lundi 14 décembre 2020

14 Décembre 1789 : Les Trois-Evêchés et plus particulièrement celui de Metz posent de nouveau un problème.

Cathédrale Saint-Etienne de Metz (en 1826)

Encore la ville de Metz ?!

    Souvenons-nous, le 3 novembre 1789, l’Assemblée nationale avait pris la décision de mettre en vacance les parlements, jusqu’à la mise en place des assemblées municipales et provinciales. (Voir l’article du 3 novembre 1789). Mais le 12 Novembre suivant, le parlement de Metz s’était permis de supposer que « le décret de l’Assemblée nationale du 3 Novembre, et la sanction de Sa Majesté, étaient dépourvus du caractère de liberté nécessaire pour rendre les lois obligatoires et n’avait pas craint de protester tant contre ledit décret que contre ladite sanction. »

    Les députés de l’Assemblée nationale s’étaient émus de cette réaction pour le moins négative, voire hostile. Mais dans leur grande bonté de révolutionnaires en dentelles, ils avaient généreusement octroyé leur pardon le 25 novembre au Parlement de Metz. Les Messins étaient, par l’histoire de leur ville, très attachés à leur parlement. Ils en avaient même demandé la conservation dans leurs cahiers de doléances. Mais de quels Messins parle-t-on ?...

    Il faut également savoir que depuis juin 89, le nouveau gouverneur de la ville était François Claude Amour du Chariol, marquis de Bouillé, un ardent défenseur de la monarchie, qui de plus, était très attaché à Louis XVI. Ce Gouverneur particulièrement conservateur devait donc inspirer une certaine assurance aux notables siégeant au parlement de Metz.

François Claude Amour du Chariol, Marquis de Bouillé.

    Bouillé avait pris le poste de gouverneur des Trois-Évêchés, en remplacement du maréchal de Broglie, celui-là même qui avait été appelé par le roi pour prendre le commandement des troupes rassemblées secrètement autour de Versailles avant le 14 juillet pour mater les Parisiens...

    Ci-dessous, deux gravures représentant le Duc de Broglie : une avec le texte en Allemand et l'autre avec le texte en Latin.

  

Les Trois-Evêchés ?

    Les trois évêchés constituent un autre exemple de cette France mosaïque de l’Ancien régime. On oublie trop souvent que le royaume de France a résulté d’une conquête progressive des provinces limitrophes par les rois de France, petite France se réduisant approximativement à ce que l’on appelle de nos jours l’Île de France. Cette conquête dura des siècles et constitue l’histoire du pays. Il aurait suffi d’une ou deux défaites décisives et ce que nous appelons aujourd’hui la France, aurait pu être une partie du Royaume-Uni anglais, la Bourgogne ou le Saint Empire romain Germanique !

Je profite de cette introduction pour vous engager à lire l'indispensable ouvrage de l'Anglais Graham Robb, qui vous fera découvrir une histoire de France aussi surprenante que passionnante. Vous pouvez lire l'article que j'ai consacré à son livre en cliquant sur l'image ci-dessous :

Livre à lire absolument !

Trois "morceaux" du Saint Empire romain germanique"

    Les Trois-Evêchés furent précisément retranchés du Saint-Empire romain Germanique évoqué en introduction. Ce fut l'une des conséquences de la paix de Westphalie signée le 24 octobre 1648. Ils étaient constitués par les trois villes libres de MetzToul et Verdun, occupées en vertu du traité de Chambord (1552), et les biens temporels des évêques de Metz, Toul et Verdun, occupés en 1631-1632. Ils s'agrandirent ensuite du Luxembourg français, partie du duché de Luxembourg cédée à la France par le traité des Pyrénées (1659), puis d'un corridor, cédé à la France par le traité de Vincennes (1661).


Le "voyage en Allemagne" d'Henri II.

    Ce furent des princes Allemands en lutte contre l’empereur Charles Quint, qui en 1551, sollicitèrent le soutien financier et militaire du roi Henri II. Le traité de Chambord signé en 1552 prévoyait que le roi Henri II occuperait, pour des raisons stratégiques, en qualité de vicaire du Saint-Empire romain germanique, les villes de Metz, Toul et Verdun, « et autres villes de l’Empire ne parlant pas allemand ».

Le roi de France Henri II

    Henri II, intronisé pour l’occasion « défenseur des libertés germaniques », entreprit alors le « Voyage d’Allemagne ». Le jour des Rameaux 1552, les troupes françaises, sous les ordres du connétable Anne de Montmorency, arrivèrent sous les murs de Metz, et occupèrent par surprise les portes de la ville. Le 13 avril 1552, le roi se rendit en armes à Toul, où il fut reçu par l'évêque Toussaint de Hocédy, le maître échevin ayant, en signe de protestation, quitté sa ville. Le roi passa ensuite à Nancy, où il destitua arbitrairement la duchesse-régente et emmena en otage le petit duc Charles III, encore mineur, pour le faire élever à la cour de France. Henri II fit ensuite « sa joyeuse entrée » à Metz, le 18 avril 1552. La ville fut en fait soumise de force par les troupes d’Anne de Montmorency. 

Anne de Montmorency

    Le 22 avril, Henri II reprit sa route vers le Rhin, laissant à Metz 3400 hommes. Le mois de mai suivant, ne parvenant pas à s'emparer de Strasbourg, il finit par rebrousser chemin, occupa Verdun le 12 juin 1552, puis rentra en France.

Charles Quint

    Charles Quint décida alors de reprendre ses trois cités épiscopales et parti en guerre le 1er septembre 1552. Il commença par faire le siège de la cité de Metz, proche de ses possessions luxembourgeoises. Mais celle-ci, fortifiée et défendue par le duc de Guise, resta aux mains des troupes françaises après un siège mémorable. (Il est fort dommage que le général Bazaine, surnommé le traître de Metz, n’ait pas eu l’opiniâtreté du Duc de Guise, lorsqu’en octobre 1870, lui et son armée de 180.000 hommes se rendirent aux Prussiens sans combattre).

Siège de Metz

    Le Duc de Guise résista et Charles Quint finit par lever le siège le 2 janvier 1553 en renonçant à reprendre les autres évêchés.

François 1er de Lorraine, 2ème duc de Guise et 1er prince de Joinville.

    Dès lors les trois villes furent occupées en permanence chacune par une garnison française, même si l’empereur du Saint Empire romain germanique gardait officiellement sa souveraineté sur elles. Mais peu à peu, les anciens pouvoirs des villes issues du Saint-Empire furent remplacés par ceux mis en place par l’administration royale. En janvier 1663, sous l'impulsion de Richelieu, le parlement de Metz, fut créé et il devint le centre actif des progrès de l’autorité royale. L’édit de décembre 1633 supprima le sceau de la cité, l’aigle impérial aux ailes déployées, que Metz, Toul et Verdun, en qualité de villes impériales, avaient eu le droit de porter sur leurs armes. Mais "en même temps", la gabelle, impôt sur le sel, fut introduite au grand dam de la population. Devant la grogne des Messins, le Parlement fut prudemment transféré à Toul entre 1637 et 1658 et il fut remplacé à Metz par un intendant royal, aux pouvoirs étendus.

    En 1648, les traités de Westphalie entérinèrent la cession des Trois-Évêchés par l'Empire.

Metz, toujours une ville à part.

    Sachez que de nos jours l'évêque de Metz est nommé par le président de la République, comme autrefois par le roi, du fait que la ville est concernée par le régime concordataire d'Alsace-Moselle, du fait que ces deux régions étaient allemandes quand fut signée en 1905 la séparation entre l’Eglise et l’Etat.

Les Trois Evêchés refusent de payer Les impôts !

    Revenons à l'actualité de ce 14 décembre 1789, à l'Assemblée nationale constituante et lisons ci-dessous le mémoire des ministres du roi, adressé à ladite Assemblée :

M. le Président (Emmanuel Marie Michel Philippe Fréteau de Saint-Justfait donner lecture de la pièce suivante :

Fréteau de Saint-Just

Mémoire des ministres du Roi sur la non-exécution des décrets de l’Assemblée dans les Trois-Evêchés.

Par son décret du 23 septembre, l'Assemblée nationale a chargé les administrations provinciales, les juridictions et les municipalités de veiller aux moyens d'assurer le recouvrement des impositions ; et elle a supplié le Roi de donner les ordres les plus exprès pour le rétablissement des barrières et des employés, et le maintien de toutes les perceptions.

Les ministres du Roi se sont occupés du soin d'exécuter ce décret, et presque partout ils éprouvent des résistances, des obstacles, qui viennent à la fois de l'esprit d'insurrection auquel la multitude est généralement livrée, et de la timidité de ceux qui pourraient employer les moyens de la contenir.

Dans les Trois-Evêchés, les barrières ont été généralement détruites, et les employés obligés, par la crainte, à prendre la fuite. Quand on a voulu les rétablir dans leurs fonctions, il n'a été que trop facile de juger que les mêmes excès allaient se renouveler. Il fallait obtenir main-forte des milices nationales et des commandants des troupes ; la réquisition a été faite au président du comité municipal de la ville de Metz et aux maires des différentes villes de la province.

Le premier a répondu que la mission du comité était remplie par l'enregistrement des décrets de l'Assemblée nationale, et que ce n'était point à lui à rétablir les employés dans leurs fonctions.

Les autres n'ont pas fait un refus aussi formel ; mais ils s'excusent sous différents prétextes dont la véritable cause n'est autre que la crainte de donner une réquisition positive aux milices et aux troupes.

Alors le régisseur général, chargé du soin de cette opération, s'est adressé au parlement de Metz. Il a pensé qu'il en obtiendrait, pour tout le ressort, la réquisition de main-forte qu'il sollicitait, et le parlement a rendu un arrêt qui le renvoie aux municipalités pour en être fait droit. Ainsi l'assistance absolument nécessaire, et sans laquelle la perception ne se rétablit pas, est partout refusée.

Les ministres du Roi ont cru devoir donner connaissance de ces faits à l'Assemblée nationale, parce qu'ils arrêtent le recouvrement des droits du Roi dans une province entière ; ils pourraient réunir un grand nombre de faits particuliers, et dans la plupart des villes de France les mêmes inconvénients se font sentir.

L'Assemblée nationale en pèsera toute l'importance, et sa sagesse lui dictera sans doute les moyens d'y subvenir. Mais si les municipalités se refusent à seconder les mesures du gouvernement, si la crainte les arrête, si-la diversité des systèmes qu'elles adopteront forme un obstacle à l'unité du plan, et produit même entre elles une division funeste, le pouvoir exécutif sera réduit à l'impossibilité de veiller au maintien des décrets et au recouvrement si nécessaire des impôts.

Source : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_4030_t1_0571_0000_5 

Deux petits rappels apportant un éclairage complémentaire :

Conservation d'une taxe détestée, la Gabelle

    Souvenons-nous que la conservation de la Gabelle avait déjà donné lieu à des troubles en Anjou le 24 octobre dernier. Lire cet article :"24 Octobre 1789, La conservation "provisoire" de la Gabelle, passe mal en Anjou ! Un mot sur l’affermage…"

Carte des gabelles en 1788

La destruction des barrières d'octroi.

    Le texte évoque le rétablissement des barrières. Il s’agit bien sûr des barrières d’octroi qui faisaient office de péages aux entrées des villes.

    Souvenons-nous qu'à partir du 12 juillet 1789 et plus particulièrement dans la nuit du 13 au 14 juillet, des Parisiens avaient incendié 40 octrois sur les 54 du mur des fermiers généraux qui entourait Paris. Les fermiers généraux étaient des banquiers qui proposaient au roi de faire rentrer une partie des contributions qu’ils percevaient sur l’entrée de chaque marchandise pénétrant dans Paris (une trentaine de millions dont ils reversaient la moitié au roi). Ce mur long de 24 km percé de portes faisant office de péages, avait été érigé à partir de 1785 (achevé en 1790). Il était particulièrement haï des Parisiens.

Lire mon article :"13 Juillet 1789, la journée où tout bascule"

Incendie de la barrière de la Conférence le 12 juillet 1789.

    Vous lirez presque partout que l’incendie des barrières fut une initiative du peuple en colère, voire de fraudeurs. Néanmoins, lorsque l’on s’intéresse dans le détail à la suite des événements qui eurent lieu du 12 au 14 juillet, on apprend que le soir du 13 juillet, ce furent les électeurs du Tiers Etat, (c'est-à-dire les bourgeois), qui après avoir distribué 12.000 fusils et de la poudre, constituèrent dès 21h00 une garde armée dont la première initiative fut de s’emparer de toutes les barrières et d’arrêter tous ceux qui voulaient sortir de Paris.

(Cinq cents pauvres gens, dont Babeuf, seront tout de même accusés de l’incendie des barrières des fermiers généraux et iront croupir en prison)


Etonnant non ?...


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Je vous remercie pour ce commentaire.
Bien cordialement
Bertrand