre 1788 avait été, tous mois confondus, le mois le plus froid à Paris depuis des siècles et pour des siècles encore ! Dans les derniers jours de décembre 1788, le froid était devenu si fort que la mer elle-même avait commencé à geler, et le début de l'année 1789 avait commencé avec les catastrophiques débâcles des glaces sur la Seine, la Loire et le Rhône. (Voir l'article du 27 janvier 1789)

    Décembre 1789 était donc une fois de plus un décembre glacial et la population cherchait à se chauffer. C'est bien sûr le peuple, déjà accablé par le manque de pain, qui souffrait le plus du froid et qui peinait à trouver le moyen de se réchauffer !

    Le bois de chauffage était cher à Paris et il était même encore plus cher en banlieue, parce qu'une grande partie de celui-ci, livrée par grands trains de bois flottants arrivant par la Seine, était débarquée dans Paris et que de fait, les marchands devaient payer l'octroi des Fermiers généraux en sortant de Paris !

    Ci-dessous, 2 vues extraites du plan de Bretez, dit de Turgot :

  • La première représente l'île Louvier, aujourd'hui disparue, située à l'entrée Est de Paris, acquise par la Ville de Paris en 1700 et affermée à des marchands de bois.


  • La seconde montre les entrepots de stockage de bois de part et d'autre de la Seine, avant les pataches (bateaux des douaniers) de l'entrée Est de Paris.

Une autre disette, celle du bois !

    Le grand Colbert, ministre du Louis XIV avait déclaré en 1660 « La France périra faute de bois ». Il avait en effet calculé que l’Angleterre pouvait alors fabriquer une centaine de navires de guerre avec ses forêts alors que la France ne pouvait plus en faire qu’une vingtaine ! Il fallait donc reconstituer les forêts de toute urgence pour créer une marine dont il percevait toute l'importance ; il mit donc en place des règlements aptes à assurer la conservation des forêts.

    Mais la situation du parc forestier ne pouvait pas se résoudre plus rapidement que ne pousse un arbre ! De plus, après la mort de Colbert, puis celle de Louis XIV, on revint en arrière avec le rétablissement des charges vénales, la création de nouveaux postes d'officiers surnuméraires, la reprise des coupes abusives et des délits divers. La période qui suivit, jusqu'à la révolution, fut donc dramatique pour les forêts.


Les effets négatifs du libéralisme des physiocrates

    Vous vous souvenez peut-être des physiocrates dont je vous ai déjà parlés (voir l'article du 3 octobre 1789). Tous les grands esprits se revendiquaient physiocrates au 18ème siècle. Ceux-ci contestaient le système dirigiste et prêchaient le retour à la nature. Leurs penseurs libéraux en prenant pour postulat l'intelligence de l'homme, son bon sens, sa conscience aiguë de ce qui est bon et mauvais pour ses intérêts, ceux de ses voisins et de la forêt, demandèrent l'abolition des lois prohibitives et le retour au respect de la propriété privée. A partir de 1760, le gouvernement adopta ces conceptions libérales. Cela se traduisit par la redistribution de la propriété foncière et la libéralisation des exploitations forestières. Ainsi, le gouvernement de Turgot, à la suite de famines consécutives à deux hivers fort rigoureux (1762 et 1766), autorisa de nombreux défrichements et une décision de Louis XV, en 1766, exempta d'impôts pendant 15 ans les terres défrichées et nouvellement cultivées. La situation des forêts empira en conséquence.

    Jamais autant qu'au 18ème siècle la surface des forêts françaises ne fut aussi réduite ! Il y avait encore des forêts, bien entendu, mais elles n'étaient pas entretenues. Arthur Young (encore lui) écrivait en 1788 :"La disette de bois, et par contrecoup la hausse des prix de ce combustible, ont occupé au moins une centaine de plumes pendant les dix dernières années." En 1827, à l'aube de la révolution industrielle, la forêt ne constituait plus que 16 % du territoire français, soit 7 à 8 millions d'hectares.

Source graphique

15.000 ans d'histoire des forêts en France

La plus forte hausse de prix

    Le bois fut l'une des denrées qui dans tout le pays augmenta le plus à partir de 1730 : il subit une hausse de longue durée, la plus forte de toutes celles observées sur le marché des produits au XVIIIe siècle : 91 %. La hausse fut légère jusqu'en 1770, mais elle se précipita ensuite (66 % d'augmentation de 1770 à 1789).

De grosses quantités de bois.

    Les cahiers des Etats généraux (Tome V, page 284) donnent le chiffre de 700 000 voies de bois pour l'approvisionnement de Paris, dont 500 000 arrivant par trains de bois flottés. (À Paris la « voie » représentait 1,9 stère donc 700 000 voies = 1 330 000 stères de bois.)

Train de bois (Voir vidéo ci-après)

    A noter que les Parisiens utilisaient également du "charbon de terre" équivalent à 150 000 voies de bois. Le charbon de terre était ce que nous appelons le charbon ou la houille. On le dénommait ainsi en opposition au charbon de bois. C'est d'ailleurs l'utilisation généralisée de ce charbon de terre qui sauvera les forêts françaises dont la surface s'était réduite à peau de chagrin à la fin du 18ème siècle.

Sources :
https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1966_num_13_4_2921#:~:text=Le%20bois%20de%20plaine%2C%20l%C3%A9g%C3%A8rement,%E2%80%94%20200)%20(6)%20.
http://foret.chambaran.free.fr/index.php?page=historique

Les trains de bois du Morvan

    Pendant plus de 3 siècles, entre 1547 et 1877, les Parisiens ont été en grande partie chauffés par du bois qui venait du Morvan. Celui-ci arrivait à Paris par des trains de bois flottants partant de Clamecy dans la Nièvre, qui suivaient le cours de l'Yonne, puis de la Seine.

Un train de bois de 72 mètres acheminant 200 stères de bois.


    Ce parcours fut amélioré par la suite, avec la création du Canal du Nivernais cheminant parallèlement à l'Yonne. C'est à la suite du terrible hiver de 1784, que l'idée de ce canal naquit dans l'esprit des académiciens Condorcet, Bossut et Rochon, après qu'ils furent venus enquêter sur le moyen de mieux approvisionner Paris en Bois. Les travaux démarrèrent lentement, s'interrompirent sous la Révolution, reprirent péniblement sous Napoléon 1er, puis pour de bon sous la Restauration jusqu'à son ouverture en 1841.

    Hélas pour ce canal, quelques dizaines d'années seulement après sa mise en service, le chemin de fer vint le supplanter...

Source :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/nievre/le-train-de-bois-qui-etait-parti-de-clamecy-dans-la-nievre-est-arrive-paris-741465.html

Un mot sur le bois de Boulogne

Le bois de Boulogne en 1705

    Le bois de Boulogne est tout ce qui reste de l'ancienne forêt de Rouvray, voulant dire « lieu planté de chênes rouvres », mentionnée pour la première fois en 717, dans la charte de Compiègne (celle-ci date de 1153). Il tient son nom de l'église Notre-Dame-de-Boulogne-la-Petite qui avait été construite sur ordre de Philippe le Bel à la suite d'un pèlerinage qu'il avait effectué avec sa fille Isabelle de France à Boulogne-sur-Mer en 1308. Le roi avait décidé d'élever une église semblable à celle qu'il avait vue sur les bords de la Manche et qui abritait alors une statue miraculeuse de la Vierge. Le roi la voulant près de Paris, cette église fut construite à l'emplacement de Les Menuls lès Saint Cloud, un petit village de bucherons.

Vue du château de Madrid

    Même si les rois avaient commencé de l'aménager progressivement (parc de chasse, plantation de 15000 muriers sous Henri IV, château de la Muette), le bois de Boulogne était encore une vraie forêt au XVIIIe siècle ; c'était depuis le domaine du château de la Muette qu'en novembre 1783, Pilâtre de Rozier et le marquis d'Arlandes avaient réussi le premier vol en ballon à air chaud, construit par les frères Montgolfier.

Vue de la terrasse de Mr. Franklin à Passi.
Premier voyage aérien par M. le marquis d'Arlande et Mr Pilatre des Rosiers, le 21 novembre 1783

L'antique bois de Vincennes

Plan général du bois de Vincennes en 1739
    

    Le bois de Vincennes est un reste de la forêt qui recouvrait les environs de Paris pendant l’Antiquité. Le document le plus ancien mentionnant la forêt de Vincennes est la confirmation par Charles le Chauve d'un échange entre l'évêque de Paris et l'abbé de Saint-Maur date de 848. Tous ceux postérieurs à 980 indiquent le bois comme propriété royale. Devenu terrain de chasse de Hugues Capet, il demeura par la suite à l'usage exclusif des rois de France. Philippe Auguste le fit enclore d'une enceinte de 12 kilomètres qui ne fut abattue que sous le second empire, mais qui n'empêchait pas vols de bois et braconnage, bien sûr. J'allais oublier Louis IX, dit Saint Louis, qui selon la légende venait y rendre justice sous un chêne.

Saint Louis, rendant la Justice


Post Scriptum :

    J'ai lu un commentaire sur Internet disant que la déplétion du bois au XVIIIe siècle signifiait que déjà à l'époque, il y avait trop de gens. J'espère que vous aurez compris à la lecture de cet article que le problème, tout comme aujourd'hui résidait plus dans une mauvaise gestion des ressources, ainsi que leur répartition inéquitable, que dans celui d'une éventuelle surpopulation.

    De plus, cette pénurie de bois incita les gens à trouver de nouvelles solutions. En matière d'énergie, le bois fut progressivement remplacé par le charbon et dans la construction les ingénieurs inventèrent de nouveaux procédés en utilisant par exemple le métal pour les structures et les charpentes des bâtiments et des navires. C'est aussi à ce moment que commença la révolution industrielle et que débuta aussi la production de CO2 en grande quantités.

Vous avez dit CO2 ?

Regardez les chiffres ci-dessous.... (Téléchargez le document pour mieux lire les chiffres)


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Bertrand