mercredi 18 novembre 2020

18 Novembre 1789 : Le Marquis de Montesquiou (anticapitaliste et optimiste) présente l'état financier du royaume.

 

    Je n'ai rien contre la noblesse, quand il s'agit de la noblesse de cœur. Cet article va vous faire découvrir un noble selon mon cœur. 😉

    Monsieur le marquis de Montesquiou présente ce jour devant l'Assemblée nationale, au nom du comité des finances, un rapport sur l'état financier du royaume.

Le grand fardeau de la dette nationale

Qui était ce Marquis hors du commun ?

    Élu député de la noblesse aux États généraux par la ville de Paris le 16 mai 1789, Anne-Pierre de Montesquiou faisait partie des 47 députés de la noblesse qui s'étaient ralliés au Tiers état le 25 juin 1789. Cet homme cumulait les talents. Outre sa fonction de rapporteur du comité des finances à l'Assemblée constituante, il était également membre de l'Académie française, agronome et militaire ! Lieutenant général des armées du roi, il fut le Général commandant de l'armée du Midi, qui occupa la Savoie en septembre 1792 à la tête d'une armée révolutionnaire de 15 000 hommes ! Là, il incite les habitants à demander leur annexion à la France et par voie de votes. Accusé par la Convention d'avoir compromis la dignité de la République en traitant, sans mandat, avec les magistrats de Genève au lieu de pénétrer en force dans la ville, il dû se réfugier en Suisse. Il rentra en France en 1795 et y mourut en 1797.

Prise de Chambéry, 23-24 Septembre 1792
par l'armée du Marquis de Montesquiou.

Le discours anticapitaliste du Marquis de Montesquiou.

    Comme le dit si bien le Marquis lorsqu'il s'adresse aux députés, il ne leur reste plus qu'à relever la fortune publique ! C'est dans ce but louable qu'il présente auxdits députés le rapport du comité des finances, sur l'état financier du royaume.

    Ce curieux Marquis a des mots très durs contre le précédent pouvoir, qu'il qualifie d'arbitraire et de despotique. Il rappelle, qu'au mois d'août 1788, celui-ci a suspendu l'effet de ces engagements ; et qu'à la fin de la présente année, 72 millions qui auraient dû être remboursés ne le seront pas et que 48 millions qui avaient été promis pour l'année 1790 et courent le même risque !

    Il veut rompre avec la politique précédente car il précise "ne plus vouloir combiner les petites ressources de la fiscalité et de l'agiotage, pour varier les impôts et pour solliciter la cupidité".

    Il précise que les dettes qu'il désigne sous l'appellation de dettes criardes, ont été de tous les temps le plus grand obstacle à toute régénération et que c'est pour y satisfaire, sans causer un grand engorgement dans le payement des dépenses courantes, qu'ont été imaginées ces funestes anticipations qui absorbent à gros intérêts les revenus futurs, et qui rendent l'administration tributaire des capitalistes (c'est ainsi que l'on appelait les financiers à l'époque).

    Plus simplement dit, il ne veut plus emprunter aux capitalistes ! Les emprunts connus sous le nom de cautionnements, ou de fonds d'avances de compagnies de finances, mettent l'administration dans l'éternelle dépendance de ces compagnies. Un nouvel emprunt ajoute-t-il, serait une injustice indigne de la dignité nationale.

    L'Etat devient alors complètement sous la dépendance des capitalistes. Comment par -exemple améliorer les revenus affermés, si celui-ci est lié invinciblement avec les compagnies de finances, et si aucune concurrence ne peut aider à faire fructifier les baux ?

(Imaginez qu'un Etat souverain dépendent des banques pour financer son économie ! Voire pire encore, que celles-ci aillent jusqu'à noter les Etats en établissant les taux d'intérêts des emprunts en fonction de leurs choix politiques ! Où irions-nous ? Je plaisante, nous y sommes.)

    Ce Marquis anticapitaliste approuve également la suppression de la gabelle, des aides et des droits réservés. Il propose de remplacer ces impôts dont le produit effectif est de 109 millions, et la surcharge incalculable, par une subvention de 60 millions répartis sur les provinces, acquittés proportionnellement par elles, et soumis par décrets au "régime le plus doux". Cet impôt sera donc inférieur de 49 millions effectifs à ceux qui ont été supprimés.

    Il rappelle qu'il est indispensable de relever ou remplacer la caisse d'escompte. Dans le premier cas, la nation sera dépositaire du gage hypothéqué à la sûreté des créanciers de la caisse ; et dans le second cas, celui du remplacement de la caisse d'escompte par un autre établissement de banque, le même secours, sans doute, sera offert.

    Notons au passage qu'il souhaite faire disparaître à terme les funestes loteries, "que réprouvent tous les principes de la morale et de l'ordre public et qui constituent pour le peuple un appât corrupteur". 

    Quelque chose me dit que ce marquis a dû lire les ouvrages du Baron d'Holbach décédé le 21 Janvier 1789.

Ecoutons, ou plutôt, lisons son intervention.

    M. le marquis de Montesquieu : Messieurs, le comité des finances a cru qu'il était temps de présenter le résultat de ses travaux.

    La bonté avec laquelle vous avez accueilli ses premières observations l'a encouragé à leur donner plus d'étendue. Il a cherché à embrasser l'ensemble des finances du royaume, et à réunir sous un seul point de vue votre état présent, vos besoins, vos ressources et vos espérances.

    Après avoir assuré une heureuse constitution à l'empire français, malgré toutes les résistances, malgré tous les orages qu'ont fait naître les ennemis de la liberté, il ne vous reste plus qu'à relever la fortune publique, sans laquelle les peuples ne jouiraient pas du grand bienfait qu'ils tiendront de vous. La confusion que nous avons vue régner dans les finances ne doit plus être le sujet de nos regrets, puisque, sans des besoins extraordinaires, nous aurions gémi peut-être pendant plusieurs siècles encore sous le joug du pouvoir arbitraire. Mais, ainsi que le désordre a fait périr le despotisme, il ferait bientôt périr la liberté. Peut-être même les maux dont nous nous plaignons encore tiennent-ils en grande partie à la sourde inquiétude, à cette inquiétude vague que l'avenir inspire à chaque citoyen. Le peuple est depuis longtemps écrasé sous le poids des impôts. Il craint encore de recevoir une surcharge nouvelle. Il sait qu'une dette prodigieuse a été reconnue par ses représentants, et il n'applaudira à la loyauté des dépositaires de sa confiance que lorsqu'il n'aura plus à craindre d'en être la victime.

A bas les impôts !

    Il faut donc promptement entreprendre et consommer ce grand ouvrage, et, pour y parvenir, il ne s'agit plus de combiner les petites ressources de la fiscalité et de l'agiotage, pour varier les impôts et pour solliciter la cupidité. Ces talents si recommandés, et regardés si longtemps comme recommandables, ne feront plus fortune parmi nous. Ils sont finis ces jours de notre enfance. C'est d'un plan général, d'un plan régénérateur, que nous avons besoin. Tous les bons esprits seront en état de le juger, si des moyens simples sont présentés dans un langage intelligible. Il n'est plus permis d'en employer d'autre ; et désormais, en finances, tout ce qui n'est pas à la portée de tout le monde n'est plus à la portée de personne.

    Mais, avant d'adopter aucun système, il faut connaître bien notre situation ; avant de songer à perfectionner le mode de nos revenus, il faut établir une recette assurée ; il faut distinguer nettement nos dépenses, nos dettes constituées, et celles auxquelles nous oserons donner la dénomination bien vulgaire, bien triviale, mais très-expressive de dettes criardes. Réduire et déterminer les dépenses, assurer l'acquittement et l'extinction des dettes constituées, rembourser les dettes criardes, et en même temps soulager le peuple, voilà quels sont nos devoirs.

    Les dettes auxquelles nous donnons ici le nom de dettes criardes ont été dans tous les temps et sont encore le plus grand obstacle à toute régénération. C'est pour y satisfaire, sans causer un grand engorgement dans le payement des dépenses courantes, qu'ont été imaginées ces funestes anticipations qui absorbent à gros intérêts les revenus futurs, et qui rendent l'administration tributaire des capitalistes.

    Ce sont ces mêmes dettes qui, s'opposant à tous les marchés faits au comptant, et qui, obligeant de laisser dans toutes les comptabilités des objets arriérés, ont fait imaginer ces comptes d'exercice interminables tant que toutes les dépenses ne sont pas soldées ; de sorte qu'au bout de douze années, la situation d'un département, qui devrait toujours être connue, ne l'est pas encore.

    C'est dans la même classe qu'il faut placer la somme des intérêts arriérés sur les rentes. Le point de vue le plus favorable, sous lequel on pût les présenter serait celui d'un emprunt ; mais cet emprunt est forcé, mais il est sans intérêts, et, pour trancher le mot, c'est une véritable violation de la foi publique, que la seule nécessité peut excuser, comme tant d'autres. Il est donc de la dignité et de la loyauté nationale de faire cesser cette injustice.

    C'est encore dans la même liste que nous inscrirons, moins en raison de leur nature que de leur dangereux effet, ces emprunts connus sous le nom de cautionnements, ou de fonds d'avances de compagnies de finances, qui mettent l'administration dans l'éternelle dépendance de ces compagnies : car enfin, il est impossible de congédier les individus qui les composent, en retenant le cautionnement qu'ils ont fourni ; et comme l'appât de ces cautionnements les a fort multipliés, et qu'il est juste de payer aux hommes qu'on emploie, le travail qu'on leur impose, les frais de perception se sont accrus en proportion du nombre de ces employés inutiles. Il est constant cependant que quarante fermiers généraux ne sont pas nécessaires pour faire aller la ferme générale, et qu'un moindre nombre y suffirait, quand la machine est montée. La même vérité peut s'appliquer aux différentes régies, au double exercice des receveurs généraux, et aux sous-ordres de ces diverses parties.

    Nous renfermerons sous la même dénomination les sommes dont on ne saurait se passer pour atteindre au moment où la recette régulière des revenus nécessaires suffira au payement régulier des dépenses déterminées. Le calcul rigoureux de tout ce que nous venons de comprendre sous le titre de dettes criardes est donc le premier de tous les calculs à faire ; c'est à y pourvoir qu'il faut consacrer tous ses moyens, toutes ses ressources ; dons patriotiques, vaisselle des églises et des particuliers, ventes extraordinaires, banque nationale, banque particulière, tout est bon s'il opère ce grand bien. Tout ce qui laissera cet ouvrage imparfait ne sera que palliatif, et les palliatifs ne nous conviennent plus.

Il s'agit donc avant tout de fixer le nombre et la quotité de ces créances.

    Cette dette (1), sans doute, est immense, mais son immensité même prouve combien il est important de la faire disparaître. Comment compter sur la rentrée des revenus pour acquitter les rentes, ou pour payer les dépenses publiques à jour fixe, si l'absence momentanée du crédit peut s'opposer au renouvellement des anticipations, et par conséquent à la rentrée des revenus ?

 

    Comment mettre de l'ordre dans les dépenses si on manque d'argent comptant pour ses marchés, et si on ne peut jamais terminer ses comptes avec tous les dépositaires des deniers publics ?

    Comment améliorer les revenus affermés, si l'on est lié invinciblement avec les compagnies de finances, et si aucune concurrence ne peut aider à faire fructifier les baux ? Et comment améliorer les régies, s'il est impossible de réduire à volonté le nombre des régisseurs et des employés ?

    Comment enfin atteindre au moment où l'ordre pourra renaître, si faute de fonds il fallait vivre d'industrie jusque-là, et arriver obéré au jour de la libération ?

    En vain nous craindrions de mettre sous vos yeux cette effrayante réunion de dettes ; le faux ménagement qui engagerait à les dissimuler, empêcherait-il leur existence ? Il est certain que de même un meurtrier prolongerait longtemps encore la durée des anticipations, et que même il serait commode, dans certains moments où l'administration pourrait se trouver en faveur, d'user de la faculté de les étendre sans bruit et sans scandale ; mais il faut convenir qu'indépendamment des intérêts considérables que coûte cette ressource, elle nous endort sur les bords d'un abîme, et que le moindre choc pourrait nous y précipiter.

    Il y aurait moins de risques, sans doute, à laisser subsister les cautionnements ; mais comment, sans ce remboursement, sortir de la servitude où nous sommes ? Car une dette semblable est une chaîne impossible à briser. Gomment mettre une administration paternelle à la place d'une administration tyrannique, lorsqu'on aura toujours devant les yeux une dette exigible de 200 millions de livres au moment où l'on voudrait changer de régime ?

    Pour se résoudre à supporter plus longtemps de semblables entraves, il faudrait qu'il fût impossible de s'en délivrer, et cette impossibilité, seule excuse valable, n'est pas démontrée. C'est ce que nous examinerons dans la suite de ce mémoire, et peut-être aurons-nous quelque solution heureuse à donner à ce problème ; mais avant de fixer votre attention sur ce grand objet, qui formera dans notre plan un chapitre particulier, nous allons examiner l'état des affaires dégagé de tous ces obstacles.

    Nous supposons d'abord que vous êtes dans l'intention de consacrer le principe de la division des finances de l'Etat en deux caisses. Nous avons déjà essayé de vous en démontrer l'avantage ; mais, soit que vous l'adoptiez, soit que vous le rejetiez, les résultats seront les mêmes. En admettant cet établissement, qui nous paraît utile et important, et qui présenterait à l'Europe le gage constant et inviolable de tous les engagements de la France ; la première de ces caisses, caisse nationale, percevrait tous les impôts directs, et acquitterait toutes les dettes ainsi que la liste civile. La seconde, caisse d'administration, percevrait le reste des revenus publics, et acquitterait les dépenses des différents départements, sous l'inspection des ministres devenus responsables à la nation.

    Nous allons examiner les besoins de chacune de ces caisses, et leur assigner des revenus. Parmi ces revenus, il y en a qui existent, et dont le régime est sans doute susceptible d'amélioration ; mais la nouvelle combinaison, dont ils profiteront dans la suite, n'entre pas dans le plan de ce mémoire : c'est une ressource que nous réservons à des temps plus tranquilles, et qui, avant d'être employée, exigera les plus grandes précautions et les plus profondes connaissances. L'établissement des assemblées provinciales vous fournira à cet égard la réunion de toutes les lumières et la connaissance, si nécessaire en administration de toutes les localités ; nous nous hâtons seulement d'effacer dès à présent, de la liste des revenus de l'Etat, les impôts que la voix des peuples, celles des siècles et les cahiers précurseurs de vos décrets ont proscrits. La gabelle, les aides et les droits réservés doivent cesser d'exister à l'instant marqué par votre sagesse pour notre régénération, et nous ne vous proposerons de remplacer ces impôts, dont le produit effectif est de 109 millions, et la surcharge incalculable, que par une subvention de 60 millions répartis sur les provinces qui les ont payées jusqu'à présent, acquittés proportionnellement par elles, et soumis par vos décrets au régime le plus doux. Nous posons donc pour première base de l'édifice que nous élevons une remise à la nation de 49 millions effectifs sur les impositions qu'elle a toujours payées, sans compter les frais de régie de ces impôts les bénéfices considérables des fermiers et régisseurs, les saisies, les procès et les vexations de tout genre ; et ce qui nous reste en revenus suffit pour atteindre le but que nous nous sommes proposés.

Voici Messieurs, l'état des dépenses que la caisse nationale serait chargée d'acquitter :

Le tableaux détaillé des dépenses figure page 91 de ce document :
https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1878_num_10_1_3848_t1_0090_0000_5

    Les tableaux que nous venons de mettre sous vos yeux sont de la plus grande exactitude, puisqu'ils prennent les choses dans l'état où elles sont, et qu'ils ne s'appuient sur aucun système. Il n'y a ici ni suppositions, ni omissions ; nous ne vous présentons que des revenus existants, et la totalité des dépenses. Nous ne nous sommes livrés à aucune spéculation ; nous les avons repoussées même, afin de ne tomber dans aucune erreur, et de vous laisser vos espérances d'amélioration tout entières. Vous voyez d'après ces tableaux que toutes les dépenses seront acquittées, et que l'intérêt de toutes les dettes sera payé, sans qu'aucune nouvelle source de revenu soit ouverte. Il est certain que le peuple, dégagé de la gabelle, des aides, des droits réservés, et bien plus soulagé encore par la cessation de la surcharge qui résulte de ces impôts, et des vexations de tout genre qui les accompagnaient, n'aura plus qu'un seul impôt territorial ou personnel à paver, et que cet impôt sera inférieur de 49 millions effectifs à ceux qu'il payait précédemment ; enfin que, l'intérêt de la dette et les dépenses publiques acquittés, la nation aurait un excédent de revenu de plus de 30 millions.

    Nous avons compris les loteries dans les objets qui composent cet excédant ; et dans cette disposition, nous avons entrevu l'espoir de faire bientôt disparaître un revenu que réprouvent tous les principes de la morale et de l'ordre public ; mais ce jour heureux n'est pas encore arrivé , et il nous suffit dans ce moment-ci d'avoir pu abolir les impôts qui sont essentiellement le malheur du peuple, et d'apercevoir l'anéantissement prochain de l'appât corrupteur qu'un jeu funeste ne cesse de lui présenter.

    Il nous reste, comme nous croyons vous l'avoir démontré, un revenu supérieur de plus de 33 millions à la dépense, et nous n'avons pas encore parlé du secours dont les biens du clergé peuvent être à la chose publique. Ici plusieurs systèmes se présentent, et c'est entre eux qu'il s'agit de faire un choix.

    Vous avez décrété que la nation avait la disposition des biens du clergé ; mais, en établissant ses droits, vous n'avez rien prononcé sur l'usage qu'elle en ferait.

    Si vous adoptiez le plan aussi séduisant que vaste, et habilement combiné, qui vous a été présenté par un membre distingué de cette Assemblée, vous convertiriez en simples honoraires la possession des ministres de l'Eglise, et la nation mettrait en vente tous les capitaux, pour accroître ses revenus par l'extinction de toutes ses dettes. L'immensité de cette entreprise nous a trop effrayés peut-être ; mais nous sommes forcés d'avouer que le succès nous en a semblé douteux. Il est d'ailleurs des considérations politiques, relatives à l'inégale distribution des biens du clergé dans les différentes provinces du royaume, qui pourraient, s'opposer à l'exécution de ce grand projet. Enfin, il est possible que vous trouviez des inconvénients réels à ne pas laisser à des ministres nécessaires à l'instruction et à la consolation des peuples, un gage de subsistance qui, croissant avec la valeur des denrées, les mette à jamais à l'abri du besoin. Cette subsistance doit être honnête ; c'est une dette sacrée pour la nation : peu importe comment elle soit acquittée, pourvu qu'elle le soit avec facilité et régularité.

    Vous pourriez donc vous déterminer à laisser au clergé, ou à une commission de l'Assemblée nationale, formée à cet effet, l'administration des biens que la piété de vos pères a destinés au culte de la Divinité et au soulagement des pauvres. Mais, si vous diminuez le nombre des individus consacrés au service des autels, si vous ne laissez pas disposer des abbayes commendataires et autres bénéfices vacants ; si vous supprimez, soit en partie, soit en totalité, les ordres religieux ; si, en fixant le nombre des prêtres utiles, vous anéantissez l'espoir des grâces pour les membres inutiles du clergé ; si vous mettez plus de proportion et plus de modération dans les revenus des évêchés et archevêchés, à mesure qu'ils vaqueront, il est évident que la dotation du clergé excédera bientôt ses besoins réels, et que l'emploi de cet excédant à soulager le peuple du poids des impôts, est la plus juste et la plus sainte des destinations.

    De quelque manière que vous établissiez l'administration des biens du clergé, elle ne pourra plus exister sans rendre un compte annuel à l'Assemblée nationale, puisque sa position changerait tous les ans ; et déjà vous pourriez en tirer un parti utile, sans nuire à personne, puisque les maisons religieuses supprimées, les bénéfices en commende qui sont vacants, ceux qui le deviendront, ceux qui étaient aux économats, vous mettraient dans le cas de disposer incessamment d'une portion considérable de revenus libres, et d'une forte masse d'immeubles non productifs , par la vente des emplacements situés dans les grandes villes, du mobilier des maisons et des bibliothèques. Les principales conditions que vous pourriez imposer à cette nouvelle administration pourraient donc être :

1° d'acquitter, à la décharge du Trésor public, la portion qui revenait à des hôpitaux, à des établissements de charité ou à des maisons d'éducation, sur les 5.711.000 livres de secours annuels que le gouvernement accordait ci-devant à des établissements de ce genre, et à des maisons religieuses ;

2° d'aliéner, au profit de la caisse nationale, une partie des capitaux, jusqu'à la concurrence de 400 millions dans l'espace de quatre années, et en outre jusqu'au montant de la somme nécessaire pour assurer le remboursement de la dette du clergé. (1)

(1) Les moyens de rendre disponibles, même avant la consommation dos ventes, les fonds qu'elles doivent produire, ne sont pas difficiles à trouver et pour employer à leurs différentes destinations les 878 millions nécessaires à la grande libération de l'Etat. C'est cette tâche intéressante que nous allons nous efforcer de remplir.

    Ce plan est bien simple et ne s'oppose à aucune combinaison ultérieure. Il nous paraît, par cette raison, préférable à ceux qui vous ont été présentés, Si cependant vous acceptiez un autre projet, ce ne pourrait être qu'en raison de sa plus grande utilité ; et alors, loin d'affaiblir nos calculs, il les fortifierait,

    La disposition générale des finances du royaume, dont le développement vient d'être mis sons vos yeux, présente un avenir bien consolant ; et cet avenir, Messieurs, il dépend de vous de le rendre très-prochain. Arbitres des destinées de ce grand empire, pourquoi renverriez-vous à des temps éloignés un nouvel ordre de choses que toute la nation désire, et pour lequel il faut si peu de combinaisons préliminaires ? Les dépenses peuvent être fixées d'ici au 1er janvier prochain ; l'établissement de deux caisses peut être fait alors. Les suppressions d'impôts désastreux, les remplacements peuvent avoir lieu dès le 1er avril, et l'espérance la mieux fondée aura bientôt effacé le souvenir des malheurs passés. Mais, pour que la confiance publique renaisse avec la vôtre, vous attendez la solution de notre premier problème, c'est-à-dire la démonstration de moyens qui ne soient ni chimériques, ni même douteux, pour trouver et pour employer à leurs différentes destinations les 878 millions nécessaires à la grande libération de l'Etat. C'est cette tâche intéressante que nous allons nous efforcer de remplir.

Article premier.

    Remboursements des cautionnements et fonds d'avances des Compagnies de finances, de l'arriéré sur les intérêts des rentes, et d'une part de l'arriéré des départements.

    Nous conservons dans notre projet douze administrateurs des produits de la ferme générale, douze pour la régie des domaines, six pour la régie des postes, et deux trésoriers, l'un pour la caisse nationale, et l'autre pour la caisse d'administration. Il est juste, nécessaire même, que chacun d'eux fournisse un cautionnement. Nous estimons qu'il doit être de 1 million pour chacun ; et l'intérêt de ce million à 5%, est calculé dans l'évaluation que nous avons faite de leurs attributions : ainsi la somme à rembourser pour cet objet, se trouve réduite à 170.000.000 livres.

    Quant aux recettes générales, nous pensons que chaque province fera des arrangements particuliers pour la rentrée de ses contributions, et pour leur versement au Trésor public (1)  ; ainsi nous croyons que le remboursement entier des receveurs généraux et particuliers doit être effectué : les charges des officiers de maîtrises des eaux et forêts, des payeurs et contrôleurs des rentes, et quelques autres utiles à rembourser, font partie de cet article. Il monte à :


(1) Nous n'en avons pas moins compris dans nos états de dépense une somme de 3,400,000 livres pour les frais de perception des impositions, parce que, de quelque manière que cette perception soit ordonnée, il faut toujours assurer le traitement de ceux qui en seront chargés.

    L'obligation imposée à l'administration des biens du clergé, de payer en quatre ans une somme de 400 millions au Trésor public, et de fournir aux intérêts de la portion qui en exige jusqu'au remboursement, ferait face à cet objet : d'après le décret que l'Assemblée nationale pourrait rendre, à cet égard, et ensuite de la liquidation qui serait faite de chaque créance en particulier, il serait expédié en administration les mandats nécessaires aux époques du remboursement.

Art. II.

Remboursement des anticipations et du reste de l'arriéré des départements.


    Nous ne croyons rien exagérer en estimant à cette somme les dons patriotiques, ou le quart des revenus de la France, surtout lorsque l'ordre rétabli dans toutes les parties des finances, aura inspiré une juste sécurité à tous les citoyens, et qu'aucune crainte ne retiendra plus l'effet du patriotisme. Les délégations sur cette rentrée de capitaux seront aisées à faire et seront successivement acquittées.

Art. III.

Besoins extraordinaires de l'année 1789 et de l'année 1790.

    L'engagement que nous avions pris est en grande partie rempli ; mais il nous reste à pourvoir aux besoins extraordinaires de cette année et de l'année 1790, que nous vous avons annoncés au commencement de ce mémoire. Le premier ministre des finances les évalue à 170 millions.

    Sur cet objet, Messieurs, il nous est impossible, dans ce moment-ci, de nous expliquer aussi clairement que sur le reste. Nos ressources se trouveront dans le parti que vous prendrez pour ou contre la caisse d'escompte. Il faut indispensablement que vous la releviez, ou que vous la remplaciez. Dans le premier cas, la nation sera dépositaire du gage hypothéqué à la sûreté des créanciers de la caisse; et si vous adoptez le plan que le ministre des finances (1) vous a présenté, nous n'avons plus à discuter que le choix entre le parti qu'il propose , de rembourser la caisse d'escompte de ses avances, en laissant subsister des anticipations pour la même somme, ou le parti définitif de supprimer à jamais les anticipations, en préférant laisser subsister la créance entière de la caisse d'escompte pendant la durée de son privilège.

(1) Si le plan de la banque nationale, proposé par M. Necker, est adopté, les 3,500,000 livres d'intérêts dus à la caisse d'escompte, et employés dans le compte précédent seront, portés à 7,900,000 livres. Ainsi il y aura une augmentation d'intérêts à payer de 4,400,000 livres, mais l'extinction des rentes viagères do 1789 et 1790, aura produit 3 millions : ainsi l'excédent de recette sera encore de 32 millions.

    Si le même plan est adopté, il ne change rien à nos calculs, puisqu'il conserve, au même prix, pour 170,000,000 livres d'anticipation. La seule différence consiste dans l'emploi de 170,000,000 livres du don patriotique, proposé par lui pour rembourser la caisse d'escompte, en conservant des anticipations ; et par nous, pour anéantir les anticipations, en préférant laisser subsister, pendant la durée du privilège, la créance entière de la caisse d'escompte.

    Dans le second cas, celui du remplacement de la caisse d'escompte par un autre établissement de banque, le même secours, sans doute, vous serait offert.

    Enfin, si la nation prenait elle-même la place de tous les établissements de crédit qu'on va lui offrir, elle serait créatrice de ce nouveau gage. Ainsi, sans vouloir rien préjuger sur cette grande opération, nous osons garantir que, dans toutes les hypothèses imaginables, et très-prochainement (car les délais sont désormais impossibles) le secours de 170 millions vous est assuré, et vous sera fourni à un prix très-modéré.

    Voilà donc, Messieurs, la preuve acquise du rétablissement possible et très-prochain de l'ordre, du bonheur et de la tranquillité publique. Nous ne vous avons pas présenté les rêves de l'imagination ; nos évaluations ne sont pas problématiques ; nous n'avons rien donné au hasard. C'est dans quelques mois que nous pourrons entrer en jouissance ; c'est dès aujourd'hui que vous pouvez poser toutes les bases. Vous pouvez dire : Tel jour l'ordre immuable sera établi : tel jour il ne sera plus permis d'être inquiet de la fortune publique. Si vous adoptez ce plan, il ne faut, pour son exécution, qu'un petit nombre de décrets ; et la nation, attentive à tout ce que vous faites pour elle, n'aura bientôt plus d'autre sentiment que celui de la reconnaissance.

    Mais il reste un objet digne de toute votre attention. Votre loyauté a encore une obligation à satisfaire. Tous les engagements de l'Etat sont sacrés pour vous, et tous les engagements ne sont pas remplis. Plusieurs emprunts ont été faits depuis quelques années, avec la condition d'en rembourser tous les ans une partie, jusqu'à extinction totale. Au mois d'août 1788, l'autorité a suspendu l'effet de cet engagement ; et à la fin de la présente année, 72 millions (1) qui auraient dû être remboursés ne le seront pas. 48 millions avaient été promis pour l'année prochaine et courent le même risque ; dans les années suivantes, des sommes qui vont toujours en décroissant devraient être acquittées successivement. On ne peut vous reprocher, sans doute, la violation qui a été faite de la foi publique à cet égard ; mais il serait beau qu'au moment où la nation est rendue à elle-même, l'ordre et la fidélité sortissent, à la fois et de tous les côtés, du sein du chaos ! La caisse d'amortissement que vous pouvez fonder aujourd'hui, au moyen de 33 millions de revenus libres qui vous restent, ne suffit pas à ces engagements ; mais vos ressources sont entières. Vous n'avez mis aucun impôt sur le luxe, et personne ne doute que cette source de richesses ne pût s'ouvrir à votre voix. Les provinces y applaudiraient unanimement, et enfin on verrait le luxe servir à réparer les maux qu'il a faits. Ce moyen, employé avec mesure, pourrait élever, dès l'année prochaine, les fonds de la caisse d'amortissement de de 33 à 35 millions, qui déjà seraient accrus par des extinctions de rentes viagères ; vous rétabliriez aussitôt les remboursements annuels, qui n'auraient été suspendus que pendant dix-huit mois. Quelle belle réponse à ceux qui naguère osaient douter des ressources de la France et calomnier vos intentions !

(1) Sans compter 80,800,000 livres d'assignations suspendues sur les domaines et bois, qui font partie des remboursements proposés précédemment.

    Chaque somme de remboursement rendrait la condition du peuple meilleure, et chaque nouvelle législature le ferait jouir, par une diminution sur les contributions, du bénéfice résultant des intérêts éteints, sans que la caisse d'amortissement suspendît un instant ses remboursements annuels.

    Une dernière observation vous frappera sans doute, et ce n'est pas la moins importante de celles qui résultent du plan que nous avons l'honneur de vous présenter. Suivant ce plan, une somme énorme de capitaux serait, en peu de temps, employée en remboursements. Ces capitaux auront besoin d'emploi et la nation pourrait leur fournir elle-même des débouchés faciles par des emprunts constamment ouverts et constamment employés à d'autres remboursements. Quel bénéfice immense une opération semblable n'opérerait-elle pas, soit par le remboursement des rentes viagères nouvellement constituées, soit par la réduction des intérêts de la dette perpétuelle ! C'est à cette époque, très-prochaine, que vous commenceriez avec facilité le remboursement des charges de judicature. Vous remarquerez, Messieurs, qu'il n'est aucune de ces opérations qui ne tende directement et effectivement au soulagement du peuple et à la diminution de l'impôt territorial.

    C'est après avoir déterminé, par vos décrets, tout ce qui doit consommer pour le présent, et préparer pour l'avenir, les opérations précédentes, que vous pourrez, à loisir, approfondir chacune des parties qui composent les revenus publics. C'est alors que le secours de toutes les lumières vous sera vraiment utile, parce que les essais seront sans danger ; et vous aurez, en peu d'années, perfectionné toute l'administration, et redressé toutes ses erreurs.

Tous les tableaux justificatifs et explicatifs de nos propositions sont joints à ce mémoire et vont être déposés sur votre bureau.

    Lorsque vous l'ordonnerez, nous aurons l'honneur de vous présenter les projets successifs des décrets nécessaires à l'exécution de ce plan.

TABLEAUX justificatifs et explicatifs annexés au présent mémoire.

N° 1. Etat comparatif des dépenses et des dettes publiques dans l'ancien état, et suivant le nouveau plan du comité des finances.

N° II. Etat comparatif des revenus publics dans l'ancien état, et suivant le nouveau plan du comité des finances.

N° III. Etat comparatif entre les revenus publics, suivant le plan du comité des finances, et les dépenses et dettes publiques, suivant le même plan.

N° IV. Anticipation sur les revenus de l'Etat.

N° V. Fonds d'avances et de cautionnements.

N° VI. Offices de finances.

N° VIL Tableau des remboursements à termes fixes, suspendus au mois d'août 1788.


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Bertrand