mardi 3 novembre 2020

3 Novembre 1789 : Les parlement sont suspendus jusqu’à la mise en place des assemblées municipales et provinciales

De quels parlements parlons-nous ?

    Afin de mieux comprendre cette décision de l'Assemblée nationale, je pense nécessaire de faire un petit rappel concernant les Parlements sous l'Ancien Régime. Parallèlement à cet article, je vous propose d'ailleurs un bref historique des actions entreprises par les Parlements des Provinces contre le Roi, dans cet article : "Les parlements contre le roi. Trente ans d'une lutte de l'aristocratie contre l'absolutisme royal." 

Origine de l’institution

    « D'inspiration franque, issu de la Curia Regis accompagnant les monarques de France depuis les premiers Capétiens, le Parlement de Paris fut un organe judiciaire puissant qui s'est peu à peu substitué au pouvoir de justice royal. Treize autres Parlements furent d'ailleurs créés en droite ligne du précédent pour la Province mais celui de Paris restera le plus emblématique de tous, lieu d'affrontement et de résistance notables contre le pouvoir absolu du souverain. »

Depuis la fin du XIIIe siècle le Parlement de Paris
siégeait dans le Palais de l'Ile de la Citée

    Le second parlement créé après celui de Paris, fut celui de Toulouse (par le roi Charles VII en 1443). Sa création répondait à une nécessité linguistique : le sud de la France était une terre où l’on parlait la langue d’oc, et non la langue d’oïl comme dans le nord, et surtout il était régi par le droit romain écrit, alors que le nord du pays obéissait au droit coutumier oral des Francs.

Carte des Parlements et Conseils en 1789

Actions menées par les parlements avant la Révolution

    On lit souvent qu’ils ont préparé la Révolution en s’opposant au pouvoir royal. C’est vrai, mais c’est un peu plus compliqué que ça. Si les Parlements se sont effectivement opposés au pouvoir royal, ce fut souvent pour refuser des réformes qui auraient été profitable au royaume. Ces parlements, celui de Paris en tête, avaient des positions très conservatrices. Ils voulaient maintenir la division de la société en trois ordres hiérarchisés disposant de droits différents. Les parlements défendaient les privilèges de la noblesse dont une grande partie de leurs membres faisait partie et Ils voulaient imposer leur tutelle à la monarchie. Mais en s’opposant ainsi frontalement au pouvoir royal, ils se faisaient passer pour des défenseurs du bien commun. Raison pour laquelle, le peuple les soutenait lorsque le roi les sanctionnait par l’exil ou la fermeture.

Le parlement de Paris

    C’est ainsi que le 16 juillet 1787, après l’échec de l’Assemblée des notables, lorsque le Parlement de Paris (en majeure partie composé de nobles) avait déclaré que seule la Nation réunie dans ses Etats Généraux pouvait consentir un impôt perpétuel ; son véritable objectif était de prendre en charge cette fonction (Les Etats Généraux ne formant pas une assemblée régulière ne pouvant l’assumer). Le Tiers-état s’était lui aussi déclaré favorable à cette convocation des États Généraux car il espérait que les réformes iraient dans son sens. Le 7 août 1787, le Parlement de Paris avait même ouvert une information contre Calonne, le ministre du roi, qui avait dû s’enfuir en Angleterre ! Le 14 aout, Louis XVI, par l'intermédiaire de son ministre Brienne, avait alors fait exiler les parlementaires parisiens à Troyes pendant la nuit du 14 au 15. Troyes leur avait fait un accueil triomphal et les Parlements des provinces s’étaient bien sûr solidarisés avec le Parlement de Paris.

    Mais comme je vous l’ai dit, c’est un peu plus compliqué que ça, car au sein même des Parlements, le Tiers Etat allait progressivement peser de son influence. En janvier 1789, lors de la phase préparatoire aux Etats Généraux, les ordres privilégiés de Provence, de Béarn, de Bourgogne, d’Artois et de Franche-Comté, soutenus par les parlements locaux, profiteront de la session des états pour se livrer à des manifestations violentes contre les exigences « subversives » du Tiers Etat. La suite, vous la connaissez…


Les parlements des provinces se réveillent

    Nous avons vu le 16 octobre dernier que la Sénéchaussée de Toulouse avait publié un arrêté qui refusait les décrets de l’Assemblée nationale.

    Le 26 octobre, c’était la province du Dauphiné qui avait suscité l’inquiétude des députés lorsqu’ils avaient appris que celle-ci, de son propre chef, convoquait ses trois ordres.

    Monsieur Lanjuinais avait précisé devant l’Assemblée que la province du Dauphiné n'était pas la seule ; la noblesse de Bretagne se réunissait à Saint-Malo, celle du Languedoc à Toulouse. « Dans cette dernière ville » avait-il précisé, « quatre-vingt-dix nobles et quatre-vingts parlementaires ont été convoqués le 10 octobre ; ils ont engagé les autres ordres à se rassembler pour rendre à la religion son utile influence, à la justice sa force active, au Roi son autorité légitime, osons le dire, sa liberté, et pour s'opposer à l'abolition des droits et franchises de la province et des villes. »

Le député Le Chapelier avait ainsi résumé la situation :

« Tolérer que les provinces s'assemblent ; c'est les autoriser à faire des réunions dont le résultat ne peut être que dangereux avant la Constitution achevée. Quel intérêt pressant peuvent avoir les provinces ? Les impôts peuvent être réparti » par des commissions intermédiaires. C'est aux municipalités à recevoir les déclarations et le produit des contributions patriotiques, et non pas aux provinces à y délibérer. Ce ne sont donc que les mauvais citoyens qui voudraient mettre le trouble dans le royaume qui sont intéressés à protéger ces convocations irrégulières. »

Et il en avait tiré la conclusion suivante :

« Ainsi, puisque la proposition a été faite, il faut la décider d'après le principe et interdire à toutes les provinces le droit de s'assembler jusqu'à ce que le mode de représentation et de convocation soit établi. »

Réaction de l’Assemblée nationale

    Toutes ces assemblées, reliquats des structures obsolètes de l’ancien régime, représentent effectivement un véritable danger pour l’Assemblée nationale. Les députés ne veulent pas reproduire l’erreur du roi, qui chaque fois avait fini par céder aux Parlements. Raison pour laquelle, Alexandre de Lameth, présente ce 3 novembre une motion demandant la mise en vacance des Parlements, une suspension qui n’est rien d’autre qu’une suppression.

    Les parlementaires vont mal le prendre, même si comme l’a souligné Monsieur Le Duc De La Rochefoucauld : « vous supprimerez donc véritablement ces grands corps de magistrature, mais en prononçant leur destruction vous rendrez une justice méritée aux membres qui les composent, et sans doute leurs citoyens s'empresseront de les porter par leurs suffrages aux places que le nouvel ordre judiciaire établira. »

    Voici quelques extraits de la discussion entre les députés. La totalité des échanges étant disponible par le lien suivant :

 

Alexandre de Lameth

Motion de M. Alexandre de Lameth, concernant les parlements, lors de la séance du 3 novembre 1789 

M. le chevalier Alexandre de Lameth demande la parole pour faire une motion importante dans les circonstances actuelles, et propose à l'Assemblée de prononcer que tous les parlements du royaume resteront en vacance, et que les chambres des vacations continueront leurs fonctions jusqu'à ce qu'il ait été autrement statué à cet égard.

(…)

Je pense comme vous, Messieurs, qu'il n'est pas de moyen plus sûr ni plus efficace pour arriver à ce but que d'organiser le plus tôt possible les assemblées municipales et provinciales, et c'est dans cette vue que j'ai cru devoir vous proposer d'écarter tous les obstacles qui pourraient nuire à leur établissement. Vous n'avez pas oublié, Messieurs, quelles difficultés éprouvèrent dès leur naissance ces sages institutions, de la part de plusieurs parlements du royaume.

Vous n'ignorez pas quelles sont en ce moment les dispositions de quelques-unes de ces cours ; de quel œil elles voient l'établissement de la Constitution, quels regrets elles manifestent de voir s'évanouir de si longues jouissances et de si hautes prétentions. De quel danger ne serait-il donc pas de leur laisser reprendre en ce moment une activité qu'elles pourraient opposer à l'établissement des assemblées administratives 1 Il n'est personne parmi vous, Messieurs, qui n'ait senti la nécessité d'établir un nouvel ordre judiciaire, et qui n'ait approuvé, parmi les dispositions qui vous étaient présentées par notre premier comité de Constitution, celles qui substituent à ces grands corps politiques des tribunaux plus près du peuple et bornés à la seule administration de la justice.

(…)

Je n'ai point oublié, Messieurs, les importants services que nous ont rendus les parlements. Je sais que si, dans l'origine, la puissance royale leur a dû son agrandissement, on les a vus depuis, dans plus d'une occasion, lui prescrire des limites, et souvent combattre avec énergie, et presque toujours avec succès, les efforts du despotisme ministériel ; je sais qu'on les a vus, lorsque l'autorité l'emportait, soutenir avec fermeté des persécutions obtenues par leur courage ; je sais que, dans ces derniers temps surtout, ils ont repoussé avec force les coupables projets qui devaient anéantir entièrement notre liberté. Mais la reconnaissance, qui, dans les hommes privés, peut aller jusqu'à sacrifier ses intérêts, ne saurait autoriser les représentants de la nation à compromettre ceux qui leur sont confiés ; et nous ne pouvons-nous le dissimuler, Messieurs, tant que les parlements conserveront leur ancienne existence, les amis de la liberté ne seront pas sans crainte, et ses ennemis sans espérance.

(…)

Non, Messieurs, il n'est pas à craindre que la même Assemblée qui a fixé les droits du trône, qui a prononcé la destruction des ordres, qui ne laissera aux nobles d'autres privilèges que la mémoire des services de leurs ancêtres, et aux ecclésiastiques que la considération attachée à leurs honorables fonctions ; que l'Assemblée qui a fondé la liberté sur l'égalité civile et politique, et sur la destruction des aristocraties de toute espèce, puisse jamais consentir à laisser subsister des corps, jadis utiles, mais aujourd'hui incompatibles avec la Constitution.

Discussion concernant la motion de M. Alexandre de Lameth, concernant les parlements, lors de la séance du 3 novembre 1789 

M. Target :

(…) « Les parlements, il ne faut pas l'oublier, ont déclaré leur incompétence sur les impôts, et ils ont demandé la convocation des Etats généraux ; peut-être n'est-il pas donné aux corps moins éclairés et plus formalistes que les nations, de s'élever au-dessus des préjugés... Ils n'ont pas vu que la puissance législative appartient aux citoyens ; que les ordres sont des intérêts particuliers qui divisent l'empire, et qu'au lieu des Etats généraux de 1614, il fallait ce que nous avons, une Assemblée nationale ; le temps est arrivé, la révolution est faite, la nation a repris ses droits pour toujours. L'Assemblée nationale sera permanente ; il n'y aura plus de lois que celles qu'elle aura faites ; l'obéissance la plus prompte leur est due ; les délais, qui furent une ressource, seraient aujourd'hui des crimes ; il y avait des espèces de tribuns, il n'y a plus que des juges. L'enregistrement ne sera plus qu'une transcription dans des registres ; et garants de leur soumission à la loi, les magistrats, simples exécuteurs, seront responsables à la nation de tout abus d'autorité. »

(…) M. Target fait ressortir ensuite les malheurs attachés à l'étendue immense des ressorts et parle des citoyens pauvres forcés d'aller chercher à 120 lieues de leur maison ou de leur chaumière une justice lente et ruineuse, il termine en disant :

La paix est fille de la justice et la justice ne peut être à 100 lieues de celui qui souffre et qui n'a aucun moyen de les franchir.

Aucun magistrat ne peut s'affliger des pertes que lui causera le bien public. Des magistrats respectables honorent ces compagnies, ils seront l'honneur des tribunaux que vous établirez ; mais il ne faut pas laisser l'intérêt personnel s'animer dans ce foyer de l'esprit de corps qui consume jusqu'aux bonnes intentions. J'appuie la motion de M. Alexandre de Lameth. »

M. Thouret :

(…) « La nation n'a pas concouru à l'élection de leurs membres ; tous sont arrivés à la magistrature par l'hérédité et la vénalité ; tous sont d'anciens privilégiés que je ne crois pas encore parfaitement convertis. Les corps antiques se font une religion de leurs maximes ; ils sont toujours attachés à ce qu'ils appellent leurs droits et leur honneur. »

M. le duc de la Rochefoucauld :

(…) « ce sont eux qui, en 1771 et en 1778 (je puis, Messieurs, vous parler de leurs généreux efforts dans ces époques modernes, où j'avais l'honneur de partager leurs travaux), ce sont eux qui ont opposé au despotisme ministériel une barrière invincible, et que nous leur devons l'impulsion heureuse de la révolution actuelle.

Mais utiles dans un temps où la nation privée du droit de s'assembler n'avait pas ses défenseurs naturels, devez-vous les conserver à présent que de véritables représentants élus par l'universalité des citoyens, qu'une Assemblée nationale permanente vous assurent une bonne législation et une administration fondée sur de bons principes; tout ce qui est superflu en fait de Constitution et d'économie politique devient inutile et dangereux; les parlements n'auront plus de fonctions législatives et sans doute le soin de distribuer plus également la justice et de la rapprocher des justiciables, ne laissera pas subsister ces immenses ressorts contre lesquels tant de réclamations se sont élevées; vous supprimerez donc véritablement ces grands corps de magistrature, mais en prononçant leur destruction vous rendrez une justice méritée aux membres qui les composent, et sans doute leurs citoyens s'empresseront de les porter par leurs suffrages aux places que le nouvel ordre judiciaire établira. »


Décret du 3 novembre 1789 suspendant les parlements

M le Président consulte l'Assemblée qui décide qu'il n'y a lieu à délibérer.

La motion principale est ensuite mise aux voix et décrétée dans les termes suivants :

«L'Assemblée nationale décrète : 1° qu'en attendant l'époque peu éloignée où elle s'occupera de la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire, tous les parlements continueront de rester en vacances et que ceux qui seraient rentrés, reprendront l'état des vacances ; que les chambres des vacations continueront ou reprendront leurs fonctions, et connaîtront de toutes causes, instances et procès, nonobstant tous les règlements à ce contraires, jusqu'à ce qu'il ait été autrement statué à cet égard ;

«2° Que le président se retirera par devers le Roi pour lui demander sa sanction sur ce décret et le supplier de faire expédier toutes lettres et ordres à ce nécessaire. »

 

Les réactions à ce décret

    Les parlements de Rouen, de Metz (novembre 1789), de Rennes (décembre 1789, janvier 1790), de Bordeaux (mars, avril 1790), refuseront d'accepter la suppression des chambres de vacations. Celui de Rennes s'entêtera à tel point que l'Assemblée rendra le 6 février 1790, un décret par lequel ses membres seront déchus des droits de citoyens actifs.



                                                    





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Bertrand